Date : 20210318
Dossier : T‑1589‑19
Référence : 2021 CF 236
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 18 mars 2021
En présence de madame la juge Walker
ENTRE :
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SMART CLOUD INC.
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demanderesse
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et
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INTERNATIONAL BUSINESS
MACHINES CORPORATION
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défenderesse
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1]
Smart Cloud Inc. (Smart Cloud) interjette appel de la décision du 31 juillet 2019 (décision) par laquelle la Commission des oppositions des marques de commerce (COMC) a rejeté, au nom du registraire des marques de commerce, son opposition à la demande d’enregistrement de la marque de commerce IBM SMARTCLOUD (la Marque), présentée par International Business Machines Corporation (IBM), en liaison avec une vaste gamme de matériel informatique, de logiciels (Produits) et de services de gestion des affaires, de prospection, de réseaux et de consultation (Services). L’appel est interjeté en vertu de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑ 13 (la Loi).
[2]
IBM, une société internationale de services, de logiciels et de matériel informatique a déposé sa demande d’enregistrement de la Marque (la demande) en invoquant l’emploi projeté au Canada des Produits, et l’emploi au Canada des Services depuis septembre 2011.
[3]
Smart Cloud est une entreprise canadienne qui a été constituée en personne morale en octobre 2010 dans le but de concevoir et d’offrir des services informatiques et de consultation en affaires axés sur l’informatique en nuage, la sécurité numérique, le stockage de données et le soutien technique au Canada et ailleurs.
[4]
Smart Cloud s’est opposée à la demande surtout parce qu’elle estime que la Marque crée de la confusion avec son emploi antérieur de la marque de commerce SMARTCLOUD et des noms commerciaux SMART CLOUD et SMARTCLOUD en association avec certains services, y compris des services d’informatique en nuage. La COMC, qui ne partageait pas l’avis de Smart Cloud, a conclu que la prépondérance des probabilités en ce qui touchait la question de la confusion « pench[ait] légèrement »
en faveur d’IBM. La COMC a désigné la marque de commerce et les noms commerciaux de Smart Cloud collectivement sous le nom SMARTCLOUD et je ferai de même dans le présent jugement pour éviter toute répétition.
[5]
Smart Cloud a déposé à l’appui de son appel un affidavit daté du 14 novembre 2019 et établi sous serment par monsieur Brian Everest, cofondateur et dirigeant principal de la Technologie à Starport Managed Services Inc. (Starport), une entreprise canadienne de services en technologies de l’information (TI) (affidavit Everest). IBM a déposé deux nouveaux affidavits : A) un affidavit établi sous serment par Mme Carly Hicks, stagiaire en droit dans le cabinet d’avocats représentant IBM, daté du 15 janvier 2020 (Affidavit Hicks); et B) un affidavit établi sous serment par Mme Hallie Newman, conseillère en recherche dans le même cabinet, également daté du 15 janvier 2020 (Affidavit Newman). Aucun déposant n’a été contre‑interrogé.
[6]
Immédiatement avant l’audition de l’appel sur le fond, Smart Cloud a soumis à la Cour une requête en dépôt d’un affidavit supplémentaire de M. Everest (affidavit supplémentaire). La défenderesse s’est opposée à cette requête déposée tardivement. Ayant entendu les arguments des parties au début de l’audience, j’ai refusé d’admettre l’affidavit en question. Les raisons écrites motivant mon refus, qui reprennent pour l’essentiel ma décision orale, sont incluses dans le présent jugement.
[7]
La Loi sur les marques de commerce a été modifiée le 17 juin 2019 (la Trade‑marks Act est devenue la Trademarks Act). Le présent appel est régi par l’ancienne loi et toutes les références mentionnées dans le présent jugement renvoient à l’ancienne version.
[8]
Pour les motifs énoncés dans le présent jugement, l’appel de Smart Cloud est rejeté. En bref :
L’affidavit Everest contient une preuve inadmissible sous forme d’opinion que j’ai écartée. Les paragraphes restants, entiers ou partiels, qui contiennent des renseignements factuels ou évoquent la propre expérience professionnelle de M. Everest ainsi que ses souvenirs sont admissibles. Sa preuve concernant l’invocation par la COMC d’une définition du dictionnaire ayant été rajoutée après les dates pertinentes dans l’opposition aurait pu motiver une conclusion différente à l’égard d’au moins l’une des questions dont la COMC était saisie. Par conséquent, j’ai examiné de novo les éléments présentés à la Commission et la nouvelle preuve admissible des parties. J’ai soumis à la norme de la décision correcte les conclusions de la COMC en ce qui touche le sens courant du mot
« cloud »
[nuage], tel qu’il était employé en avril 2011 dans le contexte informatique et le caractère distinctif inhérent de la marque de commerce et du nom commercial SMARTCLOUD; j’ai soumis à la même norme sa conclusion finale portant que SMARTCLOUD est une marque faible. J’ai examiné les autres conclusions de la COMC à la recherche d’une erreur manifeste et dominante.J’estime que la COMC s’est appuyée à tort sur une définition du mot
« cloud »
qui a été rajoutée dans le dictionnaire après la date pertinente aux fins des motifs d’opposition avancés par Smart Cloud au titre des alinéas 16(3)a) et c) de la Loi. Cependant, mon examen de la nouvelle preuve admissible dans le présent appel démontre que la marque de commerce et le nom commercial SMARTCLOUD étaient constitués de deux mots courants en date du 5 avril 2011. La COMC n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a conclu que SMARTCLOUD est une marque hautement suggestive dont le caractère distinctif inhérent est faible. Lorsqu’elle a examiné la jurisprudence touchant aux marques faibles, la COMC s’est appuyée avec raison sur ces conclusions ainsi que sur son constat portant que la marque SMARTCLOUD n’avait pas acquis le moindre caractère distinctif par l’emploi. La COMC n’a pas eu tort de conclure que la marque de commerce SMARTCLOUD était une marque faible aux dates pertinentes dans l’opposition.Le reste de l’analyse et des conclusions de la COMC dans la décision ne comporte aucune erreur manifeste et dominante.
I.
Contexte
[9]
IBM a déposé la demande (demande de marque de commerce no 1 546 609) le 5 octobre 2011 et revendique la priorité sur le fondement de la demande française no 11/3 820 748, déposée le 5 avril 2011.
[10]
La demande a été annoncée aux fins d’opposition dans le Journal des marques de commerce du 6 novembre 2013.
[11]
Smart Cloud a déposé sa déclaration d’opposition le 26 novembre 2013 au titre des alinéas 16(1)a) et c), 16(3)a) et c) et de l’article 2 de la Loi; toutes ces dispositions concernent le risque de confusion entre la Marque et la marque de commerce et le nom commercial SMARTCLOUD de Smart Cloud. Smart Cloud a également plaidé des motifs d’opposition fondés sur les alinéas 30a), b), e) et i) de la Loi.
[12]
Les parties ont déposé deux affidavits dans l’instance d’opposition : A) Smart Cloud a déposé un affidavit de son président, M. Clayton Feick, daté du 28 mai 2014; et B) IBM a déposé un affidavit daté du 24 septembre 2015 de Mme Patti Smith, gestionnaire du programme de publicité chez IBM Canada Ltd., l’une des filiales en propriété exclusive d’IBM. Les deux déposants ont été contre‑interrogés.
II.
Décision de la COMC
[13]
La COMC a résumé la demande, son historique procédural, la preuve déposée par les parties et a rejeté sommairement chacun des 30 motifs d’opposition avancés par Smart Cloud. Sa décision est axée sur la question de la confusion.
Résumé par la COMC de la preuve de Smart Cloud
[14]
Dans sa décision, la COMC s’est attardée sur la preuve de M. Feick issue de son affidavit et de son contre‑interrogatoire. Elle a décrit le développement en 2010 par Smart Cloud de sa présence en ligne et son emploi de SMARTCLOUD sur ses pages Web et de connexion; elle a toutefois fait remarquer que M. Feick n’avait fourni aucune preuve établissant que des clients au Canada avaient vu ou consulté les pages mentionnées. M. Feick a déclaré que le site Web de Smart Cloud est constamment actif depuis 2010 et que de janvier à avril 2011, ses employés ont contacté divers clients potentiels et conservé des enregistrements de leurs conversations avec eux. Des copies de courriels joints à l’affidavit employaient les termes «
Smart Cloud
»
dans leurs lignes de mention objet. Aucune des personnes contactées ayant été identifiées par M. Feick n’est devenue cliente.
[15]
La COMC a résumé l’emploi par Smart Cloud de sa marque de commerce et de son nom commercial dans son programme de publicité, y compris dans des échanges avec deux clients potentiels durant la période allant d’octobre 2010 à avril 2011. Lors du contre‑interrogatoire, M. Feick a reconnu qu’aucune des deux entités n’était devenue cliente.
