Date : 20210219
Dossier : DES‑5‑19
Référence : 2021 CF 163
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 19 février 2021
En présence de monsieur le juge O’Reilly
DANS L’AFFAIRE CONCERNANT LA REQUÊTE EN RÉEXAMEN DE L’ORDONNANCE DE LA COUR DANS PESHDARY c PGC (2018)
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ORDONNANCE ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1]
La Cour est saisie d’une demande de divulgation présentée par M. Peshdary relativement à une requête, encore pendante, en réexamen d’une ordonnance que j’ai rendue en 2018 (Peshdary c Canada (Procureur général), 2018 CF 911). Dans cette décision, j’ai rejeté la demande de M. Peshdary visant à faire annuler un mandat délivré par la Cour fédérale au Service canadien du renseignement de sécurité. Le mandat, délivré en 2012, avait permis au Service de recueillir des renseignements concernant M. Peshdary, au motif qu’il présentait une menace pour la sécurité du Canada. Le Service avait remis à la Gendarmerie royale du Canada certains renseignements qu’il avait recueillis sur M. Peshdary. La GRC avait ensuite utilisé ces renseignements dans le but d’obtenir d’autres mandats, sous le régime du Code criminel, pour mener une enquête sur M. Peshdary relativement à des infractions liées au terrorisme. L’enquête de la GRC avait donné lieu à deux accusations criminelles contre M. Peshdary, qui fait toujours face à un procès devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario.
[2]
La demande présentée par M. Peshdary et visant à faire annuler le mandat était fondée sur la procédure reconnue dans l’arrêt Wilson c La Reine, [1983] 2 RCS 594. L’arrêt Wilson a confirmé que le tribunal d’origine peut examiner la validité d’un mandat (ou, comme dans cette affaire, une autorisation d’écoute électronique) et qu’un juge peut l’annuler lorsque l’existence d’une fraude, d’éléments de preuves nouveaux, d’une omission importante ou d’une divulgation trompeuse est démontrée. Sur le bien‑fondé de la demande présentée par M. Peshdary, j’ai conclu qu’il y avait eu des omissions importantes dans les renseignements fournis au juge qui a décerné le mandat et que de nouveaux éléments de preuve obtenus après que le mandat eut été délivré auraient dû être présentés au juge, conformément à l’obligation de franchise du Service. Toutefois, j’ai également conclu que, s’il avait été mis au fait des omissions et des nouveaux éléments de preuve, le juge qui a décerné le mandat aurait, de toute façon, délivré le mandat en se fondant sur les autres éléments de preuve non contestés sur lesquels le Service s’était appuyé.
[3]
Dans une décision antérieure à l’égard de M. Peshdary, j’ai jugé que la Cour fédérale avait compétence pour répondre à sa demande, en me basant sur l’arrêt Wilson et l’article 399 des Règles des Cours fédérales (Peshdary c Canada (Procureur général), 2018 CF 850). J’ai aussi conclu que M. Peshdary n’avait pas droit à la divulgation d’autres documents dont avait disposé la Cour lorsqu’elle avait délivré le mandat, au‑delà de ceux qu’il avait déjà reçus. À mon avis, la divulgation de documents supplémentaires n’était pas justifiée dans le cadre d’une demande de type Wilson (aux para 25‑27).
II.
La présente instance
[4]
Un concours de circonstances inhabituelles a fait en sorte que je suis de nouveau saisi de la demande de type Wilson présentée par M. Peshdary, par l’entremise d’une requête en réexamen et de la présente demande de divulgation.
[5]
M. Peshdary a cherché à interjeter appel des décisions mentionnées ci‑dessus devant la Cour d’appel fédérale. Cependant, avant l’instruction de l’appel, l’avocat du procureur général du Canada a porté à mon attention l’existence de nouveaux éléments de preuve. Cette preuve a également été divulguée à Me Ian Carter, amicus curiae, qui m’assiste dans les affaires ex parte en cours ayant trait à M. Peshdary, à savoir, les demandes présentées par le PGC qui visent à protéger les renseignements de nature délicate touchant la sécurité nationale, au titre de la Loi sur la preuve au Canada, LRC 1985, c C‑5.
[6]
Lorsque se présentent de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’une affaire faisant l’objet d’un appel, la procédure habituelle est que la cour d’appel examine cette preuve lors de son analyse de la décision du juge de première instance (Etienne c Canada, [1993] ACF no 1388 (CAF)). Toutefois, cette approche n’est pas obligatoire; le juge de première instance conserve sa compétence pour examiner les nouveaux éléments de preuve lorsque les circonstances s’y prêtent (Bande indienne de Musqueam c Canada (Gouverneur en conseil), 2004 CF 931 au para 22). J’ai examiné les circonstances, y compris le fait que la Cour d’appel fédérale préférait manifestement que les nouveaux éléments de preuve me soient présentés, et j’ai conclu que je devais revoir mes décisions antérieures à la lumière de la nouvelle preuve.
[7]
Normalement, une décision est seulement réexaminée à la demande d’une partie (article 399). Les parties à la demande de type Wilson étaient le PGC et M. Peshdary. Il n’aurait pas été raisonnable de s’attendre à ce que le PGC demande le réexamen des décisions qui avaient été accordées en sa faveur. Par ailleurs, il n’aurait pas pu incomber de façon réaliste à M. Peshdary de demander le réexamen, car la nouvelle preuve ne lui avait pas été divulguée. Dans les circonstances, j’ai conclu que la requête en réexamen devrait être introduite de ma propre initiative (Carter c Canada (Procureur général), 2020 CF 137). Pour en arriver à cette conclusion, il a toujours été envisagé, et discuté avec l’avocat du PGC et l’amicus, que la question du moment et de la forme de la participation de M. Peshdary à la requête en réexamen devait être réglée.
[8]
La prochaine question que j’ai examinée était la mesure dans laquelle la nouvelle preuve devait être divulguée à la Cour et à l’amicus. Dans l’ordonnance datée du 17 juillet 2020, j’ai jugé que j’avais la compétence d’ordonner la divulgation de documents supplémentaires pertinents à la délivrance du mandat s’il y avait eu une omission de communiquer à la Cour tous les renseignements sur des faits importants (invoquant Canada (Revenu national) c Compagnie d’assurance vie RBC, 2013 CAF 50 au para 33). Dans mon ordonnance, j’ai résumé les sujets de préoccupation et noté certaines des différences entre la preuve présentée au juge qui a décerné le mandat en 2012 et celle qui avait constitué le fondement de demandes de mandat connexes présentées antérieurement. Il me semblait que certains des renseignements dont disposait le juge qui a décerné le mandat étaient incomplets et potentiellement trompeurs. Par conséquent, j’ai ordonné la divulgation à Me Carter des documents qu’il avait indiqués comme étant clairement pertinents à la validité du mandat de 2012, étant entendu que son examen de ces documents pourrait permettre de justifier des divulgations supplémentaires.
[9]
De plus, j’ai noté dans ma décision que le traitement et l’importance de tout élément de preuve obtenu illégalement seraient également pertinents au réexamen de ma décision sur la demande de type Wilson de M. Peshdary.
[10]
Dans ce contexte, je dois maintenant me pencher sur la demande de M. Peshdary visant la divulgation complète des nouveaux éléments de preuve qui ont donné lieu à la présente requête en réexamen de ma décision sur sa demande de type Wilson.
[11]
Le PGC s’oppose à la demande de M. Peshdary, au motif qu’aucune divulgation n’est exigée au titre des règles qui s’appliquent aux poursuites pénales, parce que M. Peshdary n’est pas une personne accusée devant la Cour. De plus, le PGC affirme qu’aucune divulgation n’est requise au titre de la Charte canadienne des droits et libertés. Enfin, il souligne que des renseignements ne peuvent être divulgués à M. Peshdary s’ils doivent faire l’objet d’une protection pour des motifs de sécurité nationale.
[12]
Je ne suis pas d’accord avec le PGC, quoique je concède que les règles de divulgation qui s’appliquent en droit criminel et qui sont exigées par la Charte ne sont pas en cause dans la présente affaire.
