Date : 20210218
Dossier : IMM‑3737‑20
Référence : 2021 CF 161
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Vancouver (Colombie‑Britannique), le 18 février 2021
En présence de monsieur le juge Lafrenière
ENTRE :
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PAULOS GESESE WELDEAB
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1]
Le 5 juillet 2018, le demandeur est entré illégalement au Canada à la frontière du Manitoba après que les États‑Unis ont rejeté sa demande d’asile. Il a présenté une demande d’asile dans un bureau intérieur au Canada, prétendant qu’il serait exposé à un risque s’il retournait en Érythrée.
[2]
La demande d’asile du demandeur a été déférée à la Section de la protection des réfugiés [la SPR] en vue d’une audience. La SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur parce qu’il n’avait pas établi sa nationalité érythréenne et que la preuve relative à son identité et à sa demande d’asile n’était pas crédible.
[3]
Le demandeur a interjeté appel de la décision de la SPR auprès de la Section d’appel des réfugiés [la SAR]. La question déterminante dont la SAR était saisie était l’identité du demandeur en tant que citoyen érythréen. Dans une décision datée du 15 mai 2020, la SAR a confirmé la conclusion de la SPR et rejeté l’appel.
[4]
Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la SAR au motif que la conclusion relative à l’identité est fondée sur trois erreurs cruciales qui rendent l’analyse de la SAR déraisonnable.
[5]
Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.
[6]
Il serait utile d’expliquer d’abord sur quel fondement la SPR et la SAR sont arrivées à leurs conclusions avant d’aborder chacune des erreurs que la SAR aurait commises dans l’ordre dans lequel l’avocate du demandeur les a présentées à l’audience.
I.
La décision de la Section de la protection des réfugiés
[7]
Le 29 mars 2019, la SPR a instruit la demande d’asile. Dans une décision datée du 3 juin 2019, la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. La SPR a conclu que les questions déterminantes étaient l’identité et la crédibilité et que le demandeur n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour établir son identité en tant que citoyen de l’Érythrée. En particulier, la SPR a tiré les conclusions suivantes :
le demandeur d’asile a déposé une pièce d’identité principale, soit un prétendu certificat de naissance éthiopien délivré à Addis‑Abeba le 28 août 2017, témoignant de sa nationalité érythréenne. Il n’a présenté aucun autre document érythréen. À la lumière des éléments de preuve fournis, la SPR a conclu que le certificat de naissance avait été obtenu de façon inappropriée ou qu’il s’agissait d’un faux; elle ne lui a donc accordé aucun poids et a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité;
la SPR a tiré une conclusion défavorable relativement au fait que le demandeur n’a déployé aucun effort pour confirmer son identité par l’entremise de membres de la communauté érythréenne ou pour obtenir une preuve de son identité. Il a prétendu que les autorités américaines avaient saisi sa carte d’identité érythréenne originale, mais une lettre de l’U.S. Immigration and Customs Enforcement [ICE] ne mentionnait pas un tel document. La lettre mentionnait en fait que le demandeur s’était vu refuser la libération conditionnelle parce qu’il n’avait pas établi son identité et qu’il n’avait pas présenté de pièce d’identité valide délivrée par le gouvernement;
la SPR a accordé un certain poids aux lettres d’appui fournies par le demandeur pour corroborer sa demande d’asile, mais ces documents, ajoutés à l’ensemble de la preuve, ne suffisaient pas à établir le bien‑fondé de sa demande d’asile. Puisque les lettres fournissaient peu de détails pertinents, elles n’avaient que peu de valeur probante pour ce qui est d’établir l’identité du demandeur à titre de citoyen érythréen. De plus, la lettre de Mme Teferi n’abordait pas la question cruciale du certificat de naissance;
le commissaire de la SPR a souligné que les documents sur la situation dans le pays confirmaient que l’Éthiopie avait expulsé des dizaines de milliers d’Éthiopiens d’origine érythréenne vers l’Érythrée pendant la guerre frontalière de 1990‑2000 et que l’Éthiopie avait peut‑être privé ces personnes de leur citoyenneté éthiopienne. Il existe aussi un processus de réacquisition de la citoyenneté, qui n’est pas automatique;
il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir un risque personnalisé en Éthiopie ou en Érythrée.