[16]
La COMC a pris acte de la demande déposée par Smart Cloud (demande de marque de commerce no 1 546 072) le 30 septembre 2011 en vue de l’enregistrement de la marque de commerce SMARTCLOUD sur le fondement de son emploi au Canada depuis octobre 2010. Enfin, la COMC a dégagé les faits et aveux suivants du contre‑interrogatoire de M. Feick :
- M. Feick n’a pas directement répondu à la question de savoir si Smart Cloud avait fourni des services d’informatique en nuage moyennant des frais, son avocat s’étant invariablement opposé à la question sur le fondement de la pertinence.
- Smart Cloud n’a fait aucune publicité imprimée dans des journaux, des magazines, des dépliants ou des brochures, pas plus qu’à la radio ou à la télévision.
- Smart Cloud ciblait le marché des petites et moyennes entreprises (PME), mais ne refusait aucune affaire qui se présentait.
Résumé par la COMC de la preuve d’IBM
[17]
La COMC a résumé la preuve de Mme Smith en précisant qu’elle est l’une des responsables de la gestion des initiatives de commercialisation d’IBM au Canada, y compris la promotion de la marque IBM SMARTCLOUD. Mme Smith a expliqué la présence ancienne et constante d’IBM dans le secteur de la technologie depuis le XIXe siècle et a mis l’accent sur sa réputation mondiale en tant qu’un des plus importants fabricants d’ordinateurs et de produits et services connexes.
[18]
Mme Smith a évoqué le développement par IBM, à compter de 2008, d’un nouveau cadre en liaison avec la marque de commerce SMARTER PLANET. Durant la même période, IBM a adopté une stratégie ayant trait à l’informatique en nuage. Mme Smith a joint à son affidavit les rapports annuels d’IBM de 2009 et 2010, qui décrivent tous deux SMARTER PLANET et l’informatique en nuage comme des « secteurs de croissance ciblés »
. En avril 2011 ou vers cette date, IBM a annoncé une initiative intitulée IBM SMARTCLOUD liée à ses offres Cloud. Les services IBM SMARTCLOUD ont commencé à être offerts à la vente au Canada à compter de 2011. La COMC a relevé les pièces jointes à l’affidavit de Mme Smith, y compris : une trousse de bienvenue à l’intention des administrateurs clients de l’offre IBM SmartCloud Enterprise (© 2011); le guide de l’utilisateur de l’offre IBM SmartCloud Enterprise (© 2010, 2012); des imprimés représentatifs du site Web ibm.com, en sa version du 10 avril 2011, faisant chacun la promotion des Produits et Services offerts par IBM en liaison avec la marque de commerce IBM SMARTCLOUD.
[19]
La COMC a décrit la preuve de Mme Smith ayant trait à la promotion, à compter de 2011, de la marque IBM SMARTCLOUD au Canada en format imprimé et sur Internet (Globe and Mail et National Post) ainsi que sur d’autres sites Web publics. Les publicités en liaison avec la Marque ont continué d’être publiées en 2012 dans la presse et en ligne (Maclean’s, Financial Post, National Post, etc.). Dans chaque cas, la Marque figurait dans les documents joints à l’affidavit de Mme Smith.
[20]
Enfin, la COMC a dégagé les faits et aveux suivants du contre‑interrogatoire de Mme Smith :
- Le marché cible pour les Produits et Services en liaison avec la Marque était les moyennes à grandes entreprises.
- Le préfixe IBM ne figure pas toujours directement devant le mot SMARTCLOUD. La COMC a estimé qu’une telle utilisation ne constituait pas un emploi de la Marque et ne contribuait donc aucunement à l’acquisition de son caractère distinctif.
- La dernière publicité diffusée au Canada en liaison avec la Marque remontait à la fin du premier trimestre 2014. La Marque est toujours employée au Canada en liaison avec des logiciels en tant que services, plus précisément des services de courriel, de gestion de calendrier et de messages instantanés fondés sur l’informatique en nuage sur le nuage IBM.
Fardeaux de preuve dont devait initialement s’acquitter Smart Cloud (alinéas 16(3)a) et c), 16(1)a) et c), article 2)
[21]
La COMC a commencé par aborder le fardeau initial dont devait s’acquitter Smart Cloud de déposer une preuve suffisante pour conclure raisonnablement à l’existence des faits allégués à l’appui de son opposition :
a) s’agissant des motifs d’opposition au titre des alinéas 16(3)a) et c) liés aux Produits, Smart Cloud a rempli son obligation d’établir l’emploi de sa marque de commerce et de son nom commercial SMARTCLOUD avant le 5 avril 2011, date de priorité de production de la demande; elle a aussi établi qu’elle n’avait pas abandonné sa marque de commerce ou son nom commercial en date du 6 novembre 2013, date de l’annonce de la demande;
b) s’agissant des motifs d’opposition au titre des alinéas 16(1)a) et c) liés aux Services, Smart Cloud a rempli son obligation d’établir l’emploi de sa marque et de son nom commercial SMARTCLOUD avant septembre 2011, date de premier emploi alléguée de la Marque au Canada en liaison avec les Services;
c) s’agissant du motif d’opposition au titre de l’article 2, Smart Cloud ne s’est pas acquittée de son fardeau initial de montrer qu’en date du 26 novembre 2013, date du dépôt de son opposition, son nom commercial et sa marque de commerce SMARTCLOUD étaient suffisamment connus au Canada pour faire perdre à la Marque son caractère distinctif.
Motifs d’opposition au titre des alinéas 16(3)a) et c)
[22]
La COMC a analysé l’opposition de Smart Cloud fondée sur les alinéas 16(3)a) et c) de la Loi, qu’elle a résumée en ces termes :
[70] Les motifs d’opposition fondés sur les articles 16(3)a) et 16(3)c) allèguent que la Requérante n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la Marque parce que, le 5 avril 2011, la date de priorité de production de la demande, la Marque en liaison avec les Produits créait de la confusion avec la marque de commerce SMARTCLOUD ainsi qu’avec ses noms commerciaux SMARTCLOUD et SMART CLOUD de l’Opposante, lesquels ont tous été employés antérieurement par l’Opposante au Canada en liaison avec les services de l’Opposante. […]
[23]
L’analyse de la COMC quant au risque de confusion figure dans cette partie de la décision, mais s’applique également à l’opposition de Smart Cloud fondée sur les alinéas 16(1)a) et c) de la Loi.
[24]
Précisant que le critère en matière de confusion est une affaire de première impression et de souvenirs incomplets, la COMC a souligné que le paragraphe 6(2) de la Loi est axé sur la confusion quant à la source des produits et des services, et non sur la confusion entre les marques de commerce elles‑mêmes. Dans la présente affaire, la question qui se pose est de savoir si les clients qui achètent les Produits et Services IBM arborant la Marque penseraient qu’ils étaient fournis par Smart Cloud.
[25]
La COMC a mené l’évaluation suivante des facteurs prévus au paragraphe 6(5) pour trancher la question de la confusion et des circonstances pertinentes de l’espèce (autres que celles qui ne favorisaient, selon elle, aucune partie et qui ne sont pas pertinentes dans le présent appel) :
Alinéa 6(5)a) : La COMC a déclaré que le nom commercial et la marque de commerce de Smart Cloud étaient composés de deux mots courants du dictionnaire, dont elle a consulté la définition dans le Oxford English Dictionary (OED) en ligne. Comme les services offerts par Smart Cloud sont essentiellement des services d’informatique en nuage, la COMC a considéré que sa marque de commerce et son nom commercial étaient hautement suggestifs et que leur caractère distinctif inhérent était faible. Pour la COMC, la faiblesse de ce caractère distinctif inhérent tenait aussi à l’élément SMARTCLOUD en commun et au fait que le préfixe IBM était constitué d’une combinaison de lettres. Comme Smart Cloud avait fourni une preuve minimale de l’emploi, la COMC n’a pas pu conclure que sa marque de commerce et son nom commercial avaient acquis un caractère distinctif
« dans une mesure lui permettant de bénéficier d’une protection plus étendue que celle qui est normalement accordée à une marque faible »
. N’ayant pas considéré la preuve d’IBM touchant aux publicités parce qu’elle était postérieure au 5 avril 2011, la COMC a conclu que le facteur prévu à l’alinéa 6(5)a) n’était favorable à aucune des deux parties.Alinéa 6(5)b) : La COMC a également conclu que le facteur prévu à l’alinéa 6(5)b) n’était pas particulièrement favorable à l’une ou l’autre partie, car la demande reposait sur l’emploi projeté des Produits et que Smart Cloud n’avait pas établi que sa marque de commerce et son nom commercial avaient acquis le moindre caractère distinctif par l’emploi ou la promotion en date du 5 avril 2011.
