Date : 20210326
Dossier : T‑1443‑18
Référence : 2021 CF 272
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 26 mars 2021
En présence de monsieur le juge Mosley
ENTRE :
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AUGUST IMAGE, LLC
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demanderesse
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et
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AIRG INC.
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défenderesse
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ORDONNANCE ET MOTIFS
I.
Introduction
[1]
La Cour est saisie d’un appel introduit par voie de requête écrite en vertu des articles 51 et 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, visant l’ordonnance de la protonotaire Ring, datée du 15 décembre 2020, par laquelle cette dernière a fait droit à la requête de la demanderesse en radiation de nombreux paragraphes de la défense de la défenderesse [la défense] sans autorisation de modification. Par cette même ordonnance, la requête de la demanderesse en radiation d’un des paragraphes de la défense et d’une série de questions du deuxième interrogatoire écrit de la défenderesse adressé à la demanderesse a été rejetée. La demanderesse s’est aussi vu accorder le droit de modifier le paragraphe 3 de sa déclaration [la déclaration] pour qu’elle y enlève le préfixe « www. » de la description de l’adresse du domaine de la défenderesse.
[2]
Dans cette ordonnance, un échéancier révisé pour le dépôt des réponses et des actes de procédures révisés a également été fixé et il a été exigé des parties qu’elles soumettent un calendrier établissant le délai dans lequel les mesures préparatoires au procès restantes devraient être prises en l’instance. Comme la demanderesse n’avait pas demandé de dépens, aucuns n’ont été adjugés.
[3]
Pour les motifs exposés ci‑après, l’appel est accueilli en partie.
II.
L’historique de la procédure
[4]
Il s’agit d’une action simplifiée en violation du droit d’auteur déposée le 27 juillet 2018. La défense a été déposée le 9 octobre 2018. Une ordonnance de cautionnement pour les dépens a été rendue le 20 juin 2019, étant donné que la demanderesse est une société étrangère. Une requête en annulation de cette ordonnance a été rejetée le 23 juillet 2019. Aux termes d’une ordonnance du juge en chef datée du 25 novembre 2019, l’affaire s’est poursuivie à titre d’instance à gestion spéciale et la protonotaire Ring a été affectée à titre de juge responsable de la gestion de l’instance. Le 11 décembre 2019, cette dernière a entériné le plan de déroulement de l’instance des parties et a fixé un calendrier pour les prochaines étapes devant être entreprises avant le procès.
[5]
La demanderesse a déposé sa requête en radiation ainsi qu’en modification de sa déclaration le 16 juillet 2020. Par cette requête, elle cherchait à obtenir :
1. Une ordonnance radiant les paragraphes 8‑12, 14‑20, 23, 25, 31, 33, 34 et 48 de la défense de la défenderesse au titre de l’article 221 des Règles des Cours fédérales.
2. Une ordonnance radiant les questions 3a)‑e), 4, 5 a)‑b), 8, 9, 10, 13, 14 et 15 (les questions) du deuxième interrogatoire écrit de la défenderesse adressé à la demanderesse, au titre du paragraphe 99(2) des Règles des Cours fédérales.
3. Une ordonnance par laquelle l’adresse du domaine www.buzz.airg.com devrait être remplacée par buzz.airg.com dans toute la documentation au titre du paragraphe 75(1) des Règles des Cours fédérales.
4. Une ordonnance par laquelle la défenderesse serait obligée de produire une déclaration sous serment en réponse à l’interrogatoire écrit de la demanderesse, étant donné la modification accordée.
[6]
Il est allégué, dans cette requête en radiation, que les actes de procédure de la défenderesse [traduction] « sont non pertinents, scandaleux, frivoles, vexatoires et ne révèlent aucune cause raisonnable de défense »
. La demanderesse a également fait valoir qu’elle pouvait soulever une objection aux questions de la défenderesse en vertu du paragraphe 242(1) des Règles des Cours fédérales et que la défenderesse avait refusé de fournir des réponses valables à ses questions en raison d’une formalité, soit que le site web de cette dernière ne comporte pas le préfixe « www. ».
