Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20210203


Dossier : T‑439‑20

Référence : 2021 CF 112

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 3 février 2021

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

PATRICK DANIEL FISCHER

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] En 2001, M. Fischer a été déclaré coupable de meurtre au premier degré et est depuis incarcéré. En septembre 2018, il a été transféré de l’Établissement de Kent, à niveau de sécurité maximale, vers l’Établissement de Mission, à niveau de sécurité moyenne. Un PlayStation One avec un contrôleur de jeu, des câbles et une carte mémoire se trouvaient parmi ses effets personnels qu’il a apportés à l’Établissement de Mission. M. Fischer s’est fait dire par les agents de l’Établissement de Mission que les cartes mémoires de PlayStation étaient des articles interdits. La carte mémoire lui a été confisquée et il n’a pas été autorisé à posséder ou à utiliser une telle carte dans sa cellule.

[2] M. Fischer s’est plaint en vertu du processus de règlement des plaintes et griefs des délinquants établi par le Service correctionnel du Canada [le SCC]. Son grief a été rejeté à tous les paliers, incluant dans la décision définitive rendue le 25 novembre 2019 par le conseiller spécial auprès du commissaire. C’est cette décision qui est visée par la présente demande de contrôle judiciaire.

[3] La décision en question est plutôt courte et le passage pertinent est le suivant :

[traduction]

La directive DC 566‑12 définit les permissions et les interdictions pour les détenus qui possèdent des systèmes de jeu dans un établissement carcéral. Le paragraphe 11 de l’annexe D énumère les périphériques et les accessoires qui sont interdits. La liste des articles interdits inclut toute « unité de stockage amovible ou portable ».

L’Administration centrale des opérations de sécurité du Service correctionnel du Canada a été consultée et a émis un avis selon lequel toute carte mémoire capable de stocker de l’information de manière permanente est considérée être une unité de stockage amovible ou portable, sans égard au type de données enregistrées, à la capacité d’emmagasinage et au fait qu’elle soit, ou non, utilisée dans un dispositif autorisé. Une carte mémoire pour un système de jeu, notamment un PlayStation, est considérée être une unité de stockage amovible ou de masse et est, par conséquent, interdite conformément à la politique précitée.

[4] Le défendeur formule la question de fond soumise à la Cour de la façon suivante :

[traduction]

La question dont est saisie la Cour ne porte pas sur la sagesse ou le bien‑fondé des politiques du SCC, mais vise plutôt à établir si le décideur a raisonnablement interprété les politiques pertinentes lorsqu’il a rendu sa décision.

[5] La politique que le décideur a interprétée et appliquée est la Directive du commissaire 566‑12 – Effets personnels des délinquants [la Directive]. Plus précisément, le décideur a interprété et s’est appuyé sur le paragraphe 11 de l’annexe D de la Directive, dont l’intertitre est « Périphériques et jeux électroniques interdits », qui est rédigé ainsi :

11. Il est interdit aux détenus d’avoir les objets suivants parmi leurs effets personnels :

· une imprimante laser

· un scanner

· un modem (y compris un simulateur de modem ou un modem‑télécopieur), une carte de réseau, un dispositif sans fil pouvant servir à communiquer avec d’autres ordinateurs ou périphériques quelconques situés dans l’établissement ou à l’extérieur

· une unité de stockage amovible ou portable

· un appareil informatique portable tel qu’un ordinateur portable, un ordinateur bloc‑notes, un ordinateur de poche ou autres appareils informatiques miniaturisés

· câbles FireWire (1394) ou ports USB supplémentaires qui ne font pas partie de la carte principale

· une carte de syntoniseur de télévision

· une console de jeu électronique dotée de fonctionnalités de communication, entre autres PlayStation 2, Game Cube, X‑Box, tablettes de jeu préchargées et prêtes à brancher, et DreamCast

· un clavier sans fil ou tout autre dispositif sans fil pouvant servir à transmettre électroniquement de l’information ou des données (p. ex., réseaux sans fil, Bluetooth, ports USB appariés);

· tout autre périphérique ou jeu électronique qui constitue une menace pour la sécurité selon la Sécurité de la technologie de l’information

· tout dispositif USB autre qu’un clavier ou une souris.

