Dossier : IMM-150-20
Référence : 2021 CF 110
Ottawa, Ontario, le 2 février 2021
En présence de monsieur le juge Pamel
ENTRE :
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MIGUEL CAMPOS CALIXTO
MIGUEL ANGEL CAMPOS NUNEZ
MAIRA NANCI GODINEZ SOLIS
ARMANDO CAMPOS GODINEZ
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demandeurs
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1]
Monsieur Miguel Campos Calixto [M. Campos], son épouse [Mme Godinez], leur fils mineur ainsi que le fils majeur de M. Campos [collectivement les demandeurs], demandent le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] rendue le 17 décembre 2019 confirmant, aux termes du paragraphe 111(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] du 26 novembre 2018 portant que les demandeurs n’avaient pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger au titre des articles 96 et 97 de la LIPR.
[2]
Les demandeurs soutiennent que la SAR aurait dû admettre la nouvelle preuve qui lui a été produite et que la SAR a conclu de façon déraisonnable que le récit de M. Campos n’était pas crédible.
[3]
Pour les raisons qui suivent, je rejette la demande de contrôle judiciaire.
II.
Faits et procédures
[4]
Les demandeurs sont citoyens mexicains. Ils fondent leur demande d’asile sur le récit du père, M. Campos.
[5]
Les problèmes allégués par les demandeurs auraient commencé au mois d’août 2002 au moment où le frère de M. Campos a été enlevé et tué en raison de son implication en tant que leader social du quartier Estrella de Mar et militant du parti politique de Partido de la Revolución Democrática [PRD]. Les demandeurs, qui vivaient à l’époque près d’Acapulco dans l’État de Guerrero, dans le sud-ouest du Mexique, soutiennent que les responsables seraient membres d’un cartel. La famille de M. Campos a insisté auprès des autorités afin que les responsables soient traduits en justice et aurait en conséquence reçu des menaces de mort.
[6]
La famille a continué à faire pression sur la police et les autorités gouvernementales dans l’État de Guerrero tout au long de l’année 2003 pour obtenir des réponses concernant la mort du frère de M. Campos, mais sans grand succès ni assistance. Le 29 octobre 2004, la mère de M. Campos a été tuée dans son restaurant. Le meurtrier de la mère a ensuite été arrêté par la police et condamné à 45 ans de prison.
[7]
En décembre 2006, M. Campos dit avoir été enlevé et torturé par des agents de police. Il aurait été libéré suite au paiement d’un pot-de-vin, cependant, pendant cette épreuve on lui a dit que s’il continuait à poser des questions sur la mort de son frère et de sa mère, lui et sa famille seraient tués.
[8]
Plus tard dans le même mois, M. Campos a déménagé sa famille de l’État de Guerrero jusqu’au nord du Mexique, à environ 2 500 kilomètres, soit à la ville de Puerto Penasco dans l’État de Sonora où il aurait exercé divers emplois pendant six ans, jusqu’en 2012. Pour sa part, Mme Godinez a trouvé un emploi dans une station balnéaire locale, ayant obtenu son diplôme en tourisme à l’Université Autonome de Guerrero en juin 2005.
[9]
La famille a vécu paisiblement et en sécurité à Puerto Penasco, sans incident, pendant six ans, sauf qu’en 2007, semble-t-il qu’un autre frère de M. Campos serait parti à Jalisco et que la famille serait sans nouvelles de lui depuis lors.
[10]
En 2012, deux individus dans un véhicule immatriculé dans l’État de Guerrero se seraient rendus au domicile des demandeurs à Puerto Penasco pour s’enquérir de M. Campos auprès de son épouse. Les demandeurs ont fui Puerto Penasco le jour même pour la ville de Cancún dans l’État du Quintana Roo, à environ 3 900 kilomètres de distance de Puerto Penasco.
[11]
Les demandeurs sont restés quatre ans à Cancún, jusqu’au début de l’année 2016, sans difficulté. M. Campos travaillait dans la construction des maisons, et Mme Godinez a trouvé un emploi d’assistante de direction au sein de la société Corporativo Gubalsa, une entreprise de sécurité privée à Cancún.