b.
les documents scolaires de l’Éthiopie présentés par le demandeur n’établissaient pas son identité en tant que citoyen de l’Érythrée. Ses documents d’identité américains n’établissaient pas non plus son identité en tant que citoyen de l’Érythrée;
d.
le témoignage du demandeur était vague et incohérent. Le demandeur ne se souvenait pas de l’âge qu’il avait lorsqu’il s’est fait expulser vers l’Érythrée et enrôler de force dans l’armée. Il s’agit d’un événement charnière qui est au cœur de sa demande d’asile. Son témoignage selon lequel il n’a jamais reçu de documents en tant que soldat érythréen ne concordait pas avec la preuve documentaire selon laquelle les recrues du service national reçoivent une carte d’identité militaire ou un laissez‑passer qui est nécessaire pour quitter la base militaire, se déplacer en Érythrée et franchir les points de contrôle. Il y avait des lacunes dans les connaissances du demandeur; par exemple, il ne pouvait pas nommer la ville la plus proche de l’endroit où il était basé ni décrire les routes. Son témoignage concernant ses visites à Mme Abeba Negash Teferi (sa petite amie de l’époque et la mère de son fils) à Dekemhare pendant qu’il vivait dans un complexe militaire loin de la ville était incohérent et contredit par des renseignements figurant dans la lettre de Mme Teferi, qui mentionnait qu’ils habitaient ensemble. De plus, il ne possédait pas de laissez‑passer ni de carte militaire qui lui permettrait de quitter la base, de se rendre à Dekemhare et de retourner à son poste;
f.
le témoignage du demandeur au sujet de son service militaire, de la région où il a servi et de sa solde de conscrit n’était pas concluant et, par conséquent, n’était pas favorable ou défavorable à sa demande d’asile;
h.
le demandeur a également affirmé avoir été persécuté en Éthiopie, et la demande d’asile résiduelle a été appréciée à l’égard de l’Éthiopie dans l’éventualité où il est citoyen de ce pays. Il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir qu’une personne d’origine mixte érythréenne/éthiopienne éprouve une crainte fondée d’être persécutée. Selon le rapport du ministère de l’Intérieur du Royaume‑Uni, il n’y avait aucune preuve récente que les Éthiopiens d’origine érythréenne vivant en Éthiopie risquent d’être persécutés. Deuxièmement, les documents sur la situation dans le pays montrent que les chrétiens évangéliques représentent près de 20 % de la population, et qu’il n’y avait pas de possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté en Éthiopie;
II.
La décision de la Section d’appel des réfugiés
[8]
Le demandeur a fait appel de la décision de la SPR à la SAR. Il n’a déposé aucun nouvel élément de preuve en appel. Le demandeur a soutenu que la SPR avait commis une erreur dans l’appréciation de son identité et de sa crédibilité et n’avait pas fourni de motifs suffisants pour justifier l’examen du risque personnalisé au titre de l’article 97. Le demandeur a aussi affirmé que le commissaire de la SPR avait fait preuve de partialité.
[9]
Dans sa décision du 15 mai 2020, la SAR a rejeté l’appel du demandeur et a confirmé la décision de la SPR selon laquelle il n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. La SAR a rejeté un bon nombre d’arguments soulevés par le demandeur, notamment le fait que la SPR n’avait pas correctement pris connaissance d’office de certains éléments figurant au cartable national de documentation [le CND], le fait que la SPR a cité les propos d’une personne qui figuraient au CND alors que la personne n’était pas un témoin expert certifié, le fait que la SPR n’a pas « utilis[é] tous les moyens à sa disposition pour produire les éléments de preuve nécessaires à l’appui de la demande »
, et le fait que la SPR aurait dû conclure que le demandeur était apatride de fait. La SAR a également rejeté l’allégation non fondée de partialité à l’endroit du commissaire de la SPR.
