Date : 20050908
Dossier : IMM-813-05
Référence : 2005 CF 1225
Vancouver (Colombie-Britannique), le jeudi 8 septembre 2005
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ROULEAU
ENTRE :
GEORGE CHIGOZLE ASHIEGBU
demandeur
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, visant une décision du 13 janvier 2005 de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission). La Commission a conclu dans cette décision que le demandeur n'était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger. Les principaux motifs pour lesquels la Commission en est venue à cette conclusion avaient trait à la crédibilité ainsi qu'à la possibilité de refuge intérieur (PRI).
[2] Le demandeur, George Chigozle Ashiegbu, est un citoyen du Nigeria, âgé de 30 ans. Il prétend craindre d'être persécuté au Nigeria en raison du fait qu'il y est un évangéliste bien connu et qu'une fatwa (une ordonnance rendue par un chef religieux musulman) y aurait été prononcée contre lui. Il soutient avoir exercé des activités d'évangéliste au Nigeria depuis le début de 1997 environ.
[3] Le demandeur prétend être dans la mire des musulmans dans l'État du Plateau, au nord du pays, à cause de sa vocation d'évangéliste. Il soutient également que sa résidence familiale dans cet État a fait l'objet d'une attaque au début de mai 2004. Le demandeur ajoute qu'à cette occasion, son père a été assassiné et sa mère ainsi que son épouse ont été emmenées pour être séquestrées. Le demandeur soutient qu'il se trouvait hors de l'État du Plateau lors de cette attaque, alors qu'il assistait à une réunion d'évangélistes dans l'État de Taraba. Il a pu constater l'attaque lorsqu'il est revenu à la maison le 8 mai 2004.
[4] Le 10 mai 2004, le demandeur a appris que les femmes kidnappées étaient séquestrées dans une mosquée à Yelwa. Accompagné d'environ vingt autres membres du Forum jeunesse de la Christian Association of Nigeria (la CAN), le demandeur s'est rendu à la mosquée le même soir et a fait délivrer les femmes tenues prisonnières, y compris son épouse et sa mère. Les femmes, qui avaient été violentées, ont été conduites à l'hôpital pour y être soignées. La foule qui s'était formée aurait mis le feu à la mosquée tandis que le demandeur quittait les lieux avec les blessées. Le demandeur soutient que, parce qu'il avait libéré ces dernières, les chefs religieux musulmans ont prononcé une fatwa contre lui en tant qu'un des leaders du Forum jeunesse de la CAN.
[5] Le demandeur soutient que sa vie était en danger à cause de la fatwa et qu'il a alors tenté de s'enfuir vers l'est du Nigeria. Il prétend y avoir été suivi par les escadrons de la mort musulmans.
[6] Le demandeur soutient que, le 16 mai 2004, des leaders de la communauté chrétienne l'ont informé d'un plan qu'ils avaient ébauché pour que lui-même et d'autres personnes en danger puissent s'enfuir à l'étranger. Le demandeur est parti à destination du Canada et est arrivé à Vancouver le 22 mai 2004.
[7] Le demandeur était muni de deux passeports à son arrivée au Canada, l'un des États-Unis et l'autre du Nigeria. Le nom figurant dans les deux passeports était celui d'Ubong Imose Etuk, soit le nom que le demandeur dit avoir emprunté aux fins de son voyage. Le demandeur ne prétend pas que l'un ou l'autre passeport lui a été délivré en bonne et due forme.
[8] Le demandeur a été mis en détention puis libéré le 2 juin 2004, lorsque les documents suivants ont été remis : a) un certificat de mariage, b) des photographies prises à son mariage, c) un certificat de naissance et d) des attestations scolaires.
[9] Le demandeur a présenté une demande d'asile, demande que la Commission a rejetée le 13 janvier 2005. Cette décision de la Commission fait l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire.
[10] La Commission a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur était bien un citoyen du Nigeria et un enseignant actif du christianisme dans son pays.
[11] La décision de la Commission était néanmoins défavorable au demandeur. Elle a conclu qu'aucune preuve ne démontrait que les chrétiens évangélistes étaient généralement en danger au Nigeria. La Commission a fait remarquer que toute la famille du demandeur résidait toujours au Nigeria et que celui-ci avait une résidence familiale dans l'État d'Imo et des membres de sa famille à Abia, en plus d'avoir des relations au sein de l'Église à ce dernier endroit.
[12] La Commission a conclu que la preuve était insuffisante pour démontrer qu'on avait poursuivi le demandeur en dehors de l'État du Plateau, au nord du Nigeria, et que le demandeur pouvait aller s'établir dans son État natal ou dans l'un des États du sud-est du pays, soit ceux de River, du Delta ou d'Edo.
[13] La Cour a également jugé la preuve insuffisante quant à l'existence d'une fatwa prononcée contre le demandeur. Bien que le demandeur soit un évangéliste et un chrétien actif, en l'absence d'une telle fatwa, il n'y a pas de possibilité sérieuse que ce dernier soit persécuté ou que sa vie soit en danger s'il devait retourner au Nigeria. La Commission a souligné que le demandeur n'avait jamais demandé de protection quelconque ni n'avait signalé ses problèmes aux autorités. La Commission en est venue à la conclusion que, s'il devait retourner dans son pays, le demandeur pourrait se réclamer de la protection de l'État.
[14] La Commission a conclu que le demandeur n'était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger, qu'il ne s'était pas réclamé de la protection de l'État au Nigeria et qu'il disposait d'une PRI valable dans les États susmentionnés.
Argumentation
[15] Le demandeur fait valoir que la Commission n'a tiré qu'une conclusion spécifique quant à sa crédibilité, soit qu'il avait omis un détail dans son FRP, et que cela ne suffit pas pour rendre une décision défavorable. Selon le demandeur, la question à trancher n'est pas celle de savoir si les chrétiens évangélistes courent généralement un danger au Nigeria, mais plutôt de savoir si le demandeur court ou non un danger du fait de sa situation personnelle.
[16] Le demandeur soutient que la Commission a totalement fait abstraction de la preuve documentaire pour tirer tant sa conclusion principale que celle au sujet d'une PRI et qu'elle n'a pas fait référence à la preuve documentaire qu'il avait produite, ce qui fait qu'elle a mal dépeint la situation prévalant actuellement au Nigeria. Il fait ainsi mention d'un article du 24 mai 2004 du New York Times où l'on décrit des affrontements entre musulmans et chrétiens survenus à Yelwa en mai 2004. Et la Commission, aux dires du demandeur, n'a tenu aucun compte de la preuve liée à la persécution religieuse générale au Nigeria. Il fait valoir que, même si la Commission avait raison quant à l'absence d'un climat général de violence, sa situation personnelle en tant qu'enseignant évangéliste - que la Commission ne conteste pas - autorise une crainte subjective bien fondée de persécution.
[17] Le défendeur a répliqué que la décision était raisonnable tant pour ce qui est de la conclusion quant à la crédibilité que pour celle relative à une PRI. Le défendeur a ajouté que la Cour devait faire preuve du plus haut degré de retenue face aux décisions de la Commission et que, cela étant, la décision ne devrait pas être modifiée en l'espèce.
[18] Le défendeur fait valoir que la Commission n'a pas jugé crédibles les allégations du demandeur relatives à une fatwa ou à une poursuite de persécuteurs dans l'est du Nigeria, alors que ces allégations étaient des éléments essentiels de la demande d'asile du demandeur. Ce dernier n'a pu produire aucun document démontrant qu'une fatwa avait bel et bien été prononcée contre lui ou que son père avait véritablement été assassiné par des extrémistes musulmans.
[19] Après avoir tiré sa conclusion quant à la crédibilité, la Commission a conclu que la protection de l'État et la PRI étaient raisonnables dans diverses régions du Nigeria.
Analyse
[20] Notre analyse devrait débuter par une appréciation de la décision de la Commission eu égard à la crédibilité et à la crainte subjective du demandeur. Dans la décision RKL c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 116; [2003] A.C.F. no 162, la Cour a fait remarquer ce qui suit (aux paragraphes 7 à 9) :
¶ 7 L'évaluation de la crédibilité d'un demandeur constitue l'essentiel de la compétence de la Commission. La Cour a statué que la Commission a une expertise bien établie pour statuer sur des questions de fait, et plus particulièrement pour évaluer la crédibilité et la crainte subjective de persécution d'un demandeur : voir Rahaman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1800, au paragr. 38 (QL) (1re inst.); Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, au paragr. 14.