Alinéas 6(5)c) et d) : La COMC a constaté un certain recoupement dans la nature des Produits d’IBM et des services de Smart Cloud, les uns et les autres ayant un lien avec l’informatique en nuage. Les activités commerciales se recoupaient aussi, car les marchés visés par les parties comprenaient notamment des moyennes à grandes entreprises. Le fait que les clients potentiels des parties puissent être avertis ou que les produits et services offerts soient spécialisés ne réduisait pas le risque de confusion.
Alinéa 6(5)e) : S’agissant du degré de ressemblance, la COMC a considéré la position de Smart Cloud selon laquelle la Marque est pratiquement identique à sa marque de commerce et à son nom commercial, à l’aune de l’argument d’IBM portant que l’emploi du préfixe IBM permettrait de distinguer les Produits et les Services. La COMC a reconnu une ressemblance assez importante entre les marques des parties, même si la composante SMARTCLOUD n’était pas l’élément le plus frappant de la Marque du fait de sa connotation très suggestive et de son positionnement. La COMC a conclu que la Marque signalait clairement des produits et des services d’informatique en nuage offerts par IBM.
Circonstance de l’espèce – renom de la marque de commerce IBM : La COMC a examiné la preuve de Mme Smith sur ce point et conclu que la réputation d’IBM et son emploi en guise de préfixe de la Marque aideraient les consommateurs à distinguer la source des Produits et Services associés à la Marque. Cette circonstance de l’espèce était fortement favorable à IBM.
Circonstance de l’espèce – jurisprudence concernant les marques faibles : La COMC a déclaré qu’il était bien établi qu’une marque faible (une marque dont le caractère distinctif inhérent est faible) ne peut prétendre à une protection étendue et que des différences relativement modestes suffiront à distinguer des marques faibles. Comme Smart Cloud n’avait pas établi un emploi à grande échelle de sa marque de commerce et de son nom commercial, le faible caractère distinctif inhérent de la marque SMARTCLOUD ne s’était pas développé. La COMC a conclu que la jurisprudence concernant les marques de commerce faibles était favorable à IBM.
[26]
La COMC a conclu que la prépondérance des probabilités en ce qui touchait la question de la confusion « pench[ait] légèrement en faveur »
d’IBM et a rejeté les motifs d’opposition de Smart Cloud fondés sur les alinéas 16(3)a) et c) de la Loi. Elle a reconnu le recoupement important des facteurs prévus aux alinéas 6(5)c) et d) et estimé que l’inclusion du préfixe IBM dans la Marque avait une incidence importante sur les idées suggérées par la Marque si bien que le consommateur moyen savait clairement qu’IBM était la source des Produits et des Services. La COMC a également estimé que la jurisprudence sur les marques de commerce faibles était favorable à IBM attendu que la preuve de l’emploi produite par Smart Cloud était très limitée.
Motifs d’opposition au titre des alinéas 16(1)a) et c)
[27]
La COMC a tiré la même conclusion à l’égard de la confusion, même si les motifs d’opposition au titre des alinéas 16(1)a) et c) avancés par Smart Cloud se rapportent aux Services et que leur date pertinente remonte à septembre 2011, date alléguée de premier emploi de la Marque au Canada en liaison avec les Services. Encore une fois, la COMC a estimé que la prépondérance des probabilités penchait légèrement en faveur d’IBM et a rejeté les motifs d’opposition en question.
Motif d’opposition au titre de l’article 2
[28]
La COMC a rejeté l’opposition de Smart Cloud au titre de l’article 2 de la Loi. Cette dernière ne s’était pas acquittée de son fardeau d’établir que la marque de commerce et le nom commercial SMARTCLOUD étaient devenus suffisamment connus au Canada pour nier le caractère distinctif de la Marque en date du 26 novembre 2013. La COMC a estimé que Smart Cloud n’avait fourni aucune preuve des ventes générées par la prestation des services sous la marque SMARTCLOUD. Sa preuve en matière d’annonce et de promotion était étroite et se limitait à la période allant de fin 2010 à la mi‑2011. Malgré la déclaration de M. Feick portant que le site Web de Smart Cloud avait été constamment actif depuis 2010, aucune preuve n’indiquait combien de clients canadiens pouvaient avoir visité le site en question.
III.
Requête en dépôt de l’affidavit supplémentaire – Alinéa 312a) des Règles
[29]
Une semaine avant l’audition du présent appel, Smart Cloud a déposé une requête dans laquelle elle demandait à la Cour l’autorisation de déposer l’affidavit supplémentaire de M. Everest au titre de l’alinéa 312a) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106. La requête a été signifiée à IBM et reçue par la Cour le 21 septembre 2020. Cet affidavit supplémentaire consiste en un paragraphe principal dans lequel M. Everest confirme que ses déclarations figurant aux paragraphes 8, 9, 16 et 20 de l’affidavit Everest, se rapportant au mois d’avril 2011 et au 5 avril 2011, seraient aussi valables s’il s’était référé au mois de septembre 2011. La date de septembre 2011 est la date alléguée de premier emploi de la Marque en liaison avec les Services et il s’agit aussi de la date pertinente aux fins de l’examen par la COMC des motifs d’opposition au titre des alinéas 16(1)a) et c) avancés par Smart Cloud.
[30]
Le 22 septembre 2020, j’ai ordonné que le dossier de requête soit reçu, mais non déposé, et qu’IBM précise à la Cour si elle allait consentir à la requête. Le 23 septembre 2020, IBM a répondu qu’elle ne consentait pas à la requête et que celle‑ci ne devait pas être instruite pour les raisons suivantes :
Smart Cloud a déposé sa requête à court préavis en contravention de l’article 362 des Règles. Elle n’a pas demandé l’autorisation de la Cour dans l’avis de requête, et n’a présenté aucun argument pour la convaincre de son urgence, une exigence prévue à l’alinéa 362(2)b) des Règles.
Smart Cloud ne peut convaincre la Cour de l’urgence de la requête attendu qu’elle a soulevé la question de la preuve supplémentaire en février‑mars 2020 et IBM a clairement signalé qu’elle s’opposait à son dépôt. La date d’audience du 24 septembre 2020 a été fixée le 20 juillet précédent, mais Smart Cloud a attendu jusqu’au jeudi 17 septembre 2020 pour soulever la question, et a omis de produire un dossier de requête à cette date.
IBM s’oppose à tout ajournement de l’audience aux fins de l’instruction d’une requête signifiée à court préavis, ou pour lui permettre de déposer une preuve complémentaire ou de tenir un contre‑interrogatoire.
[31]
IBM a également déposé un dossier de requête en réponse le 23 septembre 2020.
[32]
Au début de l’audience du 24 septembre 2020, j’ai entendu les observations des parties quant à savoir si la Cour devrait recevoir la requête fondée sur l’alinéa 312a) des Règles. J’ai accepté d’instruire la requête sur le fond afin d’offrir à Smart Cloud l’entière possibilité d’en expliquer les circonstances. Après examen des observations substantielles des parties concernant l’admission de l’affidavit supplémentaire et un bref ajournement, j’ai rendu ma décision et précisé les raisons pour lesquelles j’ai rejeté la requête de Smart Cloud tout en indiquant que je fournirais des motifs plus exhaustifs dans le présent jugement.
[33]
Voici la chronologie des discussions menées entre les parties au sujet de l’affidavit supplémentaire :
20 février 2020 : L’avocat de Smart Cloud informe IBM qu’il souhaiterait déposer un avis de demande modifié pour y ajouter une référence au mois de septembre 2011.
24 février 2020 : IBM consent à la modification de l’avis de demande.
27 février 2020 : L’avocat de Smart Cloud sollicite le consentement d’IBM en vue du dépôt de l’affidavit supplémentaire.
3 mars 2020 : L’avocat d’IBM déclare dans sa réponse que l’instruction de la preuve dans le cadre de la demande est terminée et que Smart Cloud en viendrait à scinder sa preuve, ce qui obligerait IBM à soumettre une preuve supplémentaire. L’avocat déclare qu’IBM s’opposerait au dépôt de toute preuve supplémentaire par Smart Cloud.
3 mars 2020 : L’avocat de Smart Cloud indique dans sa réponse à IBM qu’il consentirait à toute preuve supplémentaire que celle‑ci souhaiterait déposer. Smart Cloud affirme qu’elle sollicitera l’autorisation de se référer à l’affidavit supplémentaire et de l’intégrer au dossier à l’audience.
20 juillet 2020 : La Cour délivre une ordonnance fixant la date de l’audition de l’appel de Smart Cloud au 24 septembre 2020.
17 septembre 2020 : Dans un courriel adressé à IBM, l’avocat de Smart Cloud mentionne la correspondance des parties datant du 3 mars, et réitère que Smart Cloud va solliciter l’autorisation de se référer à l’affidavit supplémentaire et de l’intégrer au dossier à l’audience. L’avocat propose d’envoyer l’affidavit supplémentaire à la Cour avec la correspondance de mars 2020 préalablement à l’audience.
18 septembre 2020 : L’avocat d’IBM déclare dans sa réponse qu’il n’est pas favorable à la proposition de Smart Cloud. IBM réitère son opposition à la requête et affirme qu’elle n’a pas eu de nouvelle même après que la date d’audience a été fixée à la mi‑juillet. IBM a présumé que Smart Cloud avait décidé de ne pas consacrer du temps ou de l’argent à l’introduction d’une requête et n’a pas préparé de preuve supplémentaire en réponse.
20 septembre 2020 : Smart Cloud informe l’avocat d’IBM qu’elle signifiera et déposera une requête le 21 septembre 2020 en vue de son instruction au début de l’audience. Smart Cloud déclare qu’IBM aurait pu déposer une preuve supplémentaire ou contre‑interroger M. Everest depuis mars. Si IBM a besoin de plus de temps, Smart Cloud consentirait à un ajournement.
21 septembre 2020 : Smart Cloud signifie et dépose la présente requête.
22 septembre 2020 : La Cour reçoit la requête et rend une directive dans laquelle elle exige des observations d’IBM.
23 septembre 2020 : IBM répond à la Cour, tel que cela a été décrit précédemment et dépose son dossier de réponse.
24 septembre 2020 : Date de l’audience.
[34]
Les parties conviennent que la Cour n’admettra des affidavits complémentaires au titre de l’alinéa 312a) des Règles que s’ils vont « dans le sens des intérêts de la justice »
, et qu’elle doit tenir compte des éléments suivants :
a) les éléments de preuve aideront la Cour;
b) les éléments de preuve ne causeront pas de préjudice important à l’autre partie;
c) les éléments de preuve dont la production est demandée n’étaient pas connus lorsque la partie a déposé son ou ses affidavits.
(Tsleil‑Waututh Nation c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 128 au para 11)
[35]
Smart Cloud fait valoir que sa requête tardive montre qu’elle a quelque peu naïvement présumé qu’IBM allait, comme elle l’y avait invité le 3 mars 2020, déposer une preuve supplémentaire et (ou) contre‑interroger M. Everest si elle le souhaitait. Smart Cloud souligne que le moment qu’elle a choisi pour soulever cette question ne trahit ni tactique en vue de retarder l’appel ni tentative de scinder son dossier.
[36]
Concernant les facteurs distincts du critère régissant l’admission, Smart Cloud soutient que la déclaration par laquelle M. Everest actualise sa preuve originale au mois de septembre 2011 revêt une grande importance au regard de ses arguments et permettrait à la Cour de disposer d’un dossier de preuve complet dans lequel les parties abordent les deux dates pertinentes. Smart Cloud soutient également que l’admission de l’affidavit supplémentaire ne causera aucun préjudice à IBM attendu que tout ajournement de la présente affaire entraînerait un retard inconséquent et de toute façon, la date de septembre 2011 est déjà évoquée dans la preuve d’IBM. IBM est au fait de cette question depuis le mois de mars et tout malentendu quant à l’intention de Smart Cloud lui est partiellement imputable.
[37]
IBM fait valoir que Smart Cloud ne s’est pas acquittée de son fardeau de convaincre la Cour qu’il est approprié et dans l’intérêt de la justice d’autoriser l’admission de l’affidavit supplémentaire. Elle souligne qu’elle ne cherche nullement à exploiter un malentendu entre les parties ou une erreur que Smart Cloud aurait commise par inadvertance. IBM a plutôt le droit de s’opposer à l’admission d’affidavits complémentaires au titre de l’alinéa 312a) des Règles. Elle s’est opposée à l’admission de l’affidavit supplémentaire en mars 2020 et a adopté une position allant dans le même sens la semaine avant l’audience lorsque Smart Cloud a de nouveau soulevé la question.
[38]
IBM soutient que l’affidavit supplémentaire n’aidera pas la Cour à statuer sur l’appel sous‑jacent parce qu’il contient une preuve sous forme d’opinion qui est inadmissible et dépourvue de pertinence. IBM ajoute que l’admission de la preuve lui serait préjudiciable, soit parce qu’elle aboutirait à un ajournement non souhaité pour lui permettre de répondre, soit parce que l’audience se poursuivrait sur le fondement d’un dossier de preuve mouvant. IBM affirme qu’elle n’était pas tenue de consentir à la demande de Smart Cloud ni de déposer une preuve complémentaire pour la réfuter. À moins que la Cour n’accorde son autorisation, l’affidavit supplémentaire ne constitue pas un élément de preuve et ne faisait pas partie du dossier. Il aurait été prématuré de sa part d’y répondre. Enfin, IBM fait valoir que la preuve contenue dans l’affidavit supplémentaire était connue de Smart Cloud bien avant la date de l’audience.
[39]
Les parties conviennent qu’il incombe à Smart Cloud de convaincre la Cour que l’affidavit supplémentaire devrait être admis en preuve dans l’intérêt de la justice, après pondération des facteurs prévus à l’alinéa 312a) des Règles. Je conviens avec Smart Cloud que les trois facteurs ne sont pas les volets d’un critère conjonctif devant tous être remplis. Il s’agit de facteurs qui doivent être considérés et pondérés dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire aux termes de l’article 312 des Règles (Havi Global Solutions LLC c IS Container PTE Ltd., 2020 CF 803 aux para 47, 58).
[40]
À titre préliminaire, j’estime que rien dans le dossier ne laisse entendre que Smart Cloud a adopté une tactique visant à scinder sa preuve et à nuire à IBM en introduisant sa requête la semaine avant l’audience. De même, je n’ai rien à reprocher à IBM lorsqu’elle insiste sur son droit de s’opposer à la requête, en mars 2020 ou à l’audience, ou dans le choix qu’elle a fait d’attendre qu’une requête formelle soit présentée avant de décider si elle devait déposer des éléments de preuve complémentaires ou contre‑interroger M. Everest. Rien dans la correspondance entre les parties ou dans les documents judiciaires d’IBM n’indique que cette dernière exploite injustement ce que je reconnais être un oubli involontaire de la part de Smart Cloud qui a omis de mentionner la date de septembre 2011 dans l’avis de demande original.
[41]
Conformément à la décision que j’ai rendue à l’audience, j’ai refusé d’accorder à Smart Cloud l’autorisation au titre de l’alinéa 312a) des Règles de déposer un affidavit supplémentaire. J’estime qu’elle ne s’est pas acquittée de son fardeau au titre de cette disposition. Tout bien pensé, l’intérêt de la justice ne favorise pas l’admission tardive de cet élément de preuve. S’agissant des facteurs prévus à l’alinéa 312a) des Règles :
a) Importance de l’affidavit supplémentaire : J’accepte l’observation de Smart Cloud portant que l’affidavit supplémentaire représente un élément de preuve important au regard de ses arguments et qu’il assisterait la Cour. Hormis cette preuve, Smart Cloud n’a rien produit sur la connaissance qu’avait M. Everest de ce que signifiait l’informatique en nuage en septembre 2011. Je prends acte de la position d’IBM selon laquelle l’affidavit supplémentaire n’est pas admissible, laquelle concorde avec ses observations concernant la preuve sous forme d’opinion et l’affidavit Everest, que j’aborderai ci‑après. Cependant, des parties importantes de cet affidavit sont admissibles. Par conséquent, Smart Cloud a intérêt à ce que cette preuve soit admise. J’estime que ce facteur lui est favorable.
b) Préjudice à IBM : Smart Cloud estime qu’il n’est pas nécessaire qu’IBM dépose une preuve complémentaire en réponse à l’affidavit supplémentaire, mais bien entendu, cette décision ne lui revient pas. Son avis, nécessairement éclairé par ses propres intérêts, est conjectural. IBM a informé Smart Cloud en mars 2020 qu’elle s’opposait à l’admission de l’affidavit supplémentaire. Dans son courriel du 3 mars 2020, elle déclare que le dépôt de cet affidavit [traduction]
« nécessiterait le dépôt en réponse d’une preuve supplémentaire par la défenderesse »
. IBM était en droit d’attendre le dépôt d’une requête formelle par Smart Cloud et une décision de la Cour quant à l’admissibilité de l’affidavit supplémentaire; elle n’était nullement tenue de prendre des mesures et d’engager des dépens additionnels en attente d’une preuve qui pouvait ou non être ajoutée au dossier.
IBM fait valoir que sa preuve au titre de l’article 307 des Règles, les affidavits Hicks et Newman, était nécessairement axée sur la date du 5 avril 2011 étant donné que ces affidavits ont été déposés en réponse à l’affidavit Everest. Même si Smart Cloud soutient que la preuve d’IBM du 5 avril 2011 contenue dans les affidavits Hicks et Newman englobe nécessairement la date ultérieure de septembre 2011, IBM doit pouvoir décider pour elle‑même.
Le préjudice que subirait IBM si l’affidavit supplémentaire était admis tient au fait qu’elle serait forcée d’accepter un ajournement afin de bien réfléchir à sa position au chapitre de la preuve, ou d’aller de l’avant en s’appuyant sur un dossier de preuve dont la Cour a autorisé la modification à la dernière minute.
Smart Cloud soutient que son avocat a informé IBM le 3 mars 2020 qu’il solliciterait l’autorisation de la Cour pour déposer l’affidavit supplémentaire à l’audience. Même si Smart Cloud a droit à son interprétation de cette correspondance, le courriel prenait acte de l’opposition d’IBM et affirmait : [traduction] « mais nous solliciterons l’autorisation de nous y référer et de l’intégrer à l’audience »
. À mon avis, IBM a raisonnablement saisi du courriel que Smart Cloud solliciterait l’autorisation de la Cour avant l’audience. Si l’autorisation était accordée, l’affidavit supplémentaire allait alors être [traduction] « intégré au dossier à l’audience »
.
L’inaction de Smart Cloud entre mars et juillet 2020 pourrait découler d’un certain nombre de facteurs, y compris la pandémie de COVID‑19 et les bouleversements et restrictions qui ont fondamentalement altéré les pratiques de la Cour et des avocats. Cependant, après que l’audition de la présente affaire a été fixée au 20 juillet 2020, la nécessité urgente de traiter cette question a revêtu une nouvelle importance. C’est à Smart Cloud qu’il incombait de franchir l’étape suivante pour résoudre la question de l’admission de l’affidavit supplémentaire. Je ne souscris pas à son argument portant qu’IBM était tenue de prendre des mesures après leur correspondance en mars 2020.
J’estime que l’accueil de la requête de Smart Cloud autorisant le dépôt tardif d’un élément de preuve au titre de l’alinéa 312a) des Règles serait gravement préjudiciable à IBM. Le deuxième facteur prévu dans cette disposition lui est très favorable.
c) Connaissance de la preuve : La preuve de M. Everest contenue dans l’affidavit supplémentaire était connue bien avant l’audience. Smart Cloud savait que ses documents judiciaires étaient lacunaires lorsqu’elle a tenté de modifier l’avis de demande en février 2020. Elle a amplement eu la possibilité d’agir après le 3 mars 2020 et aurait sans doute dû prendre des mesures après le 20 juillet. Elle ne l’a pas fait et ce dernier facteur est favorable à IBM.
[42]
La preuve contenue dans l’affidavit supplémentaire était connue de Smart Cloud depuis plusieurs mois et cette dernière savait qu’IBM s’était opposée à son admission en mars 2020. Après avoir pondéré mes conclusions relatives aux facteurs prévus à l’alinéa 312a) des Règles, j’estime que l’inaction de Smart Cloud et le préjudice qui en a résulté pour IBM l’emportent sur l’importance de la preuve pour Smart Cloud. Je me suis demandé, dans le cadre de cet exercice de pondération, si l’admission de la preuve supplémentaire modifierait ma conclusion concernant la norme de contrôle qu’il convient d’adopter dans le présent appel; j’ai conclu que ce ne serait pas le cas.
[43]
Cette question est pendante depuis le 3 mars 2020. IBM a expliqué à cette date son opposition à Smart Cloud et n’était pas tenue de la réitérer lorsque Smart Cloud n’a rien fait d’autre. Les parties ont interprété différemment le courriel du 3 mars 2020 rédigé par l’avocat de Smart Cloud, chaque interprétation des mots utilisés est raisonnable, mais le préjudice à IBM subsiste.
[44]
Je conclus qu’il n’est pas dans l’intérêt de la justice d’accueillir la requête en dépôt tardif d’un élément de preuve au titre de l’alinéa 312a) des Règles et cette requête sera rejetée.
IV.
Questions à trancher
[45]
Le présent appel soulève les questions suivantes :
Quelle est la norme de contrôle appropriée, vu l’objection d’IBM à l’admission de l’affidavit Everest et la pertinence de la nouvelle preuve admissible?
La COMC a‑t‑elle commis une erreur dans son analyse ou dans ses conclusions concernant le risque de confusion entre la Marque et la marque de commerce et les noms commerciaux de Smart Cloud?
V.
Norme de contrôle, admission de l’affidavit Everest et évaluation de la nouvelle preuve admissible
Jurisprudence concernant les appels au titre de l’article 56 de la Loi
[46]
Le paragraphe 56(5) de la Loi autorise les parties à un appel fondé sur l’article 56 à déposer une nouvelle preuve. Si une partie dépose une telle preuve et que celle‑ci est « suffisamment importante »
(Vivat Holdings Ltd. c. Levi Strauss & Co., 2005 CF 707 au para 27), la Cour peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi. Il s’agit alors d’un appel de novo qui requiert l’application de la norme de la décision correcte (The Clorox Company of Canada, Ltd. c. Chloretec S.E.C., 2020 CAF 76 au para 21 (Clorox Company); voir également Obsidian Group Inc. c. Canada (Attorney General), 2020 CF 586 aux para 26, 28 (Obsidian)). Dans ce cas, la Cour ne fera preuve d’aucune retenue à l’endroit des conclusions du décideur initial.
[47]
Si aucun nouvel élément de preuve n’est déposé dans le cadre de l’appel ou si la nouvelle preuve déposée n’est pas suffisamment importante, la Cour appliquera la norme de contrôle applicable en appel et évaluera les questions de droit selon la norme de la décision correcte, et les questions de fait et de fait et de droit (autre que les questions de droit isolables) selon celle de l’erreur manifeste et dominante (Clorox Company, aux para 22‑23, citant Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 au para 36 (Vavilov) et Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33). La présomption d’application de la norme du caractère raisonnable au contrôle sur le fond des décisions administratives, établie par la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov, est réfutée par le libellé du paragraphe 56(5).
[48]
La nouvelle preuve justifiera un examen de novo de la décision si, comme nous l’avons déjà précisé, elle est importante au regard des questions examinées par le décideur initial. Dans le contexte du présent appel, il n’est pas suffisant que la nouvelle preuve admissible réitère ou complète simplement la preuve dont disposait la COMC. Le critère que notre Cour doit appliquer est de savoir si, suivant une évaluation préliminaire, la nouvelle preuve pourrait justifier de tirer une conclusion différente à l’égard d’au moins l’une des questions examinées par la COMC (AIL International Inc. c. Canadian Energy Services L.P., 2019 CF 795 aux para 20‑21). Ma collègue la juge Fuhrer a récemment résumé la nature de l’évaluation de la nouvelle preuve par la Cour lors d’un appel fondé sur l’article 56 (Obsidian, au para 29) :
[29] Par conséquent, je dois évaluer la nature, l’importance, la valeur probante et la fiabilité des nouveaux éléments de preuve produits par Obsidian, dans le contexte du dossier, et déterminer s’ils auraient accru la force probante du dossier de preuve ou lui auraient apporté un éclairage quelconque, de manière à avoir un effet sur les conclusions de fait tirées par le registraire ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, si Obsidian avait pu en disposer à la date de la décision (Seara Alimentos Ltda c Amira Enterprises Inc, 2019 CAF 63, aux para 23 à 26).
L’affidavit Everest
[49]
L’affidavit Everest a été l’objet de vifs débats devant moi. IBM fait valoir que cet affidavit n’est pas admissible parce qu’il consiste largement en une preuve sous forme d’opinion. Pour Smart Cloud, non seulement l’affidavit est admissible, mais la preuve de M. Everest est également pertinente. Toujours selon elle, sa preuve aurait eu une incidence sur le constat de la COMC portant que le terme «
cloud
»
[nuage] était un mot courant du dictionnaire en avril 2011 ainsi que sur sa conclusion voulant que la marque de commerce SMARTCLOUD possède un faible caractère distinctif inhérent.
[50]
M. Everest ne se fait pas passer pour un expert, il n’en avait pas non plus les qualifications dans le présent appel. Néanmoins, l’affidavit Everest précise qu’il travaille comme cadre supérieur et consultant en TI depuis plus de 25 ans. M. Everest évoque sa propre expérience dans l’industrie des TI et avec Starport, ainsi que ses souvenirs et ses opinions quant à la connaissance, l’emploi et la vitesse d’adoption du nuage et de l’informatique en nuage dans l’industrie canadienne des TI. L’affidavit Everest contient également des éléments de preuve issus du site Web de l’OED indiquant que la définition du mot «
cloud
»
n’a été modifiée qu’en juin 2012 pour faire référence à l’usage de ce mot dans le domaine informatique.
