Dossier no : IMM-300-00
Référence neutre : 2001 CFPI 275
Ottawa (Ontario), le 2 avril 2001
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD
ENTRE :
XIN GENG
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] La présente demande de contrôle judiciaire porte sur la décision en date du 23 novembre 1999 par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (SSR) a statué que le demandeur n'est pas un réfugié au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration[1]. La SSR a également conclu à l'absence de minimum de fondement en ce qui a trait à la revendication, conformément au paragraphe 69.1(9.1) de la Loi sur l'Immigration.
Faits
[2] Le demandeur, qui est citoyen de Chine, soutient craindre avec raison d'être persécuté, du fait de ses opinions politiques et de sa participation à une organisation anticommuniste de la Chine, le Parti démocrate chinois (PDC).
[3] En janvier 1998, le demandeur a adhéré au PDC et aurait été le chef adjoint d'un groupe de six membres à Shenyang, ville capitale de la province du Liao-ning.
[4] Les activités de la section locale de Shenyang du PDC se résumaient principalement à des réunions politiques au cours desquelles des ouvrages favorables à la démocratie étaient lus, à l'impression et à la distribution de tracts et de pamphlets ainsi qu'à la tenue d'enquêtes au sujet de la corruption chez les fonctionnaires politiques.
[5] En mars 1998, la section de Shenyang du PDC a organisé une manifestation sous forme d'occupation à l'hôtel de ville. Les manifestants ont été dispersés et des enquêtes ont été menées par le bureau de la sécurité publique (BSP).
[6] Le 15 mai 1998, le demandeur, qui était alors muni d'un visa de visiteur, est arrivé au Canada afin d'étudier l'anglais comme langue seconde. Le demandeur soutient qu'il avait l'intention de retourner en Chine au plus tard à la fin de septembre 1998.
[7] Le 10 juin 1998, le demandeur a appris de son épouse que le BSP ciblait des organisations souterraines comme le PDC et que certains membres de la section de Shenyang de ce parti étaient détenus tandis que d'autres, dont le demandeur, étaient recherchés[2].
[8] Le 16 juillet 1998, le demandeur a été informé, encore une fois par son épouse, que le « comité central » l'avait condamné in absentia pour le rôle qu'il avait joué au sein du PDC[3].
[9] En raison de cette situation, le demandeur a déposé sa demande de statut de réfugié le 15 juillet 1998 [4].
[10] Le demandeur a soumis à l'examen de la SSR les documents suivants :
a) Avis à la famille du détenu
b) Lettre d'assignation
c) Décret de condamnation et de sentence
d) Article rédigé par le demandeur, Geng Xin, et intitulé [TRADUCTION] « Le système pluripartiste est la seule solution pour la Chine »
e) Lettre de l'épouse de Geng Xin en date du 10 juin 1998
f) Lettre de l'épouse de Geng Xin en date du 16 juillet 1998
g) Acte d'accusation
h) Carte d'identité de résident
La décision de la SSR
[11] Le 18 octobre 1999, un tribunal de la SSR composé d'un seul membre a entendu la revendication du demandeur. Le 23 novembre 1999, la SSR a rendu sa décision portant que le demandeur n'avait pas prouvé, comme il devait le faire, qu'il était un réfugié au sens de la Convention. Le tribunal a également statué que le demandeur n'avait pas établi un minimum de fondement au soutien de sa revendication, comme l'exige le paragraphe 69.1(9.1) de la Loi sur l'immigration[5].
[12] Lorsqu'il a conclu à l'absence de minimum de fondement, le tribunal n'a accordé aucune importance aux documents personnels du demandeur, exception faite de la carte d'identité de résident de celui-ci. Le tribunal a déduit de sa conclusion quant au manque de crédibilité du demandeur à l'audience que celui-ci aurait pu avoir fabriqué ses documents personnels. Il a donc rejeté tous les documents au motif que certains auraient pu avoir été fabriqués.
[13] Il convient de reproduire l'extrait suivant de la décision de la SSR :
[TRADUCTION] Exception faite de la carte d'identité de résident du revendicateur, je n'accorde aucune importance aux documents personnels de celui-ci. J'en suis arrivé à la conclusion que le revendicateur n'est pas un témoin digne de foi. Je suis donc conscient de la possibilité qu'il ait présenté des documents fabriqués en plus d'un témoignage fabriqué. J'ai déjà indiqué quelques-unes des raisons qui m'ont incité à croire que certains de ces documents sont fabriqués. Dans les circonstances, étant donné que j'en suis arrivé à la conclusion que le revendicateur n'est pas un témoin digne de foi, il n'est pas nécessaire que je passe en revue chacun de ces documents. La SSR n'est pas une cour de justice. Elle est un tribunal administratif dont l'une des missions consiste à trancher rapidement le sort des revendications. Dans ce contexte, les motifs invoqués au soutien des décisions doivent être brefs. Par conséquent, il suffit de rejeter simplement tous les documents si j'ai fourni de bonnes raisons de croire que certains ont été fabriqués, comme je l'ai fait en l'espèce[6].
