Date : 20000713
Dossier : T-1550-99
ENTRE :
CHUN HUAN CHEN
demandeur
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
LE JUGE CAMPBELL
[1] La question en litige dans cet appel est de savoir si le juge de la citoyenneté a commis une erreur, dans sa décision du 30 juin 1999, en n'approuvant pas la demande de citoyenneté canadienne présentée par le demandeur aux termes du par. 5(1) de la Loi sur la citoyenneté (la Loi).1
[2] En l'espèce, l'erreur de droit invoquée par le demandeur se fonde sur la déclaration suivante du juge en chef adjoint Lutfy dans l'arrêt Chong Ming So c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (dossier T-1700-98, daté du 1er avril 1999), qui a déclaré ce qui suit au sujet des motifs fournis par le juge de la citoyenneté dans cette affaire :
Cette observation fait référence aux décisions de notre Cour qui font suite à la jurisprudence Papadogiorgakis et qui tolèrent les absences momentanées dans le cas où la vie du demandeur est, à d'autres égards, centrée au Canada. Cependant, le juge de la citoyenneté s'est encore longuement référé à l'arrêt Pourghasemi, (1993), 19 Imm. L.R. (2d) 259 (C.F. 1re inst.), où il a été jugé, par stricte interprétation de l'alinéa 5(1)c), que la période requise de trois ans est « le temps minimum pour se canadianiser » . L'évocation, simultanée et sans autre explication, de deux jurisprudences contradictoires dans la lettre portant décision peut trahir une mauvaise compréhension du point de droit à la lumière duquel elle doit juger le cas du demandeur. À mon avis, cette méprise constitue un motif d'appel valide. |
[3] En l'espèce, le passage pertinent des motifs de la décision du juge de la citoyenneté contenus dans la lettre de refus datée du 30 juin 1999 est le suivant :
[TRADUCTION] J'ai conclu que vous répondez à toutes les conditions de la Loi à l'exception de celle de l'alinéa 5(1)c) « Résidence » . L'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté exige que tout demandeur ait, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans, selon la manière prévue à ce paragraphe. |
Les raisons à l'origine de cette condition de résidence sont clairement formulées dans l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Pourghasemi (no de dossier T-80--92), dans lequel le juge Muldoon a déclaré : |
... ceux qui entendent partager volontairement le sort des Canadiens en devenant citoyens du pays doivent le faire en vivant parmi les Canadiens, au Canada, durant trois des quatre années précédant la demande, afin de se canadianiser. Ce n'est pas quelque chose que l'on peut faire à l'étranger, car la vie canadienne et la société canadienne n'existent qu'au Canada, nulle part ailleurs. |
Veuillez également noter que le Parlement du Canada a permis au demandeur d'accumuler ces trois années de résidence sur une période de quatre ans. Cette disposition a pour effet de permettre aux intéressés de s'absenter pendant cette période de quatre ans. Dans l'arrêt Koo (no de dossier T-20-92), le juge B. Reed fait le commentaire suivant au sujet de l'intention qu'avait le législateur lorsqu'il a fixé cette période : |
La condition de trois ans de résidence dans une période de quatre ans semble avoir été conçue pour permettre une absence physique d'une durée d'un an pendant les quatre ans prescrits. Certes, les débats tenus à l'époque donnent à penser que l'on envisageait comme durée minimale une présence physique au Canada de 1 095 jours. |
À l'audience, il est apparu clairement que vous espériez pouvoir expliquer à la satisfaction de la Cour le nombre insuffisant de vos jours de résidence. Vous savez certainement que dans certaines circonstances, il a été jugé que certaines personnes répondaient à la condition de résidence malgré le fait qu'elles se soient absentées physiquement pour de longues durées du Canada. |