[7]
La défenderesse a déposé son dossier de requête en réponse le 27 juillet 2020. L’affaire a été examinée sans comparution personnelle et une décision a été rendue le 15 décembre 2020. Dans ses motifs, la protonotaire Ring a conclu que la défenderesse n’avait pas fourni, au paragraphe 8 de sa défense, d’éléments essentiels au soutien de sa prétention selon laquelle la demanderesse serait un « pêcheur à la traîne de droits d’auteur »
(voir la discussion à ce sujet dans la décision Voltage Picture LLC c John Doe, 2014 CF 161 [Voltage]). Elle a conclu que les allégations contenues dans ce paragraphe étaient intentionnellement préjudiciables à la demanderesse et, par conséquent, scandaleuses, frivoles ou vexatoires aux termes de l’alinéa 221(1)c) des Règles des Cours fédérales.
[8]
La protonotaire Ring a jugé que les paragraphes 9 à 12, 16, 17, 19, 20, 23, 25, 31, 33 et 34 de la défense se rapportaient à des allégations d’actes d’inconduite professionnelle de la part de l’ancien avocat de la demanderesse et qu’ils étaient donc intrinsèquement non pertinents, scandaleux, frivoles et vexatoires. Les mêmes reproches ont été formulés à l’encontre du paragraphe 18, en plus du fait que celui‑ci ne comportait pas suffisamment de détails au sujet de la conduite alléguée de mauvaise foi de l’ancien avocat de la demanderesse.
[9]
Le paragraphe 14, dans lequel la défenderesse affirmait que les allégations faites par l’ancien avocat de la demanderesse dans les mises en demeure précédant le litige [traduction] « avaient été tout simplement fabriquées »
, a également été radié pour les mêmes motifs, en plus du fait qu’il constituait l’expression d’une opinion et non un exposé de faits substantiels. Une allégation au paragraphe 15 se rapportant à un tiers inconnu mentionné dans les mises en demeure a été radiée en raison de son caractère conjectural et non pertinent. Le paragraphe 48, qui soulevait un délai de prescription et un manque de diligence, a été maintenu.
[10]
Ayant établi que certaines parties de la défense seraient radiées, la protonotaire a conclu que les vices ne pourraient pas être corrigés par une modification, étant donné leur nature.
[11]
La requête de la demanderesse en radiation des questions de la défenderesse a été rejetée aux termes d’une ordonnance rendue le 20 juillet 2020, au motif que cette requête était théorique et que la demanderesse ne s’était pas acquittée de son fardeau de démontrer l’existence d’un motif au soutien de l’ordonnance qu’elle demandait.
[12]
La requête en autorisation de modifier le paragraphe 3 de sa déclaration afin de retirer le préfixe « www. » a été accordée à titre de correction mineure apportée à la description du nom de domaine de la défenderesse. À la lumière de cette modification, la demanderesse a été autorisée à signifier une liste de questions écrites modifiée en fonction du changement du nom de domaine.
[13]
La requête en l’espèce visant à obtenir l’annulation de l’ordonnance de la protonotaire a été déposée le 22 décembre 2020. Comme prévu au paragraphe 369(2) des Règles des Cours fédérales, la demanderesse devait y répondre dans les dix jours qui suivaient. Puisqu’aucun dossier de réponse n’avait été reçu par le greffe en date du 2 février 2021, celui‑ci a contacté l’avocate de la demanderesse pour confirmer qu’elle avait reçu la requête de la défenderesse. L’avocate de la demanderesse a alors soumis une lettre afin de demander une prorogation du délai pour signifier et déposer une réponse. La défenderesse s’est opposée à cette requête informelle. Par directive rendue le 5 février 2021, la Cour a refusé cette requête, en faisant remarquer que les observations de la demanderesse au sujet des questions prises en compte dans l’ordonnance du 15 décembre 2020 étaient incluses dans le dossier d’appel déposé par la défenderesse.
[14]
Dans le cadre du présent appel, la défenderesse soutient que la protonotaire a commis une erreur en radiant certaines parties de la défense, qu’elle n’avait pas la compétence nécessaire pour ordonner la radiation sans autorisation de modification en l’absence d’un avis et de la tenue d’une audience et qu’elle n’aurait pas dû autoriser la modification à la description de son nom de domaine.
III.
Les questions en litige
[15]
La question de savoir si la protonotaire a commis une erreur en accueillant la requête en radiation de certaines parties de la défense sans autorisation de modification est centrale au présent appel. L’appel soulève aussi la question secondaire de savoir si la protonotaire a commis une erreur en permettant que soit modifiée la description du nom de domaine de la défenderesse.
IV.
Les dispositions législatives pertinentes en l’espèce
[16]
La disposition suivante de la Loi sur le droit d’auteur, LRC 1985, c C‑42, est pertinente pour les besoins du présent appel :
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Les dispositions suivantes des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, sont pertinentes pour les besoins du présent appel :
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V.
La norme de contrôle
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Comme cela a été énoncé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215 [Hospira], la norme de contrôle applicable en appel d’une décision discrétionnaire d’un protonotaire est celle de la décision correcte en ce qui concerne les questions de droit et celle de l’erreur manifeste et dominante relativement aux questions de fait et aux questions mixtes de fait et de droit lorsqu’il n’y a pas de question de droit isolable : voir Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33 aux para 8, 10, 36 et 83 [Housen]; Rodney Brass c Papequash, 2019 CAF 245.
[19]
La norme de l’erreur manifeste et dominante est difficile à satisfaire et appelle un degré de retenue élevé, comme l’a expliqué en ces termes la Cour d’appel fédérale au paragraphe 46 de l’arrêt Canada c South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165 :
Par erreur « manifeste », on entend une erreur évidente, et par erreur « dominante », une erreur qui touche directement à l’issue de l’affaire. Lorsque l’on invoque une erreur manifeste et dominante, on ne peut se contenter de tirer sur les feuilles et les branches et laisser l’arbre debout. On doit faire tomber l’arbre tout entier.
[20]
Au surplus, lors d’un appel fondé sur l’article 51 des Règles des Cours fédérales, les juges des requêtes feront toujours bien de se rappeler que le protonotaire responsable de la gestion de l’instance connaît très bien les questions et les faits particuliers de l’affaire, de sorte que l’intervention ne doit pas être décidée à la légère. Il ne s’ensuit pas cependant qu’il faut laisser passer les erreurs de fait ou de droit : voir Hospira, au para 103.
VI.
Analyse
A.
La protonotaire a‑t‑elle commis une erreur en radiant certaines parties de la défense sans autorisation de modification
[21]
En tenant compte de la norme de contrôle empreinte de déférence applicable à un appel d’une décision rendue par un protonotaire dans une procédure de gestion d’instance, je serais normalement peu enclin à intervenir dans une décision interlocutoire portant sur des actes de procédure. J’ai également à l’esprit les enseignements de la Cour d’appel fédérale énoncés au paragraphe 34 de l’arrêt Merchant Law Group c Agence du revenu du Canada, 2010 CAF 184, portant sur l’interprétation des Règles au sujet de l’exposé de faits substantiels.
[22]
Cependant, je suis persuadé que la défenderesse a fait valoir un argument convaincant, soit que l’alinéa 38.1(5)b) de la Loi sur le droit d’auteur permet expressément que soit invoqué le comportement de la partie demanderesse avant le litige comme moyen de défense à l’égard d’une demande en dommages‑intérêts préétablis. Comme il a été indiqué précédemment, cette disposition prévoit que le tribunal doit tenir compte, entre autres facteurs, du comportement des parties avant l’instance et au cours de celle‑ci.
[23]
En l’espèce, ce comportement consiste notamment en la façon par laquelle la demanderesse a exigé le paiement de dommages et des dépens avocat‑client en premier lieu à une entité apparemment dépourvue d’existence, puis à la défenderesse, en insistant auprès des deux pour qu’elles concluent un règlement rapide. Il est possible d’affirmer que ce comportement est conforme à celui d’un « pêcheur à la traîne de droits d’auteur »
, comme cela a été décrit dans la décision Voltage, précitée, qui chercherait à faire respecter le droit d’auteur allégué en menaçant, de façon agressive, de poursuivre le prétendu contrevenant. Bien qu’il n’incombe pas à la Cour de juger si la demanderesse est un « pêcheur à la traîne de droits d’auteur »
ou non dans cette requête, la défenderesse ne devrait pas être empêchée de pouvoir soulever cet argument lors du procès, compte tenu du libellé de loi, lequel permet d’invoquer comme moyen de défense le comportement des parties avant l’instance et au cours de celle‑ci. De plus, le comportement de la demanderesse pourrait également être pertinent quant à la question des dépens : voir, par exemple, 1395804 Ontario Ltd. (Blacklock’s Reporter) c Canada (Procureur général), 2016 CF 1400 au para 7.
[24]
Bien qu’il soit vrai, comme l’a énoncé la protonotaire Ring, que [traduction] « la violation du code de déontologie d’un barreau ne crée aucune cause d’action valable »
et que les questions visant à établir si une quelconque règle d’un code de déontologie a été enfreinte doivent être tranchées par le barreau concerné, et non par la Cour, la défenderesse ne fait pas valoir de cause d’action et a droit de faire état de moyens de défense à l’encontre des allégations de la demanderesse. Ces moyens de défense comprennent notamment les facteurs énoncés à l’alinéa 38.1(5)b) de la Loi sur le droit d’auteur.
[25]
La protonotaire Ring a conclu que l’argument relatif à l’alinéa 38.1(5)b) de la Loi sur le droit d’auteur n’était pas fondé, puisque cet alinéa se rapportait au [traduction] « comportement des parties avant l’instance et au cours de celle‑ci »
[souligné dans l’original]. Les paragraphes en question de la défense, a‑t‑elle conclu, ne faisaient pas état de faits rattachés au comportement d’un dirigeant ou d’un employé de la demanderesse, mais plutôt d’une inconduite professionnelle alléguée de la part de l’ancien avocat de la demanderesse, qui n’est pas une partie à ce litige.
[26]
Selon moi, le « comportement des parties »
ne se limite pas aux gestes posés par les dirigeants ou les employés, et est suffisamment englobant pour inclure également les gestes posés par un avocat au nom d’une des parties. Interpréter cette disposition autrement limiterait la portée de l’alinéa 38.1(5)b) de la Loi sur le droit d’auteur et interdirait à la Cour de prendre en compte les mesures prises par les avocats au nom d’une partie. Le fait que cela puisse [traduction] « jeter le discrédit sur l’avocat de la demanderesse »
n’est pas, en soi, un motif suffisant pour exclure certains exposés des faits et du droit dont la prise en compte à l’audience pourrait être pertinente, à la fois sur le fond de l’action et par rapport à la responsabilité pour les dépens. L’action n’est pas une instance disciplinaire, mais cela n’empêche pas que les gestes posés par l’avocat qui agissait au nom de la demanderesse puissent faire l’objet d’un examen. Un client peut être tenu responsable des gestes posés par son avocat dans une décision portant sur l’octroi de dépens.
[27]
La défenderesse a soutenu que les allégations de la demanderesse étaient fausses, qu’elles n’étaient appuyées par aucune preuve et qu’elles n’étaient pas formulées de bonne foi. Les allégations portant sur l’utilisation commerciale et les avantages financiers ne reposent sur aucun exposé de faits substantiels. Aucune des parties n’a demandé de précisions. Le défaut de la demanderesse de faire avancer l’affaire a entraîné des retards considérables. Dans ces circonstances, il aurait été préférable, à mon avis, de laisser au juge du procès le soin de se prononcer sur les allégations et les arguments opposés en défense après avoir entendu la preuve et les observations mises de l’avant par les parties.
[28]
La défenderesse s’est opposée à la radiation des paragraphes sans autorisation de modification, au motif que la demanderesse n’avait pas cherché à obtenir cette mesure de redressement et qu’on ne l’avait pas avisée que cette mesure était envisagée par la Cour.
[29]
Il est prévu au paragraphe 221(1) des Règles des Cours fédérales qu’un acte de procédure peut, par ordonnance, être radié en tout ou en partie, avec ou sans autorisation de le modifier. L’avis de requête de la demanderesse faisait référence au libellé du paragraphe 221(1), mais n’indiquait rien au sujet de l’autorisation de modification. Ses observations écrites concernant sa requête citaient une fois de plus le libellé de ce paragraphe, mais ne traitaient pas de la possibilité de modification. Cependant, la défenderesse n’a également pas abordé ce sujet dans ses observations écrites en réponse.
[30]
La protonotaire Ring a cité le paragraphe 94 de la décision Sivak c Canada, 2012 CF 272 ainsi que le paragraphe 22 de la décision Gagné c Canada, 2013 CF 331 au soutien de sa conclusion selon laquelle les paragraphes contestés de la défense devaient être radiés sans autorisation de modification. Dans la décision Sivak, la Cour avait radié certaines parties d’une déclaration sans autorisation de modification étant donné qu’elle était convaincue que rien ne donnait à penser que les demandeurs auraient pu établir « l’ombre d’une cause d’action »
et qu’ils n’avaient pas demandé d’autorisation de modification. Dans la décision Gagné, un projet de déclaration amendée dont n’avait pas été saisi le protonotaire avait été présenté dans la requête d’appel. La Cour était venue à la conclusion qu’elle ne pouvait, de ce fait, prendre en considération cette déclaration modifiée.
[31]
Le paragraphe 221 des Règles des Cours fédérales ne crée pas d’obligation selon laquelle la Cour doit aviser les parties de son intention de radier un acte de procédure sans autorisation de le modifier ou offrir à la partie concernée une possibilité d’être entendue avant le prononcé de l’ordonnance : Brauer c Canada, 2020 CF 828 aux para 40‑42. Je ne souscris pas à l’argument de la défenderesse selon lequel la protonotaire n’avait pas la compétence pour refuser d’autoriser la modification. Cependant, pour être radiée sans autorisation d’être modifiée, la défense doit comporter un vice qui ne peut pas être corrigé par une modification : Simon c Canada, 2011 CAF 6 au para 8.
[32]
Dans les circonstances en l’espèce, en particulier le temps qui s’était écoulé avant que la requête en radiation soit déposée et qu’une décision soit rendue, il aurait été préférable que la protonotaire donne l’occasion à la défenderesse de remédier aux vices allégués que contenait sa défense. En l’espèce, il n’était ni évident ni manifeste qu’aucune modification n’aurait pu être apportée, en particulier aux paragraphes radiés par la protonotaire pour le motif qu’ils ne contenaient pas suffisamment de faits substantiels appuyant les allégations. La protonotaire a autorisé la demanderesse à modifier sa déclaration. La même considération aurait dû être accordée à la défenderesse.
B.
La protonotaire a‑t‑elle commis une erreur en permettant que soit modifiée la déclaration?
[33]
La protonotaire Ring a autorisé la demanderesse à modifier sa déclaration en énonçant ce qui suit :
[traduction]
L’article 75 des Règles des Cours fédérales prévoit que la Cour peut autoriser une partie à modifier un document, aux conditions qui permettent de protéger les droits de toutes les parties. La règle générale est qu’une « modification devrait être autorisée à tout stade de l’action aux fins de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties, pourvu, notamment, que cette autorisation ne cause pas d’injustice pour l’autre partie qui ne puisse être réparée par l’adjudication des dépens et qu’une telle modification soit dans l’intérêt de la justice » [renvois omis].
[34]
La défenderesse a fait valoir que la protonotaire n’a pas pris en compte la preuve de Frederick Ghahramani déposée par la défenderesse selon laquelle « www. » n’est pas un préfixe ou une appellation erronée, mais plutôt un élément majeur d’une adresse web. Selon cette preuve, aucun des 600 domaines ayant un lien avec airG ne contient « www.buzz.airg.com ».
[35]
La demanderesse a référé à l’adresse « www. » dans chacune de ses mises en demeure, dans son projet de déclaration et dans sa déclaration finale, de même que dans son interrogatoire écrit de la défenderesse. Elle n’a fourni aucune explication au sujet de son choix de judiciariser l’affaire en décrivant de façon erronée les sites web de la défenderesse et a attendu plus de deux ans avant de corriger son erreur.
[36]
De l’avis de la défenderesse, la protonotaire a omis de prendre en compte ou n’a pas dûment pris en compte les facteurs énoncés dans la décision Scannar Industries Inc. et al c Canada (Ministre du Revenu national) (1993) 69 FTR 310 (CF), confirmée dans 172 NR 313 (CAF), soit :
a) L’à‑propos de la requête en modification;
b) La mesure dans laquelle la modification retarderait l’issue du procès;
c) La mesure dans laquelle la position initiale a obligé une autre partie à suivre une ligne de conduite qui ne pourra être facilement modifiée;
d) La question de savoir si la modification facilitera pour la Cour l’examen du bien‑fondé de l’action.
[37]
La protonotaire a jugé que la modification constituait une correction mineure à la description du nom de domaine de la défenderesse. Cette correction ne remplaçait pas la cause d’action ou n’en ajoutait pas une nouvelle. Elle n’avait pas non plus pour effet d’empêcher la défenderesse d’invoquer une défense de prescription. Pour décider si elle autorise une modification, la Cour doit entreprendre un exercice de pondération exercé au cas par cas et « [i]l s’agit, en fin de compte, de tenir compte de la simple équité, du sens commun et de l’intérêt qu’ont les tribunaux à ce que justice soit faite »
: Continental Bank Leasing Corp c La Reine, [1993] ACI no 18, (1993) 93 DTC 298 à la page 302, citée avec approbation par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canderel Ltée c Canada, 1993 CanLII 2990 (CAF), [1994] 1 CF 3 (CA).
[38]
La décision sur la requête en modification aurait pu pencher d’un côté comme d’un autre. La protonotaire a correctement tranché qu’à la lecture de la déclaration, une personne raisonnable comprendrait que celle‑ci fait référence au site web de la défenderesse, et ce, malgré les 600 domaines dans lesquels « www. » n’apparaît pas.
VII.
Conclusion
[39]
Je suis convaincu que la protonotaire a commis une erreur manifeste et dominante en radiant les paragraphes suivants de la défense sans autorisation de modification: 8‑12, 14‑20, 23, 25, 31, 33 et 34.
[40]
La protonotaire n’a pas commis d’erreur en permettant la modification de la déclaration dans le but d’enlever le préfixe « www. ».
[41]
Les dépens suivront l’issue de la cause.
ORDONNANCE dans le dossier T‑1443‑18
LA COUR ORDONNE :
La requête en appel de la décision de la protonotaire Ring, rendue le 15 décembre 2020, est accueillie en partie;
L’affaire est renvoyée au protonotaire pour qu’elle établisse si les paragraphes contestés peuvent être modifiés conformément aux présents motifs;
Les dépens suivent l’issue de la cause.
« Richard G. Mosley »
Juge
Traduction certifiée conforme
M. Deslippes
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
T‑1443‑18
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INTITULÉ :
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AUGUST IMAGE, LLC c AIRG INC
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REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO) EN VERTU DE L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES
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ORDONNANCE ET MOTIFS :
|
LE JUGE MOSLEY
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DATE DES MOTIFS :
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LE 26 MARS 2021
|
COMPARUTIONS :
POUR La DEMANDEresse
|
|
John Douglas Shields
|
POUR La DÉFENDEResse
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
MacMillan Knight LLP
Calgary (Alberta)
|
POUR La DEMANDEresse
|
Sheilds Harney
Avocats plaideurs
Vancouver (Colombie‑Britannique)
|
POUR La DÉFENDEResse
|