[10]
La SAR a conclu ce qui suit relativement aux questions d’identité et de crédibilité :
elle a confirmé les conclusions de la SPR à l’égard du certificat de naissance. Elle a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le certificat de naissance n’était pas un document authentique et ne lui a accordé aucun poids pour établir la nationalité érythréenne du demandeur;
le demandeur n’a pas contesté les conclusions de la SPR au sujet de son manque d’efforts pour obtenir des documents d’identité. En ce qui concerne les renseignements contenus dans le document d’asile des États‑Unis, il n’a fourni aucun nouvel élément de preuve pour contester la conclusion de la SPR, ni aucune explication pour la mention dans le document américain selon laquelle il n’avait pas établi son identité;
le demandeur n’a pas contesté la conclusion de la SPR concernant les lettres d’appui. D’après la preuve au dossier, les lettres d’appui sont vagues et la SAR a accordé peu de poids aux lettres pour établir la nationalité érythréenne;
la SPR a souligné à juste titre que le témoignage du demandeur au sujet de sa solde concordait avec certains documents sur la situation dans le pays, mais pas avec d’autres documents. Par conséquent, ce témoignage n’était pas suffisant pour établir sa nationalité érythréenne;
la SAR a conclu que la SPR avait commis une erreur en tirant une conclusion défavorable en raison de l’omission du demandeur d’obtenir des éléments de preuve corroborants de la communauté érythréenne au Canada parce qu’il n’y avait pas d’éléments de preuve indiquant que les organisations communautaires érythréennes au Canada sont en mesure de confirmer la citoyenneté érythréenne d’une personne. La SPR a également commis une erreur en ce qui concerne l’incohérence du témoignage du demandeur au sujet de son âge au moment de l’expulsion, puisque cette incohérence s’explique par la différence entre le calendrier éthiopien et le calendrier grégorien. Toutefois, compte tenu de l’ensemble de la preuve, les erreurs commises par la SPR dans ces deux conclusions en matière de crédibilité n’étaient pas déterminantes ni suffisantes pour faire droit à l’appel.
b.
au mieux, les documents scolaires corroboraient son identité personnelle et montraient qu’il y a plus de 30 ans, il résidait en Éthiopie pour fréquenter l’école. Ces documents ne contiennent aucun renseignement au sujet de sa nationalité érythréenne et ne confirment pas non plus son expulsion vers l’Érythrée ni aucune de ses allégations contre l’Érythrée;
d.
après l’examen du dossier, la SAR a conclu que le témoignage du demandeur était changeant et qu’il était incompatible avec la preuve documentaire. À titre d’exemple, le demandeur a d’abord répondu [traduction] « non »
à la question de savoir s’il avait déjà reçu des documents à titre de soldat. Une fois confronté aux documents sur la situation dans le pays en ce qui concerne la délivrance d’un laissez‑passer qui permet de traverser les points de contrôle et de se déplacer dans le pays, le demandeur a modifié son témoignage pour dire qu’il avait ce document, mais son explication du changement dans son témoignage n’a pas été acceptée. Le demandeur n’a pas contesté la conclusion de la SPR au sujet de la preuve concernant sa capacité de voyager pour rendre visite à sa petite amie de l’époque, Mme Teferi, et de retourner à son poste sans documents;
f.
la capacité du demandeur de relater des faits géographiques sur les villes situées autour de la base militaire ou sa capacité de parler le tigrinya n’étaient pas suffisantes pour établir son allégation selon laquelle il a servi dans l’armée érythréenne ou selon laquelle il était un citoyen érythréen;
III.
Norme de contrôle
[11]
La norme de contrôle applicable n’est pas contestée. Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], au paragraphe 10, la Cour suprême du Canada a conclu que la norme de contrôle présumée est celle de la décision raisonnable, et qu’une cour de révision ne devrait déroger à cette présomption que « lorsqu’une indication claire de l’intention du législateur ou la primauté du droit l’exige ».
Il n’y a pas de telle indication en l’espèce.
[12]
Dans les circonstances, il incombe au demandeur de démontrer que la décision de la SAR est déraisonnable. Une décision déraisonnable est injustifiée, en ce sens qu’elle est illogique, irrationnelle ou inintelligible, et il ne s’agit pas d’un cas où « [un] mode d’analyse, dans les motifs avancés, […] pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l’a fait »
(Vavilov, au para 102, citant Barreau du Nouveau‑Brunswick c Ryan, 2003 CSC 20, au para 55; Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c Southam Inc, [1997] 1 RCS 748, au para 56). Subsidiairement, ou en plus, une décision déraisonnable est injustifiable, en ce sens qu’elle est incompatible avec les contraintes factuelles et juridiques imposées au tribunal : Vavilov, au para 105.