J'ai soigneusement examiné les éléments de preuve figurant dans votre dossier et la teneur de notre entrevue. Vous êtes un homme d'affaires qui se rend régulièrement à Taïwan et à Hong Kong. Vous avez passé beaucoup plus de temps à Hong Kong et à Taïwan qu'au Canada et paraissez être en visite au pays. J'estime que vous n'avez pas centralisé votre mode de vie au Canada. C'est pourquoi je ne suis pas en mesure d'approuver cette demande. |
[4] L'avocat du demandeur invoque l'arrêt Chong Ming So pour soutenir que l'erreur commise en l'espèce est d'avoir cité l'arrêt Pourghasemi, qui énonce un critère rigoureux, renforcé par la déclaration de l'arrêt Koo selon laquelle le législateur avait l'intention de formuler un critère rigoureux pour ensuite appliquer le critère plus souple que l'on trouve dans l'arrêt Re Papadogiorgakis [1978] 2 C.F. 208. Dans Papadogiorgakis, à la p. 214, le juge Thurlow s'exprime ainsi :
Une personne ayant son propre foyer établi, où elle habite, ne cesse pas d'y être résidente lorsqu'elle le quitte à des fins temporaires, soit pour traiter des affaires, passer des vacances ou même pour poursuivre des études. Le fait que sa famille continue à y habiter durant son absence peut appuyer la conclusion qu'elle n'a pas cessé d'y résider. On peut aboutir à cette conclusion même si l'absence a été plus ou moins longue. Cette conclusion est d'autant mieux établie si la personne y revient fréquemment lorsque l'occasion se présente. Ainsi que l'a dit le juge Rand dans l'extrait que j'ai lu, cela dépend « essentiellement du point jusqu'auquel une personne s'établit en pensée et en fait, ou conserve ou centralise son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d'intérêts et de convenances, au lieu en question. » |
[5] Après réflexion, je ne puis retenir l'argument du demandeur.
[6] Je conclus que lorsque le juge de la citoyenneté a cité les passages susmentionnés, il a simplement voulu expliquer au demandeur que la Loi sur la citoyenneté imposait une condition de résidence minimale, mais qu'il était possible de remplir cette condition [TRADUCTION] « malgré de longues périodes d'absence physique du Canada » . J'estime que le juge n'a commis aucune erreur dans l'interprétation ou l'application de ces principes.
[7] Par conséquent, je conclus que le juge de la citoyenneté n'a pas commis d'erreur dans l'application de la décision Papadogiorgakis rendue par le juge Thurlow et que c'est à bon droit qu'il a estimé que le demandeur n'avait pas centralisé son mode de vie habituel au Canada.
ORDONNANCE
[8] Par conséquent, l'appel est rejeté.
[9] Des dépens ne sont pas adjugés.
Toronto (Ontario) « Douglas R. Campbell »
Le 13 juillet 2000
J.C.F.C.
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad a.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
Avocats inscrits au dossier
No DE GREFFE : T-1550-99 |
INTITULÉ DE LA CAUSE : CHUN HUAN CHEN |
- et -
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION |
DATE DE L'AUDIENCE : LE MERCREDI 12 JUILLET 2000 |
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO) |
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE PAR LE JUGE CAMPBELL |
EN DATE DU JEUDI 13 JUILLET 2000
ONT COMPARU : Sheldon M. Robins |
pour le demandeur |
Marianne Zoric |
pour le défendeur |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Sheldon M. Robins |
Avocats
7707, chemin Kennedy, bureau 102
Markham (Ontario)
L3R 0N6
pour le demandeur |
Morris Rosenberg
Sous-procureur général du Canada
pour le défendeur
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
Date : 20000713
Dossier : T-1550-99
ENTRE :
CHUN HUAN CHEN |
demandeur
- et -
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE |
ET ORDONNANCE
__________________
1 D'après les conclusions auxquelles j'en suis arrivé en matière d'interprétation dans l'arrêt MCI c. Wing Tung Thomas Yeung (C.F. 1re inst. no T-1256-98, rendu le 3 février 1999), les appels comme celui qui nous intéresse ici portent sur la question de savoir si le juge de la citoyenneté a commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire.