Date : 20030228
Dossier : IMM-1796-02
Référence neutre : 2003 CFPI 260
Ottawa (Ontario), le 28 février 2003
EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE SNIDER
ENTRE :
GAMEL ABDUL
demandeur
et
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision, rendue en date du 20 mars 2002, par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que Gamel Abdul (le demandeur) n'était pas un réfugié au sens de la Convention.
Les faits
[2] Le demandeur est citoyen du Ghana. Il a d'abord prétendu auprès de la Commission être une personne qui craignait avec raison d'être persécutée par les autorités du Ghana du fait de ses opinions politiques.
[3] Le demandeur a témoigné que, au cours des événements décrits, il a activement participé aux activités d'un parti d'opposition, le NPP (Nouveau parti patriotique), et qu'il a travaillé en tant que coordonnateur des travaux pour Needs Care International, un organisme non gouvernemental qui aide les enfants de la rue.
[4] Après qu'il eut appris que des représentants officiels du gouvernement local s'étaient approprié les biens donnés par des donateurs étrangers aux enfants de la rue, le demandeur a signalé l'affaire à un journal et il a alors commencé à subir de la persécution. Il a prétendu qu'il avait été détenu à deux reprises, une première fois le 10 juin 1999 pendant une semaine et une deuxième fois le 15 septembre 1999 pendant une journée. À ces deux reprises, il a subi des agressions physiques et sexuelles.
[5] Le demandeur a témoigné qu'il devait se présenter quotidiennement au poste de police après avoir été libéré à la suite de sa première détention et qu'il a continué à se présenter au poste de police jusqu'au 28 septembre 1999, date de son entrevue pour l'obtention d'un visa canadien de visiteur (VCV). Il a en outre témoigné qu'après sa deuxième détention, le 15 septembre 1999, on lui a dit qu'il devait, avant la fin de la semaine qui suivait, faire des aveux et des excuses par écrit au journal local. Après qu'il eut obtenu son VCV le 29 septembre 1999, il s'est caché et il a quitté le Ghana le 10 octobre 1999 en utilisant un passeport authentique.
[6] Depuis le mois de décembre 2000, c'est le NPP qui forme le gouvernement du Ghana. Par conséquent, le demandeur a tenté d'obtenir de la Commission qu'elle examine la question de savoir s'il existait des raisons impérieuses qui justifiaient qu'il conserve le statut de réfugié au sens de la Convention suivant le paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 (la Loi).
La décision de la Commission
[7] La Commission a conclu, en se fondant sur ce qui suit, que le demandeur n'était pas crédible ou digne de foi :
· Il était invraisemblable que le demandeur ait continué à se présenter au poste de police après le 22 septembre 1999 compte tenu du fait qu'il avait été menacé de blessures s'il ne faisait pas des aveux par écrit avant cette date.
· Il était invraisemblable que le demandeur ait pu quitter l'aéroport en utilisant un passeport authentique si les autorités étaient soi-disant à sa recherche après le 28 septembre 1999.
· Le demandeur a témoigné que, lorsqu'il a téléphoné chez lui au Ghana après être arrivé au Canada, il a appris que son père et son frère s'étaient enfuis parce qu'ils étaient harcelés par des représentants officiels. Sa mère avait continué à vivre dans sa maison. Il était invraisemblable que sa mère soit restée chez elle alors que les autorités harcelaient la famille du demandeur pour savoir où il se trouvait.
[8] La Commission a en outre conclu que le demandeur n'était pas une personne qui craignait avec raison d'être persécutée. La preuve documentaire mentionne que le parti qui était auparavant au pouvoir a été défait par le NPP lors des élections présidentielle et législatives qui ont eu lieu en décembre 2000. Par conséquent, la Commission a conclu qu'il y avait moins qu'une simple possibilité que le demandeur soit la cible du NPP qui était au pouvoir.
[9] La Commission a en outre examiné la question de savoir s'il existait des raisons impérieuses qui justifiaient que le demandeur reste au Canada suivant le paragraphe 2(3) de la Loi. Ce paragraphe est rédigé comme suit :
(3) Une personne ne perd pas le statut de réfugié pour le motif visé à l'alinéa (2)e) si elle établit qu'il existe des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures de refuser de se réclamer de la protection du pays qu'elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée de crainte d'être persécutée.
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(3) A person does not cease to be a Convention refugee by virtue of paragraph (2)(e) if the person establishes that there are compelling reasons arising out of any previous persecution for refusing to avail himself of the protection of the country that the person left, or outside of which the person remained, by reason of fear of persecution. |
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La Commission a conclu qu'il n'existait pas de raisons impérieuses dans la présente affaire.
Analyse
[10] À mon avis, la présente demande devrait être accueillie. Mes motifs sont ci-après exposés.
Première question en litige : La conclusion quant à la crédibilité tirée par la Commission était-elle manifestement déraisonnable?
[11] Les conclusions de la Commission selon lesquelles le demandeur n'était pas crédible étaient au centre de la décision de la Commission, tant à l'égard de la prétention de la crainte d'être persécuté que le demandeur exprimait qu'à l'égard de la prétention qu'il existait des raisons impérieuses qui justifiaient qu'il conserve le statut de réfugié au sens de la Convention.
[12] Le demandeur a prétendu que la Cour peut annuler la décision de la Commission si au vu du dossier les conclusions qu'elle a tirées étaient abusives et si elle a tiré des inférences qui étaient déraisonnables compte tenu de la preuve (voir l'arrêt Sabaratnam c.Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 901 (C.A.)(QL)).
[13] La norme de contrôle appropriée en l'espèce a été très bien décrite dans l'arrêt Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1993] A.C.F. no 732 (C.A.) (QL), dans lequel la Cour d'appel fédérale a déclaré au paragraphe 4 :
Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. [...]
[14] La Commission a mis en doute la crédibilité du demandeur pour les trois motifs qui sont détaillés au paragraphe 7. Les conclusions de la Commission n'étaient fondées que sur l'invraisemblance du récit du demandeur.
[15] La Commission peut tirer des conclusions raisonnables en se fondant sur les invraisemblances, le bon sens et la rationalité et elle peut rejeter des éléments de preuve non contestés s'ils ne sont pas compatibles avec les probabilités qui touchent l'affaire dans son ensemble (voir les arrêts Aguebor, précité, et Shahamati c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 415 (C.A.) (QL)). Bien que la Commission puisse même rejeter des éléments de preuve non contestés, elle ne peut pas omettre de prendre en compte des éléments de preuve qui expliquent les incohérences apparentes et tirer alors une conclusion défavorable quant à la crédibilité (voir l'arrêt Owusu-Ansah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] A.C.F. no 442 (C.A.) (QL)). Dans les cas où la Commission conclut à un manque de crédibilité fondé sur des inférences, comprenant des inférences à l'égard de la vraisemblance de la preuve, la preuve doit appuyer les inférences (voir la décision Miral c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 254 (1re inst.) (QL)).
[16] En se fondant sur le témoignage du demandeur, la Commission a conclu qu'il était invraisemblable que le demandeur ait continué à se présenter au poste de police après le 22 septembre compte tenu du fait qu'il avait été menacé de blessures s'il ne faisait pas des aveux par écrit avant cette date. Les motifs sont rédigés comme suit :
Le tribunal constate que le demandeur prétend avoir continué de se présenter quotidiennement à la police jusqu'au 28 septembre 1999, malgré le fait qu'il avait jusqu'au 22 septembre 1999 pour signer des aveux et aucune preuve n'a été produite qui montrerait que le demandeur a connu des difficultés graves entre le 22 septembre 1999 et le 28 septembre 1999.
Le tribunal estime déraisonnable que le demandeur ait continué de se rapporter à la police après le 22 septembre 1999 alors qu'il prétend avoir été menacé s'il n'avait pas signé les aveux à la date prévue.
[17] Un examen de la transcription démontre que la Commission n'a jamais demandé au demandeur les raisons pour lesquelles il avait continué à se présenter au poste de police après que la date limite pour faire des aveux par écrit eut été passée. Compte tenu du fait que cette question était le coeur de la conclusion à l'égard de l'invraisemblance, la Commission aurait dû informer le demandeur de sa préoccupation à l'égard de cette invraisemblance.
[18] Même si la Commission n'a pas l'obligation d'informer le demandeur de chaque incohérence ou invraisemblance, elle doit, lorsque l'incohérence ou l'invraisemblance est au centre de la prétention, lui offrir la possibilité de donner des explications.
[19] À mon avis, la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a conclu qu'il était invraisemblable que le demandeur ait continué à se présenter au poste de police alors qu'elle ne lui a pas demandé les raisons pour lesquelles il avait continué à le faire.
[20] Le demandeur a en outre prétendu que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité de son récit à l'égard des allées et venues de ses parents. La Commission a déclaré ce qui suit :
Le demandeur a témoigné en disant qu'après son arrivée au Canada, il a téléphoné chez lui au Ghana en novembre 1999 et qu'il a alors appris que sa mère vivait encore dans la maison familiale, mais que son père et son frère étaient partis parce qu'ils étaient harcelés par des agents de sécurité qui voulaient savoir où il se trouvait.
Le tribunal estime invraisemblable que la mère du demandeur ait continué d'habiter chez elle alors que les autorités harcelaient la famille pour qu'elle leur dise où se trouvait le demandeur. Le tribunal en arrive à la conclusion que le témoignage du demandeur voulant que son père et son frère aient quitté la maison parce qu'ils étaient harcelés par les autorités n'est pas crédible ni digne de foi.
[21] Un examen de la transcription révèle que, bien qu'on ne lui ait pas demandé directement, le demandeur a effectivement donné une explication quant aux raisons pour lesquelles sa mère avait continué à vivre dans sa maison. La transcription mentionne ce qui suit :
[TRADUCTION]
PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : [...] Alors, on vous a dit que votre mère vivait toujours à la maison, mais votre père?
REVENDICATEUR : Il était parti et mon frère était aussi parti parce qu'ils étaient harcelés. Ma mère, étant donné qu'elle n'était pas en fait en très bonne santé, a probablement décidé qu'il ne servait à rien de se sauver.
