Date : 20210301
Dossiers : T‑477‑19
T‑512‑19
Référence : 2021 CF 148
[TRADUCTION FRANÇAISE]
St. John’s (Terre‑Neuve‑et‑Labrador), le 1er mars 2021
En présence de madame la juge Heneghan
Dossier : T‑477‑19
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ENTRE :
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SUNCOR ÉNERGIE INC.
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demanderesse
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et
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OFFICE CANADA – TERRE‑NEUVE‑ET‑LABRADOR DES HYDROCARBURES EXTRACÔTIERS
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défendeur
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Dossier : T‑512‑19
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ENTRE :
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SUNCOR ÉNERGIE INC.
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demanderesse
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et
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OFFICE CANADA – TERRE‑NEUVE‑ET‑LABRADOR DES HYDROCARBURES EXTRACÔTIERS
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS
(Jugement et motifs confidentiels rendus le 12 février 2021)
I.
INTRODUCTION
[1]
Suncor Énergie Inc. (la demanderesse) sollicite, en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’accès à l’information, LRC 1985, c A‑1 (la Loi), la révision de deux décisions distinctes de M. Trevor Bennett, coordonnateur de l’accès à l’information et gestionnaire de l’information et des ressources de l’Office Canada – Terre‑Neuve‑et‑Labrador des hydrocarbures extracôtiers (le défendeur, ou l’Office).
[2]
Dans le dossier T‑477‑19, la demanderesse sollicite la révision d’une décision du 27 février 2019 qui donnait communication d’une correspondance interne. Elle conteste la communication de ces documents en invoquant les paragraphes 19(1) et 24(1) et l’alinéa 20(1)b) de la Loi.
[3]
Dans le dossier T‑512‑19, la demanderesse sollicite la révision d’une décision du 5 mars 2019 qui donnait communication d’une correspondance interne portant sur un événement météorologique. Elle conteste la communication de ces documents en invoquant les paragraphes 19(1) et 24(1) et l’alinéa 20(1)b) de la Loi.
[4]
Dans le dossier T‑477‑19, la demanderesse sollicite les réparations suivantes :
a) la révision de la décision prise par M. Trevor Bennett, au nom de l’Office, dossier 11452‑019‑175, de communiquer, sous réserve de caviardages limités, les documents visés par la demande d’accès à l’information (les documents) qui renferment des renseignements de tiers et les renseignements personnels d’employés de la demanderesse;
b) une ordonnance annulant la décision de l’Office de donner communication des documents et enjoignant à l’Office de ne pas les communiquer;
c) subsidiairement à l’alinéa b) ci‑dessus, une ordonnance annulant la partie applicable de la décision et enjoignant à l’Office de ne pas communiquer les documents sans avoir caviardé tous les renseignements de tiers et les renseignements personnels de tous les employés de la demanderesse contenus dans les documents;
d) une ordonnance disposant que la présente instance se déroulera à huis clos, que la preuve produite sera traitée de manière confidentielle et sera scellée par la Cour et qu’elle sera retirée de la version publique du dossier de la Cour sauf nouvelle ordonnance de la Cour;
e) toute autre ordonnance ou réparation que la Cour estime juste, y compris l’adjudication des dépens à la demanderesse.
[5]
Dans le dossier T‑512‑19, la demanderesse sollicite les réparations suivantes :
a) la révision de la décision prise par M. Trevor Bennett, au nom de l’Office, dossier 11452‑019‑178, de communiquer, sous réserve de caviardages limités, les documents visés par la demande d’accès à l’information (les documents) qui renferment des renseignements de tiers et les renseignements personnels d’employés de la demanderesse;
b) une ordonnance annulant la décision de l’Office de donner communication des documents et enjoignant à l’Office de ne pas les communiquer;
c) subsidiairement à l’alinéa b) ci‑dessus, une ordonnance annulant la partie applicable de la décision et enjoignant à l’Office de ne pas communiquer les documents sans avoir caviardé tous les renseignements de tiers et les renseignements personnels de tous les employés de la demanderesse contenus dans les documents;
d) une ordonnance disposant que la présente instance se déroulera à huis clos, que la preuve produite sera traitée de manière confidentielle et sera scellée par la Cour et qu’elle sera retirée de la version publique du dossier de la Cour sauf nouvelle ordonnance de la Cour;
e) toute autre ordonnance ou réparation que la Cour estime juste, y compris l’adjudication des dépens à la demanderesse.
II.
LE CONTEXTE
[6]
Les faits exposés ci‑après sont tirés des affidavits produits par les parties, ainsi que des transcriptions de contre‑interrogatoires et du dossier du tribunal qui a été produit conformément à l’article 317 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles). Aucune ordonnance de confidentialité n’a été prononcée relativement aux présentes demandes, mais le défendeur a déposé une version publique et une version confidentielle du dossier du tribunal. Pour plus de prudence, le jugement et les motifs sont rendus sous le sceau de la confidentialité.
[7]
La demanderesse a produit, dans le dossier T‑477‑19, l’affidavit de M. Bob Hand, souscrit le 2 août 2019. Elle a aussi déposé, dans le dossier T‑512‑19, un affidavit souscrit par M. Hand le 2 août 2019.
[8]
Le défendeur a produit les affidavits de M. Bennett, tous deux souscrits le 30 août 2019, dans chacun des dossiers T‑477‑19 et T‑512‑19.
[9]
Monsieur Hand est conseiller commercial principal auprès de la demanderesse. Il expose la chronologie des événements et résume la correspondance entre les parties dans les deux demandes. Des copies de la correspondance en cause sont jointes en annexes à ses affidavits.
