Dossier : T-936-20
Référence : 2021 CF 209
[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]
Ottawa (Ontario), le 8 mars 2021
En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond
ENTRE :
|
SHAY YELLOWBIRD
|
demandeur
|
et
|
LA NATION CRIE DE SAMSON
|
défenderesse
|
JUGEMENT ET MOTIFS
[1]
M. Yellowbird a été élu membre du conseil de la Nation crie de Samson, mais son élection a été annulée par le comité des appels en matière d’élections de la Nation au motif qu’il avait exécuté des tâches liées à son emploi durant la campagne électorale. Le comité a conclu que cela contrevenait à une disposition de la loi électorale de la Nation, qui prévoit que les candidats doivent se voir offrir un congé non payé pendant toute la durée de la campagne. Même si le comité n’a trouvé aucune preuve de manœuvres frauduleuses, il a invalidé l’élection de M. Yellowbird et déclenché une nouvelle élection à laquelle celui-ci n’a pas été autorisé à se présenter.
[2]
J’accueille la demande de contrôle judiciaire présentée par M. Yellowbird à l’encontre de la décision du comité. Même dans l’hypothèse où M. Yellowbird a enfreint la loi électorale, le comité a omis de se demander si l’infraction pouvait avoir influé sur le résultat de l’élection. À mon avis, il n’existe aucun élément de preuve qui aurait permis au comité de tirer une telle conclusion. Par conséquent, la décision du comité doit être annulée et M. Yellowbird doit être réintégré dans son poste de conseiller.
I.
Contexte
[3]
L’élection du chef et des conseillers de la Nation crie de Samson est assujettie à la Samson Cree Nation Election Law – Nipisihkopahk Wîyasowêwin [la loi électorale], qui a été adoptée par référendum en 2013. La dernière élection de conseillers a eu lieu le 28 juillet 2020, dans le contexte des restrictions visant à lutter contre la pandémie de COVID-19.
[4]
M. Shay Yellowbird est un agent de soutien du revenu pour la Nation ou l’une de ses organisations associées. À ce titre, il a la responsabilité d’autoriser les paiements de soutien du revenu aux membres de la Nation. Il a été mis en candidature au poste de conseiller et a été élu.
[5]
Dans les jours suivant l’élection, une plainte a été déposée auprès du comité des appels en matière d’élections, selon laquelle M. Yellowbird aurait pris part à des manœuvres frauduleuses, en violation de l’article 3.9 de la loi électorale, et aurait omis de prendre congé de son emploi durant la campagne électorale, en violation de l’article 4.1. Ces allégations étaient fondées sur le fait, qui n’est pas sérieusement contesté, que durant la nuit du 27 au 28 juillet, M. Yellowbird s’est connecté au système informatique de la Nation pour autoriser des paiements à divers bénéficiaires du soutien du revenu. La plainte mentionnait également le fait que, au début du mois de juillet, des cartes-cadeaux pour de l’essence avaient été offertes à certains bénéficiaires du soutien du revenu.
[6]
Dans sa décision, le comité a présenté un compte rendu des éléments de preuve et a cité les dispositions pertinentes de la loi électorale. Il a divisé son analyse en trois questions, soit celles de savoir si M. Yellowbird a pris part à des manœuvres frauduleuses ou à l’achat de votes, s’il a enfreint la disposition de la loi électorale relative au congé et quelle serait la réparation appropriée.
[7]
Pour ce qui est de la première question, le comité a fait valoir qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que M. Yellowbird avait pris part à des manœuvres frauduleuses. Le comité a souligné que le plaignant n’avait fait aucune allégation concernant l’achat de votes et qu’il n’y avait aucun élément de preuve direct à cet égard.
[8]
Néanmoins, le comité a conclu que M. Yellowbird avait enfreint l’article 4.1 de la loi électorale. Le comité a interprété cet article comme obligeant les candidats à prendre congé durant la campagne électorale, et il a jugé que M. Yellowbird, même s’il n’avait pas été rémunéré durant cette période, avait enfreint la disposition en exécutant certaines tâches liées à son emploi. Le comité a également rejeté l’explication de M. Yellowbird selon laquelle il avait agi pour s’assurer que les bénéficiaires du soutien du revenu reçoivent leurs paiements à temps malgré la fermeture des bureaux en raison de la pandémie.