Affidavits Hicks et Newman
[51]
L’affidavit Hicks décrit les résultats d’une série de recherches effectuées sur le Web par Mme Hicks en décembre 2019. Ces recherches portaient notamment sur le site Web de l’OED ainsi que sur des pages Web contenant des renseignements expliquant l’utilisation par ce dictionnaire d’un système de citations à l’appui de ses articles. Une série de résultats de recherche porte exclusivement sur les articles de l’OED associés au terme «
cloud
»
dans le contexte des télécommunications et de l’informatique et du sous‑article «
cloud computing
»
[informatique en nuage]. Un certain nombre de citations se rapportant à ces articles sont antérieures au 5 avril 2011. L’affidavit Hicks contient également des résultats de recherche en ligne concernant : des publications du gouvernement fédéral et provincial de 2010 traitant de l’informatique en nuage; des publications de l’industrie, d’organismes nationaux et internationaux antérieures au 5 avril 2011 sur les risques, les avantages et les stratégies en matière d’informatique en nuage; et le site Web d’archives Wayback Machine pour des rubriques d’Amazon liées au nuage allant jusqu’en 2011.
[52]
L’affidavit Newman contient les résultats de la recherche effectuée par Mme Newman le 9 décembre 2019 sur la plateforme de recherche Lexis Advance à la recherche d’articles de presse publiés le 5 avril 2011 ou avant cette date dans le Globe and Mail, le National Post, le Toronto Star et le Calgary Herald et comportant l’expression «
cloud computing
»
. Mme Newman a sélectionné les articles en fonction de leur emploi des termes «
cloud
»
et «
cloud computing
»
à titre de mots d’application générale et d’applications pour les individus et les PME. Elle joint à son affidavit de nombreux articles sélectionnés selon ces critères.
La nouvelle preuve devrait‑elle être admise?
[53]
IBM fait valoir qu’aucun nouvel élément de preuve ne devrait être admis dans le présent appel. Subsidiairement, si je décidais d’admettre des parties ou l’ensemble de l’affidavit Everest, elle affirme que les affidavits Hicks et Newman devraient également être admis à titre de nouveaux éléments de preuve. Smart Cloud ne s’oppose pas à leur admission.
[54]
IBM soutient que des parties importantes de l’affidavit Everest énoncent des opinions et des croyances personnelles qui ne sortent pas de la bouche d’un expert qualifié et qui constituent du ouï‑dire; tous ces éléments sont inadmissibles et doivent être écartés. IBM soutient également que le reste de la preuve de M. Everest n’est ni pertinente ni importante dans le présent appel et qu’elle n’aurait pas une grande incidence sur les conclusions de fait de la COMC.
[55]
Les renseignements et éléments de preuve contenus dans l’affidavit Everest peuvent être divisés en deux catégories. Premièrement, M. Everest évoque son expérience avec Starport, le développement chronologique de ses services d’informatique en nuage et le fait que cette société n’a commencé à offrir ses services sous forme de services infonuagiques qu’après 2011. Il affirme avoir pris connaissance pour la première fois de l’emploi du terme «
cloud
»
dans le contexte des services des TI en septembre 2011. M. Everest aborde l’invocation par la COMC de l’OED pour définir les mots « smart
»
[intelligent] et «
cloud
»
, et joint une capture d’écran de la mise à jour de l’OED remontant à juin 2012, sur laquelle figurent des mots et de nouveaux articles. Il affirme que la capture d’écran établit que la définition du terme «
cloud
»
n’a été modifiée pour tenir compte de son application dans le contexte informatique que lors de la mise à jour de 2012. L’affidavit Everest comprend également deux articles datés de septembre et novembre 2011 censés appuyer la position de Smart Cloud selon laquelle les termes «
cloud
»
et «
cloud computing
»
n’avaient pas de sens en date du 5 avril 2011, même dans l’industrie des TI et des sciences informatiques.
[56]
Deuxièmement, M. Everest évoque ses souvenirs et ses croyances quant à la connaissance qu’avaient les PME au Canada des concepts de nuage et d’informatique en nuage. Il estime que le responsable type chargé de prendre des décisions en matière de TI dans une PME canadienne n’aurait pas été au fait, en avril 2011, de l’emploi du terme «
cloud
»
dans un contexte lié aux TI. Il décrit également ses souvenirs et ses croyances en ce qui a trait à la vitesse d’adoption de l’informatique en nuage au sein de l’industrie des TI.
[57]
Smart Cloud ne fait aucune observation sur la question de la preuve sous forme d’opinion, mais soutient que la première catégorie de preuve contenue dans l’affidavit Everest est admissible parce qu’elle repose sur les connaissances et l’expérience même de M. Everest. En outre, cette preuve est importante parce qu’elle concerne directement l’invocation par la COMC de la définition, postérieure au 5 avril 2011, du terme «
cloud
»
contenue dans l’OED en référence à la technologie et à l’informatique.
[58]
Il est bien établi que la Cour peut radier des affidavits ou des parties de ceux‑ci lorsqu’ils sont abusifs ou n’ont clairement aucune pertinence, lorsqu’ils renferment une opinion, des arguments ou des conclusions de droit (Canada (Procureur général) c. Quadrini, 2010 CAF 47 au para 18). M. Everest est présenté par Smart Cloud en tant que professionnel expérimenté des TI, bien placé pour évoquer ses propres souvenirs, son expérience, ses opinions et ses croyances en ce qui touche la connaissance qu’avait un employé type d’une PME chargé des TI quant à la portée et à la chronologie de l’adoption du nuage et de l’informatique en nuage jusqu’en avril 2011.
[59]
Je conviens avec IBM que la preuve de M. Everest sous forme d’opinion n’est pas admissible dans le présent appel. Il n’était pas qualifié à titre d’expert aux termes de l’article 52.1 des Règles et sa preuve doit se limiter aux faits et aux déclarations dont il a personnellement connaissance. Par conséquent, les paragraphes 8, 9, 10, 13, 16 et 20 ainsi que les dernières phrases des paragraphes 12, 15, 17 et 19 de l’affidavit Everest sont inadmissibles. Je n’ai pas tenu compte de ces paragraphes ni de ces phrases dans le cadre du présent appel. Le reste des paragraphes, complets ou partiels de cet affidavit sont admissibles à titre de nouveaux éléments de preuve.
[60]
Smart Cloud n’a pas contesté l’admissibilité des affidavits Hicks ou Newman. Après les avoir examinés tous deux, je les admettrai à titre de nouveaux éléments de preuve.
Analyse de la nouvelle preuve admissible
[61]
Je juge importante la preuve admissible contenue dans l’affidavit Everest et les pièces concernant la date de l’inclusion dans l’OED d’une définition du terme «
cloud
»
faisant référence à l’informatique ou à des services informatiques. Suite à une évaluation préliminaire, cette preuve aurait pu avoir une incidence importante sur la conclusion formulée par la COMC dans la décision quant au sens ordinaire du terme «
cloud
»
dans le contexte informatique en avril 2011 et quant au caractère distinctif inhérent de la marque de commerce et du nom commercial de Smart Cloud. J’estime aussi que les affidavits Hicks et Newman contiennent des éléments de preuve importants concernant le caractère distinctif inhérent de la marque SMARTCLOUD. Je ne suis pas d’accord avec Smart Cloud lorsqu’elle soutient que la COMC a fait une fixation sur la définition des termes «
smart
»
et «
cloud
»
proposée par l’OED de telle manière que cette référence a conditionné un certain nombre de ses conclusions. Cependant, l’utilisation par la COMC d’une définition postérieure au 5 avril 2011 a grandement influencé sa conclusion portant que SMARTCLOUD est une marque de commerce constituée de deux mots courants du dictionnaire.
[62]
Par conséquent, j’examinerai de novo la preuve dont disposait la COMC ainsi que la nouvelle preuve admissible des parties. Je soumettrai à la norme de la décision correcte les conclusions de la COMC concernant le sens courant, en avril 2011, du terme «
cloud
»
dans le contexte informatique, et le caractère distinctif inhérent de la marque de commerce et du nom commercial SMARTCLOUD, de même que sa conclusion finale selon laquelle SMARTCLOUD est une marque faible. Je ne vois aucune raison de m’écarter de la norme d’appel de l’erreur manifeste et dominante dans mon évaluation des constatations et conclusions restantes de la COMC.
VI.
La COMC s’est‑elle trompée dans son analyse et sa conclusion concernant le risque de confusion entre la Marque et la marque de commerce et les noms commerciaux de Smart Cloud?
[63]
Smart Cloud fait valoir que la COMC a commis une erreur déterminante lorsqu’elle a conclu que la marque de commerce et le nom commercial SMARTCLOUD étaient constitués de deux mots courants du dictionnaire en s’appuyant sur une définition du terme «
cloud
»
qui figurait dans la version de l’OED de 2019 et non dans celle(s) en vigueur le 5 avril et en septembre 2011. Smart Cloud affirme que cette conclusion factuelle a amené la COMC à conclure que la marque SMARTCLOUD avait un caractère distinctif inhérent incertain et qu’il s’agissait d’une marque faible. Smart Cloud ajoute que cette conclusion imprègne l’évaluation de la confusion par la COMC. Comme la prépondérance des probabilités en ce qui touchait cette question ne penchait que légèrement en faveur d’IBM, Smart Cloud soutient que tout changement affectant la conclusion de la COMC quant au faible caractère distinctif inhérent de la marque SMARTCLOUD mettrait nécessairement en échec le rejet de son opposition.
[64]
IBM souligne que la marque de commerce en cause n’est pas SMARTCLOUD, mais IBM SMARTCLOUD. Toujours d’après elle, la preuve et les arguments présentés par Smart Cloud sont insuffisants pour infirmer la décision, sans égard à l’erreur qu’aurait commise la COMC en s’appuyant sur une définition de l’OED postérieure à avril 2011. La portée de l’appel est trop étroite pour modifier l’issue.
[65]
IBM évoque l’accent mis par la COMC sur le renom de la marque IBM et son utilisation comme préfixe dans la marque IBM SMARTCLOUD. Elle cite la déclaration de la COMC selon laquelle « la réputation de la première partie de la Marque permettrait aux consommateurs de distinguer la source des Produits et Services liés à la Marque »
. La COMC est revenue sur l’importance du préfixe IBM dans la conclusion de son analyse sur la confusion. IBM soutient que je ne dispose d’aucun élément laissant entendre que la COMC s’est trompée dans son évaluation de l’importance du préfixe comme identificateur de la source et que Smart Cloud n’a soumis aucune observation à l’effet contraire.
[66]
L’appel de Smart Cloud met l’accent sur les paragraphes 83 et 84 de la décision dans lesquels la COMC déclare :
[83] La marque de commerce et le nom commercial de l’Opposante sont constitués de deux mots courants du dictionnaire. Le dictionnaire Oxford au lexico.com (anciennement en.oxforddictionaries.com) définit le mot « smart » [intelligent], en ce qui concerne un dispositif (technologique), comme [Traduction] « programmé de façon à être capable de prendre certaines mesures de façon indépendante »; « smart » [intelligent] peut également être défini comme [Traduction] « ayant ou démontrant une vive intelligence ». Le mot « cloud » [nuage] est défini, en ce qui concerne l’informatique, comme [Traduction] « un réseau de serveurs distants hébergés sur Internet et utilisés pour stocker, gérer et traiter des données au lieu de serveurs locaux ou d’ordinateurs personnels » […].
[67]
La COMC a pris connaissance d’office des définitions de l’OED.
[68]
Au paragraphe 84, la COMC conclut que :
[84] Considérant que les services de l’Opposante sont essentiellement des services d’informatique en nuage […], j’estime que la marque de commerce et le nom commercial de l’Opposante sont hautement suggestifs, car ils indiquent qu’une certaine forme d’automatisation est nécessaire pour la prestation des services en nuage de l’Opposante. Subsidiairement, on pourrait penser que la marque de commerce et le nom commercial sont hautement suggestifs du fait que l’utilisation des services en nuage de l’Opposante représente un choix intelligent. Par conséquent, j’estime que la marque de commerce et le nom commercial de commerce de l’Opposante possèdent un caractère distinctif inhérent assez faible.
[69]
M. Everest affirme que l’expression «
cloud computing
»
est apparue pour la première fois dans l’OED en juin 2012. Une capture d’écran de la mise à jour trimestrielle effectuée à cette date et attestant l’ajout de l’expression «
cloud computing
»
comme sous‑article et de la définition du terme «
cloud
»
est jointe en pièce A à l’affidavit Everest. M. Everest indique que l’ajout avait pour objet d’inclure une définition du terme «
cloud
»
liée au domaine informatique.
[70]
IBM ne conteste pas directement cette preuve, mais soutient que l’OED est basé sur des données de citations. IBM s’appuie sur la pièce A de l’affidavit Hicks pour montrer que la majorité des citations étayant la définition du terme «
cloud
»
dans le contexte informatique fournie par l’OED proviennent de l’industrie et sont antérieures au 5 avril 2011.
[71]
Compte tenu de la nouvelle preuve admissible dans l’affidavit Everest, j’estime que la COMC a eu tort de s’appuyer sur l’OED pour conclure qu’en date du 5 avril 2011, le terme «
cloud
»
était un mot courant du dictionnaire. M. Everest a fourni de nouveaux éléments de preuve importants et probants qui contredisent la conclusion factuelle de la COMC. Cependant, compte tenu surtout de la nouvelle preuve d’IBM, j’estime également que les conclusions de la COMC portant que la marque SMARTCLOUD est hautement suggestive et qu’elle possède un faible caractère distinctif inhérent étaient correctes.
[72]
Il n’est pas nécessaire que le ou les termes qui constituent la marque de commerce soient des mots courants du dictionnaire pour conclure au faible caractère distinctif inhérent d’une marque. Une marque qui consiste en un ou plusieurs mots d’usage courant et dont le sens est suffisamment défini dans l’esprit du consommateur désinvolte peut avoir un faible caractère distinctif inhérent. La nouvelle preuve d’IBM sonde un large éventail de publications et de documents sources qui définissent les termes «
cloud
»
et «
cloud computing
»
ou qui les utilisent en présumant que leur sens est connu. Voici un échantillon des documents contenus dans les pièces jointes aux affidavits Hicks et Newman :
- 29 novembre 2007, The Globe and Mail,
« Head in the Clouds?
Welcome to the future
»
[La tête dans les nuages? Bienvenue dans le futur] : L’article définit l’informatique en nuage et le terme« cloud »
en rapport avec des données.- 14 février 2008, The Globe and Mail,
« BlackBerry outage: Can you say ‘we need a backup?
»
[Panne de BlackBerry : Peut‑on dire qu’on a besoin d’une copie de sécurité?] : L’article décrit l’utilisation par les Canadiens des services d’informatique en nuage au moyen de leurs téléphones portables.- 3 juin 2008, Gartner, Inc.,
«
Assessing the Security Risks of Cloud Computing
»
[Évaluation des risques pour la sécurité associés à l’informatique en nuage] : L’article affirme que les organisations qui envisagent d’utiliser des services infonuagiques doivent en comprendre les risques.- 5 avril 2009, The Calgary Herald,
« Future of computer industry lies in the clouds
»
[L’avenir de l’industrie informatique est dans les nuages] : L’article qualifie le cloud computing d’expression brumeuse, en explique le sens par des termes simples, précise qu’IBM met sur pied des centres d’informatique en nuage dans le monde entier et que Cisco et IBM misent sur le passage émergent à l’informatique en nuage.- 5 décembre 2010, The Toronto Star,
« Canada can be global leader in cloud computing
»
[Le Canada peut être un chef de file mondial dans le domaine de l’informatique en nuage] : L’article désigne Amazon comme l’un des principaux fournisseurs mondiaux de services d’informatique en nuage et décrit [traduction]« la recherche du forum le plus favorable en matière de nuage »
comme un phénomène relativement récent tout en présumant que l’informatique en nuage est en lui‑même un concept bien établi.- 14 décembre 2010, The Toronto Star,
« Dell to pay $960M for data storage firm; Acquisition of Compellent a bid by company to become a competitor in cloud computing
»
[Dell débourse 960 millions de dollars pour acquérir une société de stockage de données – Le rachat de Compellent marque la volonté de la société de devenir un concurrent dans le domaine de l’informatique en nuage] : L’article mentionne l’achat par Dell d’une entreprise de stockage de données pour [traduction]« rattraper ses rivaux Hewlett‑Packard Co. et IBM sur le terrain des technologies comme l’informatique en nuage »
.- Rapport de 2010 du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, définissant l’informatique en nuage comme la prestation sur des ordinateurs distants de services offerts sur le Web.
- Mars 2010, Commissaire à la vie privée du Canada,
«
Reaching for the Cloud(s): Privacy Issues related to Cloud Computing
»
[Atteindre le(s) nuage(s) : problèmes de confidentialité liés à l’informatique en nuage] : Ce rapport affirme que l’expression« cloud computing »
est [traduction] « apparemment omniprésente de nos jours ».- 25 février 2011, The National Post, « Cloud computing minimizes risk » [L’informatique en nuage réduit les risques au minimum] : Cet article commence par la déclaration suivante : [traduction]
« [u]ne des idées récurrentes est que l’informatique en nuage devrait être adoptée par les entreprises de toutes tailles […] »
.- Imprimés du site Wayback Machine de listes sur Amazon remontant à 2008, puis allant de 2010 à 2011 et portant sur des produits et services infonuagiques.
[73]
L’argument de Smart Cloud portant que la nouvelle preuve d’IBM atteste l’utilisation des termes «
cloud
»
et «
cloud
computing
»
dans une perspective futuriste n’est pas convaincant vu l’étendue de la preuve recueillie par IBM. Les affidavits Hicks et Newman comprennent nombre de publications et d’articles antérieurs au 5 avril 2011 qui établissent que les termes «
cloud
»
et «
cloud
computing
»
sont des mots ou des expressions de compréhension commune et d’usage courant. La progression chronologique des publications jusqu’en 2011 montre que les auteurs étaient certains que les lecteurs comprendraient les références au nuage et à l’informatique en nuage. Les articles mentionnent graduellement le nuage, l’informatique en nuage et la situation concurrentielle qui caractérise actuellement l’industrie de l’informatique en nuage. Les diverses publications s’adressent à un certain nombre de publics différents, notamment des lecteurs de journaux d’intérêt général comme le Toronto Star, le Globe and Mail et le National Post, des personnes qui s’intéressent particulièrement à l’industrie informatique et aux publications propres à cette industrie ainsi que des lecteurs de publications du gouvernement canadien. La preuve d’IBM indique aussi que l’ajout de définitions informatiques des termes «
cloud
»
et «
cloud computing
»
dans l’OED en juin 2012 était basé sur un nombre important de citations démontrant l’usage répété, avant avril 2011, des termes en question en rapport avec le domaine de l’informatique.
[74]
M. Everest affirme qu’il a pris connaissance pour la première fois de l’usage du terme «
cloud
»
en rapport avec les services des TI pour les PME en septembre 2010 et qu’à ce moment‑là, la transition vers l’informatique en nuage était encore une chose du futur. J’estime que la preuve de M. Everest n’est pas suffisante pour saper celle d’IBM établissant l’usage important par l’industrie et les médias des termes «
cloud
»
et «
cloud computing
»
dans leur acception courante en date du 5 avril 2011.
[75]
Smart Cloud n’a pas contesté la manière dont la COMC a traité le terme «
smart
»
et j’ai conclu que le terme «
cloud
»
était, en date du 5 avril 2011 et dans le contexte informatique, un mot d’usage courant compris par le consommateur désinvolte. J’estime que la marque de commerce et le nom commercial SMARTCLOUD étaient constitués de deux mots courants à cette date. Il s’ensuit que je ne relève aucune erreur dans la conclusion de la COMC portant que SMARTCLOUD est une marque hautement suggestive, « car [elle] indique […] qu’une certaine forme d’automatisation est nécessaire pour la prestation de [ses] services en nuage »
et que ces services représentent un « choix intelligent »
. La conclusion de la COMC portant que le caractère distinctif inhérent de la marque de commerce SMARTCLOUD est faible n’est pas non plus erronée. La COMC s’est appuyée, dans son examen de la jurisprudence concernant les marques faibles, sur ces conclusions et sur le fait que la marque n’avait pas acquis le moindre caractère distinctif par l’emploi. Je confirme la conclusion de la COMC selon laquelle la marque de commerce SMARTCLOUD était une marque faible aux dates pertinentes.
[76]
Smart Cloud fait valoir qu’il ne suffisait pas à la COMC de considérer séparément les deux mots constitutifs attendu que leur combinaison dans la formation du nom SMARTCLOUD était un nouveau sous‑entendu. Je suis de cet avis, mais la COMC a considéré la marque SMARTCLOUD dans sa forme complète immédiatement après avoir examiné le sens des deux mots ainsi que dans tout le reste de la décision. Je note par exemple que la COMC a déclaré que l’une des raisons pour lesquelles la marque de commerce et le nom commercial SMARTCLOUD pouvaient être considérés comme hautement suggestifs tenait au fait qu’ils laissaient entendre que l’utilisation des services infonuagiques de Smart Cloud représentait un choix intelligent.
[77]
Le reste des arguments de Smart Cloud repose sur sa position portant que la COMC a commis une erreur déterminante dans son évaluation du caractère distinctif inhérent. Smart Cloud soutient que la COMC a commis une erreur dans sa pondération des nombreux facteurs prévus au paragraphe 6(5), car elle était obnubilée par l’idée voulant que SMARTCLOUD soit une marque de commerce et un nom commercial constitués de deux mots courants du dictionnaire. Comme je l’ai expliqué, la COMC a correctement évalué le caractère distinctif inhérent. En outre, je ne suis pas convaincue qu’elle ait commis d’erreur manifeste et dominante dans son examen des autres facteurs prévus au paragraphe 6(5) et des circonstances de l’espèce pertinentes, y compris l’importance du placement du préfixe IBM et le renom qui lui est associé. La déclaration de la COMC selon laquelle la protection des marques de commerce n’est pas axée sur la confusion entre les marques elles‑mêmes, mais sur la confusion entre l’une et l’autre source des produits et services concorde avec le paragraphe 6(2) de la Loi. La COMC a estimé que la Marque « indique clairement »
aux consommateurs qu’IBM est la source des Produits et Services en raison de la réputation du préfixe IBM. J’estime que la COMC n’a commis aucune erreur lorsqu’elle a conclu que cette circonstance était fortement favorable à IBM.
[78]
La conclusion de la COMC dans la décision est un résumé limpide et rationnel de tout son examen de la question de la confusion :
[120] […]. Quoiqu’il existe nécessairement un degré de ressemblance assez élevé entre les marques des parties, j’estime que l’inclusion du préfixe IBM dans la Marque a une incidence importante sur les idées suggérées par la Marque du fait que cela indique clairement au consommateur moyen que la source des Produits et des Services est la Requérante. J’estime également que la jurisprudence concernant les marques de commerce faibles favorise la Requérante puisque la preuve d’emploi de l’Opposante est très limitée et n’étend pas la protection attribuable à sa marque de commerce et à son nom commercial.
[79]
En résumé, mon examen de novo de la nouvelle preuve admissible des parties m’amène à conclure que les deux mots constituant la marque de commerce et le nom commercial SMARTCLOUD de Smart Cloud étaient des mots d’usage courant en date du 5 avril 2011, et à plus forte raison en septembre 2011, et qu’ils désignaient dans l’esprit du consommateur canadien désinvolte des produits informatiques et des services connexes. Par conséquent, l’erreur qu’a commise la COMC lorsqu’elle s’est servie de la mauvaise définition du terme «
cloud
»
datant d’avril 2011, même si elle est importante, ne sape pas le reste de son analyse et de ses conclusions.
VII.
Conclusion
[80]
La demande, et donc l’appel interjeté contre la décision, sont rejetés.
VIII.
Dépens
[81]
À l’audition du présent appel, les parties ont accepté de discuter du montant des dépens à adjuger. J’ai depuis reçu et examiné les correspondances des avocats de Smart Cloud, approuvées par ceux d’IBM. Les parties proposent que celle ayant gain de cause dans l’appel se voie adjuger une somme globale de 20 000 $, comprenant les débours et taxes, payables par la partie perdante dans les 30 jours de la date du présent jugement. Les parties proposent également que des dépens de 1 500 $ relatifs à la requête de Smart Cloud fondée sur l’alinéa 312a) des Règles soient payables ou déduits, le cas échéant, en même temps.
[82]
J’adopterai la proposition négociée par les parties. Comme j’ai décidé de rejeter l’appel de Smart Cloud, IBM a droit à ce que Smart Cloud lui verse des dépens de 21 500 $, comprenant les dépens adjugés à l’égard de la requête de Smart Cloud fondée sur l’alinéa 312a) des Règles, plus les débours et taxes, payables suivant l’échéancier proposé par les parties.
JUGEMENT dans le dossier T‑1589‑19
LA COUR STATUE que
La requête introduite au titre de l’alinéa 312a) des Règles par la demanderesse, Smart Cloud Inc. (Smart Cloud), en vue du dépôt d’une preuve complémentaire est rejetée.
L’appel est rejeté.
Smart Cloud versera à la défenderesse, International Business Machines Corporation, les dépens de la présente demande qui s’élèvent à 21 500 $, comprenant les dépens adjugés à l’égard de la requête présentée par Smart Cloud au titre de l’alinéa 312a) des Règles, plus les débours et taxes, payables dans les 30 jours de la date du présent jugement.
« Elizabeth Walker »
Juge
Traduction certifiée conforme
Claude Leclerc
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T‑1589‑19
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INTITULÉ :
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SMART CLOUD INC. c INTERNATIONAL BUSINESS MACHINES CORPORATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE ottawa (ontario) (LA COUR) ET Toronto (Ontario) (LES PARTIES)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 24 septembre 2020
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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La juge WALKER
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DATE DES MOTIFS :
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Le 18 mars 2021
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COMPARUTIONS :
John H. Simpson
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pour la demanderesse
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Andrew Skodyn
Melanie K. Baird
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pour la défenderesse
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Shift Law Professional Corporation
Avocats
Toronto (Ontario)
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pour la demanderesse
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Blake, Cassels & Graydon, s.r.l.
Avocats
Toronto (Ontario)
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pour la défenderesse
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