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Date : 20210226


Dossier : IMM-7710-19

Référence : 2021 CF 182

Ottawa (Ontario), le 26 février 2021

En présence de l’honorable monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

SAKINA DRIS

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA

CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Mme Sakina Dris, est une citoyenne algérienne âgée de 88 ans. Jusqu’à son arrivée au Canada en 2015, elle vivait seule en Algérie avec l’aide d’une assistante. Elle a une fille, Lamia, qui vit au Canada.

[2] Mme Dris rapporte qu’en avril 2015, elle a découvert que son assistante lui avait volé sa carte bancaire et qu’elle avait retiré de l’argent sans son autorisation. En mai 2015, la sœur de son assistante est venue chez la demanderesse et l’a menacée et maltraitée. Mme Dris déclare qu’elle avait l’intention de déposer une plainte à la police suite à cet incident. Néanmoins, elle n’a pas déposé une telle plainte croyant que la police ne la protégerait pas car elle était une vieille veuve.

[3] Lamia est retournée en Algérie pour aider sa mère en juin 2015. En examinant les comptes bancaires de sa mère, Lamia rapporte qu’elle a découvert que l’assistante de sa mère lui volait de l’argent depuis 2012. En août 2015, avec l’aide de Lamia, Mme Dris est arrivée au Canada et, en janvier 2016, elle a fait une demande d’asile.

[4] Il y a eu plusieurs audiences devant la Section de protection des réfugiés [SPR]. Lors de la première audience, Mme Dris a pu répondre aux questions de la SPR sans difficulté. Pourtant, après la première audience, Mme Dris a commencé à éprouver des difficultés à comprendre et à répondre aux questions, raison pour laquelle elle fut finalement déclarée comme « personne vulnérable » au sens de la Directive numéro 8 du président : Procédures concernant les personnes vulnérables qui comparaissent devant la CISR. La SPR lui a donc nommé un représentant. Après la déclaration de vulnérabilité, la plupart des détails à l’appui de la demande ont été fournis par sa fille Lamia.

[5] La SPR a rejeté la demande d’asile, déterminant que les témoignages de Mme Dris et de Lamia n’étaient pas crédibles, et que Mme Dris n’avait pas réfuté la présomption d’existence d’une protection de l’État. Le 28 novembre 2019, la Section d’appel des réfugiés [SAR] a confirmé la décision de SPR. En vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], Mme Dris conteste la décision de la SAR soutenant qu’elle est déraisonnable.

[6] Mme Dris, en raison de son âge et de ses difficultés cognitives mises en évidence au cours de son audience devant la SPR, mérite sans doute de la compassion. Malgré cela, je ne suis pas convaincu que la SAR a commis une erreur en concluant que Mme Dris n’était ni une réfugiée au sens de la Convention relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, 189 RTNU 137, ni une personne à protéger. Pour les motifs qui suivent, je conclus que la présente demande doit être rejetée.

II. La décision visée par le contrôle judiciaire

[7] La SAR a confirmé la décision de la SPR de rejeter la demande d’asile de la demanderesse. Comme la SPR, la SAR a conclu que les allégations liées à la demande n’étaient pas crédibles sur quatre points. Premièrement, la SAR n’a pas cru que Mme Dris avait réellement reçu des menaces de mort. Son récit contenu dans le formulaire de fondement de la demande d’asile [FDA] ne mentionnait pas une telle menace. De plus, le témoignage de Lamia quant aux menaces de mort provenant de la sœur de l’assistante de Mme Dris était basé uniquement sur ce que Mme Dris lui avait rapporté. Lamia a d’une part témoignée qu’elle avait demandé aux deux voleuses de rembourser l’argent qu’elles avaient volé, mais de l’autre qu’elle n’avait jamais parlé à l’assistante ni à sa sœur et que celles-ci ne répondaient pas aux appels téléphoniques.

[8] Deuxièmement, la SAR n’a pas cru qu’une plainte avait été déposée auprès de la police. La SAR était du même avis que la SPR déterminant que Lamia s’était contredite en témoignant initialement qu’elle avait parlé à la police, mais en témoignant par la suite qu’elle n’avait parlé qu’avec un membre de sa famille qui était un contact des policiers.

[9] Troisièmement, la SAR était en accord avec la SPR que, contrairement au témoignage de Lamia, l’assistante et sa sœur ne représenteraient pas une menace pour la demanderesse advenant son retour en Algérie.

[10] Quatrièmement, la SAR était en accord avec la conclusion de la SPR qu’il n’y avait pas assez de preuve crédible démontrant que la demanderesse n’aurait pas accès à des soins adéquats en Algérie. L’explication de Lamia quant à l’incapacité des frères de Mme Dris de l’aider en Algérie était non-crédible. De plus, Lamia a témoigné qu’elle financerait l’hébergement de la demanderesse en Algérie et la demanderesse n’a avancé aucune preuve pour démontrer que Lamia n’avait pas assez d’argent pour un tel arrangement.

[11] Devant la SAR, la demanderesse a allégué que la SPR n’a pas tenu suffisamment compte de la preuve documentaire. La SAR a rejeté cet argument, déterminant que la SPR avait raison de conclure que la preuve documentaire ne démontrait pas que les conditions de vie des personnes âgées en Algérie atteignaient le seuil nécessaire pour soutenir une crainte de persécution.

III. Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[12] Mme Dris soumet que la SAR a commis deux erreurs. Premièrement, la SAR a conclu de manière déraisonnable que la preuve relative aux menaces de mort de la sœur de son assistante n’était pas crédible. Deuxièmement, la SAR a commis une erreur dans l’appréciation de la preuve documentaire relative à l’absence de soins institutionnels adéquats pour les personnes âgées en Algérie.