[10]
Dans son affidavit déposé à l’appui du dossier T‑477‑19, M. Hand déclare que le public a accès aux noms de ||||||||||||||||, ||||||||||||, ||||||||||||||||||, |||||||||||||||| et ||||||||||||||, ainsi qu’à leur rôle auprès de la demanderesse sur leurs profils LinkedIn.
[11]
Monsieur Hand ajoute que les profils LinkedIn ne donnent pas de détails sur leur travail ni ne font état de leur correspondance avec le défendeur. Des copies des profils LinkedIn sont annexées comme pièce L à son affidavit.
[12]
Dans l’affidavit qu’il a fourni à l’appui du dossier T‑512‑19, M. Hand déclare que le public a accès au nom de |||||||||||||||| et à son statut d’employé de la demanderesse sur son profil LinkedIn; cependant, il ajoute que sa correspondance avec le défendeur au nom de la demanderesse n’a pas été rendue publique. La pièce I de cet affidavit est une copie du profil LinkedIn de ||||||||||||||||||||
[13]
Dans ses affidavits, M. Bennett fait état de la correspondance entre les parties et explique comment il a effectué ses recherches sur Internet pour savoir si le public a accès aux noms et fonctions de personnes qui ne sont pas des employés de l’État. Il dit qu’il saisit le nom et la fonction dans « Google »
et regarde la première page de résultats. Il affirme avoir mené une telle recherche pour chacun des dossiers. Des copies des résultats de ses recherches sont jointes en annexes à ses affidavits.
[14]
Monsieur Bennett a été contre‑interrogé au sujet de ses affidavits le 27 septembre 2019.
[15]
En contre‑interrogatoire, M. Bennett a été interrogé sur son habitude consistant à faire des recherches sur Internet, ainsi que sur la manière dont il s’y prend pour établir si le public a accès aux renseignements. Il a confirmé, en contre‑interrogatoire, que ses recherches sur Google n’ont pas révélé que les employés de la demanderesse avaient eu des échanges avec le défendeur.
T-477-19
[16]
Le 20 décembre 2018, le défendeur a informé la demanderesse de l’existence d’une demande d’accès à l’information dans laquelle étaient demandés les renseignements suivants :
[traduction]
Tous les courriels échangés entre le président et directeur général Scott Tessier et le délégué à la sécurité Paul Alexander entre le 14 et le 21 novembre 2018 (inclusivement).
[17]
Le défendeur a joint à cette demande d'accès 12 pages de courriels intéressant la demande et a donné à la demanderesse l’occasion d’y réagir. Les courriels semblent concerner un événement météorologique et ses répercussions sur le fonctionnement de certains équipements.
[18]
La demanderesse lui a répondu, par lettre datée du 21 janvier 2019, que les documents, dans leur intégralité, ne devraient pas être communiqués. Elle y faisait les observations suivantes :
1) Les documents sont des pièces de correspondance fournies au défendeur conformément à la partie III de la Loi de mise en œuvre de l’Accord atlantique Canada –Terre‑Neuve‑et‑Labrador, LC 1987, c 3 (la Loi sur l’Accord). Selon la demanderesse, la correspondance est protégée conformément au paragraphe 24(1) de la Loi et au paragraphe 119(2) de la Loi sur l’Accord.
2) La demanderesse affirmait que les courriels non envoyés par Scott Tessier ou Paul Alexander n’étaient pas visés par la demande d'accès à l'information.
3) La demanderesse affirmait que la correspondance se trouvant dans les documents se rattachait à des renseignements fournis par la demanderesse que celle‑ci traitait de manière confidentielle et qui, selon l’alinéa 20(1)b), étaient donc soustraits à la communication.
4) La demanderesse ajoutait que les courriels contenaient des renseignements personnels à propos de ses employés et que ces renseignements ne devaient pas, selon le paragraphe 19(1) de la Loi, être communiqués.
[19]
Le défendeur lui a répondu, par lettre datée du 28 janvier 2019, que les courriels étaient tous visés par la demande d’accès. Il a aussi fait valoir qu’un refus général de communication ne se justifiait pas puisque l’objet des courriels avait été commenté dans les médias. Il joignait à sa lettre une copie des documents comportant de nouveaux éléments de caviardage :
1) À la page 1 des pièces jointes : le deuxième paragraphe du premier courriel daté du 14 novembre 2018, la deuxième moitié du deuxième courriel lui aussi daté du 14 novembre 2018, et les cinq premières phrases du troisième courriel daté du 13 novembre 2018.
2) À la page 2 des pièces jointes : les premier, deuxième et quatrième points du deuxième courriel daté du 14 novembre 2018.
3) À la page 3 des pièces jointes : les quatre premiers points d’un courriel daté du 14 novembre 2018, envoyé par Jill Mackey et portant sur le fonctionnement de propulseurs.
4) À la page 4 des pièces jointes : une partie de la première phrase d’un courriel daté du 15 novembre 2018 libellé ainsi : | |||||| ||||||||||||
5) À la page 5 des pièces jointes dans un courriel daté du 16 novembre 2018 : la première phrase, sauf les noms de |||||||||||||||||| et ||||||||||||, et la dernière phrase.
6) À la page 6 des pièces jointes : les lignes 1 à 10 du « message transféré » daté du 17 novembre à 12 h 33 PM, HNT et un numéro de téléphone à la page 2.
7) À la page 8 des pièces jointes : les troisième et quatrième phrases du courriel daté du 17 novembre 2018.
8) À la page 11 des pièces jointes : le troisième paragraphe du courriel daté du 20 novembre 2018.
[20]
Le défendeur a fait observer que le public avait accès à certains des renseignements, qui ont été rapportés dans les médias, et qu’ils étaient donc susceptibles de communication, et il a joint le reportage mentionné.
[21]
La demanderesse a répondu le 15 février 2019 et s’est opposée à la communication des segments suivants des courriels :
1) Page 1 de 196 : Selon la demanderesse, les deuxième et troisième courriels sur cette page n’avaient pas été échangés entre Scott Tessier et Paul Alexander et n’étaient pas visés par la demande d’accès. Elle ajoutait que le nom |||||||||||||||| devrait être caviardé parce qu’il s’agit d’un renseignement personnel.
2) Pages 3 et 4 de 196 : Selon la demanderesse, les deuxième et troisième courriels sur cette page proviennent de Jill Mackey et ne sont pas visés par la demande d'accès.
3) Page 37 de 196 : La demanderesse donnait au défendeur des renseignements concernant un RMT suivant la partie III de la Loi sur l’Accord. Ces renseignements sont protégés en vertu du paragraphe 119(2) de la Loi sur l’Accord. Selon le paragraphe 24(1) de la Loi, ils sont soustraits à la communication.
Selon la demanderesse, ces renseignements sont confidentiels et sont soustraits à la communication aux termes de l’alinéa 20(1)b) de la Loi.
La demanderesse ajoutait que les courriels contiennent les noms de deux employés, |||||||||||||||||| et ||||||||||||, et qu’ils sont soustraits à la communication aux termes du paragraphe 19(1).
4) Page 41 de 196 : Selon la demanderesse, seul le premier courriel avait été échangé entre Scott Tessier et Paul Alexander et que les trois autres n’étaient pas visés par la demande d’accès. Elle ajoutait que la référence à |||||||| est un renseignement personnel et qu’elle devrait être caviardée.
5) Page 45 de 196 : Les noms de |||||||||||| et |||||||||||||||| devraient être caviardés, car il s’agit de renseignements personnels.
6) Pages 104 et 105 de 196 : Le courriel n’est pas échangé entre Scott Tessier et Paul Alexander et ne relève pas de la demande d’accès. La demanderesse ajoutait que le nom |||||||||||||| devrait être caviardé, car il s’agit d’un renseignement personnel.
[22]
Dans sa lettre du 20 février 2019 en réponse à celle de la demanderesse, le défendeur a fait les observations suivantes :
1) Il confirmait que les courriels communiqués faisaient tous partie d’une chaîne de courriels entre Scott Tessier et Paul Alexander et que tous étaient visés par la demande d’accès.
2) Les noms de ||||||||||||||||||, ||||||||||||||||||, ||||||||||||||||, ||||||||||||, et |||||||||||||| seraient communiqués, parce que des recherches sur Google indiquent leurs postes au sein de la demanderesse.
3) Il acceptait de ne pas communiquer l’objet du courriel, à la page 37 de 196.
4) Les recherches sur Google pour ||||||||||||||||||, ||||||||||||, ||||||||||||||||||, |||||||||||||||| et |||||||||||||| étaient jointes.
[23]
Le 27 février 2019, le défendeur a informé la demanderesse de son intention de communiquer les dossiers le 19 mars 2019 à moins qu’un recours en révision ne soit exercé. Le défendeur a joint une copie des documents qu’il entendait communiquer, ajoutant que cette copie correspondait aux communications auxquelles avait consenti la demanderesse. Le défendeur a souligné à nouveau que, puisque les échanges avaient eu lieu avec le défendeur, les renseignements n’étaient pas de nature personnelle. En outre, puisque le public avait accès aux noms des employés de la demanderesse, ces noms seraient communiqués.
T-512-19
[24]
Le 1er février 2019, le défendeur a informé la demanderesse de l’existence d’une demande d'accès à l'information portant sur les renseignements suivants :
[traduction]
Je voudrais recevoir toute la correspondance depuis le 14 novembre entre Ressources naturelles Canada et Husky Energy et entre Ressources naturelles Canada et l’Office et portant sur la tempête du 15 novembre 2018 et sur le déversement d’hydrocarbures qui en a résulté.
[25]
Le défendeur a joint six pages de courriels se rapportant à la demande d’accès et intéressant la demanderesse, et il a donné à la demanderesse l’occasion d’y réagir.
[26]
La demanderesse a répondu le 20 février 2019. Elle s’est opposée à l’inclusion du nom de |||||||||||||||||||| car il s’agissait d’un renseignement personnel figurant à la page 5 des documents communiqués. Elle a fait valoir que l’échange entre |||||||||||| et le défendeur était protégé en application du paragraphe 119(2) de la Loi sur l’Accord. Cependant, la demanderesse a dit être disposée à accepter la communication de l’échange si le nom |||||||||||||| était caviardé.
[27]
Dans les segments contestés des documents, Scott Tessier évoque une conversation qu’il a eue avec ||||||||||||. La demanderesse a aussi fait aussi valoir que les renseignements figurant sur la dernière page des documents devaient être caviardés, afin de se conformer à la demande d'accès.
[28]
Le défendeur a répondu le 21 février 2019, affirmant que l’échange de Scott Tessier avec |||||||||||| n’était pas un renseignement fourni par la demanderesse et qu’il n’était donc pas protégé aux termes du paragraphe 119(2) de la Loi sur l’Accord. Le défendeur a consenti à caviarder les renseignements figurant sur la dernière page des documents.
[29]
Par correspondance datée des 22 et 26 février 2019, la demanderesse a fait savoir au défendeur que les renseignements, y compris les noms de ses employés qui avaient échangé avec le défendeur, étaient protégés suivant l’article 24 de la Loi, et qu’il n’importait pas que le public ait accès ou non aux renseignements.
[30]
La demanderesse n’a pas dit explicitement qu’elle s’opposait à la communication de renseignements sur le fondement du paragraphe 19(1) ou de l’article 20 de la Loi.