[22] La Commission a complètement omis de mentionner cette explication dans ses motifs. Comme il l'a été mentionné précédemment, bien que la Commission puisse choisir de rejeter des éléments de preuve non contestés s'ils ne sont pas vraisemblables, elle ne peut pas omettre de prendre en compte des explications données à l'égard d'incohérences et tirer alors des conclusions défavorables quant à la crédibilité fondées sur ces incohérences (voir l'arrêt Owusu-Ansah, précité). Manifestement, la Commission a rejeté l'explication donnée, mais elle n'en a pas fait mention dans ses motifs. Elle a commis une erreur.
[23] Finalement, j'ai en outre des préoccupations relativement aux conclusions de la Commission à l'égard de la capacité du demandeur de quitter le Ghana en utilisant un passeport authentique. Je suis d'avis qu'il était manifestement déraisonnable pour la Commission de conclure qu'il était invraisemblable que le demandeur ait pu quitter le Ghana en utilisant un passeport authentique si les autorités le recherchaient. Il n'existe pas de preuve au dossier à l'égard de l'efficacité des policiers et du personnel de sécurité au Ghana et de la coordination de leurs activités. Le tribunal fait simplement une hypothèse selon laquelle le personnel de sécurité de l'aéroport et les autorités étaient capables de localiser à l'aéroport le demandeur qui était sur la liste des « personnes recherchées » du poste de police. Il n'existait simplement pas de preuve appuyant cette hypothèse. Lorsqu'un tribunal fonde ses conclusions quant à la crédibilité sur des inférences tirées à l'égard de l'invraisemblance, il doit exister des éléments de preuve appuyant ces inférences. La Commission ne disposait pas d'une telle preuve.
[24] Par conséquent, compte tenu de l'analyse précédemment faite, les conclusions défavorables quant à la crédibilité du demandeur qui ont été tirées ne peuvent pas être retenues.
La deuxième question en litige : La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a appliqué le paragraphe 2(3) de la Loi?
[25] Le demandeur a soumis que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a omis de fournir des motifs justifiant le rejet de la revendication du demandeur suivant le paragraphe 2(3) de la Loi. Le défendeur, par contre, a prétendu que la Cour a déclaré dans la décision Ogbebor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 770 (1re inst.)(QL), que la Commission devait, avant d'examiner une demande suivant cette disposition de la Loi, conclure qu'il y avait eu antérieurement de la persécution qui, n'eut été de la nouvelle situation, aurait conféré au demandeur le statut de réfugié au sens de la Convention.
[26] Je partage l'opinion selon laquelle l'existence de raisons impérieuses ne peut s'appuyer que sur de la persécution antérieure. Si la Commission conclut qu'il n'existe pas de preuve crédible ou digne de foi de l'existence de persécution antérieure, elle n'a même pas à prendre en compte le paragraphe 2(3). Toutefois, si la Commission conclut que le revendicateur est crédible, elle doit appliquer le critère approprié lors de l'examen du paragraphe 2(3).
[27] En l'espèce, étant donné que je suis d'avis que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a tiré ses conclusions quant à la crédibilité, la question de la persécution antérieure devrait être examinée à nouveau par un tribunal différemment constitué avant que la question de l'application du paragraphe 2(3) puisse être traitée. Une conclusion selon laquelle la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a tiré sa conclusion quant à la crédibilité ne signifie pas que le demandeur a effectivement subi antérieurement de la persécution. Seul un tribunal différemment constitué peut trancher la question de la persécution antérieure. Par conséquent, les prétendues erreurs de la Commission à l'égard du paragraphe 2(3) ne sont pas pertinentes tant qu'une conclusion appropriée quant à la crédibilité n'a pas été tirée.
[28] Pour conclure, je suis d'avis, en me fondant sur les erreurs commises par la Commission dans sa conclusion quant à la crédibilité, que la demande présentée par le demandeur devrait être accueillie et que l'affaire devrait être renvoyée à un tribunal différemment constitué afin qu'il statue à nouveau sur l'affaire.
[29] Les parties n'ont proposé aucune question aux fins de la certification.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
1. la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie;
2. aucune question n'est certifiée.
« Judith A. Snider »
Juge
Traduction certifiée conforme
Danièle Laberge, LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
Avocats inscrits au dossier
DOSSIER : IMM-1796-02
INTITULÉ : GAMEL ABDUL c. MCI
DATE DE L'AUDIENCE : Le 26 février 2003
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)
COMPARUTIONS :
A. Emeka Nwoko Pour le demandeur
Tamrat Gebeyehu Pour le défendeur
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
A. Emeka Nwoko Pour le demandeur
Avocat
4101, avenue Steeles Ouest, bureau 201
Toronto (Ontario) M3N 1V7
Téléphone : 416-663-5553
Télécopieur : 416-663-8555
Tamrat Gebeyehu Pour le défendeur
Ministère de la Justice
130, rue King Ouest, bureau 3400
C.P. 36
Toronto (Ontario) M5X 1K6
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