[13]
Comme je l’ai expliqué ci‑dessus, la présente instance était au départ et continue d’être une demande présentée par M. Peshdary visant à faire annuler un mandat délivré par la Cour. Dans le cadre de l’instance initiale, M. Peshdary cherchait à obtenir divers documents, y compris des documents sources sur lesquels reposait la délivrance du mandat qu’il contestait. À ce moment‑là, rien ne justifiait la divulgation de documents supplémentaires ni l’annulation du mandat.
[14]
Cependant, comme je l’ai déjà expliqué, un mandat peut être annulé lorsque l’existence d’une fraude, d’éléments de preuves nouveaux, d’omissions importantes ou de divulgations trompeuses au juge qui a décerné le mandat est démontrée.
[15]
En l’espèce, en accordant la divulgation à l’amicus, j’ai déjà conclu que la demande de mandat de 2012 avait pu comporter des omissions importantes, des divulgations trompeuses et des éléments de preuve pouvant avoir été obtenus illégalement. Si M. Peshdary avait été en mesure de présenter des éléments de preuve de ce type dans sa demande initiale de type Wilson, le résultat de sa requête visant l’annulation du mandat aurait fort bien pu être différent. Mais ces éléments de preuve ont maintenant été portés à l’attention de la Cour, de manière louable, dois‑je ajouter, par le PGC. La question est de savoir si M. Peshdary, la partie requérante dans le cadre de la requête en réexamen, peut y avoir accès. Je ne vois aucune raison de le lui refuser.
[16]
À mon avis, la seule manière de justifier le fait de ne pas divulguer à M. Peshdary les nouveaux éléments de preuve serait la protection des renseignements sensibles relatifs à la sécurité nationale. Toutefois, le PGC n’a présenté aucune justification pour cette protection. Il affirme que les renseignements qu’il a portés à l’attention de la Cour et de l’amicus devraient être protégés, mais cette simple affirmation n’est pas suffisante pour justifier la non‑divulgation à M. Peshdary. Le moyen approprié pour invoquer un motif de sécurité nationale pour la non‑divulgation est une demande du PGC présentée en vertu de l’article 38.04(1) de la Loi sur la preuve au Canada. Cette voie permettrait à la Cour de vérifier si les préoccupations du PGC en matière de sécurité nationale sont fondées.
[17]
Par conséquent, je conclus que M. Peshdary, en tant que partie à la requête qui fait l’objet de la présente instance, a le droit de recevoir la divulgation de la nouvelle preuve sur laquelle le présent réexamen est fondé. En particulier, M. Peshdary devrait recevoir la divulgation des éléments de preuve dont j’ai précédemment ordonné la divulgation à l’amicus.
III.
Conclusion et dispositif
[18]
La demande de M. Peshdary concernant la divulgation des éléments de preuve à l’appui de la requête en réexamen de sa demande de type Wilson sera accueillie.
ORDONNANCE DANS LE DOSSIER DES‑5‑19
LA COUR ORDONNE que la demande présentée par M. Peshdary visant la divulgation des éléments de preuve à l’appui de la requête en réexamen de sa demande de type Wilson est accueillie.
« James W. O’Reilly »
Juge
Traduction certifiée conforme
Christian Laroche, LL.B, juriste‑traducteur
ANNEXE
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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DES‑5‑19
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INTITULÉ :
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DANS L’AFFAIRE CONCERNANT LA REQUÊTE EN RÉEXAMEN DE L’ORDONNANCE DE LA COUR DANS PESHDARY c PGC (2018)
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À OTTAWA (ONTARIO)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 8 février 2021
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ORDONNANCE ET MOTIFS :
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LE JUGE O’REILLY
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DATE DE L’ORDONNANCE
ET DES MOTIFS :
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Le 19 février 2021
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COMPARUTIONS :
Solomon Friedman
Fady Mansour
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POUR M. PESHDARY
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Ian Carter
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amicus curiae
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Andre Seguin
Julian Daller
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pour le procureur général du Canada
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Friedman Mansour LLP
Ottawa (Ontario)
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POUR M. PESHDARY
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Bayne, Sellar, Ertel, Carter
Avocats
Ottawa (Ontario)
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Pour le défendeur
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Ministère de la Justice Canada
Ottawa (Ontario)
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POUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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