Date : 20210421
Dossiers : IMM-6268-19
IMM-6270-19
Référence : 2021 CF 348
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 21 avril 2021
En présence de madame la juge Roussel
ENTRE :
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DORINELA PEPA
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demanderesse
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Nature de l’affaire
[1]
La demanderesse, Dorinela Pepa, sollicite le contrôle judiciaire de deux (2) décisions. Dans le dossier IMM-6268-19, elle conteste la mesure d’exclusion que la Section de l’immigration [la SI] a prise à son égard le 16 octobre 2018 [la mesure d’exclusion] parce qu’elle a fait de fausses déclarations dans le but d’obtenir le statut de résident permanent au Canada. Dans le dossier IMM-6270-19, elle conteste la décision du 27 août 2019 par laquelle la Section d’appel de l’immigration [la SAI] a rejeté son appel pour défaut de compétence.
[2]
Pour les motifs qui suivent, les demandes de contrôle judiciaire sont rejetées.
II.
Contexte
[3]
La demanderesse est une citoyenne albanaise de 23 ans. Le 4 février 2018, elle a obtenu un visa de résident permanent en tant que personne à charge accompagnant son père, qui était quant à lui parrainé au Canada par sa nouvelle épouse. Le visa de la demanderesse était valide jusqu’au 16 septembre 2018.
[4]
Le 27 février 2018, la demanderesse s’est mariée. Elle n’a pas informé les autorités d’immigration de son mariage.
[5]
Le 20 mars 2018, la demanderesse est arrivée au Canada pour devenir résidente permanente. Lors du contrôle initial, elle a informé l’agent au point d’entrée qu’elle était désormais mariée. En raison de ce changement de statut, la demanderesse n’a pas obtenu le droit d’établissement au Canada, mais a plutôt été admise en vue de subir un autre contrôle. Les contrôles ont pris fin le 6 avril 2018.
[6]
Lorsqu’elle s’est présentée au contrôle, la demanderesse a informé l’agent qu’elle avait demandé le divorce le 29 mars 2018. Malgré cette information, le 6 avril 2018, l’agent a rédigé un rapport en application du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], dans lequel il affirmait que la demanderesse était interdite de territoire en vertu de l’article 41 de la LIPR car elle n’avait pas respecté les exigences énoncées à l’alinéa 51b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement]. Le représentant du ministre a renvoyé le rapport à la SI pour que celle‑ci procède à une enquête le lendemain. Le visa de la demanderesse n’a pas été annulé.
[7]
Un autre rapport visé au paragraphe 44(1) a été rédigé le 13 juillet 2018, sur le fondement de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. Selon l’agent, le fait que la demanderesse n’ait pas informé les agents d’immigration canadiens chargés de traiter sa demande de résidence permanente de son changement d’état matrimonial avant son arrivée au Canada a entraîné une erreur dans l’application de la LIPR. Le visa de la demanderesse est demeuré valide. Ce rapport a mené à un autre renvoi conformément au paragraphe 44(2) de la LIPR, en date du 24 juillet 2018.
[8]
Une enquête devant la SI a commencé le 25 septembre 2018. Dès le début de l’enquête, le défendeur a fait savoir qu’il renonçait au rapport d’avril fondé sur le paragraphe 44(1) relatif à l’interdiction de territoire prononcée en vertu de l’article 41 de la LIPR et qu’il procéderait uniquement sur le fondement du rapport de juillet relatif aux fausses déclarations. La SI a reçu des éléments de preuve et des observations de la part de la demanderesse et du défendeur.
[9]
Après une discussion en privé entre les avocats et la commissaire de la SI à la fin de l’audience, l’avocate de la demanderesse a soulevé des préoccupations quant à l’équité procédurale dans une lettre envoyée à la SI le lendemain. Elle affirmait que la SI ne pouvait pas conclure que la demanderesse n’avait pas respecté l’alinéa 51b) du Règlement, car le rapport visé au paragraphe 44(1) ne mentionnait que l’alinéa 40(1)a) de la LIPR et l’avocat du ministre avait abandonné les allégations d’interdiction de territoire pour défaut de se conformer à l’alinéa 51b) du Règlement.
[10]
Compte tenu de cette préoccupation, la SI a ordonné que de brèves observations soient présentées concernant cette question le 16 octobre 2018. Après avoir donné aux parties l’occasion de répondre aux préoccupations soulevées par l’avocate de la demanderesse, la SI a ensuite rendu sa décision de vive voix. Elle a conclu que la demanderesse, une ressortissante étrangère, était interdite de territoire pour fausses déclarations en vertu de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. La SI a pris une mesure d’exclusion le jour même.