[Non souligné dans l’original.]

[6] Je conviens avec le défendeur que l’examen de la décision par la Cour doit être effectué selon la norme de la décision raisonnable. La Cour suprême du Canada enseigne, dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au paragraphe 16, qu’il existe une « présomption voulant que la norme de la décision raisonnable soit la norme applicable chaque fois qu’une cour contrôle une décision administrative ». Au paragraphe 87, la Cour suprême explique que « le contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable tient dûment compte à la fois du résultat de la décision et du raisonnement à l’origine de ce résultat ».

[7] Dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, au paragraphe 31, les juges majoritaires expliquent que, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, une cour de révision doit d’abord examiner les motifs pour voir si l’analyse est intrinsèquement cohérente et rationnelle au regard des faits et du droit.

[8] En l’espèce, l’analyse repose sur uniquement quatre éléments :

  1. L’Administration centrale des opérations de sécurité du Service correctionnel du Canada [la Sécurité] affirme que toute carte mémoire capable de stocker de l’information de manière permanente est considérée être une unité de stockage amovible ou portable, sans égard au type de données enregistrées, à la capacité d’emmagasinage et au fait qu’elle soit, ou non, utilisée dans un dispositif autorisé.

  2. Une carte mémoire pour un système de jeu, notamment un PlayStation, est considérée être une unité de stockage amovible ou de masse.

  3. L’annexe D de la Directive interdit toute « unité de stockage amovible ou portable ».

  4. Par conséquent, la carte mémoire est un article interdit.

[9] Les observations du défendeur à propos du caractère raisonnable de la décision sont succinctes. Il soutient que le décideur [traduction] « jouit d’un privilège en matière d’interprétation » et que la Sécurité du SCC a confirmé que les cartes mémoires de PlayStation sont visées par la politique interdisant toute « unité de stockage amovible ou portable ».

[10] Une bonne interprétation de la Directive nécessite que les mots qui la composent soient lus dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit, l’objet et l’intention de la Directive.

[11] Le décideur a adopté, en l’espèce, une approche qui a consisté à examiner le segment « une unité de stockage amovible ou portable » indépendamment des autres dispositions de la Directive. De plus, ce dernier semble avoir accepté, sans s’interroger davantage, l’opinion formulée par la Sécurité. Le décideur a omis de tenir compte des faits liés à la possession et à l’usage de la carte mémoire par M. Fischer et a également fait défaut de soupeser les répercussions de sa décision sur M. Fischer.

[12] La Cour relève, par ailleurs, que lors de la « consultation » avec la Sécurité, cette dernière n’a peut‑être pas reçu toutes les informations pertinentes. En effet, le document provenant de la Sécurité et versé au dossier ne réfère aucunement au grief de M. Fischer. Le nom et l’identifiant sont caviardés (ce qui n’aurait probablement pas été le cas si ceux‑ci référaient à M. Fischer) et ce document indique que le bureau de la Sécurité a examiné les renseignements fournis au sujet du [traduction] « grief d’un détenu en lien avec le refus de sa demande d’achat d’une carte mémoire de PlayStation 1 » [non souligné dans l’original]. La seule conclusion raisonnable est que cet avis portait sur un grief différent à propos d’une situation différente.

[13] Il est évident aux yeux de la Cour, au regard des observations orales et écrites de M. Fischer, que ce dernier trouve injuste de s’être fait retirer sa carte mémoire de PlayStation et considère qu’il s’agit d’un traitement incohérent de la part du SCC. Il se fonde sur les faits suivants pour étayer sa position :

  1. M. Fischer avait un PlayStation et une carte mémoire dans sa cellule à l’Établissement de Kent depuis 2002, soit depuis qu’il est incarcéré. Ce fait est confirmé par son Relevé des effets personnels du détenu daté du 4 février 2002, qui énonce ce qui suit parmi ses effets personnels [traduction] : « 1 carte mémoire de PlayStation ».

  2. Avant d’avoir été transféré à l’Établissement de Mission, on lui a accordé l’autorisation d’obtenir le remplacement de tout bien devenu vétuste ou qui s’était cassé ou usé au cours de ses 19 années d’incarcération. Il a acheté une nouvelle carte mémoire de PlayStation au moyen de la procédure d’achat de biens en place pour les détenus. Son argument, qui n’a pas été contesté, est que ce processus [traduction] « nécessite d’obtenir l’approbation de plusieurs chefs de service de différents niveaux avant que l’achat soit approuvé et qu’une commande pour l’article demandé soit passée ». L’approbation a été obtenue et il a reçu la carte mémoire qu’il avait commandée. Celle‑ci lui a été remise pour son usage personnel dans sa cellule.

  3. L’annexe B de la Directive, qui s’intitule « Liste nationale des effets personnels accordés aux détenus de sexe masculin », énumère, parmi les effets personnels autorisés d’un détenu, « 1 - Système de jeu - Game Boy, PlayStation 1, Nintendo ou tout autre jeu électronique (console à main) qui n’est doté d’aucune fonctionnalité de traitement de données ou de communication et qui est disponible dans le commerce » [non souligné dans l’original].

[14] M. Fischer soutient qu’étant donné que la carte mémoire était légitimement en sa possession lorsqu’il a été transféré à l’Établissement de Mission, le retrait de celle‑ci contrevient au paragraphe 11 a) de la Directive, qui est ainsi libellé :

En règle générale, les détenus seront autorisés à conserver les effets suivants, pourvu qu’ils figurent sur les listes nationales des effets personnels accordés aux détenus de sexe masculin/de sexe féminin, sauf indications contraires pour des raisons de sécurité ou de santé et à cause du niveau de sécurité de l’établissement :

a. effets qui étaient en la possession légitime des détenus au moment de leur admission ou réadmission à l’établissement de placement ou au moment de leur transfèrement […]

[15] Il est également soutenu que la décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire contrevient au paragraphe 18 de la Directive, qui est libellé ainsi :

18. Les articles autorisés que possède présentement un délinquant, mais qui ne figurent pas sur les listes nationales des effets personnels accordés aux détenus de sexe masculin/de sexe féminin, demeureront en sa possession pendant la durée de vie des objets. Toutefois, si un objet quelconque menace la sécurité de l’établissement, du personnel ou des détenus ou n’est pas conforme aux exigences de la DC 345 – Sécurité‑incendie ou du Manuel sur la sécurité‑incendie, il sera retiré et rangé avec les effets entreposés du détenu ou aliéné conformément à la politique. Les motifs de la mesure prise seront consignés, et le détenu en sera informé par écrit.

[16] Dans la décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire, le défendeur a reconnu que M. Fischer avait [traduction] « suivi les étapes appropriées pour faire l’achat de la carte mémoire ». La seule conclusion raisonnable est donc qu’il s’agissait d’un « effet personnel autorisé » en sa possession. La carte mémoire n’est pas spécifiquement indiquée dans la Liste nationale des effets personnels accordés aux détenus de sexe masculin, dans la mesure où on considère que celle‑ci n’est pas un composant d’un système de jeux PlayStation One, lequel se trouve sur la liste.

[17] Avant d’analyser le caractère raisonnable de la décision, je vais tout d’abord examiner deux observations présentées par le défendeur. L’acceptation de celles‑ci pourrait mener au rejet de la demande de contrôle judiciaire. Premièrement, il est soutenu que la demande de contrôle judiciaire datée du 1er avril 2020 n’a pas été présentée en temps opportun. Deuxièmement, le défendeur fait valoir que la teneur de cette demande de contrôle judiciaire est [traduction] « triviale » et que cette demande ne justifie donc pas l’intervention de la Cour.

[18] Au soutien de son argument à propos des délais, le défendeur a déposé un affidavit de la directrice adjointe des Services de gestion de l’Établissement de Mission. Cette dernière a décrit les [traduction] « pratiques normalisées » de l’Établissement de Mission entourant la réception et la transmission aux détenus des décisions relatives aux griefs. À ce sujet, elle a affirmé ce qui suit [traduction] : « Après examen de l’ensemble des renseignements disponibles, je crois que la réponse au grief a été remise en mains propres à M. Fischer au plus tard le 12 décembre 2019. » [non souligné dans l’original] Si cette date correspond à la date de réception, cela signifie que cette demande de contrôle judiciaire n’a pas été présentée en temps opportun.

[19] M. Fischer a déposé son propre affidavit au soutien de sa demande de contrôle judiciaire, dans lequel il a affirmé ce qui suit [traduction] : « Après avoir reçu la décision ayant rejeté mon grief au dernier palier le 12 mars 2020, j’entame la prochaine étape de ce différend. » [non souligné dans l’original] Si cette date correspond à la date de réception, cela signifie que cette demande de contrôle judiciaire a été présentée dans les délais prescrits.

[20] M. Fischer n’a pas été contre‑interrogé au sujet de son affidavit. Cependant, je privilégie sa déposition, qui se base sur sa connaissance personnelle, plutôt que celle du défendeur, qui se base sur une croyance. Par conséquent, l’observation à propos des délais est rejetée.

[21] La deuxième observation du défendeur concerne le fait que [traduction] « le contrôle judiciaire dans les questions pénitentiaires doit être exercé avec prudence et la Cour ne doit pas intervenir dans “le cas d’incidents triviaux ou purement théoriques” ». Le défendeur s’appuie sur la décision Ross c Canada, [2001] CFPI 1396 au para 24 (conf. par 2003 CAF 296, mais pas à l’égard de ce point) [Ross], qui citait Martineau c Comité de discipline de l’Institution de Matsqui, [1980] 1 RCS 602 [Martineau nº 2].

[22] Je suis d’avis qu’il est possible d’effectuer une distinction entre les précédents cités et les faits qui ont été présentés en l’espèce à la Cour. De plus, le défendeur extrapole le principe établi dans ces décisions.

[23] Les deux décisions citées portaient sur des demandes de révision de mesures disciplinaires prises en milieu carcéral. Dans Martineau nº 2, le demandeur a été condamné par le Comité de discipline de l’Institution de Matsqui à passer 15 jours à l’unité spéciale de correction en raison d’une infraction à la discipline décrite comme étant « flagrante ou grave ». La Cour a affirmé que le pourvoi « soulève en termes généraux la question du rôle de surveillance, s’il en est, de la Division de première instance de la Cour fédérale sur les comités de discipline dans les pénitenciers canadiens ». Dans ce contexte, le juge Dickson a tiré plusieurs conclusions, dont l’une d’elles, en page 630, est ainsi formulée :

Il faut souligner que les cours n’interviendront pas dans tous les cas de violation des règles de procédure carcérale. La nature même d’un établissement carcéral requiert que des décisions soient prises «sur‑le‑champ» par les fonctionnaires et le contrôle judiciaire doit être exercé avec retenue. Une intervention ne sera pas justifiée dans le cas d’incidents triviaux ou purement théoriques. Il ne s’agit pas de savoir s’il y a eu une violation des règles carcérales, mais plutôt s’il y a eu une violation de l’obligation d’agir équitablement compte tenu de toutes les circonstances. Les règles ont leur importance pour répondre à cette question : elles révèlent le degré de protection procédurale dont doivent jouir les détenus, de l’avis des autorités carcérales.