[12]
Vers le début de 2016, M. Campos aurait été avisé par un collègue qui demeurait toujours à Acapulco qu’il devait faire attention parce qu’il y avait des informations qui circulaient dans le coin selon lesquelles M. Campos avait été repéré avec sa famille à Cancún. Il a invité M. Campos à retourner à Acapulco pour qu’il puisse lui fournir plus de détails.
[13]
Bien qu’il admette savoir qu’il serait dangereux de le faire, en février 2016, soit un mois avant la rencontre avec son collègue, M Campos est retourné à Acapulco pour régler des questions administratives requérant sa signature. Cependant, le 4 mars 2016, le jour fixé pour sa rencontre avec M. Campos, son collègue aurait été tué par la famille Galeana, membre d’un cartel de narcotrafiquants en raison de disputes qu’il avait lui-même avec le cartel.
[14]
Après cet assassinat, M. Campos et sa famille auraient déménagé à la capitale de l’État du Quintana Roo, soit la ville de Chetumal, à cinq heures de Cancún, afin de rester avec la famille de M. Campos.
[15]
M. Campos dit avoir appris plus tard en 2016 que le Canada retirerait les visas requis pour les Mexicains. La famille aurait fait des économies et M. Campos et son fils ainé se sont rendus au Canada en janvier 2017; son épouse et son autre fils cadet sont arrivés deux semaines plus tard. Ils ont tous revendiqué le statut de réfugié.
[16]
Le 26 novembre 2018, la SPR a rejeté la demande d’asile des demandeurs au motif d’absence de crédibilité.
[17]
La conclusion de la SPR était fondée sur les éléments suivants :
M. Campos allègue que les autorités de l’État de Guerrero ont refusé les demandes de protection de sa famille. Il n’a toutefois pas été en mesure de produire ni précisions ni preuves pour corroborer les démarches qu’il aurait faites afin d’obtenir la protection de l’État suite aux menaces alléguées;
L’arrestation et la condamnation du meurtrier de la mère à une longue peine d’emprisonnement par les autorités contredisent l’allégation des demandeurs portant que les autorités étaient ineptes et qu’elles ne seraient pas intervenues;
M. Campos allègue que, lors de sa détention et torture par la police en décembre 2006, un agent aurait dit qu’il ne pouvait pas le tuer parce que ça ferait trois membres de la famille à être tués et que cela serait « trop de pression ». Il n’a toutefois pas pu expliquer de quelle manière les meurtres de son frère et de sa mère auraient été imputables à la police;
L’agent de police aurait également déclaré qu’il ne pouvait pas le tuer parce que Mme Godinez connaissait quelqu’un qui était en fonction à la police. Les demandeurs ont témoigné qu’ils ont consulté leur amie avocate qui travaillait à la police et qu’elle leur a dit de fuir. Ils ont toutefois omis de mentionner cette allégation dans leur Formulaire de fondement de demande d’asile [FDA];
Ils n’ont pas été en mesure de produire le nom de la clinique médicale où M. Campos aurait été soigné après avoir été torturé et gravement blessé par la police suite à son arrestation en décembre 2006. Ils n’ont également pas produit de preuve corroborant cette visite;
Les demandeurs ont vécu durant six ans dans l’État de Sonora sans avoir été importunés par la police ou par des membres du cartel. Ils n’ont pas expliqué dans leur FDA pourquoi les membres du cartel s’intéresseraient toujours à eux, huit ans après le meurtre de la mère. Il a été conclu que M. Campos ajustait ses réponses en fonction des questions posées, ce qui a eu un effet défavorable sur le plan de sa crédibilité;
Malgré les menaces qui auraient pesé contre lui dans cette ville, M. Campos est retourné à Acapulco en février 2016, soit un mois avant la date de son rendez-vous prévu avec son collègue. Il n’a pas expliqué pourquoi il n’aurait pas pu régler les détails administratifs ou obtenir les informations nécessaires de son collègue à distance. Son comportement a été jugé incompatible avec sa crainte alléguée.
[18]
En appel, les demandeurs ont choisi d’attaquer seulement certains aspects de la décision de la SPR. Leurs arguments se résument comme suit :
La SPR aurait fait erreur en indiquant que certains éléments de preuve soient des coupures d’articles de journaux, ne comportaient aucune date et en concluant que les demandeurs n’avaient pas démontré avoir fait les efforts nécessaires pour obtenir la protection de l’État. Ils ont soutenu que les articles de journaux comportaient bel et bien des dates;
La SPR aurait fait erreur en observant que M. Campos n’avait pas eu recours aux services d’un avocat pour les représenter dans leurs démarches auprès des autorités. Ils ont soutenu qu’ils n’avaient pas à mettre leur vie en danger pour démontrer l’inefficacité de la protection de l’État;
La SPR aurait fait erreur en observant que les menaces auraient été reçues une année après la mort du père de M. Campos en 2002. Ils ont souligné qu’une erreur s’était glissée puisqu’il s’agissait du frère et non du père;
La SPR aurait erré en observant que la condamnation du meurtrier de la mère contredisait leur thèse portant que les autorités étaient ineptes et refusaient d’intervenir pour les protéger. Ils ont soulevé l’acte de libération du meurtrier qu’ils ont voulu déposer comme nouvelle preuve dans le cadre de leur appel;
La SPR aurait fait erreur en observant qu’ils n’avaient pas produit de preuve médicale pour appuyer la visite à la clinique médicale suite à l’arrestation par la police en décembre 2006. Ils ont souligné la note médicale qu’ils ont voulu déposer comme nouvelle preuve dans le cadre de leur appel.
[19]
En résumé, les demandeurs ont soutenu en appel que :
La Commission a erré en ne prenant pas en considération la nature du problème de la famille Campos, son frère s’est fait tuer, par la suite, la mère du demandeur dénonce haut et fort le meurtre de son fils et demande justice. Le 9 novembre 2004, la mère du demandeur s’est fait tuer. Comment le juge peut après deux morts de deux membres de la famille demander au demandeur s’il n’a rien fait pour porter plainte à la police et avoir en sa possession une plainte de police. Cette analyse est insensée suite aux événements tragiques.
[20]
Le 17 décembre 2019, la SAR a rejeté l’appel des demandeurs et a confirmé la décision de la SPR. La SAR a refusé l’admission de nouvelles preuves et a conclu que les demandeurs n’étaient pas crédibles quant à de nombreux aspects de leurs allégations.
[21]
La conclusion d’absence de crédibilité des demandeurs par la SAR est fondée sur l’ensemble des éléments suivants :
M. Campos dit qu’il a été menacé pour avoir porté plainte concernant la mort de son frère et de sa mère, mais il a été incapable de produire une quelconque preuve de plaintes portées aux autorités;
Malgré l’allégation qu’ils ont un contact au sein du Ministère public, les demandeurs n’ont entrepris aucune démarche supplémentaire afin d’obtenir de l’aide après que les autorités auraient refusé d’agir;
Il est invraisemblable que, ayant prétendument été refusés à de nombreuses reprises, les demandeurs aient entrepris un an plus tard la même démarche (de porter plainte aux autorités) ayant échoué auparavant;
La conclusion que les demandeurs n’auraient pas entrepris de démarches auprès de l’État suite aux événements dont ils se disent victimes est correcte. La crédibilité des demandeurs est minée;
Le document indiquant que le meurtrier de la mère du demandeur principal ait obtenu une libération conditionnelle suite à avoir purgé une partie de sa peine d’emprisonnement n’est pas admissible. D’ailleurs, la libération conditionnelle d’un détenu ne permet pas de tirer des conclusions quant au sérieux des protections existantes;
Les conclusions de crédibilité de la SPR s’appuient notamment sur les comportements incompatibles du demandeur principal avec sa crainte alléguée ainsi qu’avec les périodes prolongées d’accalmie;
Les éléments soulevés en appel sont insuffisants pour rejeter les conclusions correctes que la SPR a tirées.
