Ottawa (Ontario), le 12 avril 2006
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O’REILLY
ENTRE :
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] M. Babatope Ideyonabe Atafo a demandé l’asile au Canada pour le motif qu’il craint d’être persécuté au Nigeria en tant qu’homosexuel. Un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté sa demande. Il a jugé que le récit des évènements ayant entraîné le demandeur à quitter le Nigeria était improbable et que la preuve corroborante était douteuse. M. Atafo soutient que la Commission a défini de façon inexacte le fardeau de la preuve incombant aux demandeurs d’asile et qu’elle a mal examiné la preuve devant elle. Il réclame la tenue d’une nouvelle audience.
[2]
Je
conviens que la Commission a commis une erreur dans son examen de certains
éléments de preuve essentiels; en conséquence, j’accueille la présente demande
de contrôle judiciaire.
I.
Questions
- La Commission a-t-elle défini de façon inexacte le fardeau de la preuve incombant au demandeur d’asile?
- La Commission
a-t-elle commis une erreur dans son examen de certains éléments de preuve
essentiels à la demande de M. Atafo?
II. Analyse
A. La Commission a-t-elle défini de
façon inexacte le fardeau de la preuve incombant au demandeur d’asile?
[3]
Je
ne peux annuler la décision de la Commission à cet égard que si je conclus
qu’elle a commis une erreur de droit. La Commission a jugé qu’elle n’était
« pas convaincu[e] qu’il existe une possibilité
sérieuse [que le demandeur] soit persécuté ». Ailleurs dans
sa décision, la Commission a affirmé qu’elle n’était « pas convaincu[e], selon la prépondérance des probabilités, qu’il
existe une possibilité sérieuse que le demandeur d'asile soit persécuté par les
autorités ».
[4]
À
mon avis, la Commission a correctement établi le fardeau de la preuve. Le
demandeur d’asile doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, les faits
sur lesquels il s’appuie. De plus, le demandeur d’asile doit démontrer qu’il
sera exposé à un risque véritable de persécution s’il retourne chez lui. Dans
la jurisprudence, cette dernière norme est désignée par les expressions
« davantage qu’une possibilité minime », « possibilité
sérieuse » ou « possibilité raisonnable » : Alam c.
Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 4,
[2005] A.C.F. no 15 (C.F.) (QL). Selon moi, la
Commission a correctement établi le fardeau de la preuve incombant à
M. Atafo.
B. La Commission a-t-elle commis une erreur dans son examen de certains éléments de preuve essentiels à la demande de M. Atafo?
[5]
M.
Atafo soutient avoir été surpris alors qu’il accomplissait un acte homosexuel
avec son partenaire. Par la suite, des extrémistes religieux l’auraient
recherché dans divers endroits et auraient saccagé deux fois son bureau
d’avocats. À l’appui de son témoignage concernant l’introduction par effraction
dans son bureau, le demandeur a produit des lettres de ses frères et de son
associé ainsi que des photographies de son bureau.
[6] La Commission a accordé peu d’importance à ces éléments de preuve. En fait, la Commission n’a accordé absolument aucune valeur à ces documents. En outre, à partir de ces conclusions, la Commission a rejeté d’autres éléments de preuve documentaire soumis par M. Atafo et a conclu que « les présumées entrées par effraction, qui découlent supposément de la découverte de l’homosexualité du demandeur d'asile, ne sont pas survenues ».
(i) La
lettre de l’associé
[7]
La
Commission a examiné une lettre écrite le 2 mai 2005 par l’associé de
M. Atafo. L’introduction par effraction aurait eu lieu le
29 mars 2005. La Commission a trouvé étrange que la lettre ne
mentionne pas l’introduction par effraction, particulièrement si l’on considère
que l’associé aurait inclus dans la même enveloppe des photographies du bureau.
En fait, l’associé a bel et bien mentionné l’introduction par effraction dans
sa lettre. Il y affirme avoir soulevé la question auprès de l’Association du
Barreau lors d’une réunion tenue le 1er avril 2005 :
[traduction] « J’avais
demandé à cette réunion comment Alhaje Bakare avait eu l’audace d’entrer
par effraction dans le bureau d’un avocat et de venir avec la police saccager
vos dossiers et vos documents. J’y ai également montré des photographies prises
après leur méfait. »
[8]
De
toute évidence, la Commission a commis une erreur au sujet de cet élément de
preuve.