[11]
La demanderesse a interjeté appel de la décision de la SI devant la SAI. Elle a contesté la légalité de la mesure d’exclusion et a demandé l’annulation de cette mesure pour des motifs d’ordre humanitaire.
[12]
Le jour de l’audience devant la SAI, le représentant du ministre a soulevé une question de compétence sur le fondement du paragraphe 63(2) de la LIPR. La SAI a procédé au témoignage de la demanderesse concernant ses motifs d’ordre humanitaire, mais a demandé aux parties de présenter d’autres observations écrites sur la question de la compétence.
[13]
La SAI a rendu sa décision le 27 août 2019 et a rejeté l’appel pour défaut de compétence. La SAI a conclu que la demanderesse n’avait pas le droit d’interjeter appel sur le fondement du paragraphe 63(2) de la LIPR puisque son visa de résident permanent avait expiré le 16 septembre 2018 et qu’il n’était plus valide au moment où la mesure d’exclusion a été prise.
[14]
La demanderesse soulève les deux (2) questions suivantes dans le dossier IMM‑6268‑19. Premièrement, elle soutient avoir été privée de son droit à l’équité procédurale et de l’application des principes de justice naturelle. En invoquant les dispositions de la LIPR et du Règlement, et en se fondant sur des décisions qui n’ont pas été présentées par le défendeur, la commissaire de la SI n’était pas impartiale, et la demanderesse n’était pas au courant de ce qu’elle devait réfuter. Deuxièmement, elle affirme que la décision de la SI est déraisonnable, car cette dernière n’a pas été en mesure de citer un article de la LIPR ou du Règlement qui précisait à quel moment le changement d’état matrimonial devait être communiqué.
[15]
Dans le dossier IMM‑6270‑19, la demanderesse soutient que la SAI a commis une erreur en concluant qu’elle n’avait pas compétence pour instruire l’appel. Selon la demanderesse, [traduction] « un visa valide n’est pas invalidé simplement par un changement de situation survenu après sa délivrance »
. Par ailleurs, aucune disposition législative ne précise qu’un visa ne doit pas être expiré avant qu’une mesure d’exclusion soit prise.
III.
Analyse
A.
Norme de contrôle
[16]
Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a conclu que la norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle présumée s’appliquer aux décisions rendues par les décideurs administratifs (Vavilov, aux para 10, 16‑17). Selon moi, aucune des exceptions décrites dans l’arrêt Vavilov ne s’applique en l’espèce. Contrairement à l’argument de la demanderesse, la décision de la SAI ne soulève pas une question « [liée] aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs »
(Vavilov, au para 53). La décision de la SAI concerne plutôt son interprétation du paragraphe 63(2) de la LIPR, sa loi constitutive. Il est bien établi que la présomption relative à la norme de la décision raisonnable s’applique à l’interprétation par un décideur de sa loi constitutive (Vavilov, au para 25; Momi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 163, au para 21).
[17]
Lorsque la norme de la décision raisonnable s’applique, la Cour examine « la décision effectivement rendue par le décideur, notamment [le] raisonnement suivi et [le] résultat de la décision »
(Vavilov, au para 83). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci »
(Vavilov, au para 99). Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable (Vavilov, au para 100).
[18]
En ce qui concerne la question de l’équité procédurale, la Cour d’appel fédérale a précisé dans l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [Canadien Pacifique], que les questions d’équité procédurale ne se prêtent pas nécessairement à une analyse relative à la norme de contrôle applicable. Le rôle de la Cour consiste plutôt à décider si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances (Canadien Pacifique, aux para 54‑56; Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196, au para 35).
B.
Mesure d’exclusion dans le dossier IMM-6268-18
(1)
Aucun manquement à l’équité procédurale
[19]
La demanderesse fait valoir qu’elle a été privée de son droit à l’équité procédurale, car la commissaire de la SI a donné suite aux allégations de non‑respect de l’alinéa 51b) du Règlement même si le défendeur avait clairement dit, au début de l’audience, qu’il avait seulement l’intention de faire valoir les allégations d’interdiction de territoire en vertu de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. La commissaire de la SI s’est improvisée seconde avocate du défendeur et a renvoyé dans sa décision à treize (13) décisions de la Cour fédérale et à des dispositions de la LIPR et du Règlement qui n’avaient pas été invoquées par le défendeur. En complétant le dossier du défendeur, la commissaire de la SI a fait preuve de partialité. En outre, la SI a manqué à l’équité procédurale lorsqu’elle a informé la demanderesse qu’elle aurait la possibilité de faire appel de sa décision auprès de la SAI. Étant donné les conséquences graves qui découlent d’une conclusion de fausses déclarations, la demanderesse avait droit à un degré plus strict d’équité procédurale (Likhi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 171, aux para 26‑27).
[20]
L’argument de la demanderesse n’est pas fondé.
[21]
Contrairement à ce qu’affirme la demanderesse, la SI n’a pas donné suite aux allégations de manquement à l’alinéa 51b) du Règlement. L’audience était fondée sur l’alinéa 40(1)a) de la LIPR pour fausses déclarations.
[22]
Dans le cadre de son analyse, la SI a d’abord fait observer que la demanderesse était une étrangère qui n’avait pas le droit absolu d’entrer ou de rester au Canada. Pour ce qui est du deuxième élément des fausses déclarations, la SI a fait remarquer qu’il existe un principe établi selon lequel un demandeur de visa cherchant à entrer au Canada a une obligation absolue de franchise, comme le prévoient les paragraphes 16(1) et 18(1) de la LIPR et l’article 51 du Règlement. Tous ces éléments sont également applicables à l’interprétation de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. Bien que le rapport de juillet visé au paragraphe 44(1) ne faisait pas référence à l’article 51 du Règlement, il n’en demeure pas moins que les allégations figurant dans le rapport montraient clairement que cette disposition a été appliquée.
[23]
La SI a ensuite examiné l’obligation de franchise de la demanderesse. Elle a conclu que lorsque la demanderesse s’est mariée en février 2018, un changement est survenu dans sa situation personnelle et, à partir de ce moment‑là, elle avait l’obligation d’informer le bureau des visas. En dissimulant les renseignements relatifs à son mariage et en ne corrigeant pas les renseignements dont disposait le bureau des visas, la demanderesse a fait de fausses déclarations.
[24]
Lorsqu’elle a évalué si la demanderesse pouvait réfuter la conclusion de fausses déclarations, la SI a de nouveau fait référence à l’article 51 du Règlement et a conclu que, lorsqu’elle s’est présentée au point d’entrée, elle n’a pas pu établir qu’elle était une personne à charge vu son état matrimonial.
[25]
Quant aux autres éléments des fausses déclarations, la SI a conclu que le fait de ne pas mentionner qu’elle s’était mariée et qu’elle n’était donc plus admissible à titre d’enfant à charge était une question pertinente, qui a entraîné une erreur dans l’application de la LIPR.
[26]
La SI a explicitement précisé dans ses motifs que ses références à l’article 51 du Règlement ne visaient pas à aborder un motif distinct d’interdiction de territoire.
[27]
La demanderesse ne peut raisonnablement affirmer qu’elle ne savait pas ce qu’elle devait réfuter. Le rapport de juillet fondé sur le paragraphe 44(1) énonce clairement les allégations contre elle. Elle n’a pas informé les autorités canadiennes chargées de traiter sa demande de résidence permanente que son état matrimonial avait changé avant son arrivée au Canada, ce qui a provoqué une erreur dans l’application de la LIPR. Si elle avait informé le bureau des visas de son changement d’état matrimonial avant son arrivée, son visa aurait vraisemblablement été annulé puisqu’elle n’était plus admissible au droit d’établissement en tant qu’enfant à charge.
[28]
Quant à l’allégation selon laquelle la commissaire de la SI n’était pas impartiale, la demanderesse ne m’a pas convaincue que le fait de se fonder sur la jurisprudence et les dispositions législatives sur des questions qui lui étaient connues démontre un parti pris. Par ailleurs, la SI a expressément donné l’occasion à la demanderesse, par ses instructions transmises douze (12) jours avant la deuxième séance, de présenter des observations sur les dispositions législatives et les obligations prévues par la loi pertinentes dans son cas.
[29]
De même, la demanderesse ne peut invoquer un manquement à l’équité procédurale ou à un principe de justice naturelle au motif que la SI a mentionné à tort à l’audience qu’elle avait le droit de faire appel devant la SAI. Le rôle de la SI se limitait à décider si la demanderesse était interdite de territoire en raison de fausses déclarations. Je ne suis pas convaincue que la SI a tiré sa conclusion en pensant que la demanderesse ferait appel de la mesure d’exclusion pour pouvoir soulever des motifs d’ordre humanitaire en appel. De plus, la demanderesse était représentée par une avocate à l’audience et le droit d’appel est conféré par la loi, et non par une déclaration de la SI.
[30]
Pour conclure sur cette question, la demanderesse n’a pas démontré que la SI a manqué à l’équité procédurale.
(2)
La décision de la SI est raisonnable
[31]
À titre subsidiaire, la demanderesse fait valoir que la décision de la SI était déraisonnable, car cette dernière n’a pas été en mesure de citer un article de la LIPR ou du Règlement précisant à quel moment le changement d’état matrimonial devait être communiqué. Elle s’est plutôt appuyée sur une lettre qui a été envoyée au père de la demanderesse avec le visa de cette dernière pour justifier l’obligation de communiquer ce renseignement au bureau des visas avant l’arrivée.
[32]
La demanderesse souligne également qu’elle a été franche au sujet de son changement d’état matrimonial au point d’entrée. Elle a donné volontairement cette information et a fourni le certificat de mariage. Ainsi, la demanderesse se demande en quoi il est raisonnable de considérer qu’elle a refusé de communiquer des informations.
[33]
Je ne suis pas convaincue par ces arguments.
[34]
La SI devait établir si la demanderesse avait dissimulé des renseignements importants qui auraient pu entraîner une erreur dans l’application de la LIPR. La SI a raisonnablement conclu qu’en n’informant pas le bureau des visas de son mariage avant de venir au Canada, la demanderesse [traduction] « l’a empêché d’examiner sa demande »
. Elle a privé les autorités de renseignements qui auraient mené à une enquête plus approfondie, notamment pour savoir si elle et sa personne à charge – son mari – répondaient aux exigences de la LIPR. La SI a souligné qu’une fausse déclaration n’est pas limitée à un moment particulier dans le traitement d’une demande et qu’une correction avant l’évaluation finale ne rend pas la dissimulation d’informations sans importance.
[35]
La SI a également estimé que le fait que la demanderesse n’ait pas signalé son mariage était non conforme aux instructions claires communiquées dans le document de confirmation de résidence permanente (CRP). La demanderesse et son père étaient tenus d’informer le bureau des visas de tout changement d’état civil ou dans la composition de la famille avant leur départ pour le Canada.
[36]
La SI a rejeté l’argument de la demanderesse selon lequel on devrait lui pardonner ses fausses déclarations parce qu’elle était mineure et ne connaissait pas ses obligations. Faisant remarquer que la demanderesse avait vingt (20) ans lorsqu’elle s’est mariée, la SI a estimé qu’elle aurait dû être plus investie dans sa demande de résidence permanente.
[37]
La SI a également jugé non convaincante l’explication de la demanderesse selon laquelle elle n’a pas informé le bureau des visas de son mariage parce qu’elle pensait que son mariage ne regardait personne. La SI a fait remarquer avec raison qu’il n’appartient pas à un demandeur de décider de ce qui est pertinent (Singh c Canada, 2015 CF 377, au para 32).
[38]
La SI n’était pas tenue, selon moi, de citer une disposition législative précise indiquant à quel moment dans le traitement de sa demande de résidence permanente la demanderesse devait communiquer son changement de situation. Elle pouvait raisonnablement conclure que le fait que la demanderesse n’ait pas signalé son mariage au bureau des visas n’était pas conforme aux instructions claires figurant dans la CRP ainsi qu’à l’obligation générale et continue de franchise qui exige que les demandeurs visés par la LIPR et le Règlement communiquent tous les faits qui peuvent être importants pour leur demande de résidence permanente (Kazzi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 153, au para 38; Dong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1108, au para 54; Cao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 450, au para 28 [Cao]).