III.
Questions en litige
[22]
La décision de la SAR est-elle raisonnable?
IV.
Discussion
A.
Question préliminaire
[23]
Du consentement des parties, le nom du défendeur dans l’intitulé de la cause doit être modifié pour se lire ainsi : Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, conformément au paragraphe 4(1) de la LIPR.
[24]
De plus, du consentement des parties, le nom de la demanderesse Maira Nanci Godines Solis doit être modifié afin que soit remplacé le « s » de Godines par un « z » afin que le nom figure dans l’intitulé de la cause ainsi : Maira Nanci Godinez Solis.
B.
La norme de contrôle
[25]
La norme de contrôle applicable à la décision de la SAR est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux paras 16-17 et 23-25 [Vavilov]. Voir également Limones Munoz c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CF 1051 au para 23; Elusme c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 225 aux paras 9-19).
C.
La décision de la SAR est-elle raisonnable?
[26]
M. Campos soulève deux motifs principaux dans sa demande : la SAR n’aurait pas dû rejeter les nouveaux éléments de preuve produits en appel et l’appréciation de la crédibilité n’était pas raisonnable en l’espèce.
(1)
Le refus d’admettre les nouveaux éléments de preuve était-il déraisonnable?
[27]
La SAR a examiné les documents que les demandeurs ont présentés à titre de nouvelle preuve, notamment :
Un document daté du 8 janvier 2019 provenant d’une clinique médicale dénommée Santa Fe rapportant une visite du demandeur, le 1er décembre 2006, à cette clinique pour recevoir des soins;
Un acte de libération conditionnelle d’un dénommé Francisco Carreon Sosa, daté du 17 janvier 2018.
[28]
La SAR a refusé d’admettre ces documents pour les motifs suivants :
[9] Les éléments de preuve soumis par monsieur Campos ne sont pas survenus depuis le 26 novembre 2018, date du rejet de la demande d'asile. Son rapport médical date de décembre 2006 et l'acte de libération conditionnelle, du 17 janvier 2018. Ils étaient normalement accessibles. Compte tenu de la nature des documents, il n'était pas inconcevable de s'attendre à ce qu'ils soient présentés au moment de la demande. Je ne peux les accepter.
[29]
Le paragraphe 110(4) de la LIPR prévoit les conditions suivantes quant à l’admissibilité d’éléments de preuve devant la SAR :
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[30]
Il incombe à la partie qui présente les nouveaux éléments de preuve d’établir leur admissibilité (Thorne c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 790 au para 8).
[31]
M. Campos semble surtout soutenir que les motifs du rejet de la nouvelle preuve ne sont pas suffisamment explicites et donc qu’il n’est pas possible de comprendre le raisonnement de la SAR sur cette question. Pour ma part, je conclus que les motifs de la SAR sont suffisants; le tribunal a tenu compte des dates ainsi que de la nature des documents produits et que ces éléments ont mené la SAR à conclure que les deux documents étaient normalement accessibles et qu’ils auraient normalement dû être présentés devant la SPR.
[32]
M. Campos n’explique pas pourquoi les documents satisfont aux critères du paragraphe 110(4) de la LIPR, et il explique encore moins pourquoi la décision de la SAR sur cette question est déraisonnable.
[33]
La conclusion de la SAR portant que les documents étaient facilement accessibles avant l’audience devant la SPR n’est donc pas déraisonnable.
(2)
Est-ce que la conclusion quant à la crédibilité était raisonnable?
[34]
Pour la SAR, la question déterminante était la crédibilité des demandeurs.