[9]
En choisissant la réparation appropriée, le comité a déclaré que [traduction] « l’infraction rend [M. Yellowbird] inéligible au poste de conseiller »
. Le comité a donc ordonné la tenue d’une élection partielle afin de pourvoir uniquement le siège de M. Yellowbird. Il a également interdit à M. Yellowbird de se présenter à cette élection partielle.
[10]
L’élection partielle a eu lieu le 18 août.
[11]
M. Yellowbird sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision du comité.
II.
Analyse
[12]
M. Yellowbird conteste l’équité du processus suivi par le comité de même que le fond de sa décision. À mon avis, la décision du comité est déraisonnable sur le fond. Mon analyse se concentrera donc sur cette question et je n’aurai pas besoin d’examiner les questions de procédure.
[13]
La Cour contrôle les décisions d’organismes comme le comité des appels en matière d’élections selon la norme de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Ainsi, elle ne tranche pas la question à nouveau. Elle s’assure seulement que la décision contrôlée fait état d’une analyse rationnelle qui tient compte des contraintes factuelles et juridiques imposées au décideur.
[14]
Le fait que le législateur a chargé un décideur administratif, et non la Cour, de rendre une décision justifie que la Cour fasse preuve de retenue à l’égard de cette décision : Vavilov, au paragraphe 24. Dans le contexte de la présente affaire, cela se traduit par le respect du principe de l’autonomie gouvernementale et du choix de la Première Nation de confier l’affaire à son propre organisme décisionnel. De plus, comme je l’ai indiqué dans la décision Pastion c Première nation Dene Tha’, 2018 CF 648, [2018] 4 RCF 467, les décideurs autochtones sont habituellement mieux placés pour comprendre la situation ou les besoins précis de la communauté, ainsi que les objectifs des dispositions visées des lois électorales.
[15]
Cependant, selon le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Vavilov, une décision peut être déraisonnable si elle n’est pas fondée sur un raisonnement rationnel ou si elle est « indéfendable […] compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision »
: Vavilov, au paragraphe 101. Ces contraintes juridiques peuvent tirer leur origine du droit autochtone, qui peut découler de diverses sources. Il peut, entre autres, découler de délibérations au sein d’une communauté autochtone et être mis par écrit. Ainsi, lorsqu’une Première Nation adopte un code électoral, les dispositions du code constituent une contrainte juridique dont les comités d’appel doivent tenir compte. Je conclus que la décision du conseil est déraisonnable en l’espèce, car le conseil n’a pas suivi la logique des mesures de réparation prévues par la loi électorale. Pour expliquer pourquoi il en est ainsi, je dois d’abord examiner les autres parties de la décision.
A.
Absence de manœuvres frauduleuses
[16]
Le premier élément de la décision du comité est la conclusion selon laquelle il n’y avait aucune preuve que M. Yellowbird avait pris part à des manœuvres frauduleuses. La loi électorale définit une manœuvre frauduleuse comme un comportement immoral, malhonnête ou contraire à l’éthique, par exemple l’achat de votes, l’intimidation ou la falsification de documents. Le comité doit rendre une décision fondée sur la preuve qui lui est présentée. En l’espèce, le comité a examiné la preuve et a conclu à l’absence de manœuvres frauduleuses. Personne ne soutient que le comité a agi de manière déraisonnable en tirant cette conclusion. J’ajouterais simplement que le comité n’avait pas à déterminer si la conduite de M. Yellowbird était sage ou si la situation pouvait légitimement susciter des questions, et je m’abstiens d’exprimer mon point de vue sur ces questions.
[17]
Dans ses observations écrites, la Nation crie de Samson a laissé entendre que cette conclusion relative à l’absence de manœuvres frauduleuses ne concerne que la question des cartes-cadeaux pour de l’essence. Je n’interprète pas la décision du comité de manière si étroite. Pour ce qui est tout d’abord de la plainte, il n’y a pas de distinction nette entre les dispositions de la loi électorale que M. Yellowbird aurait enfreintes. Dans l’extrait qui suit, le plaignant affirme que l’autorisation des paiements était contraire aux articles 4.1 et 3.6 de la loi électorale :
[traduction]
L’interdiction pour les candidats d’entrer dans les bâtiments publics (voir la définition de « bâtiments publics » à l’article 1.1, et l’article 4.1) se rapporte aux tâches exécutées dans le cadre du code électoral de la Nation crie de Samson. L’article 4.1 dispose : « […] tout employé mis en candidature à une élection, s’il accepte cette nomination, se voit accorder un congé non payé […] » (voir ci-dessus). Après examen, cela comprend l’exécution de tâches liées à un emploi comme le versement de paiements à des personnes lorsqu’il est interdit d’exécuter ce genre de tâches (partie 3, article 3.5, rubrique sur la candidature). En outre, l’article 3.6 [sic, 3.9] dispose : « Il est interdit aux candidats de prendre part à des manœuvres frauduleuses ».