[24] Le juge Kelen, dans Ross, a conclu que M. Ross avait eu droit à une audience équitable, ce qui constituait la question au cœur de la demande de contrôle judiciaire. Pour cette raison, cette demande a été rejetée. Dans une remarque incidente, le juge Kelen a mentionné qu’il aurait également rejeté cette demande en s’appuyant sur Martineau nº 2, étant donné que l’affaire disciplinaire était triviale. M. Ross avait été reconnu coupable d’avoir fabriqué des modèles réduits d’avion et des bijoux en papier mâché sans le [traduction] « permis récréatif » approprié exigé par le pénitencier et avait été condamné à une amende de 25 $. L’agent chargé de l’audience avait imposé l’amende avant d’offrir à M. Ross l’occasion de s’exprimer au sujet du caractère approprié de cette mesure. Toutefois, l’agent avait rapidement pris conscience de son erreur et avait invité M. Ross à présenter ses observations.

[25] Contrairement à ces précédents, la question dont est saisie la Cour n’est pas de nature disciplinaire. Même si ces deux précédents pourraient être applicables à des cas non disciplinaires de détenus, le retrait et la perte d’usage d’un bien personnel après environ 18 ans, et ce, pour le reste de la sentence d’un détenu, sont significativement différents. Je ne suis pas d’avis qu’il s’agit d’une affaire triviale.

[26] Pour les motifs exposés ci‑après, je conclus que la décision faisant l’objet du contrôle est déraisonnable.

[27] Le défendeur reconnaît que la Sécurité n’est pas le décideur. On peut lire ce qui suit au paragraphe 33 de son mémoire :

[traduction]

Pour être clair, l’administration centrale de la division des opérations de sécurité du SCC n’est pas le décideur, mais plutôt une source administrative de faits sur lesquels s’est en partie appuyé le décideur pour rendre sa décision. La confirmation, par les opérations de sécurité, du fait que les cartes mémoires du type de celle que possède le demandeur sont effectivement visées par la politique interdisant toute « unité de stockage amovible ou portable » est déterminante quant à la question en litige, que le demandeur soit d’accord ou pas avec cette politique. [Non souligné dans l’original.]

[28] L’interprétation fournie par la Sécurité n’est pas déterminante et il n’est pas possible d’affirmer de façon raisonnable qu’elle constituait uniquement une partie de ce sur quoi s’est appuyé le décideur pour rendre sa décision. Elle constituait l’intégralité de ce sur quoi il s’est appuyé.

[29] Le décideur n’a mené aucune analyse et ne s’est pas questionné sur l’interprétation à donner au syntagme « unité de stockage amovible ou portable » dans le contexte de la Directive dans son ensemble ou du paragraphe 11 de celle‑ci.

[30] La Liste nationale des effets personnels accordés aux détenus de sexe masculin énoncée à l’annexe B de la Directive précise que les détenus ont le droit de posséder un système de jeux. M. Fischer souligne que le PlayStation One est pratiquement inutilisable s’il est impossible pour le joueur d’enregistrer sa progression dans le jeu. Il atteste qu’il existe très peu de jeux qui peuvent être complétés en une seule séance. Le fait qu’un détenu soit autorisé à avoir un « système » de jeux dans sa cellule milite fortement en faveur de la possibilité d’avoir une carte mémoire incluse dans ce système.

[31] Le paragraphe 11 de l’annexe D de la Directive interdit effectivement toute « unité de stockage amovible ou portable », mais une carte mémoire de PlayStation entre‑t‑elle dans cette définition ? Selon moi, la seule interprétation raisonnable de cette disposition nécessite de répondre par la négative à cette question.

[32] Le paragraphe 11 de l’annexe D est précédé d’un intertitre. [traduction] « La principale fonction des intertitres est de faire la lumière sur la signification et la portée des dispositions auxquelles ils se rattachent. » (voir Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (2014), à la p 394) L’intertitre est « Périphériques et jeux électroniques interdits/ Computer Peripherals and Electronic Games ».

[33] La décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire indique que [traduction] « [l]e paragraphe 11 de l’annexe D énumère les périphériques et les accessoires qui sont interdits ». C’est inexact. Comme l’indique l’intertitre, ce paragraphe fait la liste des périphériques et des jeux électroniques qui sont interdits.

[34] Tous les articles énumérés au paragraphe 11 sont des « périphériques » d’ordinateur (en anglais : « computer peripherals »), à l’exception d’un point se rapportant spécifiquement au « jeu électronique ». Ce point interdit toute « console de jeu électronique dotée de fonctionnalités de communication, entre autres PlayStation 2, Game Cube, X‑Box, tablettes de jeu préchargées et prêtes à brancher, et DreamCast ». Il convient de noter qu’une « unité de stockage amovible ou portable » est un périphérique d’ordinateur. Le décideur ayant rendu la décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire a interprété qu’une telle unité était également un périphérique pour un PlayStation, un jeu électronique. Or, l’intitulé de ce paragraphe (en anglais, « Prohibited Computer Peripherals and Electronic Games ») démontre qu’il ne visait pas les périphériques de jeux électroniques, mais uniquement les périphériques d’ordinateur.

[35] Selon cette analyse, il n’existe qu’une interprétation raisonnable du syntagme « une unité de stockage amovible ou portable » au paragraphe 11 : l’interprétation selon laquelle cette unité fait uniquement allusion aux périphériques d’ordinateur.

[36] La décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire est également déraisonnable, puisque le décideur n’a pas pris en compte l’effet de l’alinéa 11 a) et du paragraphe 18 de la Directive. En raison de la conclusion selon laquelle M. Fischer avait reçu l’autorisation d’acheter la carte mémoire et qu’il lui a été permis d’avoir une telle carte dans sa cellule avec son PlayStation One durant 18 ans, il semblerait qu’il était en droit de posséder un tel article. En vertu de l’une de ces dispositions, ou des deux, il aurait dû se voir autorisé à conserver la carte mémoire, à moins que celle‑ci ait posé un risque pour la sécurité. Or, il n’est pas possible d’alléguer raisonnablement qu’il existait un tel risque dans un établissement à niveau de sécurité moyenne, considérant qu’aucun risque de ce type par rapport à cet article n’a été soulevé durant les 18 années qu’il a passées dans un établissement à niveau de sécurité maximale.

[37] Pour ces motifs, la décision ne peut pas être confirmée. La Cour ayant conclu que la seule interprétation raisonnable du syntagme « une unité de stockage amovible ou portable » est que celui‑ci ne vise pas une carte mémoire de PlayStation One, il sera ordonné au défendeur de redonner immédiatement à M. Fischer sa carte mémoire. Il est inutile de renvoyer l’affaire à un autre décideur lorsqu’il n’existe qu’une seule décision qui puisse être rendue.

[38] M. Fischer a droit au remboursement de ses menues dépenses raisonnablement engagées; je fixe ce montant à 150 $.


JUGEMENT dans le dossier T‑439‑20

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et que la décision contestée est annulée;

  2. Il est ordonné au défendeur de redonner immédiatement à M. Fischer sa carte mémoire de PlayStation One et de lui permettre de conserver et d’utiliser celle‑ci dans sa cellule de la même façon que ce dernier a été autorisé à le faire depuis le début de son incarcération;

  3. M. Fischer a droit à des dépens payables par le défendeur, lesquels sont fixés à 150 $.

« Russel W. Zinn »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑439‑20

 

INTITULÉ :

PATRICK DANIEL FISCHER c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE OTTAWA (ONTARIO), L’éTABLISSEMENT DE MISSION et VANCOUVER (Colombie‑Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 JANVIER 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE zinn

 

DATE DES MOTIFS :

LE 3 FÉVRIER 2021

 

COMPARUTIONS :

Patrick Daniel Fischer

LE DEMANDEUR

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Nima Omidi

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

- S.O. -

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Sécurité publique, défense et immigration

Vancouver (C.‑B.)

 

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.