[35]
Les demandeurs soulèvent trois préoccupations concernant la conclusion de la SAR selon laquelle le SPR avait eu raison de conclure que les demandeurs n’étaient pas crédibles :
a) La SAR n’a pas discuté de tous les arguments soulevés par les demandeurs concernant les conclusions du SPR, et n’a pas pris en considération tous les éléments de preuve.
b) Les observations de la SAR étaient confuses en ce qui concerne les démarches infructueuses de la famille pour obtenir une assistance policière.
c) La conclusion de la SAR quant à la protection de l’État était déraisonnable.
[36]
Je discuterai de chaque question séparément.
a)
Les arguments soulevés par les demandeurs n’ont pas été discutés
[37]
La SAR a d’abord noté que plusieurs éléments sur lesquels est fondée la décision de la SPR n’ont pas fait l’objet de débats en appel et a indiqué qu’elle examinera les éléments qui ont été exposés dans le cadre du mémoire d’appel seulement; elle a conclu que les autres éléments étaient corrects.
[38]
Les demandeurs font grief à la SAR de ne pas avoir pris en compte les éléments de preuve dans leur totalité, de ne pas avoir défini les éléments qui n’ont pas été controversés et de ne pas avoir exposé son processus décisionnel pour comprendre comment la SPR a conclu que les autres éléments sur lesquels est fondée la demande d’asile sont corrects.
[39]
Je dois souligner qu’il incombait aux demandeurs d’identifier les éléments controversés dans la décision de la SPR. Ce n’était pas à la SAR qu’il incombait d’identifier ou de fournir des motifs pour les conclusions qui n’ont pas été attaquées (Akintola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 971 au para 21; Amadi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1166 [Amadi]).
[40]
En outre, les demandeurs insistent sur les arguments qu’ils ont défendus devant la SAR, et ils font valoir que tous leurs arguments n’ont pas été discutés par elle. Pour ma part, après lecture de la décision de la SAR, je constate qu’elle a discuté des arguments en cause comme elle devait le faire pour se prononcer sur la question de savoir si la SPR avait eu raison de conclure que les demandeurs n’étaient pas crédibles.
[41]
Par exemple, selon un autre argument soulevé par les demandeurs, la SPR a évoqué la mort du « père » de M. Campos plutôt que celle de son « frère » en 2002, ce qui révèle le manque d’attention que la SPR a accordé aux questions soulevées par les requérants. Je rejette cette thèse. Il est clair que la mention du « père » dans le passage pertinent de la décision de la SPR était erronée, mais la SPR mentionne le décès du frère dans d’autres parties de la décision. La SAR fait clairement référence au décès du frère. Par conséquent, rien ne permet de penser que l’erreur était autre chose qu’une simple erreur typographique.
[42]
De toute façon, la SAR est présumée avoir tenu compte de l’ensemble de la preuve, à moins que le contraire ne soit établi. Elle n’est pas tenue de faire mention de l’ensemble de la preuve, comme semblent le soutenir les demandeurs (Jones c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1172 au para 13; Amadi aux paras 50 et 52; Florea c Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (CAF), [1993] ACF no 598 au para 1; Newfoundland and Labrador Nurse Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Treasury Board), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708 au para 16), ni de répondre explicitement à chacun des arguments défendus par les parties.
[43]
De plus, je ne vois rien dans les arguments qui n’ont pas été spécifiquement discutés qui aurait eu une incidence sur la conclusion de la SAR concernant la question de la crédibilité; il n’y a donc aucune raison de croire que la SAR n’a pas tenu compte de preuves contradictoires dans sa constatation des faits (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (FC), 157 FTR 35 au para 17).
[44]
En particulier, les observations des demandeurs n’attaquent pas la conclusion de la SAR concernant l’absence de crédibilité et de preuve pour corroborer leur allégation portant que les membres du cartel s’intéresseraient toujours à eux en 2012, soit huit ans après le meurtre de la mère de M. Campos. De plus, je note que les demandeurs n’ont également pas attaqué la conclusion de la SPR portant que le retour volontaire de M. Campos à Acapulco en 2016, qui connaissait le danger encouru, un mois avant sa rencontre avec son collègue, constituait un comportement incompatible avec sa crainte alléguée.