[31]
Le 5 mars 2019, le défendeur a remis à la demanderesse une copie détaillée des documents qu’il entendait communiquer. Il disait être en désaccord avec la demanderesse pour qui tout renseignement était protégé.
III.
LES ARGUMENTS DES PARTIES
A.
Les arguments de la demanderesse
[32]
La demanderesse soutient que les documents en cause dans les deux dossiers (T‑477‑19 et T‑512‑19) sont soustraits à la communication en vertu du paragraphe 19(1) et de l’alinéa 20(1)b) de la Loi.
[33]
Selon la demanderesse, le défendeur a erronément conclu que les noms et les coordonnées de ses employés n’étaient pas soustraits à la communication. Elle soutient que les circonstances de leur correspondance avec le défendeur, ou leur [traduction] « participation individuelle »
dans cette correspondance constituent des renseignements personnels qui sont soustraits à la communication en vertu du paragraphe 19(1) de la Loi.
[34]
S’appuyant sur l’arrêt Dagg c Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 RCS 403, la demanderesse dit que la définition de « renseignements personnels »
est large et que le droit à la vie privée l’emporte sur le droit d’accès à l’information.
[35]
La demanderesse s’appuie sur la décision Janssen‑Ortho Inc. c Canada (Ministre de la Santé), 2005 CF 1633, pour affirmer que la participation d’employés du secteur privé à la correspondance avec l’administration, en l’occurrence le défendeur, constitue des « renseignements personnels »
soustraits à la communication.
[36]
La demanderesse ajoute que rien ne permet de penser que la « participation individuelle »
des employés constitue un renseignement auquel le public a accès, au sens du paragraphe 19(2) de la Loi. À son avis, les recherches sur Internet effectuées par le défendeur révèlent des noms et un lien avec la demanderesse, mais non leur lien avec les documents, ni leur « participation individuelle »
dans des échanges avec le défendeur.
[37]
La demanderesse soutient ensuite que les renseignements que le défendeur se propose de communiquer réunissent les conditions prescrites pour être soustraits à la communication selon le critère énoncé dans la décision Air Atonabee Ltd. c Canada (Ministre des Transports), [1989] ACF no 453 (CF).
[38]
Dans les deux dossiers, T‑477‑19 et T‑512‑19, la demanderesse affirme que le défendeur a erronément conclu que le paragraphe 24(1) de la Loi ne s’applique pas aux parties concernées des documents.
[39]
La demanderesse affirme que les documents en cause contiennent des renseignements qui sont protégés par le paragraphe 119(2) de la Loi sur l’Accord. Selon elle, le paragraphe 24(1) de la Loi constitue une exception impérative à la communication par l’effet des dispositions énoncées à l’Annexe II de la Loi, qui comprend l’article 119 de la Loi sur l’Accord.
[40]
Dans les dossiers T‑477‑19 et T‑512‑19, la demanderesse soutient que tous les échanges entre elle et le défendeur concernant l’incidence d’un événement météorologique sur ses activités, y compris les échanges dans lesquels sont intervenus ses employés, ont eu lieu dans le cadre de la partie III de la Loi sur l’Accord et sont donc protégés en application du paragraphe 119(2) de la Loi sur l’Accord.
[41]
Elle soutient qu’aux termes du paragraphe 24(1) de la Loi, ces renseignements sont soustraits à la communication. Elle dit que, même si les documents en cause ont été rédigés par le défendeur et comprennent des renseignements fournis par elle, la protection s’applique à tous les renseignements, y compris à l’identité de ses employés.
B.
Les arguments du défendeur
[42]
Selon le défendeur, seuls les noms et coordonnées des employés de la demanderesse sont des renseignements personnels, et ce sont des renseignements auxquels le public a accès. Il soutient que la « participation individuelle »
d’un employé, c’est‑à‑dire le fait qu’un employé a correspondu avec le défendeur, ne constitue pas un « renseignement personnel »
, mais une communication de nature professionnelle, et non personnelle. Le défendeur soutient donc que l’exception à la communication, prévue au paragraphe 19(1) de la Loi, ne s’applique pas.
[43]
Il ajoute que le paragraphe 19(2) de la Loi lui confère le pouvoir discrétionnaire de communiquer les renseignements personnels auxquels le public a accès. Selon lui, seuls les noms et les coordonnées des employés de la demanderesse, qui figurent dans les documents, peuvent être qualifiés de « renseignements personnels »
, et le public a accès à ces renseignements.
[44]
Le défendeur soutient aussi que la décision Janssen‑Ortho, précitée, est un cas d’espèce qui ne s’applique pas dans la présente affaire.
[45]
S’agissant de la disposition invoquée par la demanderesse, à savoir l’alinéa 20(1)b) de la Loi, le défendeur dit que la demanderesse n’a pas démontré que les documents en cause contiennent des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques de nature confidentielle qui n’avaient pas déjà été caviardés.
[46]
Exprimant sa position dans les deux dossiers T‑477‑19 et T‑512‑19, le défendeur dit que, pour prétendre à la protection conférée par le paragraphe 119(2) de la Loi sur l’Accord, la demanderesse doit avoir fourni des renseignements au défendeur pour l’application des parties II ou III de la Loi sur l’Accord. Il soutient que, puisque les documents en cause consistent en une correspondance interne, ils n’ont pas été fournis par la demanderesse et ne sont pas visés par le paragraphe 119(2) de la Loi sur l’Accord.
[47]
Le défendeur ajoute, invoquant l’arrêt Canadian Forest Oil Ltd. c Chevron Canada Resources, [2000] ACF no 963 (CAF), qu’une [traduction] « protection générale »
pour tous les renseignements fournis par la demanderesse est injustifiée et ne cadre pas avec l’article 119 de la Loi sur l’Accord.
IV.
ANALYSE ET DISPOSITIF
[48]
La première question à trancher concerne la norme de contrôle applicable.
[49]
Dans leurs observations écrites initiales, les parties ont fait valoir que la question de savoir si les renseignements sont soustraits à la communication en vertu du paragraphe 19(1) et des alinéas 20(1)b) et d) de la Loi est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Elles s’appuient sur l’arrêt Canada (Commissariat à l’information) c Canada (Premier ministre), 2019 CAF 95.
[50]
Après l’audience, les parties ont eu le loisir de présenter d’autres observations sur la norme de contrôle, à la lumière de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, rendu par la Cour suprême du Canada. D’autres observations ont été déposées par le défendeur le 5 janvier 2021, et par la demanderesse le 15 janvier 2021.
[51]
L’arrêt Vavilov énonce la présomption selon laquelle c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique au contrôle des décisions administratives.
[52]
Cependant, dans le cas du recours en révision prévu à l’article 44 de la Loi, le législateur précise, à l’article 44.1, que la révision est effectuée de novo. L’article 44.1 dispose :
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[53]
Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême fait la distinction suivante, aux paragraphes 83, 116 et 124, entre l’examen de novo et le contrôle selon la norme de la décision raisonnable :
[83] Il s’ensuit que le contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable doit s’intéresser à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision. Le rôle des cours de justice consiste, en pareil cas, à réviser la décision et, en général à tout le moins, à s’abstenir de trancher elles‑mêmes la question en litige. Une cour de justice qui applique la norme de contrôle de la décision raisonnable ne se demande donc pas quelle décision elle aurait rendue à la place du décideur administratif, ne tente pas de prendre en compte l’« éventail » des conclusions qu’aurait pu tirer le décideur, ne se livre pas à une analyse de novo, et ne cherche pas à déterminer la solution « correcte » au problème. Dans l’arrêt Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117, la Cour d’appel fédérale a signalé que « le juge réformateur n’établit pas son propre critère pour ensuite jauger ce qu’a fait l’administrateur » : par. 28; voir aussi Ryan, par. 50‑51. La cour de révision n’est plutôt appelée qu’à décider du caractère raisonnable de la décision rendue par le décideur administratif — ce qui inclut à la fois le raisonnement suivi et le résultat obtenu.
[…]
[116] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable s’effectue différemment. Si une question d’interprétation législative fait l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la cour de révision ne procède pas à une analyse de novo de la question soulevée ni ne se demande « ce qu’aurait été la décision correcte » : Ryan, par. 50. Tout comme lorsqu’elle applique la norme de la décision raisonnable dans l’examen de questions de fait ou de questions concernant un pouvoir discrétionnaire ou des politiques, la cour de justice doit plutôt examiner la décision administrative dans son ensemble, y compris les motifs fournis par le décideur et le résultat obtenu.
[…]
[124] Enfin, même si la cour qui effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable ne doit pas procéder à une analyse de novo ni déterminer l’interprétation « correcte » d’une disposition contestée, il devient parfois évident, lors du contrôle de la décision, que l’interaction du texte, du contexte et de l’objet ouvre la porte à une seule interprétation raisonnable de la disposition législative en cause ou de l’aspect contesté de celle‑ci : Dunsmuir, par. 72‑76. Cette conclusion a été tirée notamment dans l’arrêt Nova Tube Inc./Nova Steel Inc. c. Conares Metal Supply Ltd., 2019 CAF 52, où, après avoir analysé le raisonnement du décideur administratif (par. 26‑61 (CanLII)), le juge Laskin a statué que l’interprétation de ce décideur était déraisonnable et, en outre, que les facteurs dont il a tenu compte militaient si fortement en faveur de l’interprétation contraire qu’elle constituait la seule interprétation raisonnable de la disposition en cause : par. 61. Comme nous l’expliquerons plus loin, il ne servirait à rien de renvoyer la question de l’interprétation au décideur initial en pareil cas. Par contre, les cours de justice devraient généralement hésiter à se prononcer de manière définitive sur l’interprétation d’une disposition qui relève de la compétence d’un décideur administratif.
[54]
La Cour suprême insiste sur la particularité d’un examen de novo, en précisant que la Cour « se met à la place »
du décideur initial et tranche elle‑même la question, sans nécessairement s’attacher à mesurer si la décision administrative est correcte.
[55]
Dans un contrôle selon la norme de la décision correcte, la Cour se demande si la décision administrative est « correcte »
.
[56]
Comme je l’ai fait remarquer plus haut, les tribunaux font de la décision correcte la norme de contrôle applicable aux décisions faisant intervenir le paragraphe 19(1) et l’alinéa 20(1)b) de la Loi. L’arrêt Vavilov, précité, enseigne que les cours de révision doivent appliquer la norme de la décision raisonnable, sauf dans certains cas restreints, par exemple lorsque les dispositions législatives applicables commandent l’application d’une norme de contrôle différente, qu’il s’agisse d’une révision selon la norme de la décision correcte ou d’un examen de novo.
[57]
Dans l’arrêt Vavilov, précité, la Cour suprême analyse aussi les différences entre la révision selon la norme de la décision correcte et l’examen de novo.
[58]
En l’espèce, les demandes sont présentées en application de l’article 44 de la Loi. L’article 44.1 dispose clairement que, dans un tel cas, la révision doit être effectuée de novo. Il n’est pas nécessaire, selon moi, d’en dire davantage sur les subtiles différences entre un examen de novo et une révision selon la norme de la décision correcte.
[59]
Selon les parties, l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 19(2) de la Loi est susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable. Je partage leur avis (voir la décision Commissaire à l’information du Canada c Canada (Ressources naturelles) 2014 CF 917).
[60]
Le paragraphe 19(1) de la Loi dispose :
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[61]
Le paragraphe 19(2) prévoit des exceptions à cette règle générale, dans certaines circonstances. Il est formulé ainsi :
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[62]
La Loi adopte la définition suivante de « renseignements personnels »
contenue à l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, c P‑21 (la LPRP) :
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[63]
Dans l’arrêt Canada (Commissaire à l’information) c Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), [2003] 1 RCS 66 (CSC), la Cour suprême du Canada privilégie une interprétation libérale de la définition « renseignements personnels »
.
[64]
Les renseignements en cause, à savoir les noms et titres de poste d’employés, sont clairement des « renseignements personnels »
. Ils répondent à la définition figurant dans la LPRP. Il en résulte que la vraie question à trancher est celle de savoir si ces renseignements devraient être communiqués, au titre du pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 19(2) de la Loi.
[65]
La demanderesse s’appuie sur la décision Janssen‑Ortho, précitée, pour affirmer que le défendeur a décidé à tort de communiquer des renseignements au sujet de la correspondance envoyée par ses employés au défendeur.
[66]
Dans la décision Janssen‑Ortho, précitée, la Cour fédérale a conclu que la communication de noms d’employés aurait pour effet de révéler des renseignements à leur sujet qui ne sont pas du domaine public, notamment le fait qu’ils avaient assisté à des réunions, écrit des lettres et réalisé des études sur la question de savoir si un médicament devait être retiré du marché. La demanderesse soutient que ces conclusions s’appliquent également à la communication de renseignements sur la correspondance entre ses employés et le défendeur.
[67]
Le défendeur rétorque qu’une distinction doit être établie avec la décision Janssen‑Ortho. Selon lui, les circonstances de la présente espèce ne sont pas sans rappeler celles de l’affaire Canada (Commissaire à l’information) c Canada (Bureau d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports), [2007] 1 RCF 203 (« Nav Canada »
). Aux paragraphes 54‑55 de sa décision, la Cour d'appel fédérale a conclu que les communications du BST ne constituaient pas des renseignements personnels parce que les documents étaient de nature professionnelle et que, même s’ils pouvaient permettre d’identifier un individu, ils ne contenaient pas de renseignements le concernant.
[68]
Dans l’arrêt Husky Oil Operations Limited c Office Canada – Terre‑Neuve‑et‑Labrador des hydrocarbures extracôtiers 2018 CAF 10, la Cour d'appel fédérale, analysant l’apparente contradiction entre la décision Janssen‑Ortho, précitée, et l’arrêt Nav Canada, précité, a jugé que les résultats différents pouvaient s’expliquer par la nature différente des renseignements en cause. La Cour d’appel fédérale a fait remarquer que, dans l’affaire Nav Canada, les documents étaient « purement de nature transactionnelle et informationnelle »
, tandis que les documents dont il s’agissait dans l’affaire Janssen‑Ortho révélaient « beaucoup plus de détails intimes concernant ces personnes, leur travail et leurs opinions »
.
[69]
Dans l’arrêt Husky, précité, la demande d’accès présentée portait notamment sur des renseignements géophysiques qui ne révélaient rien au sujet des employés nommément désignés, « hormis le fait que les demandes [avaient] été présentées dans le cadre de leur emploi »
.
[70]
La Cour d'appel fédérale a privilégié « une interprétation téléologique du concept de “renseignements personnels” »
et estimé que les noms et titres des employés de Husky contenus dans les documents demandés ne constituaient pas des renseignements personnels, car « les renseignements qui seraient transmis par les documents dans lesquels figurent les noms des employés ne révéleraient rien qui est intimement lié à leur vie privée et qu’ils auraient pu raisonnablement s’attendre à conserver pour eux‑mêmes »
.
[71]
Dans l’affaire Suncor Énergie Inc. c Office Canada – Terre‑Neuve‑et‑Labrador des hydrocarbures extracôtiers, 2018 CAF 11, les faits étaient semblables à ceux de l’affaire Husky, précitée, et à ceux de la présente espèce. Par la voix du juge de Montigny, la Cour d'appel fédérale a estimé que « les noms et les postes des employés de Suncor, de même que les renseignements révélant le rôle joué par les employés dans l’obtention, par Suncor, de certains renseignements géophysiques de l’Office »
ne répondaient pas à la définition de « renseignements personnels ».
[72]
Au paragraphe 19 de ce même arrêt Suncor Énergie, précité, le juge de Montigny a également conclu qu’il était raisonnable de la part de l’Office de communiquer les noms sur le fondement de l’alinéa 19(2)b) puisque le public avait accès aux noms et titres des employés sur LinkedIn. Selon la Cour d’appel fédérale, il appartenait à Suncor de démontrer que les documents révélaient davantage au sujet des employés que ce qui avait déjà été rendu public sur Internet.
[73]
S’exprimant au nom des juges majoritaires dans les arrêts Suncor Énergie et Husky, précités, la juge Gauthier a rejeté les appels parce que le public avait accès aux renseignements, conformément à l’alinéa 19(2)b), et que ni Suncor ni Husky n’avaient apporté la preuve que les renseignements que l’Office entendait communiquer excédaient les renseignements auxquels le public avait accès.
[74]
Dans la présente affaire, les documents révèlent les noms d’employés dans le contexte d’une correspondance avec le défendeur.
[75]
Selon moi, la correspondance entre un employé de la demanderesse et le défendeur était de nature transactionnelle et ne révélait pas de renseignements personnels, comme l’a expliqué la Cour d’appel fédérale dans les arrêts Nav Canada et Husky. Le fait que la demanderesse qualifie cette correspondance de « participation individuelle »
ne change pas la nature des renseignements et n’en fait pas des renseignements personnels.