[39]
Bien que la demanderesse ait finalement communiqué l’information à son arrivée au Canada, la communication ultérieure de renseignements ne fait normalement pas obstacle à l’application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR (Tan Gatue c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 730, aux para 23, 25; Cao, au para 34). L’objectif de la communication est de veiller à ce que les agents des visas soient informés de tous les faits importants lors de l’examen d’une demande afin de déterminer si un demandeur est admissible au Canada en tant que résident permanent. Si la demanderesse avait révélé son état matrimonial avant d’arriver au Canada, l’agent des visas aurait vraisemblablement annulé son visa de résident permanent, car elle ne pouvait plus être considérée comme une personne à charge de son père. La demanderesse ne peut profiter du fait qu’elle est maintenant au Canada pour tenter de remédier à son défaut de communiquer un fait important. Accepter le raisonnement de la demanderesse encouragerait les demandeurs à dissimuler des renseignements aux agents des visas dans l’espoir que leur demande ne soit pas rejetée avant de venir au Canada et avec l’intention de pouvoir corriger leur demande une fois au Canada.
[40]
De plus, il est bien établi que l’alinéa 40(1)a) est libellé en termes généraux et englobe les fausses déclarations faites même à l’insu du demandeur (Jiang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 942, au para 35; Cao, au para 31, Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1059, aux para 55‑56). Bien qu’il existe une exception dans les cas où le demandeur peut démontrer qu’il croyait honnêtement qu’il ne dissimulait pas de renseignements importants, cette exception est limitée. La demanderesse ne m’a pas convaincue que cette exception s’applique à elle.
[41]
Dans les circonstances, j’estime que la SI pouvait raisonnablement conclure que la demanderesse n’avait pas respecté son obligation de franchise.
[42]
En conclusion, lorsque la décision de la SI est lue dans son ensemble, je suis convaincue qu’elle répond à la norme de la décision raisonnable énoncée dans l’arrêt Vavilov et qu’il n’y a pas eu manquement aux droits de la demanderesse à l’équité procédurale.
C.
Compétence de la SAI dans le dossier IMM-6870-19
[43]
La question déterminante pour la SAI consistait à savoir si elle avait compétence pour instruire l’appel, étant donné que le visa de la demanderesse avait expiré le 16 septembre 2018 et que la mesure d’exclusion avait été prise le 16 octobre 2018. S’appuyant sur la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Hundal, [1995] 3 CF 32, la SAI a relevé les quatre (4) exceptions au principe général selon lequel un visa continue d’être valide une fois délivré. Elle a conclu que la troisième exception, qui prévoit qu’un visa cesse d’être valide lorsqu’il expire, s’appliquait dans le cas de la demanderesse.
[44]
La SAI a ensuite répondu à l’argument de la demanderesse selon lequel, malgré la troisième exception, son visa était toujours valide lorsque l’affaire a été déférée pour enquête en application du paragraphe 44(2) de la LIPR. Elle a fait référence à la décision Ismail c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 338 [Ismail], où la Cour a conclu que le paragraphe 63(2) de la LIPR confère un droit d’appel uniquement au titulaire d’un visa de résident permanent valide au moment où la « mesure d’exclusion »
est prise (Ismail, au para 18).
[45]
Enfin, la SAI s’est penchée sur la question de savoir si un abus de procédure était responsable du temps écoulé et de l’expiration du visa de la demanderesse avant qu’une mesure d’exclusion ne soit prise. La SAI a conclu que la cause de l’admission de la demanderesse pour contrôle, de la délivrance des rapports visés à l’article 44 de la LIPR et de l’audience subséquente devant la SI tenait au fait que la demanderesse n’avait pas déclaré son changement de situation et n’avait pas respecté les conditions de son visa au moment de son arrivée au point d’entrée, et non aux actions injustes ou aux retards du défendeur.
[46]
La demanderesse soutient que la SAI aurait dû s’appuyer sur l’arrêt McLeod c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 1 CF 257 (CAF) [McLeod], dans lequel la Cour d’appel fédérale a conclu qu’« un visa délivré valablement ne devient pas invalide du seul fait que la situation visée par sa délivrance a changé depuis »
. Dans l’affaire McLeod, la SAI avait présumé de sa compétence même si le visa avait expiré avant la prise de la mesure d’exclusion. La demanderesse fait valoir que son changement d’état matrimonial n’a pas invalidé son visa et que celui-ci était toujours valide lorsqu’elle s’est présentée au point d’entrée et lorsque les [traduction] « rapports »
(renvois) visés à l’article 44 de la LIPR ont été rédigés le 7 avril 2018 et le 24 juillet 2018.
[47]
La demanderesse a invoqué à tort l’arrêt McLeod.
[48]
En effet, dans l’arrêt McLeod, le droit d’appel en question était fondé sur l’alinéa 70(2)b) de l’ancienne Loi sur l’immigration, LRC 1985, c I‑2. Cette disposition permettait d’interjeter appel devant la Section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié si l’appelant « [était titulaire] d’un visa […] d’immigrant […] en cours de validité lorsqu’[il a] fait l’objet du rapport visé à l’alinéa 20(1)a) ».
[49]
En l’espèce, le droit d’appel de la demanderesse est régi par le paragraphe 63(2) de la LIPR, qui est libellé comme suit :
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[50]
Selon le paragraphe 63(2) de la LIPR, l’élément qui déclenche l’appel devant la SAI est la prise d’une mesure de renvoi. Le moment où la mesure de renvoi est prise varie selon qu’elle est prise par le ministre en vertu du paragraphe 44(2) de la LIPR dans les circonstances précises prescrites à l’article 228 du Règlement ou par la SI à l’issue de l’enquête visée à l’alinéa 45d) de la LIPR et à l’article 229 du Règlement. Dans le cas de la demanderesse, la mesure d’exclusion a été prise lors de l’enquête.
[51]
La demanderesse soutient que la SAI a mal interprété la décision Ismail et, en particulier, le paragraphe 18 de la décision, qui indique ce qui suit dans la version originale anglaise : «
[A] right of appeal is granted only to a person who “holds” a valid permanent resident visa at the time the exclusion report is issued
»
[caractères gras ajoutés par la demanderesse]. Elle affirme que comme [TRADUCTION] « les rapports d’exclusion »
– les renvois en vertu du paragraphe 44(2) de la LIPR – ont été rédigés le 7 avril 2018 et le 24 juillet 2018, avant l’expiration de son visa le 16 septembre 2018, la SAI aurait dû conclure qu’elle était titulaire d’un visa valide lorsque les rapports ont été rédigés.
[52]
Je ne suis pas convaincue que l’interprétation de la décision Ismail par la demanderesse soit exacte. Le paragraphe 63(2) de la LIPR, tel qu’il était libellé à l’époque, prévoyait qu’un étranger titulaire d’un visa de résident permanent pouvait interjeter appel de la décision de le renvoyer prise lors d’un contrôle ou d’une enquête. Contrairement à l’affaire Ismail, la mesure de renvoi de la demanderesse a été prise à l’enquête. Bien que la version anglaise du paragraphe 18 de la décision Ismail fasse référence à un « exclusion report »
, la question certifiée par la Cour dans cette affaire était de savoir si la validité du visa devrait être évaluée au moment où la mesure d’exclusion est prise. Cette interprétation concorde avec la traduction française révisée du paragraphe 18, qui indique que pour qu’un demandeur ait un droit d’appel auprès de la SAI, son visa doit être valide « au moment où la mesure d’exclusion est prise ».
Selon moi, la décision Ismail confirme que, peu importe que la mesure d’exclusion soit prise lors d’un contrôle ou par la SI à l’issue d’une enquête sur l’interdiction de territoire, pour que la demanderesse ait le droit de faire appel devant la SAI, son visa doit être valide au moment où la mesure d’exclusion est prise.
[53]
Le paragraphe 63(2) de la LIPR ne s’applique qu’aux « titulaires »
d’un visa de résident permanent. Comme l’a énoncé notre Cour dans la décision Zhang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 593 [Zhang], le paragraphe 63(2) de la LIPR est rédigé au présent et, par conséquent, le fait que le demandeur a déjà été titulaire d’un visa de résident permanent ne le fait pas tomber sous le coup de cette disposition (Zhang, aux para 11, 16). La SAI pouvait raisonnablement conclure qu’elle n’avait pas compétence pour instruire l’appel étant donné que le visa de la demanderesse avait expiré le 16 septembre 2018 et que la mesure d’exclusion avait été prise le 16 octobre 2018.
IV.
Dépens
[54]
Dans ses autres mémoires, la demanderesse réclame des dépens sur une base avocat‑client.
[55]
Conformément à l’article 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, la demande de contrôle judiciaire ne donne pas lieu à des dépens, sauf ordonnance contraire pour des raisons spéciales.
[56]
La demanderesse n’a ni formulé ni démontré qu’il existe des raisons spéciales de s’écarter de la règle générale.
V.