(ii) La
lettre et les courriels du frère
[9]
La
Commission a examiné une lettre du frère de M. Atafo, Omozee, datée du
6 mai 2005, ainsi que des courriels datés du 11 et du
28 avril 2005. Omozee affirme dans sa lettre avoir été informé de
l’introduction par effraction tout de suite après qu’elle a eu lieu et avoir
fait en sorte qu’un photographe prenne des photos du bureau. Cependant, dans
ses courriels précédant la lettre, il ne mentionne pas l’introduction par
effraction. La Commission a jugé qu’il n’était pas plausible qu’Omozee n’ait
pas informé M. Atafo de l’introduction par effraction dans ses courriels.
La Commission a aussi relevé une contradiction dans la lettre d’Omozee. Il y
affirmerait également, à l’opposé de sa déclaration selon laquelle il a été
informé de l’introduction par effraction du 29 mars 2005 tout de suite
après l’évènement, qu’il en a été informé par l’associé de M. Atafo le
2 mai 2005.
[10] En fait, dans sa lettre, Omozee affirme qu’il a rencontré l’associé de M. Atafo le 2 mai 2005, mais il ne dit pas que c’est à ce moment qu’il a appris l’introduction par effraction. Il est vrai que la lettre porte quelque peu à confusion; cependant, elle n’est pas clairement contradictoire. Omozee prétend que l’associé l’a appelé immédiatement après l’introduction par effraction et lui a demandé de faire venir un photographe pour qu’il prenne des photos du bureau. L’associé prévoyait montrer ces photos à l’Association du Barreau. Cette partie de la lettre d’Omozee corrobore le récit que fait l’associé de la réunion de l’Association du Barreau du 1er avril 2005. Pour ce qui est des courriels d’Omozee, bien qu’il soit vrai qu’il ne mentionne pas expressément l’introduction par effraction, il y mentionne effectivement qu’un chef religieux s’est rendu au bureau de M. Atafo où il a interrogé et menacé son associé.
(iii) L’analyse de la Commission
[11] La Commission pouvait accorder à ces documents la valeur, quelle qu’elle soit, qu’ils méritaient selon elle, à la condition d’expliquer son analyse. À mon avis, la Commission n’a pas relevé dans ces preuves de contradictions ou d’éléments non plausibles assez considérables pour justifier de ne leur accorder aucune valeur.
[12]
De
plus, la Commission s’est appuyée sur son évaluation de ces documents pour
conclure que d’autres lettres corroborantes présentées par M. Atafo n’étaient
pas crédibles, sans les analyser. Puis, la Commission a statué qu’il n’y avait
jamais eu d’introduction par effraction et qu’aucune des allégations de
M. Atafo sur la façon dont il avait été traité au Nigeria n’était vraie.
De toute évidence, l’évaluation qu’a faite la Commission de la preuve
documentaire était au cœur de l’analyse de la demande d’asile déposée par M.
Atafo.
[13] À mon avis, la Commission a clairement commis une erreur dans son examen d’un élément de preuve corroborant important et n’a pas expliqué adéquatement son rejet d’autres éléments de preuve essentiels. En conséquence, la conclusion par la Commission voulant qu’aucun des évènements décrits par M. Atafo n’ait eu lieu n’était pas étayée par la preuve devant elle. Dans les circonstances, je dois accueillir la présente demande de contrôle judiciaire et ordonner une nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué. Ni l’une ni l’autre des parties n’ont proposé de question de portée générale à certifier et aucune n’est énoncée.
JUGEMENT
LA COUR
ORDONNE :
1.
La
demande de contrôle judiciaire est accueillie;
2.
Un
tribunal différemment constitué tiendra une nouvelle audience;
3. Aucune question de portée générale n’est énoncée.
Traduction certifiée conforme
Elisabeth Ross
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-4649-05
INTITULÉ : ATAFO
c.
MCI
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 26 JANVIER 2006
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE O’REILLY
DATE DES MOTIFS : LE 12 AVRIL 2006
COMPARUTIONS :
Elvira Akinyemi
|
POUR LE DEMANDEUR |
Nicole Butcher
|
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Mbong Elvira Akinyemi Toronto (Ontario)
|
POUR LE DEMANDEUR |
John H. Sims, c.r. Toronto (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR |