OTTAWA (Ontario), le 7 novembre 2005
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PAUL ROULEAU
ENTRE :
SHOPPLEX.COM CORPORATION faisant affaire sous le nom de TEILHARD TECHNOLOGIES et JUXTACOMM TECHNOLOGIES INC.
et
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] La défenderesse DataMirror Corporation (DataMirror) interjette appel de l'ordonnance du 9 juin 2005 par laquelle la protonotaire a rejeté la requête qu'elle a présentée pour faire radier la déclaration modifiée des demanderesses.
[2] L'action principale des demanderesses est une action en contrefaçon de brevet. Les demanderesses revendiquent des droits découlant du brevet canadien numéro 2,241,767 (le brevet 767), lequel se rapporte à un logiciel et décrit des procédés de distribution et de transformation de données ainsi qu'une mémoire lisible par ordinateur. La défenderesse fait valoir que son logiciel ne contrefait aucune des revendications du brevet 767.
[3] La déclaration a déjà fait l'objet d'une radiation, ordonnée par le protonotaire Lafrenière le 10 novembre 2004. Le protonotaire a estimé que la défenderesse ne pouvait répondre aux allégations de contrefaçon parce que l'acte de procédure ne précisait pas quelle version et quels éléments des produits étaient en cause et qu'il n'indiquait pas leur objet ni leur mode d'utilisation.
[4] Les demanderesses ont déposé une déclaration modifiée dont la défenderesse a de nouveau demandé la radiation. La protonotaire Milczynski a conclu que l'exposé des faits était suffisant pour établir l'existence d'une cause raisonnable d'action. Elle a indiqué dans sa décision que, prise dans son ensemble, la déclaration modifiée exposait les éléments de la demande et les liait au processus décrit dans le logiciel de la défenderesse.
[5] La défenderesse interjette à présent appel de l'ordonnance discrétionnaire de la protonotaire Milczynski, sous le régime de la règle 51 des Règles de la Cour fédérale, laquelle est ainsi conçue :
51. (1) L'ordonnance du protonotaire peut être portée en appel par voie de requête présentée à un juge de la Section de première instance.
[6] La jurisprudence relative à cette règle établit clairement qu'il n'y a pas lieu de modifier les ordonnances des protonotaires à moins qu'ils n'aient mal exercé leur pouvoir discrétionnaire. Dans Z.I. Pompey Industrie c. ECU-Line N.V., [2003] 1 R.C.S. 450, la Cour suprême a statué que le juge des requêtes ne doit modifier l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire que lorsqu'elle est entachée d'une erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire sur le fondement d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits ou a mal exercé son pouvoir discrétionnaire relativement à une question ayant une influence déterminante sur la décision finale quant au fond.
[7] La défenderesse affirme que le protonotaire a mal exercé son pouvoir discrétionnaire relativement à une question ayant une influence déterminante sur la décision finale quant au fond. Elle prétend qu'au mieux, la déclaration modifiée allègue que le logiciel de la défenderesse accomplit le même objet que l'invention revendiquée dans le brevet. La défenderesse indique que cet objet n'est pas nouveau, comme le brevet lui-même en fait état.
[8] Selon la défenderesse, la déclaration modifiée des demanderesses ne mentionne aucun fait nouveau qui, s'il était tenu pour avéré, étayerait une action en contrefaçon de brevet. La protonotaire Milczynski n'a pas acquiescé à cet argument, et je la suis dans ce refus, pour les motifs exposés ci-après.
[9] Il est bien établi en droit que, pour statuer sur une allégation de contrefaçon de brevet, il faut nécessairement analyser le brevet afin d'établir les éléments essentiels revendiqués. En l'espèce, le brevet 767 ne pourra être correctement interprété que lorsque ses éléments essentiels auront été circonscrits. La protonotaire Milczynski a estimé que les demanderesses avaient fourni, dans leur déclaration modifiée, suffisamment de précisions pour permettre à la défenderesse de dégager les arguments des demanderesses concernant les revendications du brevet de même que ce qui constituait des contrefaçons dans les produits de la défenderesse.
[10] La défenderesse soutient principalement que son logiciel accomplit simplement le même objet que l'invention divulguée dans le brevet 767. Il s'agit là d'un argument qu'il convient d'invoquer à l'instruction et non dans le cadre d'une requête en radiation ou de l'appel d'une ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire. Par cet argument, la défenderesse soutient en fait que les éléments essentiels des deux produits sont différents. Si les éléments essentiels du logiciel de la défenderesse, correctement interprétés par le juge instruisant le procès, diffèrent de ceux du logiciel des demanderesses tels qu'ils ressortent de l'analyse du brevet 767 (compte tenu de la présomption de validité), la défenderesse obtiendra probablement gain de cause au procès (voir Free World Trust c. Electro-Santé Inc (2000), 9 C.P.R. (4th) 168, [2000] 2 R.C.S. 1024 (C.S.C.)).
[11] À ce stade-ci, toutefois, le brevet n'ayant pas été interprété comme il doit l'être, l'argument de la défenderesse que la similitude concerne simplement l'objet ne saurait être utile.
[12] La défenderesse soutient également que la déclaration modifiée comporte des allégations contradictoires et que trois revendications indépendantes du brevet n'ont pas été contrefaites (les revendications 1, 13 et 17). Encore une fois, l'argument selon lequel des revendications particulières sont interdépendantes ou indépendantes doit être débattu à l'instruction. En ce qui concerne les contradictions signalées par la défenderesse, l'argument principal est que la défenderesse n'est pas en mesure de discerner s'il s'agit d'allégations subsidiaires ou cumulatives de contrefaçon.
[13] Il faut répondre aux allégations telles qu'elles sont énoncées. Au paragraphe 36 de ses observations écrites, la défenderesse déclare qu'elle ne dispose pas de suffisamment de données pour préparer sa défense et elle formule quatre dénégations qui feront partie de la défense. Elle est parfaitement au courant de ce qu'elle a à réfuter. La défenderesse réitère ses préoccupations au sujet des arguments cumulatifs ou non cumulatifs, relativement à la déclaration modifiée. Elle peut présenter des dénégations indépendantes et, lorsque les revendications auront été interprétées comme il se doit par le juge dûment chargé de l'instruction, les éléments essentiels pourront être dégagés et la question de la contrefaçon pourra être débattue.
[14] La défense n'a soumis aucun élément de preuve établissant que la protonotaire a mal exercé son pouvoir discrétionnaire relativement à une question ayant une influence déterminante sur la décision finale quant au fond (ZI Pompey, précité). La protonotaire Milczynski a correctement exercé son pouvoir discrétionnaire, et la Cour n'interviendra pas dans sa décision.
[15] En l'occurrence, la demanderesse ne s'est certainement pas contentée de simplement affirmer qu'il y a eu contrefaçon. Sa déclaration modifiée renferme suffisamment d'allégations de fait pour étayer une action en contrefaçon. Je souscris aux propos de la Cour d'appel dans Merck and Co. c. Brantford Chemicals Inc., [2004] A.C.F. no 1003, et le principe qui y est formulé s'applique en l'espèce. Dans cette décision, la Cour d'appel a écrit, au paragraphe 2 :
Dans l'arrêt Sweet c. Canada, (1999), 249 N.R. 17 (C.A.F.), au paragraphe 19, le juge Décary, qui s'exprimait au nom de notre Cour, a déclaré que, même si certains éléments manquent et que d'autres sont incomplets, lorsqu'un acte de procédure renferme suffisamment d'éléments pour permettre à la partie adverse de savoir avec une certaine certitude ce qu'elle doit prouver, l'acte de procédure ne devrait pas être radié. En l'espèce, la déclaration énumère les brevets et les allégations de contrefaçon en précisant suffisamment les procédés employés. Le juge des requêtes a conclu que, dans la déclaration, la demanderesse articulait des faits importants qui, si on les tenait pour avérés, révélaient l'existence d'une cause valable d'action en contrefaçon de brevet. On ne nous a pas convaincus que la décision du juge des requêtes était mal fondée ou manifestement erronée
ORDONNANCE
L'appel est rejetée et l'ordonnance de la protonotaire est maintenue. Les dépens sont adjugés aux demanderesses quelle que soit l'issue de la cause.
JUGE
Traduction certifiée conforme
Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-1329-04
INTITULÉ : Shopplex.com Corporation faisant affaire sous le nom de Teilhard Technologies et Juxtacomm Technologies Inc. c. Datamirror Corporation
LIEU DE L'AUDIENCE : Ottawa (Ontario), par vidéoconférence
Toronto (Ontario)
Calgary (Alberta)
DATE DE L'AUDIENCE : 1er novembre 2005
MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE ROULEAU
COMPARUTIONS :
Timothy S. Ellam Calgary (Alberta)
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POUR LES DEMANDERESSES |
David M. Reive Toronto (Ontario)
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POUR LA DÉFENDERESSE |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:
McCarthy Tétrault LLP Calgary (Alberta)
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POUR LES DEMANDERESSES |
Dimock Stratton LLP Toronto (Ontario) |
POUR LA DÉFENDERESSE |