IV.
ANALYSE
[13]
Dans les observations de vive voix qu’elle a présentées, l’avocate du demandeur s’est concentrée sur les conclusions de la SAR concernant l’authenticité du certificat de naissance du demandeur et le poids accordé aux lettres d’appui et les conclusions défavorables tirées en raison du témoignage du demandeur au sujet d’un laissez‑passer et du temps où il était dans l’armée. Le demandeur soutient que la SAR a fait abstraction d’éléments de preuve essentiels, a mal interprété certains éléments de preuve, a accordé peu de poids à des documents qui sont authentiques et probants, et qu’elle s’est appuyée sur de prétendues incohérences mineures ou non pertinentes dans le témoignage.
[14]
Le demandeur a soulevé bon nombre des mêmes arguments que ceux soulevés dans le cadre de l’appel interjeté à l’égard de la décision de la SPR; ils sont abordés en détail dans la décision de la SAR.
[15]
Comme je l’explique ci‑après, je suis convaincu que la SAR a raisonnablement examiné l’ensemble de la preuve au dossier et les observations du demandeur. D’après l’appréciation de la preuve et de la crédibilité faite par la SAR, il était raisonnablement loisible à celle‑ci de décider qu’elle ne pouvait accueillir l’appel. Tout au long de son argumentation, le demandeur exprime simplement un désaccord avec l’examen de la preuve fait par la SAR et avec sa conclusion selon laquelle la preuve n’était ni crédible ni digne de foi, sans mentionner d’erreur susceptible de contrôle dans l’analyse de la SAR.
A.
Authenticité du certificat de naissance
[16]
Selon le témoignage du demandeur devant la SPR, la mère de son fils, Mme Teferi, a communiqué avec ceux qui étaient au courant de sa naissance et a fait appel à eux comme témoins afin d’obtenir le certificat de naissance. Il a en outre expliqué que comme il était en deuil de son frère à ce moment‑là et qu’il venait d’être libéré aux États‑Unis, il n’a pas posé d’autres questions quant à la façon dont elle avait obtenu le document après avoir appris qu’elle avait réussi à l’obtenir.
[17]
Le demandeur conteste la conclusion de la SAR selon laquelle la façon dont il a expliqué comment il avait obtenu son certificat de naissance était incompatible avec les renseignements figurant au CND. Le seul document figurant au CND sur lequel la SAR s’est appuyée afin de tirer ses conclusions est un rapport du gouvernement australien qui, en premier lieu, ne mentionne pas ses sources et qui, en second lieu, donne seulement [traduction] « un aperçu général plutôt qu’exhaustif du pays ».
[18]
Selon le demandeur, il était déraisonnable de ne pas tenir compte de la capacité d’une personne d’évaluer la fiabilité des renseignements contenus dans le rapport australien. Il souligne que les renseignements figurant dans ledit rapport ont trait aux étapes qu’un demandeur devrait franchir pour obtenir un certificat de naissance s’il se trouvait en Éthiopie et ne traitent pas de la situation du demandeur, en tant que personne à l’extérieur du pays.
[19]
Le demandeur prétend qu’il y a de toute façon une divergence entre le rapport australien et la réponse à la demande d’information [la RDI] sur les documents d’identité comprise dans le CND. La RDI mentionne qu’avant 2009, les demandeurs nés à Addis‑Abeba pouvaient obtenir leur certificat du bureau de l’administration municipale (City Government Administration Office) et qu’après 2009, les bureaux locaux du kébélé à Addis‑Abeba délivreraient le document. La RDI souligne que les résidents d’Addis‑Abeba (par opposition aux personnes nées là‑bas) peuvent faire délivrer leurs documents par le bureau d’enregistrement des documents d’état civil et des lois gouvernementales (Government Acts and Civil Status Document Registration Office) d’Addis‑Abeba. Cette incohérence démontre que les renseignements figurant dans ces sources ne sont pas nécessairement exacts.
[20]
Le demandeur conteste également le fait que la SAR s’est appuyée sur des irrégularités à première vue du certificat de naissance, irrégularités qui, selon elle, minaient la crédibilité du document. Le fait qu’il y ait de nombreuses irrégularités n’est pas contesté. Plus précisément, le nom du bureau administratif, tel qu’il apparaît dans le sceau de l’agent de l’état civil, est mal épelé. Le sceau contient également d’autres erreurs d’orthographe; le mot statistiques est épelé « Statistices »,
le mot certification, « Certfication »,
et le mot service, « Srevice ».
[21]
Après appréciation du certificat de naissance, la SAR a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le certificat de naissance n’était pas un document authentique. Elle ne lui a donc accordé aucun poids pour établir la nationalité érythréenne du demandeur. La SAR n’a pas accepté l’explication du demandeur selon laquelle Mme Teferi s’était chargée d’obtenir le certificat de naissance, non seulement parce que le demandeur ignorait qui étaient les témoins qui ont confirmé sa naissance, mais aussi parce qu’il n’a pas pu expliquer comment Mme Teferi a pu obtenir le certificat de naissance sans pièces justificatives, et sans un formulaire de demande rempli par le demandeur lui‑même.
[22]
Dans la plupart des cas, le simple fait qu’un document puisse contenir certaines erreurs typographiques ne doit pas être utilisé pour en miner la crédibilité : Mbang c Canada (MCI), 2019 CF 68, au para 23. Toutefois, dans l’ensemble, la SAR avait amplement d’autres raisons de tirer sa conclusion au sujet de l’authenticité du certificat de naissance. Il n’y avait tout simplement aucun élément de preuve à l’appui du témoignage du demandeur, qui relevait en fait de l’hypothèse, en ce sens qu’il laissait entendre que les exigences étaient peut‑être différentes pour la délivrance d’un nouveau certificat de naissance par procuration.
[23]
L’établissement de l’identité est une question préliminaire essentielle et fondamentale, et l’omission d’établir l’identité est fatale pour une demande d’asile. L’article 106 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [la LIPR] et l’article 11 des Règles de la Section de la protection des réfugiés exigent expressément qu’un demandeur d’asile établisse d’abord son identité selon la prépondérance des probabilités. Par conséquent, il incombe au demandeur d’asile d’établir son identité en se fondant sur des « papiers d’identité acceptables ».
Le demandeur n’a pas démontré que l’analyse de la SAR et sa conclusion selon laquelle le demandeur n’a pas établi son identité en l’espèce contenait des erreurs.
B.
Poids accordé aux lettres d’appui
[24]
Le demandeur a fourni plusieurs déclarations de personnes attestant sa nationalité érythréenne. La SAR a conclu que « [l]es lettres de soutien sont vagues, et j’y accorde peu de poids pour établir la nationalité érythréenne de l’appelant ».
[25]
Le demandeur soutient que l’analyse faite par la SAR d’au moins une de ces déclarations à l’appui, celle de Mme Miliete Kidane, n’est pas exacte.
[26]
Dans sa lettre, Mme Kidane affirme qu’elle avait une relation étroite avec le demandeur et sa famille. Elle explique qu’elle connaît la famille de Shire, que son père et le père du demandeur étaient des amis proches et qu’elle avait l’habitude de le rencontrer et de lui parler au téléphone lorsque le demandeur faisait son service militaire en Érythrée. De plus, elle fournit ses coordonnées et demande à être contactée si d’autres renseignements sont nécessaires.
[27]
Le demandeur soutient que la lettre de Mme Kidane est un document qui a une valeur probante élevée. S’il y a raison de le croire, il est essentiel pour établir l’identité érythréenne du demandeur. Bien que la SAR ne tire aucune conclusion défavorable quant à la crédibilité de la déclaration de Mme Kidane, elle estime néanmoins que cette déclaration a peu de poids.
[28]
Selon le demandeur, il s’agit d’une erreur grave et, pour ce seul motif, l’affaire devrait être renvoyée pour réexamen. Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur de droit en accordant peu de poids à ce document qui, selon lui, est crédible et a une valeur probante (Nti c Canada (MCI), 2020 CF 595, aux para 19 à 23). De plus, le demandeur soutient que, comme l’identité était une question importante et que Mme Kidane pouvait confirmer son identité, la SAR aurait dû communiquer avec elle pour vérifier les renseignements afin de dissiper ou de confirmer toute préoccupation quant à la crédibilité (Downer c Canada (MCI), 2018 CF 45, au para 63). Je ne puis souscrire à cette affirmation.
[29]
La SAR a souligné que puisque le demandeur n’a pas contesté la conclusion de la SPR à l’égard des lettres d’appui, elle n’avait aucune raison d’intervenir à cet égard. La SPR a accordé un certain poids aux lettres d’appui, mais, compte tenu de l’ensemble de la preuve, elle a jugé que ces documents étaient insuffisants pour établir le bien‑fondé de la demande d’asile du demandeur.
[30]
La SPR a conclu que, puisque les lettres fournissaient peu de détails pertinents, elles avaient peu de valeur probante pour ce qui est d’établir l’identité du demandeur à titre d’Érythréen. La SAR a conclu que, selon les éléments de preuve au dossier, les lettres d’appui étaient vagues. Elle a également accordé peu de poids aux lettres pour l’établissement de la nationalité érythréenne.
[31]
La SAR a expressément souligné qu’exception faite de la lettre de Mme Teferi, les renseignements contenus dans les lettres au sujet de l’expulsion de l’Éthiopie du demandeur ne fournissent aucun détail sur l’événement. De plus, aucun des auteurs des lettres ne mentionne avoir assisté à l’événement ni ne mentionne la façon dont ils ont entendu parler de l’événement ou dont ils ont appris que le demandeur est un citoyen de l’Érythrée; ils énoncent simplement l’affirmation déjà faite par le demandeur. Après avoir examiné les lettres en question, je ne trouve aucune erreur dans le raisonnement de la SAR à cet égard. Je remarque également que le témoignage du demandeur contredit le récit de Mme Teferi selon lequel elle habitait avec le demandeur pendant qu’il faisait son service militaire.
[32]
Le demandeur reproche également à la SAR de ne pas avoir communiqué avec Mme Kidane pour vérifier ses renseignements. Toutefois, bien que le demandeur ait lui‑même eu l’occasion de déposer de nouveaux éléments de preuve dans le cadre de son appel, il ne l’a pas fait. Je conviens avec le défendeur que le demandeur est simplement en désaccord avec l’évaluation faite par la SAR du poids à accorder à la lettre de Mme Kidane.
C.
Service militaire
[33]
Le demandeur ne souscrit pas aux conclusions négatives de la SAR quant à la crédibilité de son témoignage au sujet du laissez‑passer et du temps qu’il a passé dans l’armée, selon lesquelles son témoignage était vague et changeant. Il soutient qu’il n’y avait aucun fondement pour tirer une conclusion défavorable parce qu’il n’avait pas [traduction] « reçu la formation nécessaire pour répondre à une question de façon complète et efficace »,
et que la SAR s’est concentrée sur des incohérences non pertinentes. Je ne puis souscrire à cette affirmation.
[34]
La SAR a examiné le témoignage du demandeur et a relevé plusieurs incohérences et contradictions, ainsi que le caractère imprécis et changeant de ses réponses aux questions. Un résumé utile est fourni au paragraphe 24 du mémoire des arguments du défendeur :
[traduction]
M. Weldeab ne se souvenait pas de l’âge qu’il avait lorsqu’il a été expulsé vers l’Érythrée et qu’il a été enrôlé de force dans l’armée. Il s’agit d’un événement charnière qui est au cœur de sa demande d’asile; son témoignage selon lequel il n’a jamais reçu de documents à titre de soldat érythréen était incompatible avec la preuve documentaire, qui énonce que les recrues au service national se voient attribuer des cartes d’identité militaire ou des laissez‑passer qui sont essentiels pour quitter la base, pour se déplacer en Érythrée et pour traverser les points de contrôles; il y avait des lacunes dans les connaissances de M. Weldeab, comme le fait qu’il ne pouvait pas nommer la ville la plus près de l’endroit où il était basé ni décrire les routes. Son témoignage au sujet de ses visites à Mme Terefi à Dekemhare pendant qu’il vivait dans un complexe militaire loin de la ville n’était pas cohérent et était contredit par des renseignements figurant dans la lettre de Mme Terefi, qui mentionnait qu’ils habitaient ensemble. De plus, il ne possédait pas de laissez‑passer ni de carte militaire qui lui permettrait de quitter la base, de se rendre à Dekemhare et de retourner à son poste.
[35]
Les décideurs devraient avoir beaucoup de latitude lorsqu’ils tirent des conclusions de fait, surtout en ce qui concerne la crédibilité. À mon avis, la SAR a procédé à un examen approfondi et indépendant de la preuve et a tenu compte de la jurisprudence pertinente pour apprécier les questions de l’identité et de la crédibilité du demandeur.
[36]
La SAR n’a pas confirmé toutes les conclusions de la SPR quant à la crédibilité et a correctement examiné de nouveau les questions soulevées dans les observations du demandeur. De plus, la SAR a examiné chaque élément de preuve et le témoignage du demandeur et les a examinés de façon cumulative pour voir s’ils appuyaient l’allégation au sujet de l’identité érythréenne et du service dans l’armée érythréenne. La SAR a également énoncé le poids accordé aux éléments de preuve et leur importance cumulative.
[37]
Compte tenu du dossier dont la SAR était saisie, il était raisonnable pour elle de conclure que le témoignage du demandeur contenait des incohérences et des contradictions et que le demandeur n’a pas prouvé son identité.
V.
CONCLUSION
[38]
Les deux parties ont convenu que l’identité était la question principale dans la présente affaire. Par conséquent, la seule question dont la Cour est saisie est celle de savoir si la conclusion de la SAR selon laquelle le demandeur n’avait pas établi son identité érythréenne était déraisonnable. Le seul document officiel présenté par le demandeur à l’appui de son identité est très suspect, et, selon moi, la SAR a tiré une conclusion raisonnable selon laquelle ce document n’est pas authentique.
[39]
Le demandeur omet d’aborder les conclusions en matière de crédibilité dans leur ensemble, et sélectionne plutôt minutieusement certains aspects de la décision auxquels il ne souscrit pas. Toutefois, il ne s’agissait pas de divergences mineures, mais plutôt d’incohérences, de contradictions et d’invraisemblances qui, de façon cumulative, ont miné le témoignage du demandeur et sa crédibilité.
[40]
Je conviens avec le défendeur que le demandeur demande essentiellement à la Cour de soupeser à nouveau la preuve. Cependant, ce n’est pas là le rôle de la Cour en matière de contrôle judiciaire. Lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit tenir compte du résultat de la décision administrative eu égard au raisonnement sous‑jacent à celle‑ci afin de s’assurer que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée. Le demandeur ne m’a pas convaincu que la décision de la SAR est indéfendable à la lumière de la preuve dont elle disposait. Par conséquent, je n’ai aucune raison de modifier cette décision.
[41]
Aucune des parties n’a proposé une question à certifier et aucune n’est certifiée.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑3737‑20
LA COUR statue que :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
« Roger R. Lafreniѐre »
juge
Traduction certifiée conforme
Isabelle Mathieu
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM‑3737‑20
|
INTITULÉ :
|
PAULOS GESESE WELDEAB c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
PAR VIDÉOCONFÉRENCE, à Vancouver (Colombie‑Britannique)
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
Le 15 février 2021
|
JUGEMENT ET MOTIFS :
|
Le juge LAFRENIÈRE
|
DATE DES MOTIFS :
|
LE 18 février 2021
|
COMPARUTIONS :
Lobat Sadrehashemi
|
POUR LE DEMANDEUR
|
Helen Park
|
POUR LE DÉFENDEUR
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Lobat Sadrehashemi
Avocate
Vancouver (Colombie‑Britannique)
|
POUR LE DEMANDEUR
|
Procureur général du Canada
Vancouver (Colombie‑Britannique)
|
POUR LE DÉFENDEUR
|