Questions en litige
[14] Le demandeur a soulevé les questions suivantes :
a) Le tribunal a-t-il commis une erreur de droit en ignorant ou en interprétant de façon erronée la preuve dont il était saisi?
b) Le tribunal a-t-il tiré des conclusions de fait manifestement déraisonnables ou fondé sa décision sur des conclusions de fait tirées de façon abusive ou arbitraire sans tenir compte de la preuve dont il était saisi?
c) Le tribunal a-t-il mal appliqué ou interprété la définition du statut de réfugié au sens de la Convention, commettant de ce fait une erreur de droit?
d) Si les erreurs du tribunal n'étaient pas des erreurs de droit susceptibles de révision, les effets cumulatifs de ces erreurs constituent-ils une erreur de droit?
Norme de révision
[15] La norme de révision est différente selon qu'il s'agit d'une question de droit ou d'une question de fait. Dans l'arrêt Pushpanathan[7], la Cour suprême du Canada a confirmé que toutes les questions de droit tranchées par la SSR sont régies par la norme de la décision correcte. Cependant, en ce qui a trait aux questions de fait et aux questions concernant la plausibilité d'un témoignage, une grande retenue est accordée à la Section du statut de réfugié et la norme de révision maintenant acceptée est celle du « caractère manifestement déraisonnable » , comme Monsieur le juge Décary, de la CAF, l'a expliqué dans l'arrêt Aguebor :
Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire[8].
Analyse
[16] Les conclusions de fait sont à l'abri du contrôle judiciaire, à moins qu'il ne soit possible de prouver que les inférences tirées par la SSR sont manifestement déraisonnables. Dans la présente affaire, la SSR a conclu que le demandeur n'était pas un témoin crédible ou digne de foi. Cette conclusion était fondée sur les incohérences et omissions qui caractérisaient le témoignage du demandeur. La SSR n'a pas jugé plausibles bon nombre des explications qu'il a données en réponse aux questions du tribunal.
[17] À mon avis, il était loisible et même raisonnable de la part de la SSR de conclure au manque de crédibilité du témoignage du demandeur sur la foi de la preuve dont elle était saisie. Dans l'arrêt Sheikh[9], la Cour d'appel fédérale a statué qu'une conclusion générale de manque de crédibilité d'un demandeur peut s'appliquer à l'ensemble des éléments de preuve pertinents découlant du témoignage de cette personne. Cette conclusion peut être tirée sans que le tribunal rejette chaque mot que le demandeur a prononcé.
[18] Cependant, les principes énoncés dans l'arrêt Sheikh s'appliquent-ils à une conclusion d'absence de minimum de fondement en ce qui a trait à la revendication du demandeur, notamment lorsque le tribunal n'a pas évalué l'ensemble des éléments de preuve objectifs et subjectifs?
[19] Il convient de souligner qu'une conclusion d'absence de minimum de fondement tirée conformément au paragraphe 69.1(9.1) entraîne certaines conséquences. Le demandeur est privé d'une revendication dans la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (DNRSRC) dès que le tribunal conclut à l'absence de minimum de fondement.
[20] Dans une récente décision, Monsieur le juge Denault a analysé en profondeur la question entourant les conclusions d'absence de minimum de fondement et l'applicabilité de l'arrêt Sheikh. À l'instar du juge Denault, j'estime qu'une décision fondée sur le paragraphe 69.1(9.1) de la Loi sur l'immigration nécessite une analyse de l'ensemble de la preuve, tant objective que subjective :
À mon avis, on peut retenir de l'arrêt Sheikh, que lorsque la seule preuve reliant le demandeur au préjudice invoqué émane du témoignage de l'intéressé et que ce dernier est jugé non crédible, la section du statut peut, après une analyse de la preuve documentaire en venir à une conclusion générale d'absence de minimum de fondement. Mais dans les cas où il y une preuve documentaire indépendante et crédible, on ne peut conclure à l'absence de minimum de fondement. En l'espèce (...) Quant au nouvel alinéa 69.1(9.1) de la Loi sur l'immigration, j'estime qu'il requiert, lui aussi, l'analyse de l'ensemble de la preuve, tant objective que subjective.
(...)
Dans la présente affaire, le tribunal a conclu que la revendication du demandeur ne possédait pas, aux termes de l'alinéa 69.1(9.1) un minimum de fondement après qu'il eût estimé que le demandeur n'avait présenté à l'audience aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel il aurait pu se fonder pour lui reconnaître le statut de réfugié.
Pour ce faire, la section du statut avait l'obligation d'apprécier l'ensemble de la preuve et d'expliciter de façon expresse les raisons qui l'ont poussé [sic] à conclure à l'absence de minimum de fondement. En négligeant d'évaluer expressément l'ensemble de la preuve tant subjective qu'objective, et en se concentrant exclusivement sur le témoignage du demandeur, le tribunal a commis une erreur donnant ouverture au contrôle judiciaire[10].
[21] Dans la présente affaire, en négligeant d'évaluer expressément l'ensemble de la preuve, tant subjective qu'objective, notamment la preuve documentaire dont elle était saisie, la SSR a commis une erreur qui, à mon avis, donne ouverture au contrôle judiciaire. Selon moi, la SSR a commis une erreur manifestement déraisonnable en rejetant l'ensemble de la preuve documentaire simplement parce qu'elle avait fourni de bonnes raisons de croire que certains documents avaient été fabriqués. Une déduction de cette nature, qui a mené au rejet de tous les documents sans que l'ensemble de la preuve documentaire subjective soit évaluée de façon satisfaisante, justifie l'intervention judiciaire.
[22] Dans l'affaire Cepeda-Gutierrez, Monsieur le juge Evans, alors juge de la Section de première instance de la Cour fédérale, a commenté la nécessité d'examiner et d'analyser les éléments de preuve contradictoires :
Ainsi, une déclaration générale affirmant que l'organisme a examiné l'ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n'a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l'organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu'elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d'inférer que l'organisme n'a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait[11].
[23] Avant d'en arriver à une conclusion d'absence de minimum de fondement, la SSR devait évaluer l'ensemble de la preuve et expliciter de façon expresse les raisons qui l'ont poussée à conclure comme elle l'a fait.
[24] Pour les motifs exposés ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.
[25] Il n'y a aucune question de portée générale qui devrait être certifiée.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
1. La demande de contrôle judiciaire relative à la décision du 23 novembre 1999 de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié est accueillie, la décision est infirmée et l'affaire est renvoyée à la SSR pour nouvelle décision par un tribunal différent.
« Edmond P. Blanchard »
J.C.F.C.
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, LL.L., trad. a.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
No DU GREFFE : IMM-300-00
INTITULÉ DE LA CAUSE : Xin Geng
c.
M.C.I.
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : le 14 février 2001
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE PAR : MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD
DATE DES MOTIFS : le 2 avril 2001
ONT COMPARU
Me John Savaglio pour le demandeur
Me Ian Hicks pour le défendeur
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Me John Savaglio pour le demandeur
Pickering (Ontario)
Me Morris Rosenberg pour le défendeur
Sous-procureur général du Canada
Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, c. I-2. 2. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi. « réfugié au sens de la Convention » Toute personne : a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques : (i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, [...] |
Immigration Act, R.S.C. 1985, c. I-2 2. (1) In this Act, "Convention refugee" means any person who (a) by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion, (i) is outside the country of the person's nationality and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to avail himself of the protection of that country, ... |
[2] Dossier du demandeur, page 39.
[3] Ibid, page 43.
[4] Ibid. page 19.
(9.1) La décision doit faire état de l'absence de minimum de fondement, lorsque chacun des membres de la section du statut ayant entendu la revendication conclut que l'intéressé n'est pas un réfugié au sens de la Convention et estime qu'il n'a été présenté à l'audience aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel il aurait pu se fonder pour reconnaître à l'intéressé ce statut. |
(9.1) If each member of the Refugee Division hearing a claim is of the opinion that the person making the claim is not a Convention refugee and is of the opinion that there was no credible or trustworthy evidence on which that member could have determined that the person was a Convention refugee, the decision on the claim shall state that there was no credible basis for the claim. |
[6] Décision de la SSR, dossier du demandeur, page 10
[7] Pushpanathan c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, au paragraphe 50.
[8] Aguebor c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732.
[9] Sheikh c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 3 C.F. 238 (C.A.), page 244.
[10] Foyet c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1591, paragraphes 19, 20, 25 et 26.
[11] Cepeda-Gutierrez c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (6 octobre 1998), IMM-596-98, paragraphe 17 (C.F.).