¶ 8 En outre, il a été reconnu et confirmé qu'en ce qui concerne la crédibilité et l'appréciation de la preuve, la Cour ne peut pas substituer sa décision à celle de la Commission si le demandeur n'a pas réussi à établir que la décision de la Commission était donnée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans qu'il soit tenu compte des éléments dont elle disposait : voir Akinlolu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 296, au paragr. 14 (QL) (1re inst.) (Akinlolu); Kanyai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1124, au paragr. 9 (QL) (1re inst.) (Kanyai); le motif de contrôle prévu à l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale.
¶ 9 Normalement, la Commission peut à bon droit conclure que le demandeur n'est pas crédible à cause d'invraisemblances contenues dans la preuve qu'il présentée, dans la mesure où les inférences qui sont faites ne sont pas déraisonnables et que les motifs sont formulés « en termes clairs et explicites » : voir Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 130 N.R. 236 (C.A.F.); Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.) (Aguebor); Zhou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1087 (QL) (C.A.); Kanyai, précitée, au paragr. 10.
[21] Pour les motifs que je vais préciser, j'estime que la décision de la Commission quant à la crédibilité et à la crainte subjective du demandeur était formulée en termes clairs et explicites. En outre, il était raisonnable pour la Commission de conclure que le demandeur ne s'était pas réclamé de la protection de l'État et qu'une PRI était disponible. La Commission a conclu que le demandeur était bel et bien un Nigérian et un chrétien évangéliste, mais elle a aussi conclu qu'il n'avait pas établi valablement son identité.
[22] La Commission ne nie pas l'existence de la violence sectaire au Nigeria, tout particulièrement à Yelwa, à l'époque où le demandeur prétend que son père a été assassiné et que sa mère ainsi que sa soeur ont été enlevées. En l'absence de preuve à l'appui, toutefois, le demandeur n'a pas réussi à prouver qu'on avait prononcé une fatwa contre lui. La Commission souligne que, d'après la documentation produite quant à l'agitation ayant cours à Yelwa, ce sont principalement les militants chrétiens qui font perdurer les troubles, provoquant les représailles des musulmans.
[23] Même si la décision de la Commission quant à la crédibilité et à l'identité du demandeur pouvait être sujette à caution, sa décision au sujet de la protection de l'État et de la PRI ne devrait pas être modifiée. En effet, le demandeur n'a à aucun moment tenté de recourir aux mécanismes établis par l'État et qui auraient pu l'aider à régler les problèmes allégués.
[24] Pour ce qui est de la question de la PRI, la Commission relève que le demandeur a déclaré avoir à Abia des relations au sein de l'Église, de même qu'une résidence familiale.
[25] Le critère servant à établir si une PRI est ou non valable a été énoncé dans l'arrêt Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.F.) : (i) la Commission doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, qu'il n'y a pas de possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté dans la partie du pays où elle a conclu qu'il existait une PRI, et (ii) les conditions prévalant dans cette partie du pays doivent être telles qu'il ne serait pas déraisonnable, compte tenu de toutes les circonstances, y compris celles propres au demandeur, que ce dernier y cherche refuge.
[26] La Commission était convaincue selon la prépondérance des probabilités que le demandeur pouvait s'établir à Abia, ainsi que dans les États de River, du Delta et d'Edo, et je suis convaincu que sa conclusion quant à la PRI était raisonnable.
[27] Étant donné les conclusions relatives à la crédibilité, à l'identité, à la protection de l'État et à la PRI dans la décision, la demande de contrôle judiciaire est par les présentes rejetée.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.
« P. Rouleau »
Juge
Traduction certifiée conforme
Christian Laroche, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-813-05
INTITULÉ : GEORGE CHIGOZLE ASHIEGBU
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : VANCOUVER (C.-B.)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 7 SEPTEMBRE 2005
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE ROULEAU
DATE DES MOTIFS : LE 8 SEPTEMBRE 2005
COMPARUTIONS :
Martin Bauer POUR LE DEMANDEUR
Banafsheh Sokhansanj POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Martin Bauer POUR LE DEMANDEUR
Avocat
Burnaby (C.-B.)
John H. Sims, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)