[45]
La cohérence de la preuve et le comportement incompatible d’un demandeur avec sa crainte subjective alléguée sont des considérations pertinentes qui aident le décideur dans son analyse de la crédibilité du demandeur (Noël c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 281 au para 20].
b)
Les démarches infructueuses pour obtenir une assistance policière
[46]
Comme indiqué plus haut, la question déterminante pour la SAR était la crédibilité des demandeurs.
[47]
Premièrement, il est étonnant que le procureur des demandeurs affirme devant moi que la source de leur crainte de persécution n’était pas le fait que les demandeurs faisaient pression sur les autorités pour obtenir des réponses concernant les décès du frère et de la mère de M. Campos, mais plutôt la mort du frère lui-même. Cette affirmation n’est pas conforme à la preuve.
[48]
Le récit de M. Campos établit clairement que la raison pour laquelle le gang criminel menaçait la famille de M. Campos était que la famille continuait à faire pression sur les autorités, incluant des pressions médiatiques, pour obtenir des réponses concernant la mort des membres de leur famille. En fait, pendant que M. Campos était torturé par des agents de police en décembre 2006, ils lui auraient dit « que s’il continuait à poser des questions sur la mort de son frère et de sa mère, lui et sa famille seraient tués »
.
[49]
Dire maintenant que ce n’était pas la source du risque auquel les exposerait leur retour au Mexique n’a aucun sens.
[50]
Les demandeurs font valoir qu’il y a eu confusion de la part de la SAR sur la question de savoir si la famille avait demandé l’aide des autorités. Ils ont déposé plusieurs coupures de journaux et traductions devant la SPR afin d’appuyer leurs allégations à l’égard des meurtres du frère et de la mère de M. Campos et les demandes faites par la famille auprès des autorités, notamment par la sœur et la belle-sœur de M. Campos, afin que soient traduits devant la justice les responsables des meurtres commis en 2002 et 2004. Ils ont également déposé un article concernant le meurtre d’un collègue de M. Campos en 2016.
[51]
Cependant, les demandeurs ne précisent pas comment les articles de journaux vont dans le sens de leurs allégations portant qu’ils ont demandé l’aide des autorités et que cette aide leur aurait été refusée. Peut-être que la famille de M. Campos s’est vu refuser l’aide de l'état suite à des plaintes, mais cela me semble trop éloigné de la situation personnelle de M. Campos pour que je puisse conclure que la décision de la SAR était déraisonnable simplement parce qu’elle n’a pas signalé cette question de façon explicite, surtout considérant l’absence de preuve au dossier.
[52]
Plus précisément, les défendeurs font grief à la SAR d’avoir demandé une copie de la plainte aux autorités qui aurait causé les représailles des membres du cartel. La SAR a trouvé paradoxal que la famille de M. Campos ait été menacée pour avoir porté plainte sans qu’elle ait de copie de cette plainte.
[53]
Cependant, il était tout à fait logique de la part de la SAR de demander de tels documents, car une copie de la plainte déposée auprès des autorités, qui serait la cause du péril auquel les demandeurs feraient face s’ils devaient retourner au Mexique, est une chose que les demandeurs auraient raisonnablement avoir dû en leur possession.
c)
La conclusion de la SAR quant à la protection de l'État était déraisonnable
[54]
Les demandeurs soutiennent ensuite que la SAR a fait erreur en concluant, tout comme la SPR, que l’arrestation et la condamnation du meurtrier de la mère du demandeur principal contredisaient leur allégation portant que les autorités étaient incapables de protéger leurs citoyens. Selon les demandeurs, la preuve documentaire générale sur les conditions au Mexique et la preuve qu’ils ont tenté de déposer concernant la libération conditionnelle du meurtrier de la mère démontrent le contraire.
[55]
Je ne vois pas en quoi cet argument est utile aux demandeurs.
[56]
La preuve documentaire générale du Mexique quant à la capacité de l’État de protéger ses citoyens ne permet pas d’établir la crédibilité de M. Campos. Par ailleurs, il est bien établi qu’une « demande d’asile ne peut reposer uniquement sur la preuve contenue au cartable national de documentation concernant le pays à l’égard duquel on invoque une crainte »
(Jean c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 242 au para 19).
[57]
Sur la question de la libération conditionnelle de la personne accusée du meurtre de la mère de M. Campos, je ne crois pas qu’une libération conditionnelle en soi prouve que l’État n’est pas outillé pour défendre ses citoyens.
[58]
La question est plutôt celle de savoir si les demandeurs eux-mêmes risquaient la persécution et ne pouvaient obtenir la protection étatique dans leur pays d’origine. Ainsi, c’est plutôt l’absence de preuve portant que l’État ait été incapable d’aider M. Campos, le fait que le meurtrier de la mère de M. Campos a bel et bien été arrêté et les contradictions dans le récit de M. Campos ainsi qu’entre son récit et ses déclarations et son comportement antérieur qui ont fait douter la SAR et la SPR de sa crédibilité.
[59]
Toutes ces considérations sont au cœur de l’expertise de la SAR et appellent la déférence. M. Campos ne m’a pas démontré en quoi ces conclusions étaient déraisonnables et appelaient l’intervention de notre Cour.
[60]
La principale faille dans les arguments de M. Campos relativement à la conclusion relative à sa crédibilité est qu’ils ne s’attaquent pas à des éléments cruciaux qui ont permis à la SPR et ensuite à la SAR de conclure au manque de crédibilité de M. Campos. Pour cette raison, même si M. Campos avait raison sur l’ensemble des arguments qu’il présente devant la Cour au sujet des nouveaux éléments de preuve (ce qui n’est pas le cas), il n’en reste pas moins que cela ne serait pas suffisant pour que je puisse conclure que la décision de la SAR était déraisonnable.
[61]
La présomption de sincérité des demandeurs d’asile n’est pas absolue. En effet, « [q]uand un requérant jure que certaines allégations sont vraies, cela crée une présomption qu’elles le sont, à moins qu’il n'existe des raisons d’en douter »
(Pedro Enrique Juarez Maldonado (Applicant) v Minister of Employment and Immigration (Respondent), [1980] 2 FC 302 au para 5).
[62]
En l’espèce, les motifs de la SAR et de la SPR expliquent clairement les raisons pour lesquelles elles ont conclu que le récit de M. Campos était peu crédible. M. Campos ne m’a pas démontré que l’intervention de la Cour était justifiée en l’espèce. En substance, il invite notre Cour à apprécier à nouveau la preuve, ce qu’elle ne peut faire (Vavilov aux paras 83 et 128).
V.
Conclusion
[63]
Je rejette donc la demande de contrôle judiciaire.
JUGEMENT au dossier IMM-150-20
LA COUR STATUE que :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Le nom du défendeur dans l’intitulé de la cause doit être modifié; il se lira ainsi : Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration;
Le nom de la demanderesse Maira Nanci Godines Solis doit être modifié pour remplacer le « s » dans Godines par un « z » afin que le nom apparaisse dans l’intitulé de la cause ainsi : Maira Nanci Godinez Solis;
Il n’y aucune question à certifier.
« Peter G. Pamel »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM-150-20
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INTITULÉ :
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MIGUEL CAMPOS CALIXTO, MIGUEL ANGEL CAMPOS NUNEZ, MAIRA NANCI GODINEZ SOLIS, ARMANDO CAMPOS GODINEZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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AFFAIRE ENTENDUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À MONTRÉAL (QUÉBEC)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 9 décembre 2020
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JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LE JUGE PAMEL
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DATE DES MOTIFS :
|
LE 2 février 2021
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COMPARUTIONS :
Me Alfredo Garcia
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Pour les demandeurs
|
Me Suzanne Trudel
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Pour le défendeur
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Avocats Semperlex, s.e.n.r.c.l.
Montréal (Québec)
|
Pour les demandeurs
|
Procureur général du Canada
Montréal (Québec)
|
Pour le défendeur
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