[76]
Les parties reconnaissent que les noms et coordonnées des employés sont des renseignements personnels. Tous les employés de la demanderesse ont des profils LinkedIn publics indiquant leurs noms et leurs fonctions auprès de la demanderesse. La demanderesse reconnaît que le public a accès à ces renseignements.
[77]
À mon avis, dans ces conditions, et compte tenu de la jurisprudence applicable, le défendeur a raisonnablement exercé son pouvoir discrétionnaire lorsqu’il a conclu que le public avait accès aux renseignements figurant dans les documents, avec indication des noms des employés, et que ces renseignements ne sont donc pas soustraits à la communication. La correspondance adressée par l’employé au défendeur ne constitue pas un « renseignement personnel »
, et le défendeur n’a pas commis d’erreur quand il a décidé de communiquer ce renseignement, auquel le public a accès.
[78]
Dans les dossiers T‑477‑19 et T‑512‑19, la demanderesse affirme que les documents répondent au critère, énoncé dans la décision Air Atonabee, précitée, et qu’ils devraient être soustraits à la communication au titre de l’alinéa 20(1)b). Cet alinéa dispose :
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[79]
Dans les deux dossiers, la demanderesse soutient que les renseignements relatifs aux répercussions d’un événement météorologique sur ses activités, et contenus dans les documents que le défendeur se propose de communiquer sont des renseignements commerciaux très sensibles qu’elle traite de manière confidentielle. La demanderesse voudrait que ces renseignements soient soustraits à la communication au titre de l’alinéa 20(1)b) de la Loi.
[80]
Selon la décision Air Atonabee, précitée, et l’arrêt Merck‑Frosst Canada Ltée c Canada (Santé), 2012 CSC 3, [2012] 1 RCS 23, la demanderesse doit satisfaire aux quatre facteurs pour que le renseignement visé soit soustrait à la communication au titre de l’alinéa 20(1)b).
[81]
La demanderesse se fonde sur la décision Air Atonabee, précitée, pour faire valoir que, pour décider si les renseignements sont « confidentiels »
, la Cour doit tenir compte des facteurs suivants :
• le contenu du document est tel que les renseignements qu’il contient ne peuvent être obtenus de sources auxquelles le public a autrement accès, ou ne peuvent être obtenus par observation ou par étude indépendante par un simple citoyen agissant de son propre chef;
• les renseignements doivent avoir été transmis confidentiellement avec l’assurance raisonnable qu’ils ne seront pas divulgués;
• les renseignements doivent être communiqués, que ce soit parce que la loi l’exige ou parce qu’ils sont fournis [volontairement], dans le cadre d’une relation de confiance entre l’administration et la personne qui les fournit ou dans le cadre d’une relation qui n’est pas contraire à l’intérêt public, et la communication des renseignements confidentiels doit favoriser cette relation dans l’intérêt du public.
[82]
Le défendeur s’appuie sur la décision Air Atonabee, précitée, et la décision Bombardier Inc c Canada (Procureur général), 2019 CF 207, pour soutenir qu’il doit exister une attente raisonnable de confidentialité pour que les renseignements soient considérés comme confidentiels, ainsi qu’une preuve suffisante montrant que l’administration traite elle aussi les renseignements de façon confidentielle.
[83]
Le défendeur fait aussi valoir qu’il faut davantage que l’affirmation de la demanderesse selon laquelle celle‑ci considérait les renseignements comme confidentiels; les renseignements doivent avoir été traités de façon confidentielle par les deux parties et ne pas avoir été autrement communiqués. Le défendeur invoque à l’appui les décisions Air Atonabee et Janssen‑Ortho, précitées.
[84]
Une preuve doit être fournie pour s’acquitter du fardeau imposé par l’alinéa 20(1)b) de la Loi. À mon avis, la preuve présentée par la demanderesse est insuffisante. Dans les affidavits de M. Hand, et dans ses observations écrites et orales, la demanderesse affirme que les renseignements sont confidentiels, mais la preuve qu’elle a présentée ne le démontre pas.
[85]
La preuve montre par ailleurs que le public a déjà accès aux renseignements que le défendeur entend communiquer.
[86]
Comme je l’ai indiqué plus haut, la demanderesse revendique la protection des documents expurgés, en invoquant le paragraphe 24(1) de la Loi, ainsi formulé :
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[87]
L’annexe II, mentionnée au paragraphe 24(1) ci‑dessus, comprend le paragraphe 119(2) de la Loi sur l’Accord, ainsi formulé :
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[88]
Conformément au paragraphe 119(2) de la Loi sur l’Accord, les renseignements ou documents fournis au défendeur pour l’application de la partie II ou de la partie III de la Loi sur l’Accord sont protégés et nul ne peut, sciemment, les communiquer sans le consentement écrit de celui qui les a fournis, si ce n’est pour l’application de la Loi sur l’Accord. Le paragraphe 119(5) de la Loi sur l’Accord énumère plusieurs exceptions à la protection établie par le paragraphe 119(2).
[89]
Comme la Cour l’a indiqué dans la décision Hibernia Management & Development Co. Ltd c Office Canada – Terre‑Neuve‑et‑Labrador des hydrocarbures extracôtiers, 2012 CF 417, la protection en question dépend de la source des documents en cause.
[90]
Dans l’affaire Hibernia, des vérificateurs, et non la demanderesse Hibernia, avaient produit les documents en cause. La Cour fédérale n’a pas suivi la demanderesse, qui faisait valoir que les documents, produits à partir de renseignements provenant de ses sources, relevaient donc du paragraphe 119(2). Elle a estimé que les documents contenaient des conclusions et des observations de l’équipe de vérification et englobaient une liste de documents qui avaient été examinés, mais le rapport ne contenait aucun extrait d’entretiens avec des employés d’Hibernia. Les documents étant qualifiés d’« observations indépendantes »
, la Cour a jugé qu’ils n’étaient pas fournis par la demanderesse et ne bénéficiaient pas de la protection du paragraphe 119(2) de la Loi sur l’Accord.
[91]
Dans les présentes affaires, les documents en cause reproduisent des échanges internes entre les membres du personnel du défendeur. Certains des courriels renvoient à des renseignements fournis par la demanderesse, et quelques‑uns ont été caviardés par le défendeur. Selon moi, les courriels susceptibles de communication sont les pièces de correspondance entre les membres du personnel du défendeur et non produits par la demanderesse, et ils ne bénéficient donc pas de la protection du paragraphe 119(2) de la Loi sur l’Accord. Par conséquent, l’interdiction de communication établie par le paragraphe 24(1) de la Loi ne s’applique pas.
[92]
Si les documents destinés à être communiqués sont protégés par le paragraphe 119(2), ils ne doivent pas être communiqués sans le consentement de l’intéressé, si ce n’est pour l’application des parties II ou III de la Loi sur l’Accord, ou dans le cadre de procédures judiciaires s’y rapportant intentées à cet égard.
[93]
Selon la décision Husky Oil Operations Ltd. c Office Canada – Terre‑Neuve‑et‑Labrador des hydrocarbures extracôtiers, 2014 CF 1170, il existe une exception restreinte à la protection établie au paragraphe 119(2) de la Loi sur l’Accord, et cette exception requiert de tirer une conclusion de fait. En l’espèce, aucun argument ou aucun élément de preuve n’a été produit sur la question de savoir si la communication était requise pour l’application de la Loi sur l’Accord.
[94]
Se fondant sur la décision Husky Oil, la demanderesse soutient que la protection conférée par le paragraphe 119(2) de la Loi sur l’Accord s’étend au nom de la personne qui a fourni les renseignements. Elle dit que la protection conférée par le paragraphe 119(2) de la Loi sur l’Accord est semblable à celle qui est conférée par la Loi sur le Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports, LC 1989, c 3, qui protège [traduction] « les déclarations et les auteurs de telles déclarations »
(voir la décision Société Air France v Greater Toronto Airports Authority et al, 2010 ONSC 432).
[95]
Selon le défendeur, la présente espèce se distingue de l’affaire Husky Oil, précitée, parce que celle‑ci portait sur des documents fournis à l’Office par Husky Oil. Le défendeur dit aussi que, selon le paragraphe 69 de la décision Husky Oil, précitée, on ne peut inventer une exception à la communication. Il ajoute que le paragraphe 81 confirme son point de vue selon lequel il n’existe aucune [traduction] « protection générale universelle »
.
[96]
Selon moi, si les renseignements sont protégés, cette protection s’étend à l’auteur des renseignements et non à la demanderesse, directement ou indirectement.
V. DISPOSITIF
[97]
En conséquence, les noms et coordonnées de certains employés de la demanderesse, que le défendeur se propose de communiquer, sont des « renseignements personnels »
au sens du paragraphe 19(1) de la Loi. Cependant, le défendeur a eu raison de conclure qu’en consultant LinkedIn le public a accès à ces renseignements, au sens de l’alinéa 19(2)b) de la Loi, et il a eu raison d’exercer son pouvoir discrétionnaire de communiquer ces renseignements. Les observations de la demanderesse à propos d’une « participation individuelle »
ne changent pas la réalité de l’accès du public.
[98]
La demanderesse ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait d’établir son droit au bénéfice de l’exception prévue à l’alinéa 20(1)b) de la Loi, pour non‑communication des renseignements demandés.
[99]
La demanderesse n’a pas non plus montré qu’elle a droit au bénéfice de la protection conférée par le paragraphe 24(1) de la Loi.
[100]
Il n’y a aucune erreur donnant lieu à l’intervention de la Cour dans la manière dont le défendeur a donné suite aux demandes d’accès à l’information qui font l’objet des présentes demandes de révision. Les demandes de révision seront donc rejetées, avec dépens en faveur du défendeur.
JUGEMENT dans les dossiers T‑477‑19 et T‑512‑19
LA COUR statue que les demandes de révision sont rejetées, avec dépens en faveur du défendeur.
« E. Heneghan »
Traduction certifiée conforme
Linda Brisebois, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T‑477‑19
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INTITULÉ :
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SUNCOR ÉNERGIE INC c OFFICE CANADA – TERRE‑NEUVE‑ET‑LABRADOR DES HYDROCARBURES EXTRACÔTIERS
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DOSSIER :
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T‑512‑19
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INTITULÉ :
|
SUNCOR ÉNERGIE INC c OFFICE CANADA – TERRE‑NEUVE‑ET‑LABRADOR DES HYDROCARBURES EXTRACÔTIERS
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LIEU DE L’AUDIENCE :
|
ST. JOHN’S (TERRE‑NEUVE‑ET‑LABRADOR)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 12 AOÛT 2020
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LA JUGE HENEGHAN
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DATE DE LA VERSION CONFIDENTIELLE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :
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LE 12 FÉVRIER 2021
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DATE DE LA VERSION PUBLIQUE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :
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LE 1er MARS 2021
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COMPARUTIONS :
J. Alex Templeton
|
POUR LA demanderesse
|
Amy M. Crosbie
|
POUR LE défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
McInnes Cooper
Avocats
St. John’s (Terre‑Neuve‑et‑Labrador)
|
POUR LA demanderesse
|
Curtis Dawe
Avocats
St. John’s (Terre‑Neuve‑et‑Labrador)
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POUR LE défendeur
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