IMM-1571-96
Ottawa (Ontario), le mercredi 5 février 1997
En présence de : Monsieur le juge Gibson
ENTRE
SHASHIKALA NITHIYAKANTHAN,
RAKKESH NITHIYAKANTHAN,
requérants,
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,
intimé.
ORDONNANCE
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
FREDERICK E. GIBSON
Juge
Traduction certifiée conforme
Tan Trinh-viet
IMM-1571-96
ENTRE
SHASHIKALA NITHIYAKANTHAN,
RAKKESH NITHIYAKANTHAN,
requérants,
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,
intimé.
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE GIBSON
Les présents motifs découlent d'une demande de contrôle judiciaire de la décision dans laquelle la section du statut de réfugié (le tribunal), de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, a conclu que les requérants n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention, compte tenu de la définition figurant au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration[1]. La décision du tribunal est datée du 15 avril 1996.
Les requérants sont mère et fils. La requérante est née en février 1965. Son fils est né en juin 1995. Les requérants sont des Tamouls originaires du Sri Lanka. Ils revendiquent le statut de réfugié parce qu'ils prétendent avoir raison de craindre d'être persécutés, s'ils sont renvoyés au Sri Lanka, du fait leur race, des opinions politiques présumées de la requérante, de leur appartenance à un groupe social, que le Tribunal a qualifié de [TRADUCTION] «membres de la famille d'un Tamoul recruté par le Liberation Tamil Tigers Ealam LTTE...» (le LTTE). Il ressort des motifs du tribunal que le mari de la requérante avait été arrêté et il est probable qu'il soit détenu par le LTTE.
Après avoir récité la litanie d'expériences connues par les requérants et d'autres membres de leur famille, parfois en commun avec tous les résidents de leur village dans le nord du Sri Lanka ou avec beaucoup de ceux-ci, le tribunal a conclu à l'inexistence d'une preuve persuasive selon laquelle il existait plus qu'une simple possibilité que les demandeurs fussent persécutés s'ils étaient renvoyés au nord du Sri Lanka.
Dans une seconde conclusion, le tribunal a dit : [TRADUCTION] « Même si le tribunal devait conclure au contraire [c'est-à-dire que les requérants avaient raison de craindre d'être persécutés au nord du Sri Lanka], il conclut encore à l'existence d'une possibilité de refuge intérieur (PRI) pour les demandeurs à Colombo.»
En parvenant à la première conclusion, le tribunal a reconnu que le LTTE avait menacé d'arrêter les requérants lorsque le mari de la requérante était allé se cacher et n'avait pas répondu à une demande exigeant une importante somme d'argent. Le tribunal a qualifié la menace d'arrestation des requérants d' [TRADUCTION] «incident isolé», qui doit, selon le tribunal, avoir été terrifiant et intimidant étant donné la [TRADUCTION] [nature impitoyable et la violence de ceux qui proféraient la menace. Le tribunal a alors dit : [TRADUCTION] «...le tribunal accepte le témoignage de la demandeuse selon lequel son mari a, depuis l'arrivée de celle-ci à Colombo, été arrêté par le LTTE. Autrement dit, le véritable motif pour le LTTE de menacer la demandeuse a été éliminé.»
Le tribunal ne considère pas que la menace à l'endroit des requérants, suivie de l'arrestation du mari de la requérante, père du fils de celle-ci, prise avec d'autres incidents qui leur sont arrivés au Nord aux mains des LTTE, pourrait équivaloir à une «persécution indirecte». L'avocat des requérants soutient que, en omettant d'aborder la question de la «persécution indirecte», le tribunal a commis une erreur susceptible de contrôle.
Dans l'affaire Bhatti c. Canada (Secrétaire d'État)[2], le juge en chef adjoint s'est prononcé en ces termes :
La notion de persécution indirecte repose sur l'hypothèse que les membres de la famille sont susceptibles de subir un grave préjudice lorsque leurs proches parents sont persécutés. Ce préjudice peut revêtir plusieurs formes, dont la perte du soutien économique, ou social apporté par la victime et le traumatisme psychologique causé par la souffrance de ceux qu'on aime.
Le juge en chef a conclu en outre :
...la théorie de la persécution indirecte a effectivement été reconnue par le droit canadien en matière de réfugiés. Cette théorie repose sur la reconnaissance du préjudice étendu causé par les actes de persécution. En reconnaissant que les membres de la famille des personnes persécutées peuvent eux-mêmes être victimes de persécution, la théorie en question permet d'octroyer le statut de réfugié à ceux qui par ailleurs ne seraient pas en mesure de prouver individuellement une crainte fondée de persécution.
Dans les affaires Casetellanos c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration)[3], Pour-Shariati c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration)[4] et Rafizade c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration)[5], trois membres de la Section de première instance ont refusé d'adopter la «théorie de la persécution indirecte» dont le juge en chef adjoint a dit dans l'affaire Bhatti qu'elle a été reconnue par le droit canadien en matière de réfugiés.
Étant donné la division de l'opinion de la Cour, je conclus qu'il était raisonnablement loisible au tribunal d'agir comme il l'a fait sans examiner la question de savoir si le mari de la requérante, père du fils de celle-ci, avait lui-même été persécuté pour un motif énuméré dans la Convention, dans des circonstances qui suffisaient à donner lieu à la persécution indirecte des requérants.
Compte tenu de ma conclusion précédente, il n'est pas nécessaire que j'examine la question de savoir si le tribunal a commis une erreur susceptible de contrôle dans sa conclusion concernant l'existence d'une possibilité de refuge pour les requérants à Colombo. Étant donné ma conclusion que les requérants n'ont pas relevé une erreur susceptible de contrôle dans la conclusion du tribunal concernant le retour au nord du Sri Lanka, la justesse de la conclusion du tribunal relative à l'existence d'une possibilité de refuge intérieur est sans conséquence pour la conclusion que la décision du tribunal selon laquelle les requérants ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention doit être confirmée.
En conséquence et avec regret en raison de la perspective du retour d'une jeune femme accompagnée de son jeune fils au Sri Lanka où leur possibilité de recevoir du soutien familial est au mieux incertaine, est décourageante, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
Ni l'un ni l'autre des avocats n'a recommandé la certification d'une question puisque l'espèce porte sur ses faits particuliers. Aucune question ne sera certifiée.
FREDERICK E. GIBSON
Juge
Ottawa (Ontario)
Le 5 février 1997
Traduction certifiée conforme
Tan Trinh-viet
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER
No DU GREFFE :IMM-1571-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :SHASHIKALA NITHIYAKANTHAN ET AL.
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE :Toronto
DATE DE L'AUDIENCE :Le 30 janvier 1997
MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE GIBSON
EN DATE DU5 février 1997
ONT COMPARU :
G. Wiseman pour la requérante
K. Lunney pour l'intimé
PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :
Wiseman & Associates pour la requérante
Toronto (Ontario)
George Thomson
Sous-procureur général du Canada
pour l'intimé