[18]
De plus, le comité aborde les deux questions séparément dans sa décision. Dans la section [TRADUCTION] « Observations de l’appelant »
, le comité résume le témoignage donné à l’appui de la plainte. Vers la fin de cette section, il indique qu’il a reçu des preuves contradictoires concernant les cartes-cadeaux pour de l’essence et leur objectif. Il déclare ensuite qu’il est d’avis que [TRADUCTION] « ces renseignements n’auraient pas d’incidence sur l’issue du présent appel »
.
[19]
Ce n’est que dans une partie ultérieure de ses motifs que le comité conclut à l’absence d’achat de votes ou de manœuvres frauduleuses, et ensuite à l’existence d’une infraction à l’article 4.1. La question des cartes-cadeaux pour de l’essence ayant déjà été tranchée, la conclusion du comité quant à l’absence de manœuvres frauduleuses ne peut qu’être liée à l’affirmation selon laquelle M. Yellowbird aurait omis de prendre congé de son emploi en autorisant les paiements de soutien du revenu.
B.
Congé non payé
[20]
Nul ne conteste que M. Yellowbird a obtenu un congé et n’a pas été payé tout au long de la campagne électorale, mais qu’il a néanmoins exécuté des tâches liées à son emploi la veille du scrutin. La question en litige est celle de savoir si, ce faisant, M. Yellowbird a enfreint l’article 4.1 et, plus particulièrement, si les circonstances liées à la pandémie de COVID-19 lui donnaient une excuse pour agir ainsi.
[21]
L’article 4.1 est libellé ainsi :
[traduction]
4.1 Afin de faciliter sa participation pleine et entière aux élections, tout employé nommé candidat à une élection, s’il accepte cette nomination, se voit accorder un congé non payé jusqu’à ce que soit connu le résultat définitif de cette élection.
[22]
Une lecture rapide de cette disposition donne à penser que le congé est un avantage offert aux employés de la Nation crie de Samson à une fin précise, c’est-à-dire pour faciliter leur participation à la campagne électorale. Le libellé de l’article 4.1 ne semble pas imposer une obligation de prendre congé ou viser d’autres fins que celle qui est expressément mentionnée. En d’autres termes, il imposerait plutôt une obligation à l’employeur et non à l’employé.
[23]
Toutefois, le comité a appliqué l’article 4.1 comme si celui-ci obligeait l’employé à ne pas travailler. Il a aussi rejeté les explications de M. Yellowbird selon lesquelles, compte tenu des circonstances, il devait nécessairement agir comme il l’a fait pour s’assurer que les bénéficiaires du soutien du revenu reçoivent leurs prestations du mois d’août à temps.
[24]
M. Yellowbird conteste maintenant le raisonnement du comité et affirme que l’article 4.1 impose seulement une obligation à l’employeur et n’empêche pas un employé d’exécuter des tâches liées à son emploi. En réponse, la Nation crie de Samson fait valoir que l’article 4.1 s’inscrit dans un ensemble de dispositions visant à dissocier l’administration quotidienne de la Nation de la campagne électorale et qu’il doit être interprété à cette fin.
[25]
Je doute que le libellé de l’article 4.1 puisse avoir le sens que la Nation crie de Samson cherche maintenant à lui donner. Je tiens toutefois à souligner que le comité a instruit la présente affaire en supposant que tel était le sens de l’article 4.1 et qu’à ce moment-là , M. Yellowbird ne s’est pas opposé à cette interprétation. Quoi qu’il en soit, je n’ai pas besoin de tirer de conclusion définitive à cet égard, compte tenu de ma décision en l’espèce. Aux fins de l’analyse, je supposerai que l’article 4.1 interdit aux candidats de travailler. J’ajouterais simplement que si l’article 4.1 vise à créer une interdiction, il vaudrait la peine d’en modifier le libellé pour que ce soit clair.
