Date : 20030224
Dossier : T-2038-01
Ottawa (Ontario), le lundi 24 février 2003
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE GIBSON
ENTRE :
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
demandeur
et
JOHN L. BANNERMAN
défendeur
ORDONNANCE
La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision ici en cause est infirmée.
Aucune ordonnance n'est rendue au sujet des dépens.
« Frederick E. Gibson »
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
Date : 20030224
Dossier : T-2038-01
Référence neutre : 2003 CFPI 208
ENTRE :
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
demandeur
et
JOHN L. BANNERMAN
défendeur
INTRODUCTION
[1] Ces motifs découlent d'une demande de contrôle judiciaire présentée par le procureur général du Canada (le demandeur) à la suite d'une décision d'un tribunal de révision (le Tribunal) établi en vertu de l'article 82 du Régime de pensions du Canada[1]. La décision du Tribunal qui est ici examinée est datée du 18 octobre 2001; elle se termine par le paragraphe suivant :
[TRADUCTION] L'article 32 de la LSV [la Loi sur la sécurité de la vieillesse] prévoit que la personne qui s'est vu refuser, par suite d'une erreur administrative, une prestation à laquelle elle avait droit peut être replacée dans la situation où elle serait s'il n'y avait pas eu faute de l'administration. Le Tribunal déclare et conclut que le ministre et lui ont pareil pouvoir de réparation tel que le prévoit l'article 32 et que, eu égard aux circonstances, l'appelant John [Bannerman] devrait se voir remettre le montant de 900 $ qui a été déduit de sa prestation.[2]
[2] Le défendeur, John L. Bannerman (M. Bannerman), n'a pas déposé de documents dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire. Il agissait pour son propre compte.
HISTORIQUE
[3] La demande de M. Bannerman et de sa conjointe, en date du 22 février 1998, visant l'obtention de paiements au titre du supplément de revenu garanti (le SRG) devant commencer à être versés au mois d'avril 1998 a été agréée et ils ont chacun commencé à recevoir des paiements au titre du SRG ce mois-là. À la fin de l'année 1998 ou au début de l'année 1999, la conjointe de M. Bannerman a reconnu que, depuis le 1er juin 1993, elle touchait une pension de retraite qui n'avait pas antérieurement été déclarée[3]. Le montant accordé à M. Bannerman et à sa conjointe au titre du SRG a donc été réduit, la réduction devant prendre effet rétroactivement au mois d'avril 1998. Les fonctionnaires ont conclu que la réduction résultait d'un versement excédentaire fait à M. Bannerman depuis le mois d'avril 1998, le montant y afférent s'élevant à 900 $, et dans le cas de sa conjointe, à 660 $.
[4] La conjointe de M. Bannerman est décédée le 25 février 1999.
[5] Les renseignements relatifs aux versements excédentaires faits à M. Bannerman et à sa conjointe ont été communiqués à M. Bannerman au moyen d'une lettre en date du 11 février 2000. La lettre était en partie ainsi libellée :
[TRADUCTION] Nous vous prions d'envoyer un chèque ou un mandat de 900 $, payable au receveur général du Canada, pour vous-même; quant à la demande qui est faite à la succession de feue Mme Lore Bannerman, le montant en cause est de 660 $. Si nous ne recevons pas le plein montant, nous procéderons au recouvrement mensuel d'une somme de 50 $ à déduire du nouveau montant auquel vous avez droit, et ce, tant que la dette ne sera pas entièrement remboursée. Le recouvrement commencera au mois de mars 2000.[4]
La lettre indiquait que, si M. Bannerman se croyait lésé par la décision, il pouvait demander la révision de la décision dans les 90 jours qui suivaient la date à laquelle il avait reçu la lettre, cette demande devant être faite par écrit; la lettre indiquait en outre l'adresse à laquelle une demande pouvait être envoyée.
[6] M. Bannerman a demandé la révision, mais chose étrange, selon les documents dont dispose la Cour, uniquement à l'égard du versement excédentaire de 660 $ qui était demandé à la succession de sa conjointe. Par suite de la révision, la décision relative au versement excédentaire réclamé à la succession de feue Mme Bannerman a été confirmée.
[7] La décision relative à la demande de révision a fait l'objet d'un appel devant un tribunal de révision, d'où la décision ici en cause.
RÉGIME LÉGISLATIF RELATIF À LA RÉVISION ET AUX APPELS
[8] Les paragraphes 27.1(1) et 28(1) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse[5] sont ainsi libellés :
27.1 (1) La personne qui se croit lésée par une décision de refus ou de liquidation de la prestation prise en application de la présente loi peut, dans les quatre-vingt-dix jours suivant la notification de la décision, selon les modalités réglementaires, ou dans le délai plus long que le ministre peut accorder avant ou après l'expiration du délai de quatre-vingt-dix jours, demander au ministre, selon les modalités réglementaires, de réviser sa décision.
[...] |
|
27.1 (1) A person who is dissatisfied with a decision or determination made under this Act that no benefit may be paid to that person, or respecting the amount of any benefit that may be paid to that person, may, within ninety days after the day on which the person is notified in the prescribed manner of the decision or determination, or within such longer period as the Minister may either before or after the expiration of those ninety days allow, make a request to the Minister in the prescribed form and manner for a reconsideration of that decision or determination.
... |
|
|
|
28. (1) L'auteur de la demande prévue au paragraphe 27.1(1) qui se croit lésé par la décision révisée du ministre - ou, sous réserve des règlements, quiconque pour son compte - peut appeler de la décision devant un tribunal de révision constitué en application du paragraphe 82(1) du Régime de pensions du Canada.
[...] |
|
28. (1) A person who makes a request under subsection 27.1(1) and who is dissatisfied with the decision of the Minister in respect of the request, or, subject to the regulations, any person on their behalf, may appeal the decision to a Review Tribunal under subsection 82(1) of the Canada Pension Plan.
... |
|
|
|
LA DÉCISION SOUMISE À L'EXAMEN DE LA COUR
[9] Dans ses motifs de décision, le Tribunal a fait comme suit l'historique de l'appel dont il était saisi et a expliqué son raisonnement lorsqu'il s'était agi de déterminer qu'il avait compétence à l'égard du versement excédentaire de 900 $ fait à M. Bannerman :
[TRADUCTION] Au mois de mai 2001, l'administration a conclu que la somme de 660 $ n'était pas recouvrable dans un avenir immédiat et elle a fait remise de ladite somme, en informant [M. Bannerman] de la chose en conséquence.
Quant au versement excédentaire de 900 $ qui a été fait à [M. Bannerman], l'administration n'a pas fait remise, mais elle a procédé au recouvrement d'une somme mensuelle de 50 $ à valoir sur sa prestation, à compter du mois d'avril 2000. Au mois d'août 2001, l'administration avait « recouvré » le montant de 900 $ au complet.
Par une lettre en date du 28 août 2001, l'administration a informé [M. Bannerman] que bien que l'on eût fait remise de la dette [de sa conjointe], si la succession recevait en fait de l'argent, l'administration accepterait encore le remboursement du « versement excédentaire » de 660 $. L'administration fait savoir que si sa situation financière changeait, cela ne voudrait pas dire qu'elle chercherait à obtenir un remboursement de sa part.
[M. Bannerman] a formellement interjeté appel à l'égard du « versement excédentaire » de 660 $ effectué [à sa conjointe], mais il n'a pas formellement interjeté appel à l'égard du « versement excédentaire » de 900 $ qui lui avait été fait.
[...]
En témoignant devant le Tribunal, [M. Bannerman] a dit que, pendant toute la période pertinente, il ne savait pas que [sa conjointe] avait reçu une pension de l'Allemagne, de sorte qu'il n'aurait pas dû être tenu responsable, à l'égard du montant de 660 $ « payé en trop » à celle-ci et que, dans ces conditions, l'administration devrait lui remettre la somme de 900 $ qu'elle avait déduite de sa prestation. Il a en outre témoigné avoir, dans chaque demande, correctement déclaré son revenu.
[...]
Même si [M. Bannerman] avait formellement interjeté appel contre la décision selon laquelle la succession [de sa conjointe] était tenue de rembourser un versement excédentaire de 600 $ [sic] qui avait été fait au titre du SRG, le représentant du ministre a informé le Tribunal que le versement excédentaire n'était plus en litige en ce sens qu'on avait fait remise.
Toutefois, en comparaissant devant le Tribunal, [M. Bannerman] a soulevé la question du « versement excédentaire » de 900 $ qui lui avait été fait. Même si [M. Bannerman] n'a pas formellement interjeté appel contre la décision du ministre d'exiger qu'il rembourse la somme de 900 $, le Tribunal est d'avis que la demande que [M. Bannerman] a faite pour que le montant de 900 $ qui avait été déduit de sa prestation lui soit remis est une demande qui en fait constitue un appel de la décision du ministre. Les demandes présentées par [M. Bannerman et par sa conjointe] à l'égard des prestations relatives au SRG ont toujours été des demandes conjointes. Chaque demande était fondée sur le revenu familial combiné pour toute année visée par une demande. Les prestations que chacun touchait étaient déterminées compte tenu de ces demandes conjointes. Tout changement, dans les demandes conjointes, s'appliquait aux deux demandeurs. Par conséquent, tout changement, dans la demande se rapportant aux prestations versées entre le mois d'avril 1998, et le mois de juin 1999, touchait tant [M. Bannerman] que [sa conjointe]. Cela étant, le Tribunal conclut qu'il a compétence pour examiner la demande que [M. Bannerman] a faite pour qu'on lui remette la somme de 900 $ étant donné qu'il s'agit d'un appel d'une décision ministérielle. En second lieu, le Tribunal assume sa compétence pour le motif que les dispositions législatives de la LSV doivent être interprétées libéralement. Pour assurer l'équité, la demande de [M. Bannerman] devrait être considérée comme un appel formel.[6]
[non souligné dans l'original]
LES POINTS LITIGIEUX
[10] L'avocate du demandeur a identifié trois (3) questions découlant de la demande de contrôle judiciaire. Ces questions sont énoncées comme suit dans le mémoire des faits et du droit du demandeur : il s'agit de savoir, premièrement, si le Tribunal a compétence à l'égard de la dette du défendeur; deuxièmement, à supposer qu'il ait compétence, si le Tribunal a excédé sa compétence en exerçant le pouvoir discrétionnaire conféré au ministre; et troisièmement, à supposer que le Tribunal puisse exercer ce pouvoir discrétionnaire à la place du ministre, s'il a exercé ce pouvoir de bonne foi.
[11] Je suis convaincu que le résultat, pour ce qui est des deuxième et troisième questions qui ont été identifiées, sera le même que pour la première question.
ANALYSE
Le tribunal a-t-il excédé sa compétence?
[12] Comme il en a ci-dessus été fait mention, le Tribunal a reconnu que M. Bannerman n'avait pas demandé la révision par le ministre de la décision relative au versement excédentaire. Par conséquent, du moins selon le dossier mis à la disposition de la Cour, rien n'indique que la décision relative au versement excédentaire ait été révisée conformément au paragraphe 27.1(1) de la Loi.
[13] Le paragraphe 28(1) de la Loi est, j'en suis convaincu, clair et non équivoque : la présentation d'une demande de révision qui est faite en vertu du paragraphe 27.1(1) de la Loi et le prononcé d'une décision, à la suite de la demande de révision, sont des conditions de l'existence d'un droit d'appel devant un tribunal de révision. De fait, seule une décision rendue à la suite d'une demande de révision peut faire l'objet d'un appel devant un tribunal de révision. Autrement dit, il n'existe aucun droit direct d'appel d'une décision initiale sans que cette décision ait au préalable été soumise pour révision et sans qu'une décision découlant de cette demande ait été obtenue.
[14] Essentiellement, je suis convaincu que le Tribunal de révision dont la décision est ici en cause n'a pas tenu compte du régime législatif qui établissait sa compétence et qu'il s'est attribué le rôle que possédait le ministre en vertu du paragraphe 27.1(1) de la Loi. Or, le Tribunal de révision n'était pas autorisé à le faire.
[15] Je reviens aux deux (2) dernières phrases des paragraphes précités tirés des motifs de la décision du Tribunal. Le Tribunal parle d'un [TRADUCTION] « [...] appel d'une décision ministérielle » . Comme je viens de le dire, il n'existe aucun droit d'appel devant un tribunal de révision à l'encontre d'une décision ministérielle; pareil droit n'existe qu'à l'égard d'une révision ministérielle. Le Tribunal dit ensuite que les dispositions législatives doivent être [TRADUCTION] « interprétées libéralement » et il invoque [TRADUCTION] l' « équité » pour justifier le fait qu'il a assumé sa compétence. Avec égards, ni une interprétation libérale d'une loi ni l' « équité » ne permettent d'omettre de tenir compte du libellé clair et non équivoque de la loi elle-même.
[16] Compte tenu de la brève analyse qui a ci-dessus été faite, je suis convaincu que le Tribunal, en assumant sa compétence à l'égard du versement excédentaire qui a été fait à M. Bannerman, a excédé sa compétence et que, sans apparence de droit, il a assumé la compétence conférée au ministre. La décision ici en cause doit donc être infirmée. Étant donné cette conclusion, les deuxième et troisième questions qui ont été identifiées pour le compte du demandeur ne se posent tout simplement pas.
CONCLUSION
[17] La demande de contrôle judiciaire sera accueillie. La décision du Tribunal de révision sera infirmée.
[18] Le demandeur ne sollicite pas les dépens. Aucune ordonnance ne sera rendue au sujet des dépens.
POST-SCRIPTUM
[19] Devant la Cour, l'avocate du demandeur a fait remarquer qu'en vertu des dispositions du paragraphe 27.1(1) de la Loi, M. Bannerman peut encore demander la révision de la décision relative au versement excédentaire qui lui a été fait, dans la mesure où cette demande est faite « [...] selon les modalités réglementaires [...] » et où elle est accompagnée d'une demande de prorogation du délai imparti aux fins de la présentation de pareille demande. Je ne doute aucunement que, si M. Bannerman choisissait de suivre cette voie, les fonctionnaires du ministère du Développement des ressources humaines seraient prêts à l'aider en veillant à ce que sa demande de révision et de prorogation de délai soit faite « [...] selon les modalités prescrites [...] » .
[20] À supposer que le ministre puisse consentir à une prorogation de délai à la lumière des circonstances plutôt étranges de l'affaire, une décision serait rendue au sujet de la révision. Si M. Bannerman se croyait lésé par cette décision, il serait alors en mesure d'en appeler de la décision devant un tribunal de révision, et ce n'est qu'en pareil cas qu'il pourrait le faire.
[21] Devant moi, M. Bannerman s'est plaint de n'avoir bénéficié d'aucune aide lorsqu'il a tenté [TRADUCTION] d' « obtenir justice » . La situation à laquelle il fait face est peut-être complexe, mais elle n'est certainement pas unique en son genre. Il n'incombe qu'à lui de déterminer s'il poursuivra l'affaire; cela n'exige pas une compréhension de dispositions législatives complexes.
« Frederick E. Gibson »
Juge
Ottawa (Ontario),
le 24 février 2003.
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-2038-01
INTITULÉ : LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
c.
JOHN L. BANNERMAN
LIEU DE L'AUDIENCE : EDMONTON (ALBERTA)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 11 FÉVRIER 2003
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : MONSIEUR LE JUGE GIBSON
DATE DES MOTIFS : LE 24 FÉVRIER 2003
COMPARUTIONS :
Mme Nathalie Archambault POUR LE DEMANDEUR
M. John L. Bannerman (agissant pour son compte) POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
M. Morris Rosenberg POUR LE DEMANDEUR
Sous-procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)
Sans objet POUR LE DÉFENDEUR