[13] La norme de contrôle applicable pour une évaluation de la crédibilité est celle de la décision raisonnable (Mirzaee c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 FC 972 au para 46 [Mirzaee]). La même norme s’applique à l’examen de l’évaluation de la preuve documentaire par la SAR. Une décision sera raisonnable si elle est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti. » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 85).

IV. Question préliminaire : l’intitulé

[14] Dans la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté est nommé comme défendeur par erreur. Il faut modifier l’intitulé, puisque le défendeur devrait plutôt être le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (LIPR, art 4(1); Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, art 5(2)).

V. Analyse

A. Les conclusions de crédibilité de la SAR sont raisonnables

[15] Mme Dris soutient qu’elle et Lamia étaient des témoins crédibles quant aux menaces de mort. La demanderesse reconnait que, lors de son témoignage à la première audience devant la SPR, elle n’a pas spécifié qu’elle avait reçu des menaces de mort. Cependant, et contrairement à la conclusion de la SPR, Mme Dris avance qu’elle était confuse lors de la première audience : elle n’avait pas la mémoire des dates et elle avait des difficultés à expliquer les évènements. En conséquence, elle est d’avis qu’il était déraisonnable de tirer une conclusion négative quant à sa crédibilité du simple fait qu’elle aurait oublié de témoigner au sujet des menaces de mort, surtout que sa démence a été diagnostiquée un mois après ce témoignage. De plus, Mme Dris soutient qu’il était déraisonnable d’exiger que les menaces de mort soient corroborées par des preuves documentaires. Finalement, elle soumet qu’il est déraisonnable de rejeter l’entièreté du témoignage simplement en raison d’une contradiction dans le témoignage de Lamia entre ses communications avec la police et avec une personne travaillant pour la police.

[16] Je ne suis pas convaincu que la SAR a commis une erreur dans son appréciation de la preuve concernant les menaces de mort alléguées. Il était raisonnable pour la SAR de se fonder sur le témoignage de Mme Dris lors de la première audience de la SPR (notamment, avant qu’elle soit déclarée vulnérable) en concluant que la preuve relative aux menaces de mort alléguées était incohérente. De plus, la SAR ne s’est pas appuyée uniquement sur l’omission de Mme Dris de mentionner les menaces de mort alléguées au cours de son témoignage. La SAR note également que le FDA ne contient aucune référence aux menaces de mort, que le témoignage de Lamia était basé uniquement sur ce que Mme Dris lui avait rapporté et qu’il n’y avait aucune preuve documentaire à l’appui de l’existence des menaces de mort. Compte tenu des incohérences relevées par la SAR, il était possible de souligner l’absence de toute preuve corroborante (Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924 au para 25).

[17] Enfin, et contrairement aux prétentions de Mme Dris, la SAR n’a pas rejeté l’ensemble du témoignage de Mme Dris et de Lamia uniquement en raison de l’incohérence relative aux communications avec la police. La SAR a plutôt noté une série d’incohérences et de contradictions concernant divers éléments du témoignage de Lamia. De plus, la SAR a noté que son témoignage était également incompatible avec la preuve documentaire pertinente. Face à ces incohérences, il n’était pas impossible pour la SAR d’écarter la preuve particulière de Lamia.

[18] Le désaccord de Mme Dris avec l’évaluation des faits de la SAR n’est pas suffisant pour justifier l’intervention de cette Cour. Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, on doit plutôt démontrer que l’évaluation factuelle était déraisonnable (Mirzaee au para 46).

B. La SAR n’a pas commis d’erreur en examinant la preuve documentaire

[19] Mme Dris soutient que la SAR n’a pas suffisamment tenu compte de la preuve documentaire lorsqu’elle a conclu que les personnes âgées en Algérie ne sont pas victimes de persécution. Encore une fois, je ne suis pas d’accord.

[20] La SAR a évalué l’entièreté de la preuve documentaire et a adopté le raisonnement de la SPR. La SPR a noté que la preuve établissait: (1) qu’il y avait des conditions de vie insalubres pour les personnes âgées dans un foyer de soins en particulier; (2) que les Algériens s’occupent généralement de leurs aînés à domicile; et (3) que les moyens financiers des gens peuvent avoir une incidence sur le niveau et sur la qualité des soins que reçoivent les personnes âgées. Dans le contexte de cette preuve, la SAR a noté que le témoignage de Lamia suggérait qu’elle serait en mesure de financer les soins nécessaires pour sa mère en Algérie si elle y retournait.

[21] Sur la base de ces éléments, il était tout à fait raisonnable pour la SAR de conclure, comme elle l’a fait, que la preuve ne soutenait pas une véritable possibilité que Mme Dris fasse l’objet de persécution en Algérie en raison de son âge et de son état de santé.

VI. Conclusion

[22] La demande de contrôle judiciaire est rejetée .

[23] En rendant cette décision, je ne doute pas des difficultés éprouvées par Mme Dris et sa famille en raison de son âge et de sa santé. Je note que la LIPR comprend des recours alternatifs qui pourraient être mieux adaptés pour tenir compte des circonstances difficiles auxquelles Mme Dris et sa famille sont confrontées.

[24] Il n’y a pas de question d’importance générale pour la certification.


JUGEMENT dans le dossier IMM-7710-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Le défendeur figurant à l’intitulé est modifié et remplacé par le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration; et

  3. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7710-19

 

INTITULÉ :

SAKINA DRIS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE OTTAWA (ONTARIO) et Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 décembre 2020

 

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 26 FÉVRIER 2021

 

COMPARUTIONS :

Me Stéphanie Valois

 

Pour la partie demanderesse

 

Me Caroline Doyon

 

Pour la partie défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Stéphanie Valois

Avocate

Montréal (Québec)

 

Pour la partie demanderesse

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour la partie défenderesse

 

 

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