[26]
En supposant que l’article 4.1 prévoit une interdiction, le comité a rejeté l’argument de M. Yellowbird selon lequel il est un travailleur essentiel ou que ses activités constituaient du bénévolat ou étaient par ailleurs justifiées. M. Yellowbird ne conteste pas sérieusement cet élément de la décision du comité. Cette conclusion n’a rien de déraisonnable.
C.
Déclenchement d’une nouvelle élection
[27]
Après avoir conclu à une violation de l’article 4.1, le comité a décidé que la réparation appropriée était d’annuler l’élection de M. Yellowbird et de déclencher une élection partielle afin de pourvoir son poste. Cette décision était déraisonnable, car le raisonnement du comité ne peut être concilié avec la logique de la loi électorale.
[28]
Ce ne sont pas toutes les infractions à la loi électorale qui entraînent l’invalidation d’une élection. La loi électorale a été élaborée minutieusement de manière à ce que seules les infractions graves requièrent la tenue d’une nouvelle élection. Le caractère exceptionnel de l’invalidation d’une élection a été souligné par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Opitz c Wrzesnewskyj, 2012 CSC 55 au paragraphe 2, [2012] 3 RCS 76 :
Si les élections peuvent être facilement annulées sur la base d’erreurs administratives, la confiance du public dans le caractère définitif et la légitimité des résultats électoraux s’en trouvera affaiblie. Seules des irrégularités influant sur le résultat de l’élection et entachant par le fait même l’intégrité du processus électoral justifient l’annulation d’une élection.
[29]
Cette affaire concernait une élection fédérale, mais le principe énoncé par la Cour suprême est aussi pertinent dans le contexte d’une élection au sein des Premières nations : Assiniboine c Meeches, 2013 CAF 177 au paragraphe 63.
[30]
Ce principe est mis en œuvre par les dispositions de la loi électorale qui définissent minutieusement les situations qui entraînent automatiquement le déclenchement d’une nouvelle élection et qui nécessitent, dans tous les autres cas, une preuve que les résultats de l’élection pourraient avoir été compromis. La première disposition, l’article 20.1, traite des motifs pour lesquels une plainte peut être déposée, et la deuxième disposition, l’article 20.7, énumère les pouvoirs du comité. Les dispositions sont ainsi libellées :
[traduction]
20.1 Dans les sept (7) jours suivant la date d’une élection, tout candidat à l’élection peut déposer un appel s’il a des motifs raisonnables de croire, selon le cas :
a) qu’il y a eu des manœuvres frauduleuses à l’égard de l’élection;
b) qu’une personne mise en candidature à l’élection ne possédait pas les qualités requises;
c) qu’il s’est produit une autre forme de violation de la loi électorale de la Nation crie de Samson pouvant influer sur le résultat de l’élection.
[…]
20.7 Le comité des appels en matière d’élections peut :
a) déclarer la plainte non fondée et rejeter l’appel;
b) déclarer la plainte fondée, mais rejeter l’appel au motif que la violation de la loi électorale de la Nation crie de Samson n’aurait pas influé sur le résultat de l’élection;
c) déclarer la plainte fondée et ordonner la tenue d’une nouvelle élection dans les sept (7) jours suivant sa décision.
[31]
L’article 20.1 indique clairement qu’il existe seulement deux catégories de cas qui peuvent justifier le déclenchement d’une nouvelle élection sans égard à l’incidence sur l’issue de l’élection : les manœuvres frauduleuses et l’inéligibilité d’un candidat. Les manœuvres frauduleuses ne peuvent être tolérées, car elles entachent directement l’intégrité du processus électoral : Gadwa c Première Nation Kehewin, 2016 CF 597 aux paragraphes 87-89 [Gadwa]. Il va sans dire que les candidats inéligibles ne peuvent être élus. Sauf dans ces deux cas, l’article 20.1 exige une preuve que le résultat de l’élection pourrait avoir été compromis.
[32]
Le comité a déterminé que la violation de l’article 4.1 par M. Yellowbird constituait un motif d’inéligibilité. À mon avis, cette conclusion est déraisonnable, car elle ne peut être conciliée avec le libellé et la structure de la loi électorale. Les conditions d’éligibilité sont énoncées à l’article 3.1 de la loi électorale :
[traduction]
3.1 Une personne peut se présenter comme candidat au poste de chef ou à un poste de conseiller si :
a) son nom figure sur la liste électorale de la Nation crie de Samson;
b) elle a atteint l’âge de vingt et un (21) ans;
c) elle n’a pas été déclarée coupable d’un acte criminel ou, si elle a été déclarée coupable d’un acte criminel, elle a obtenu sa réhabilitation par la voie du système judiciaire canadien;
d) elle réside sur la réserve indienne de la Nation crie de Samson no 137 ou sur la réserve indienne de Pigeon Lake no 138A, ou dans un rayon de 100 kilomètres des frontières de l’une ou l’autre de ces réserves, durant une période d’au moins six (6) mois immédiatement avant l’élection.
