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Date : 20040108

Dossier : T-1069-03

Référence : 2004 CF 24

Toronto (Ontario), le 8 janvier 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER                                   

ENTRE :

                                                                    TONY KISSOON

                                                                                                                                                      demandeur

                                                                                   et

                   LE MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES

                                                                                                                                                        défendeur

        MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                 M. Kissoon reçoit depuis 1989 des prestations d'invalidité au titre du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-8 (le RPC). À partir de décembre 2000, il a commencé à recevoir également des prestations d'enfants de cotisant invalide pour ses jumelles nées en décembre 1990. Il a demandé que le versement des prestations de ses filles prenne effet en décembre 1990. Le refus définitif de sa demande a été opposé par M. Edward Tomagno au nom du ministre du Développement des ressources humaines (le ministre) en application du paragraphe 66(4) du RPC. Dans la décision du ministre datée du 10 juin 2003, on a conclu que M. Kissoon n'avait pas été privé d'une prestation à laquelle il aurait eu droit au titre du RPC du fait d'un avis erroné ou d'une erreur administrative. M. Kissoon demande à la Cour de contrôler judiciairement cette décision.

La séquence des événements ayant mené à la présente audience est la suivante :

1.          M. Kissoon a réclamé pour la première fois ces prestations dans une demande soumise le 22 mars 1990 (la première demande), qui a été accueillie. La date à laquelle devait commencer le versement des prestations avait été fixée à avril 1989.

2.          Ses jumelles son nées le 22 décembre 1990. En vertu du RPC, les enfants de M. Kissoon peuvent obtenir sur demande le versement de prestations d'enfants de cotisant invalide.


3.          Le 29 novembre 2001, le défendeur a reçu une « Demande de prestations pour les enfants âgés de moins de 18 ans d'un cotisant invalide » (la deuxième demande), demande soumise par M. Kissoon pour le compte de ses filles. Dans sa deuxième demande, M. Kissoon a mentionné qu'il avait fait une demande de prestations au titre du RPC en 1990, mais qu'il n'avait pas reçu de réponse du défendeur. M. Kissoon a aussi écrit : [traduction] « J'ai reçu des renseignements quant à des changements dans la sécurité du revenu, selon lesquels les enfants ont droit à ces prestations depuis leur naissance » .

4.          Le défendeur a fait droit à la deuxième demande de M. Kissoon et a conclu que le versement de ces prestations commencerait en décembre 2000.

5.          Croyant que le versement des prestations de ses enfants devait avoir un effet rétroactif à la date de leur naissance, M. Kissoon a, dans une lettre datée du 4 janvier 2002, demandé que la question de la prise d'effet du versement des prestations de ses enfants fasse l'objet d'un réexamen. Dans sa lettre, il a expliqué : [traduction] « J'ai présenté une demande pour mes enfants environ six mois après leur naissance. Je n'ai reçu aucune réponse de votre bureau. J'ai donc pensé que mes enfants n'avaient pas droit à des prestations » .

6.          Le défendeur a refusé sa demande dans une lettre datée du 6 février 2002.

7.          M. Kissoon, dans une lettre datée du 11 février 2002, a interjeté appel de cette décision devant le tribunal de révision, constitué conformément à l'article 82 du RPC. Après la tenue d'une audience, le tribunal de révision a rejeté son appel et a dit qu'il n'était :

[traduction] [...] pas habilité à suspendre ou à modifier les exigences claires de la loi. En l'espèce, les dispositions de l'article 74 sont claires, et la période de rétroactivité ne peut commencer avant décembre 2000.


Le tribunal de révision a également dit :

[traduction] [...] conformément aux dispositions du paragraphe 66(4) du RPC, dans le cas où le ministre est convaincu qu'un avis erroné ou une erreur administrative survenus dans le cadre de l'application du RPC a eu pour résultat que soit refusée à cette personne, en tout ou en partie, une prestation à laquelle elle aurait eu droit en vertu du RPC, le ministre prend les mesures correctives qu'il estime indiquées [...]

[...] Sans formuler de commentaires quant à savoir s'il y a eu ou non un avis erroné ou une erreur administrative, nous sommes d'avis qu'il s'agit d'une question que l'appelant peut régler directement avec le ministre.

8.          Dans une lettre datée du 19 novembre 2002, M. Kissoon a demandé que son dossier soit fasse l'objet d'un réexamen conformément aux dispositions du RPC sur les erreurs administratives. Le demandeur a invoqué deux moyens à l'appui de son allégation suivant laquelle une erreur administrative a été commise. Premièrement, M. Kissoon a allégué avoir présenté une demande de prestations pour le compte de ses enfants en 1991, à laquelle il n'a reçu aucune réponse; et, deuxièmement, il a dit que son appel avait été porté par erreur devant le tribunal de révision.

9.          Dans une lettre datée du 31 décembre 2002, M. Kissoon a été informé qu'il n'y avait eu ni d'avis erroné ni d'erreur administrative relativement à sa demande.

10.        M. Kissoon a envoyé une deuxième lettre, datée du 5 mai 2003, directement au bureau du ministre, dans laquelle il demandait que son dossier fasse l'objet d'un réexamen conformément aux dispositions du RPC sur les erreurs administratives.


11.        La décision qui fait l'objet du présent contrôle judiciaire est la décision du 10 juin 2003 dans laquelle M. Tomagno a décidé au nom du ministre que le demandeur n'avait pas reçu d'avis erroné et qu'aucune erreur administrative n'avait été commise.

[traduction] Des fonctionnaires du ministère, agissant pour le compte du ministre, ont encore une fois examiné votre dossier et ne peuvent modifier la décision communiquée dans leur lettre du 31 décembre 2002. Ils sont convaincus qu'il n'y a aucune preuve d'erreur administrative ou d'avis erroné du ministère, qui aurait donné lieu à une perte de prestations. La date de prise d'effet du versement des prestations pour les enfants doit demeurer décembre 2000, soit onze mois avant la date de réception de la demande.

Questions en litige

[2]                 La présente demande soulève les questions suivantes :

1.         La théorie de l'expectative légitime trouve-t-elle application d'après les faits de l'espèce?

2.         Le ministre a-t-il commis une erreur susceptible de contrôle en concluant qu'il n'avait pas donné à M. Kissoon un avis erroné relativement à sa deuxième demande du fait qu'il avait omis de l'informer, avant l'audience, que le tribunal de révision n'était pas habilité à suspendre les exigences des dispositions du RPC?


3.         Le ministre a-t-il commis une erreur susceptible de contrôle en décidant qu'il n'avait pas commis d'erreur administrative relativement à la deuxième demande de M. Kissoon en ne concluant pas que M. Kissoon avait présenté une demande de prestations pour ses filles en 1991?

                               

Analyse

[3]                 Pour les motifs qui suivent, la présente demande devrait être rejetée.

Norme de contrôle


[4]                 La décision du ministre au titre du paragraphe 66(4) du RPC est discrétionnaire. L'obligation du ministre de prendre les mesures correctives qu'il estime indiquées n'intervient que dans le cas où il est convaincu qu'un avis erroné a été donné ou qu'une erreur administrative a été commise. L'obligation de prendre des mesures correctives est conditionnelle. Elle ne limite donc pas le pouvoir discrétionnaire du ministre de déterminer tout d'abord s'il est convaincu qu'une erreur a été commise (Maple Lodge Farms Ltd. c. Canada, [1982] 2 R.C.S. 2). Compte tenu de la nature discrétionnaire de la décision du ministre, la norme de contrôle applicable est la décision manifestement déraisonnable (Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, à la page 24). Cela signifie que la décision du ministre ne devrait être annulée que si elle a été « prise arbitrairement ou de mauvaise foi, qu'elle n'est pas étayée par la preuve ou que [le] ministre a omis de tenir compte des facteurs pertinents » (Suresh, précité).

[5]                 Une conclusion d'avis erroné ou d'erreur administrative est une conclusion de fait. Elle indique également à la cour de révision qu'elle doit faire preuve de retenue à l'égard de la décision du ministre. La Cour ne doit ni apprécier à nouveau la preuve ni modifier les conclusions tirées uniquement parce qu'elle serait arrivée à une autre conclusion (Suresh, précité, à la page 24).

Question 1 : La théorie de l'expectative légitime trouve-t-elle application d'après les faits de l'espèce?


[6]                 Bien qu'elle ait été soulevée par M. Kissoon dans ses observations écrites, je suis incapable de conclure que la question de l'expectative légitime s'applique en l'espèce. Cette théorie « accorde à une personne touchée par la décision d'un fonctionnaire public la possibilité de présenter des observations dans des circonstances [...] où, par sa conduite, un fonctionnaire public a fait croire à quelqu'un qu'on ne toucherait pas à ses droits sans le consulter » (Assoc. des résidents du Vieux St-Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170, à la page 1204). Cette théorie n'est que le prolongement des règles de justice naturelle et de lquité procédurale (Assoc. des résidents du Vieux St-Boniface Inc., précité). Je ne suis pas convaincue qu'on ait manqué, à quelque étape que ce soit, au principe de l'équité procédurale à l'égard de M. Kissoon. Il a exercé tous ses droits d'appel, il a été entendu, il a obtenu un examen approfondi de son dossier et le défendeur lui a fourni les motifs de sa décision. En outre, rien ne prouve qu'un représentant du ministre lui a dit qu'on lui accorderait un quelconque droit procédural, droit qui lui a été refusé par la suite. Pour ces motifs, je ne crois pas que l'on puisse dire que la théorie de l'expectative légitime trouve application d'après les faits de l'espèce.

Question 2 : Le ministre a-t-il commis une erreur susceptible de contrôle en concluant que le demandeur n'avait pas reçu d'avis erroné?

[7]                 M. Kissoon soutient qu'un représentant du ministre lui a donné un avis erroné suivant lequel il devait interjeter appel devant le tribunal de révision alors qu'il était clair que ce tribunal n'était pas habilité à se prononcer sur son dossier. M. Kissoon a déboursé 1 500 $ pour être représenté à cette audience. Selon M. Kissoon, le ministre a commis une erreur en ne reconnaissant pas qu'il y avait eu avis erroné.


[8]                 Le défendeur n'avait pas l'obligation positive de fournir un avis juridique à M. Kissoon. Les renseignements fournis par le défendeur à M. Kissoon, dans sa lettre datée du 6 février 2002, sont conformes aux articles 81 et 82 du RPC. C'était à M. Kissoon de déterminer si son dossier soulevait une question défendable. M. Kissoon était représenté à l'audience devant le tribunal de révision, ce qui indique qu'il a de fait obtenu un avis juridique autre que celui que lui a fourni le défendeur. Ce n'est pas de la faute du défendeur si l'avocat de M. Kissoon a mal informé ce dernier de ses droits au titre du RPC. En conséquence, le ministre n'a commis aucune erreur susceptible de contrôle.

Question 3 : Le ministre a-t-il commis une erreur susceptible de contrôle en décidant qu'il n'y avait aucune erreur administrative relativement à la deuxième demande?

[9]                 M. Kissoon prétend que, lorsqu'il a écrit au défendeur relativement à ses propres prestations, il a joint à sa lettre une demande de prestations pour ses deux enfants. Bien que le cachet « reçu » ait été apposé sur la lettre relative aux prestations du demandeur le 24 janvier 1991, le défendeur nie avoir reçu une demande de prestations pour les filles du demandeur. Selon M. Kissoon, le défendeur a commis une erreur administrative en admettant avoir reçu une lettre de lui, mais non pas la demande qui y était jointe. À son avis, le ministre s'est fondé sur des éléments de preuve ou des documents non corroborés lorsqu'il a décidé de refuser sa demande de prestations pour ses enfants.


[10]            Le défendeur aurait commis une erreur susceptible de contrôle s'il avait pris sa décision sans tenir compte de la preuve dont il était saisi ou en se fondant sur des éléments de preuve dont il n'était pas saisi. Je ne vois aucune erreur de ce type en l'espèce. Le ministre a tenu compte de l'ensemble de la preuve dont il était saisi et il a conclu que celle-ci n'établissait pas qu'une erreur avait été commise. Autrement dit, après avoir apprécié l'ensemble de la preuve, le ministre a conclu que celle-ci n'établissait pas, suivant la prépondérance des probabilités, que M. Kissoon avait soumis une demande de prestations pour ses enfants avant le 29 novembre 2001.

[11]            Un examen de la preuve dont était saisi le ministre et dont je suis saisie montre l'existence d'un certain nombre de contradictions en ce qui touche la date à laquelle M. Kissoon prétend avoir soumis une demande pour le compte de ses filles. Il ressort clairement de la preuve que le ministre a examiné à fond le dossier de M. Kissoon et qu'il a conclu que la preuve était insuffisante pour étayer sa demande. En l'absence d'une preuve satisfaisante établissant qu'une erreur administrative a été commise, il était raisonnable pour le ministre de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire de manière favorable à M. Kissoon. En conséquence, je suis convaincue que la décision du ministre n'a pas été prise arbitrairement ou de mauvaise foi, qu'elle est étayée par la preuve et que le ministre a tenu compte des facteurs pertinents. Il n'y a aucune erreur susceptible de contrôle.

Conclusion

[12]            Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Dans l'exercice de mon pouvoir discrétionnaire, je refuse d'accorder des dépens.


                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.        La demande de contrôle judiciaire est rejetée sans frais.

« Judith A. Snider »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            T-1069-03

                                                         

INTITULÉ :                                                                                                            TONY KISSOON      

c.

LE MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES

LIEU DE L'AUDIENCE :                   TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE 7 JANVIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                         LA JUGE SNIDER

                                                         

DATE DES MOTIFS :                        LE 8 JANVIER 2004

COMPARUTIONS :

Tony Kissoon                                           POUR LE DEMANDEUR, POUR SON PROPRE COMPTE

Shawna Noseworthy                               POUR LE DÉFENDEUR

Michel Mathiew

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Tony Kissoon                                           POUR LE DEMANDEUR, POUR SON PROPRE

Meaford (Ontario)                                   COMPTE

Morris Rosenberg                                    POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE

Date : 20040108

Dossier : T-1069-03

ENTRE :

TONY KISSOON

demandeur

et

LE MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES

                                                                                                      

défendeur

                                                                           

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                           


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