Questions certifiées
[57]
La demanderesse a demandé à la Cour de certifier deux (2) questions :
IMM-6268-19
[traduction]
Étant donné que ni le ministre ni la commissaire ne sont en mesure de trouver dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ou le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés l’obligation de communiquer un changement d’état matrimonial « AVANT de quitter le Canada », hormis dans une lettre envoyée avec le visa, la demanderesse a‑t‑elle dissimulé des renseignements lorsqu’elle a révélé son changement d’état matrimonial au point d’entrée?
IMM-6270-19
[traduction]
Pour déterminer si elle a compétence pour instruire un appel fondé sur l’article 63(2) de la LIPR, la SAI devrait-elle évaluer la validité du visa de résident permanent au moment de l’arrivée au point d’entrée au Canada?
[58]
Le défendeur s’oppose à la certification au motif que les questions proposées ne respectent pas le critère de certification.
[59]
Les critères de certification sont bien établis. La question proposée doit être déterminante quant à l’issue de l’appel, transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale. De plus, la question doit avoir été examinée par la Cour fédérale et elle doit découler de l’affaire elle‑même, et non simplement de la façon dont la Cour fédérale a statué sur l’affaire. Une question qui est de la nature d’un renvoi ou dont la réponse dépend des faits qui sont propres à l’affaire ne peut soulever une question dûment certifiée (Lunyamila c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22, aux para 46‑47 [Lunyamila]; Lewis c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 130, au para 36; Mudrak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 178, aux para 15‑17; Lai c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CAF 21, au para 4; Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, au para 9; Varela c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 145, aux pars 28‑29; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Zazai, 2004 CAF 89, aux para 11‑12; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Liyanagamage, [1994] ACF no 1637 (CAF) (QL), au para 4).
[60]
Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la question proposée par la demanderesse dans le dossier IMM-6268-19 ne satisfait pas au critère de certification. Elle est fondée sur la fausse prémisse selon laquelle la SI devait faire référence à une disposition précise de la LIPR ou du Règlement exigeant que la demanderesse révèle son changement d’état matrimonial avant son arrivée au Canada. La question proposée est également propres aux faits de l’espèce, ne transcende pas les intérêts des parties et ne serait pas déterminante quant à l’issue de l’appel.
[61]
En ce qui concerne la question proposée dans le dossier IMM-6270-19, j’estime que la question de savoir quand la validité du visa doit être évaluée pour l’application du droit d’appel devant la SAI prévu au paragraphe 63(2) de la LIPR soulève une question importante qui transcende les intérêts des parties en l’espèce et qui serait déterminante quant à l’issue d’un appel. Je reformulerais toutefois la question proposée et certifierais ce qui suit :
[traduction]
Pour déterminer si elle a compétence pour instruire un appel fondé sur l’article 63(2) de la LIPR, la SAI devrait-elle évaluer la validité du visa de résident permanent au moment de l’arrivée au Canada, au moment où le rapport visé au paragraphe 44(1) est rédigé, au moment où il est renvoyé à la SI, selon le cas, ou au moment où la mesure d’exclusion est prise?
JUGEMENT dans les dossiers IMM-6268-19 et IMM-6270-19
LA COUR STATUE que :
Les demandes de contrôle judiciaire sont rejetées;
Aucuns dépens ne sont adjugés;
Aucune question de portée générale n’est certifiée dans le dossier IMM-6268-19;
La question de portée générale suivante est certifiée dans le dossier IMM‑6270‑19 :
[traduction]
Pour déterminer si elle a compétence pour instruire un appel fondé sur l’article 63(2) de la LIPR, la SAI devrait‑elle évaluer la validité du visa de résident permanent au moment de l’arrivée au Canada, au moment où le rapport visé au paragraphe 44(1) est rédigé, au moment où il est renvoyé à la SI, selon le cas, ou au moment où la mesure d’exclusion est prise?
Une copie du jugement et des motifs sera versée dans le dossier IMM-6268-19 ainsi que dans le dossier IMM-6270-19.
« Sylvie E. Roussel »
Juge
Traduction certifiée conforme
Mylène Boudreau, traductrice
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIERS :
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IMM-6268-19 ET IMM-6270-19
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INTITULÉ :
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DORINELA PEPA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À OTTAWA (ONTARIO) ET TORONTO (ONTARIO)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 14 avril 2021
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LA JUGE ROUSSEL
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DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :
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LE 21 AVRIL 2021
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COMPARUTIONS :
Mary Lam
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POUR LA DEMANDERESSE
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Asha Gafar
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Mary Lam
Avocate
Toronto (Ontario)
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POUR LA DEMANDERESSE
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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