[33]
Rien n’indique que la violation de l’article 4.1 entraîne l’inéligibilité d’un candidat. Aucune des conditions énoncées à l’article 3.1 ne porte sur la conduite d’un candidat durant la campagne électorale, qui fait plutôt l’objet de dispositions distinctes de la loi électorale. L’affaire Gadwa n’aide pas la Nation crie de Samson à cet égard.
[34]
Je note également que le comité n’a pas conclu que la violation de l’article 4.1 par M. Yellowbird avait influé de quelque façon que ce soit sur le résultat de l’élection. En fait, le détour par l’éligibilité qu’a emprunté le comité donne plutôt à penser que celui-ci n’a justement pas été en mesure d’arriver à cette conclusion. Quoi qu’il en soit, étant donné que le comité a conclu à l’absence de manœuvres frauduleuses, il est difficile d’imaginer comment la conduite de M. Yellowbird aurait pu influer sur l’issue de l’élection.
[35]
Ainsi, aucun des motifs énoncés à l’article 20.1 pour contester les résultats d’une élection ne s’appliquait au cas de M. Yellowbird. Le libellé de l’article 20.7 ne vise pas à élargir les catégories de cas où une nouvelle élection peut être déclenchée. En effet, en concluant que M. Yellowbird était inéligible, le comité a implicitement reconnu qu’il devait faire cadrer la situation avec l’une des catégories prévues à l’article 20.1. L’alinéa 20.7b) permet simplement au comité de déclarer qu’une disposition de la loi électorale a été violée, même si la violation n’entraîne pas le déclenchement d’une nouvelle élection.
[36]
La Nation crie de Samson affirme que toute violation de la loi électorale peut influer sur le résultat de l’élection et entraîner le déclenchement d’une nouvelle élection. Autrement, les violations de la loi électorale resteraient impunies, ce qui serait injuste pour les candidats ayant respecté scrupuleusement la loi électorale. De plus, le fait qu’il est intrinsèquement difficile de démontrer comment une violation a influé sur le résultat de l’élection justifie, selon la Nation crie de Samson, une présomption de compromission du résultat.
[37]
Il est vrai que la loi électorale ne prévoit pas de sanctions pécuniaires ou autres pour les infractions qui n’ont pas influé sur le résultat d’une élection. Néanmoins, l’alinéa 20.7b) habilite le comité à déclarer une plainte fondée sans ordonner la tenue d’une nouvelle élection. Ce faisant, le comité signale qu’il désapprouve la conduite d’un candidat, ce qui constitue une forme de sanction. Le fait que la Nation crie de Samson juge maintenant souhaitable d’imposer des conséquences plus graves pour de telles infractions ne permet pas à la Cour, ou au comité, de réécrire la loi électorale de manière à prévoir un éventail plus large de sanctions. En bref, pour les infractions à la loi électorale, la réparation présumée n’est pas le déclenchement d’une nouvelle élection.
[38]
Pour résumer, même si je reconnais que la Cour doit faire preuve de retenue à l’égard des comités d’appel en matière d’élections, je dois néanmoins être convaincu que la décision du comité tient compte des contraintes juridiques pertinentes : Vavilov, aux paragraphes 101, 108 et 120. En l’espèce, le libellé et la structure des dispositions pertinentes de la loi électorale constituent des arguments incontestables établissant une contrainte juridique dont le comité devait tenir compte. Ils servent d’« argument massue »
contre le raisonnement du comité : Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1251, [2020] 2 RCF 3. Comme l’a indiqué la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov, au paragraphe 121, « [i]l incombe au [comité] de véritablement s’efforcer de discerner le sens de la disposition et l’intention du législateur, et non d’échafauder une interprétation à partir du résultat souhaité »
.
[39]
Compte tenu de ce qui précède, je n’ai pas besoin de me prononcer sur la question de savoir si le comité a agi de façon raisonnable en décidant de tenir seulement une élection partielle pour combler le siège de M. Yellowbird et d’empêcher celui-ci de s’y présenter.
III.
Mesure de réparation
[40]
Étant donné que la décision du comité est déraisonnable, je dois l’annuler.
[41]
Lorsque la Cour annule une décision, l’affaire est habituellement renvoyée au décideur administratif : Vavilov, aux paragraphes 139-142. Ce faisant, la Cour reconnaît que, selon le cadre législatif applicable, la responsabilité première de la prise de décision ne lui appartient pas. Néanmoins, « [l]e refus de renvoyer l’affaire au décideur peut s’avérer indiqué lorsqu’il devient évident aux yeux de la cour, lors de son contrôle judiciaire, qu’un résultat donné est inévitable, si bien que le renvoi de l’affaire ne servirait à rien »
: Vavilov, au paragraphe 142.
[42]
À mon avis, le comité ne peut raisonnablement conclure que la violation de l’article 4.1 par M. Yellowbird pourrait avoir influé sur le résultat de l’élection. Le comité a conclu qu’il n’y avait aucun élément de preuve à l’appui de manœuvres frauduleuses. Cette conclusion écarte toute possibilité que M. Yellowbird ait agi dans le but d’influer indûment sur l’issue de l’élection. De plus, comme je l’ai mentionné précédemment, la conclusion du comité selon laquelle la violation de l’article 4.1 a rendu M. Yellowbird inéligible donne fortement à penser que le comité n’a été en mesure de trouver aucun élément appuyant la proposition selon laquelle les résultats pouvaient avoir été compromis. À l’audience, lorsqu’il a été interrogé sur ce point, l’avocat de la Nation crie de Samson a simplement affirmé que toute violation de la loi électorale pouvait influer sur le résultat d’une élection. Cette affirmation fait cependant abstraction d’une partie de l’alinéa 20.1c). Finalement, il n’y a rien au dossier qui permet au comité de conclure que le résultat de l’élection pourrait avoir été compromis. Ainsi, « il ne servirait à rien »
de renvoyer l’affaire au comité.
[43]
Par conséquent, l’élection de M. Yellowbird est valide et l’élection partielle subséquente est invalide. M. Yellowbird doit être réintégré dans son poste. Il n’a pas demandé d’autres déclarations précises à cet égard et je suis convaincu que la Nation crie de Samson agira en conséquence.
[44]
M. Yellowbird réclame des dépens avocat-client. Dans la décision Whalen c Première Nation no 468 de Fort McMurray, 2019 CF 1119, j’ai expliqué que les dépens avocat-client peuvent être ordonnés dans le cas d’une conduite « répréhensible, scandaleuse ou outrageante »
d’une partie ou lorsque l’affaire soulève des questions d’intérêt public. Je ne suis pas convaincu que la présente affaire s’inscrit dans l’une ou l’autre de ces catégories. Compte tenu des circonstances et de la charge de travail qui est habituellement requise dans ce genre de dossier, j’adjuge des dépens d’un montant global de 5 000 $.
JUGEMENT dans le dossier T-936-20
LA COUR ORDONNE :
1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.
2. La décision rendue le 11 août 2020 par le comité des appels en matière d’élections de la Nation crie de Samson à l’égard de l’élection du demandeur est annulée.
3. Le demandeur a été validement élu conseiller de la Nation crie de Samson le 28 juillet 2020.
4. L’élection partielle tenue le 18 août 2020 est invalide.
5. Les dépens d’un montant global de 5 000 $, taxes et débours compris, sont adjugés au demandeur.
« Sébastien Grammond »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
|
DOSSIER :
|
T-936-20
|
|
INTITULÉ :
|
SHAY YELLOWBIRD c LA NATION CRIE DE SAMSON
|
||
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE OTTAWA (ONTARIO) ET EDMONTON (ALBERTA)
|
||
DATE DE L’AUDIENCE :
|
LE 2 MARS 2021
|
||
JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LE JUGE GRAMMOND
|
||
DATE DES MOTIFS :
|
LE 8 MARS 2021
|
||
COMPARUTIONS :
Arman Chak
|
POUR LE DEMANDEUR
|
Tibor Osvath
Brooke Barrett
|
POUR LA DÉFENDERESSE
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Forensic Law
Avocats
Edmonton (Alberta)
|
POUR LE DEMANDEUR
|
Rae and Company
Avocats
Calgary (Alberta)
|
POUR LA DÉFENDERESSE
|