Date : 20220204
Dossier : IMM-6722-19
Référence : 2020 CF 927
Ottawa (Ontario), le 4 février, 2022
En présence de monsieur le juge Annis
ENTRE :
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TIAN REN ZHANG
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS DÉFINITIFS MODIFIÉS:
I.
Introduction
[1]
Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi ou la LIPR) d’une décision de la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la CISR ou la Commission) datée du 24 octobre 2019 (la décision). La Commission a rejeté l’appel du demandeur et sa demande de sursis à la mesure de renvoi au motif qu’il n’y avait pas suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour justifier d’accorder la mesure spéciale sollicitée au vu des circonstances entourant l’affaire.
[2]
Malgré près de vingt ans après l’entrée en vigueur de l’alinéa 67(1)c) et du paragraphe 68(1) de la LIPR, il s’agit de la première décision à interpréter ces dispositions conformément au « principe moderne »
énoncé par Elmer Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes, 2e éd. (Toronto : Butterworths, 1983), à la page 87. La Cour suprême du Canada a adopté le principe moderne d’interprétation établi dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd (Re), [1998] 1 RCS 27, au paragraphe 21 [Rizzo Shoes].
[3]
Les résultats d’une interprétation globale des dispositions sont spectaculaires. Il s’avère qu’elles décrivent un régime très différent de l’intention du législateur d’accorder une mesure spéciale aux appelants interdits de territoire. Ce régime remplace largement le strict respect des facteurs et de la méthodologie de leur application énoncés en 1985 dans la décision Ribic v Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] D.S.A.I. no 4 (QL), [1985] I.A.D.D. no 4 [C.I.S.R.], qui est abondamment discutée ci-dessous.
[4]
Les remarques suivantes sont toutefois propres à la prise de mesures spéciales aux appelants interdits de territoire pour cause de grande criminalité. La Commission a décrit les facteurs dans la décision Ribic (les facteurs de la décision Ribic) en vue d’accorder une mesure à vocation équitable en matière de grande criminalité. Dans la mesure où ils peuvent s’appliquer à d’autres domaines liés aux mesures spéciales accordées aux appelants interdits de territoire, les commentaires ci-dessous doivent être interprétés en fonction des circonstances factuelles particulières qu’elle décrit, par exemple une déclaration erronée.
II.
Exposé des faits
[5]
Le demandeur, né le 23 février 1999, est un citoyen de la Chine. Le 28 juillet 2011, il a obtenu le statut de résident permanent au Canada, à l’âge de 12 ans. Il est retourné en Chine en 2011 avant de revenir au Canada en 2014, où il a terminé ses études secondaires.
[6]
Le 9 mars 2017, après son 18e anniversaire, le demandeur et trois de ses camarades de classe ont commis une infraction (l’infraction) contre un autre camarade de classe (la victime). Le demandeur a été condamné le 22 août 2018 pour séquestration aux termes de l’article 266 du Code criminel du Canada. Il a reçu une ordonnance de sursis – une forme d’incarcération – de 23 mois. Les conditions comprenaient l’obligation de rester 12 mois en résidence surveillée, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, sauf s’il fréquentait l’école, s’il était accompagné de ses parents, de sa sœur ou de son beau-frère, ou s’il obtenait une autorisation écrite spéciale du surveillant de son ordonnance de sursis.
[7]
Le 14 mai 2019, la Section de l’immigration (SI) a tenu une enquête et a pris une mesure d’expulsion le même jour. Le demandeur a interjeté appel auprès de la Section d’appel de l’immigration. Il n’a pas fait appel de la légalité de la mesure d’expulsion, mais a demandé une mesure spéciale aux termes de l’alinéa 67(1)c) et du paragraphe 68(1) de la LIPR pour des motifs d’ordre humanitaire. Dans ses observations finales, l’avocat du demandeur, après avoir demandé que l’appel soit accueilli, a cherché à obtenir un sursis à la mesure de renvoi afin que le demandeur ait plus de temps pour démontrer qu’il était réadapté et établi.
[8]
L’avocate du ministre a indiqué qu’elle ne s’opposait pas au sursis à la mesure de renvoi afin de permettre au demandeur [traduction] « de nous montrer qu’il est fermement engagé sur la voie de la réadaptation »
.
III.
La décision de la Section d’appel de l’immigration
[9]
La Section d’appel de l’immigration a indiqué que le critère qui devait être appliqué dans l’exercice de sa compétence était le suivant : elle doit être convaincue que, au moment où il est disposé de l’appel, il y a – compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché par la décision – des motifs d’ordre humanitaire suffisants justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.
[10]
La Commission a décrit les considérations relatives à la prise de mesures spéciales énoncées dans la décision Ribic et approuvées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Chieu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3 [Chieu], notant qu’elles varient selon chaque personne, mais peuvent comprendre les suivantes :
a) la gravité de l’infraction ou des infractions entraînant la mesure de renvoi;
b) la possibilité de réadaptation;
c) la durée de la période passée au Canada et le degré d’établissement de l’appelant;
d) les bouleversements que le renvoi de l’appelant occasionnerait pour la famille de l’appelant;
e) le soutien dont bénéficie l’appelant, non seulement au sein de sa famille, mais également de la collectivité;
f) l’importance des difficultés que causerait à l’appelant le renvoi du Canada, y compris les conditions dans le pays de destination probable;
g) l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché par la décision, bien que non applicable en l’espèce.
[11]
La Commission a également indiqué que « [l]’exercice du pouvoir discrétionnaire doit être compatible avec les objectifs de la LIPR
. Ces objectifs consistent notamment à protéger la santé des Canadiens et à garantir la sécurité de la société canadienne ».
Cela fait expressément référence à l’alinéa 3(1)h) de la LIPR.
[12]
La Section d’appel de l’immigration a décrit la nature « très grave »
de l’infraction et le manque de crédibilité concernant la conduite du demandeur, comme le décrivent le mieux les paragraphes 10 à 12 de la décision :
[10] L’appelant a été reconnu coupable de séquestration à l’endroit d’un camarade de classe qu’il soupçonnait de draguer sa petite amie de l’époque. Il a parlé deux fois à la victime et lui a demandé d’arrêter. Par la suite, comme l’appelant soupçonnait que la victime continuait de draguer sa petite amie, il s’est arrangé pour le rencontrer dans un salon de thé et, à l’insu de la victime, a emmené trois amis. La victime a essayé d’entrer dans sa voiture et de fuir quand il a vu que l’appelant n’était pas arrivé seul, mais celui‑ci l’a empêché de le faire. L’appelant a forcé la victime à entrer dans le salon de thé, où, à certains moments, ses amis ou lui l’ont séquestré, lui ont retenu le cou pour l’empêcher de se lever ou de quitter sa chaise, lui ont crié après et l’ont frappé. Ils ont aussi fouillé à tour de rôle le téléphone cellulaire de la victime.
[11] L’appelant et ses amis ont ensuite emmené la victime dans une ruelle voisine, où celui‑ci a de nouveau été roué de coups. Ils l’ont ensuite forcé à monter à bord du véhicule qu’il utilisait et l’ont conduit dans un espace vacant à proximité. Ils ont continué d’agresser la victime pendant le trajet et à destination. L’appelant et ses amis lui ont demandé de l’argent, et, comme il n’en avait pas, un des amis de l’appelant a entrepris de se faire passer pour la victime sur les applications de clavardage de la victime. Ils ont réussi à convaincre l’un des amis de la victime de leur donner de l’argent, puis ont conduit la victime chez son ami pour récolter l’argent. Ils ont pris l’argent de la victime lorsqu’il est rentré dans le véhicule. La victime a été libérée quand un second ami a soupçonné que quelque chose n’allait pas après avoir reçu la demande d’argent par l’intermédiaire des applications de clavardage de la victime. Comme façade, le second ami a accepté de donner de l’argent à la victime de façon à rencontrer la victime et ses agresseurs et convaincre ces derniers de libérer la victime.
[12] Il ne fait guère de doute qu’il s’agit d’une infraction grave. Je fais remarquer que la peine d’emprisonnement maximale pour l’infraction de séquestration est de 10 ans et que l’infraction est considérée comme de la « grande criminalité » au sens du paragraphe 36(1) de la LIPR. Il s’agissait d’un acte prémédité qui impliquait de la violence. Il y avait nombre d’autres façons de confronter la victime et de régler la situation sans entraîner d’actes illégaux. L’appelant a déclaré lors de son procès criminel avoir été trop influencé par ses amis qui l’ont accompagné pour rencontrer la victime. Il a ajouté que ses amis lui ont dit qu’il n’était pas un bagarreur et qu’il ne pouvait pas se défendre lui-même et qu’ils ont donc demandé à être présents au moment de rencontrer la victime. L’appelant n’a fourni aucune explication crédible quant à ce qu’il avait prévu que ses amis fassent durant la rencontre avec la victime ou pourquoi il n’avait pas envisagé la possibilité qu’il y ait de la violence compte tenu des déclarations de ses amis. De plus, au cours de son témoignage, l’appelant a dit que l’incident a duré au total environ deux heures et que, pendant ce temps, il s’est rendu compte que ce qui arrivait était mal. À la SAI, il a déclaré avoir effectivement essayé d’arrêter ses amis, mais l’appelant a présenté peu d’éléments de preuve sur la façon ou le moment précis où il a tenté d’arrêter ses amis. J’accepte que l’appelant ait été influencé, dans une certaine mesure, par ses amis. Toutefois, j’estime également qu’il n’a pas tenu compte de l’éventualité d’actes violents lorsqu’il a permis à ses amis de rencontrer la victime. Je souligne par ailleurs le manque d’efforts concrets de la part de l’appelant pour mettre fin à l’incident quand il a pris conscience que ce qui arrivait était mal. Pour cette raison, j’accorde peu de poids au témoignage de l’appelant selon lequel les événements qui se sont produits étaient attribuables au fait qu’il a été trop influencé par ses amis qui sont allés avec lui rencontrer la victime. Après avoir considéré l’ensemble des circonstances, j’estime qu’il s’agit d’une infraction très grave. [Renvois omis.]
[13]
La Section d’appel de l’immigration a noté les éléments positifs du potentiel de réadaptation et du niveau de remords du demandeur. Il n’avait pas eu d’autres condamnations depuis l’infraction et il remplissait toutes les conditions de sa peine. Un rapport psychologique fourni lors de l’audience de détermination de la peine du demandeur a conclu que son comportement était conjoncturel plutôt que lié à son caractère et qu’il n’est pas une personne qui représente un risque de violence dans la collectivité. Bien qu’il ait été expulsé de l’école secondaire qu’il fréquentait, il a trouvé d’autres moyens de terminer ses études secondaires avec succès, démontrant ainsi une réussite scolaire élevée. Il a finalement accepté d’étudier à l’Université Western en Ontario, ce qui lui a valu une bourse d’études. Au moment de l’audience, il se préparait à entrer en deuxième année du programme.
[14]
Toutefois, la Section d’appel de l’immigration a remis en question l’expression de remords du demandeur en raison d’éléments de preuve contradictoires et équivoques concernant sa responsabilité dans l’incident. Il a témoigné que ses amis étaient quelque peu responsables, sans toutefois les blâmer, mais il a ensuite déclaré qu’il avait été trop influencé par ses amis qui l’avaient encouragé. La Commission a déclaré en guise de conclusion de fait que « le degré de remords diminue le poids que je peux attribuer aux efforts de l’appelant en vue de sa réadaptation. »
[15]
La Section d’appel de l’immigration a exprimé des préoccupations concernant les efforts du demandeur pour réduire son risque de récidive. En ce qui concerne sa réadaptation, il n’avait pas abordé de façon adéquate plusieurs domaines potentiels, notamment en ce qui concerne l’avis d’évaluation psychologique qui indiquait qu’il bénéficierait de conseils dans certains domaines précis. La Commission a noté que le demandeur n’avait pas cherché à suivre une thérapie et qu’il n’avait pas de projets immédiats dans ce sens. Les éléments de preuve et les témoignages ont montré que le demandeur n’avait guère fait plus que remplir les conditions de sa peine ou réaliser ses ambitions scolaires qui lui permettraient de réagir différemment dans une situation similaire. La Commission a en outre souscrit à la déclaration faite par l’avocat du demandeur au cours des plaidoiries, selon laquelle il n’avait pas encore mis en place de stratégies importantes de réadaptation.
[16]
En abordant le rapport psychologique concernant la possibilité de réadaptation, la Section d’appel de l’immigration a noté les différents mandats de la LIPR en matière de détermination de la peine et de réadaptation. Elle a également noté les points soulevés dans la procédure pénale selon lesquels tous les renseignements ont été fournis par le demandeur, et aucun test clinique corroborant n’a été effectué malgré quatre entretiens différents. La Commission a déclaré qu’elle devait tirer ses propres conclusions quant à savoir si les perspectives de réadaptation sont telles que, seules ou en combinaison avec d’autres facteurs, elles justifient la prise d’une mesure spéciale relativement à une mesure de renvoi valide (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 [Khosa CSC]).
[17]
La Section d’appel de l’immigration a conclu que, lors de son témoignage, le demandeur avait fourni peu d’éléments de preuve démontrant qu’il avait les aptitudes et la perspicacité nécessaires pour réagir différemment s’il devait faire face à une autre situation stressante. Sa déclaration selon laquelle il utiliserait à l’avenir la loi pour se protéger contre la violence était vague. Le demandeur n’a pas été en mesure de parler d’une stratégie pour résoudre un conflit sans recourir à des moyens juridiques. Cela a suscité des inquiétudes dans l’esprit de la Commission quant à sa capacité à faire face à des situations où il aurait besoin de confronter d’autres personnes à l’égard de comportements répréhensibles, sans assistance juridique. Le demandeur a également déclaré que l’une des raisons pour lesquelles il n’avait pas suivi de séances de counselling pour explorer ses émotions était qu’il avait honte de parler de l’incident. La Commission a estimé que cela renforçait ses préoccupations concernant l’absence de counselling et le niveau de réadaptation du demandeur, car il semblait ne pas avoir développé les compétences nécessaires pour demander de l’aide et se confier à propos de situations stressantes. Compte tenu des limites du rapport psychologique et de ces considérations, la Commission a souscrit à la conclusion générale du rapport psychologique selon laquelle le demandeur ne représentait pas un risque de violence dans la collectivité. Néanmoins, elle n’était pas convaincue qu’il ne récidiverait pas de manière non violente ou avec moins de violence si des situations similaires se présentaient. La Section d’appel de l’immigration a conclu que le degré de remords et de réadaptation du demandeur était un « facteur défavorable minime en l’espèce »
.
[18]
Par la suite, la Section d’appel de l’immigration a examiné les facteurs d’ordre humanitaires traditionnels. Le père, la sœur, la famille de la sœur, les grands-parents et de nombreux membres de la famille élargie du demandeur vivent en Chine, ce qui est en équilibre avec les membres de la famille au Canada, représentant un facteur neutre. Le demandeur est allé fréquemment en Chine et il y avait peu d’éléments de preuve qu’il ne serait pas soutenu par sa famille s’il devait y retourner. Le degré limité d’établissement a été pris en considération, en tenant compte de son jeune âge, et a été jugé comme un facteur quelque peu positif, tout comme certaines de ses relations étroites et de soutien au Canada. Ses craintes concernant la perte éventuelle de crédits universitaires n’étaient pas fondées. La conclusion générale de la Section d’appel de l’immigration était que le demandeur ne subirait pas de difficultés excessives s’il était renvoyé en Chine.
[19]
La Section d’appel de l’immigration a répondu à la demande de sursis à la mesure de renvoi en déclarant ce qui suit :
[23] Le tribunal a pris en considération la possibilité de surseoir à la mesure de renvoi, comme l’a suggéré l’intimé. Dans les circonstances particulières de l’espèce, un sursis ne contribuerait guère à la réalisation des objectifs de la LIPR. Les actes tels que ceux que l’appelant a posés minent la confiance du public dans la LIPR ainsi que l’appui de la part du public au généreux système canadien d’immigration et de protection des réfugiés. Ils font peser des soupçons sur les nombreux immigrants honnêtes qui travaillent d’arrache-pied et essaient d’améliorer leur qualité de vie au Canada. Le public serait offensé si l’appelant était autorisé à rester au Canada, même sous certaines conditions. Un sursis à la mesure d’expulsion n’est pas approprié.
IV.
Thèses des parties
[20]
Le demandeur a fait valoir que la Section d’appel de l’immigration a violé l’équité procédurale à laquelle il avait droit parce que la Commission n’a pas demandé de contribution ni soulevé de préoccupations en ce qui concerne la recommandation conjointe, mais a plutôt indiqué son intention de surseoir au prononcé du jugement. La Commission a ensuite rendu une décision négative, rejetant la demande de sursis sans véritable examen du bien-fondé, et s’appuyant sur un raisonnement de « dissuasion générale »
inadmissible. Le deuxième argument du demandeur était que l’évaluation par la Commission des facteurs d’ordre humanitaire était déraisonnable.
[21]
Les observations du défendeur, y compris celles en réponse à une directive de la Cour, étaient au nombre de trois. Premièrement, le demandeur est simplement en désaccord avec l’appréciation des éléments de preuve par la Section d’appel de l’immigration en ce qui concerne l’évaluation des facteurs d’ordre humanitaire. Deuxièmement, il n’y a pas eu de violation de l’équité procédurale par le fait que la Section d’appel de l’immigration n’a pas accepté une recommandation conjointe à l’appui d’un sursis à la mesure de renvoi, en notant la jurisprudence de la Cour fédérale selon laquelle la Section d’appel de l’immigration n’est pas liée par les propositions conjointes. Troisièmement, en ce qui concerne le rejet du sursis à la mesure de renvoi, les déclarations de la Section d’appel de l’immigration relatives aux considérations de « dissuasion générale »
ne touchaient pas au cœur de la décision. Le refus était essentiellement fondé sur le fait que les crimes étaient trop graves pour justifier un sursis, alors que les facteurs de la décision Ribic avaient déjà été jugés non satisfaits par la Commission, de sorte que les déclarations superflues de dissuasion générale en vue de rejeter le sursis n’ont pas modifié l’issue.
[22]
En réponse au troisième argument du défendeur, le demandeur a fait valoir que les critères appliqués aux termes de l’alinéa 67(1)c) et du paragraphe 68(1) de la Loi doivent refléter une échelle variable du niveau de satisfaction des facteurs de la décision Ribic, afin d’assurer leur application distincte. Conclure autrement rendrait intenable une jurisprudence dans laquelle le redressement est refusé aux termes de l’article 67, mais accordé en application de l’article 68.
V.
Norme de contrôle
[23]
Conformément au récent jugement rendu par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, au paragraphe 16 [Vavilov], le nouveau cadre pour déterminer la norme de contrôle repose sur la présomption qu’une décision contestée est raisonnable. Cette présomption n’a été réfutée pour aucune des questions soulevées en l’espèce.
[24]
L’examen du caractère raisonnable doit être axé sur la décision effectivement prise par le décideur, en ce qui concerne à la fois le raisonnement suivi et le résultat obtenu. Les cours de révision doivent déterminer si une décision doit être « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et [...] justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti »
(Ibid., aux paragraphes 85, 99 et suivants). Une décision raisonnable est justifiée à la lumière des contraintes juridiques et factuelles particulières qui pèsent sur la décision – « il ne suffit pas que la décision soit justifiable [...] le décideur doit également [...] justifier sa décision »
(Ibid., au paragraphe 86). La cour de révision doit se demander si la décision « possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité »
(Ibid., au paragraphe 99). Enfin, il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable (Ibid., au paragraphe 100).
[25]
En ce qui concerne les conclusions de fait, qui englobent les inférences factuelles, les parties doivent démontrer qu’il existe des circonstances exceptionnelles autorisant la cour de révision à modifier les conclusions factuelles et qu’elles ne lui demandent pas d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur (Ibid., aux paragraphes 125 et 126)
VI.
Textes législatifs pertinents
[26]
Les textes législatifs pertinents sont les suivants :
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…
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VII.
Questions en litige
1) La recommandation conjointe de sursis à la mesure de renvoi a-t-elle été considérée de façon équitable?
2) Les mêmes considérations de rejet d’un appel au titre de l’alinéa 67(1)c) peuvent-elles s’appliquer également au titre du paragraphe 68(1) en vue de rejeter une demande de sursis à la mesure de renvoi et, le cas échéant, selon quel raisonnement peut-on les différencier dans leur application?
3) La Section d’appel de l’immigration a-t-elle commis une erreur de droit dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire aux termes de l’alinéa 67(1)c) de la Loi?
4) La Section d’appel de l’immigration a-t-elle commis une erreur de droit en renvoyant au raisonnement portant sur la
« dissuasion générale »
pour rejeter la demande de sursis à la mesure de renvoi en application du paragraphe 68(1) de la Loi?
VIII.
Discussion
A.
Examen équitable d’une recommandation conjointe
[27]
La contestation par le demandeur du traitement équitable par la Commission de la recommandation conjointe faite avec le procureur général est sans fondement. Il est reconnu que la Commission n’est pas tenue d’accepter une recommandation conjointe (Saroya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 428, au paragraphe 20; Doe c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 518, au paragraphe 44).
[28]
Il ne peut y avoir de problème d’équité en ce qui concerne les réponses aux recommandations lorsque la Commission donne aux parties la possibilité de présenter des recommandations, qu’elle rejette ensuite, même si c’est pour des raisons inattendues. En l’espèce, la question se rapporte à l’injustice alléguée quant à l’incapacité d’aborder les aspects de la dissuasion générale dans les motifs de la Commission sur la base des éléments de preuve dont elle dispose. Cela soulève des questions quant à la justesse du raisonnement juridique de la Commission que la Cour aborde ci-dessous. Les tribunaux peuvent appliquer les bonnes règles juridiques au fondement factuel, même si les parties n’abordent pas le principe juridique invoqué par le tribunal. L’exception se pose pour ce qui est de l’équité, si la cour de révision modifie le fondement de la preuve sous-jacente, ou une norme juridique bien établie qui peut nécessiter l’examen de nouveaux éléments de preuve et de nouvelles observations.
[29]
Il est toujours possible pour le décideur de demander de nouvelles observations sur une question juridique que les parties n’ont pas abordée, mais qu’elles auraient dû aborder, selon le fondement factuel, comme moyen auto-imposé de garantir l’exactitude de leurs évaluations juridiques. Il n’a toutefois pas l’obligation de le faire. La question de droit est une question qui se rapporte au droit applicable, indépendamment des observations, et peut faire l’objet d’une question certifiée en appel. Cette question d’équité procédurale ne doit pas être confondue avec une forme d’injustice consistant à ne pas tenir compte d’éléments de preuve importants ou d’observations des parties dans le contexte de l’appréciation des faits ou du processus décisionnel.
[30]
À l’inverse, la Cour est davantage préoccupée par un manquement à la procédure de la part du demandeur et du procureur général qui n’a pas veillé à ce que la Section d’appel de l’immigration soit en mesure de mener une audience en bonne et due forme. Ils ont tous deux omis de divulguer leur accord de sursis à la mesure de renvoi jusqu’à la fin de l’audience. Dans l’intervalle, le procureur général a procédé à un interrogatoire principal du demandeur, parfois en posant des questions redondantes normalement inadmissibles, ou des questions auxquelles le demandeur aurait pu répondre, qui visaient à démontrer sa réadaptation et ses remords. Plus important encore, le fait de ne pas avoir indiqué l’intention de demander un sursis à la mesure de renvoi dès l’ouverture de l’instance peut avoir compromis les questions que la Commission aurait pu poser pour aider à obtenir des éléments de preuve lui permettant, par exemple, de distinguer les circonstances qui devraient s’appliquer aux termes de l’alinéa 67(1)c) de celles qui relèvent de l’article 68.
[31]
Outre l’obligation pour le procureur général d’indiquer, à l’ouverture de l’instance, son intention de soutenir un accord commun en vue du sursis à la mesure de renvoi, son avocat devrait normalement limiter sa participation aux observations, à moins que le procureur général ne dispose d’éléments de preuve pertinents en rapport avec les questions en cause. De plus, dans les cas où le sursis à la mesure de renvoi d’une personne condamnée pour grande criminalité est concerné par des questions de protection et de sécurité personnelles, le procureur général doit faire part de toute préoccupation à cet égard qui pourrait être pertinente pour la détermination de la demande de sursis et qui n’a pas été soulevée au cours de l’audience.
[32]
En outre, étant donné qu’une recommandation conjointe désavantage la Commission en ce sens qu’elle ne bénéficie pas d’un débat contradictoire de la demande de sursis, le procureur général est tenu de fournir à la Commission une analyse équilibrée décrivant les raisons pour lesquelles elle soutient le raisonnement invoqué par le demandeur pour accorder le sursis. En effet, il doit indiquer qu’il a fait de son mieux pour obtenir tous les éléments de preuve pertinents en faveur et à l’encontre de l’octroi du sursis, c’est-à-dire les aspects de l’affaire en équité, et plus précisément ceux qui concernent la protection et la sécurité de l’appelant dans le cas où il demeure au Canada. La décision d’appuyer un sursis à une mesure de renvoi ne devrait pas être un exercice pour la forme de la part du procureur général.
B.
L’interprétation et la différenciation de l’alinéa 67(1)c) et du paragraphe 68(1) de la LIPR
1)
Introduction
[33]
Comme il est indiqué dans les motifs ci-dessus, la Commission a entrepris une analyse approfondie et bien motivée des facteurs de la décision Ribic pour appuyer sa conclusion de rejet de l’appel aux termes de l’alinéa 67(1)c). La Cour convient avec le défendeur que, en substance, le demandeur lui demande de procéder à une nouvelle appréciation des éléments de preuve, ce qu’elle ne peut pas faire.
[34]
La question importante qui reste à trancher est celle de savoir si la Commission a commis une erreur dans les motifs de son refus d’accepter l’accord de sursis à la mesure de renvoi du demandeur fondé sur des principes juridiques erronés en application du paragraphe 68(1). Face à cette question, le problème rencontré est que les principes régissant l’application du paragraphe 68(1) ne peuvent être assumés avec confiance sans savoir comment ils doivent être distingués de ceux régissant l’alinéa 67(1)c). Il semble que ni la Cour fédérale ni la Section d’appel de l’immigration n’aient tenté auparavant de fournir une analyse interprétative différentielle des deux dispositions.
[35]
Comme les parties n’ont pas abordé la question de l’application différentielle de ces dispositions, la Cour a demandé aux parties de présenter des observations supplémentaires. Les parties n’ont guère fourni de politiques, de jurisprudence ou d’éléments de preuve extrinsèques interprétatifs permettant de distinguer l’application des deux dispositions. Les avocats ont plutôt saisi l’occasion pour citer une partie de la jurisprudence de la Commission concernant l’application du paragraphe 68(1). La jurisprudence précédente est néanmoins utile et mérite d’être prise en considération.
2)
Observations des parties concernant l’interprétation différentielle de l’alinéa 67(1)c) et du paragraphe 68(1)
[36]
Le demandeur a fait valoir qu’un sursis à la mesure de renvoi devrait être accordé si la Commission est convaincue que les demandeurs sont en voie de réadaptation et qu’ils ne présentent pas de risques inacceptables de récidive. La Cour ne s’appuierait pas considérablement sur la distinction entre un demandeur en voie de réadaptation et un demandeur ne présentant pas de risque inacceptable de récidive, la réadaptation ayant pour but de garantir que la récidive ne se produise pas, car le résultat est le même pour les deux. Bien que la Cour soit généralement d’accord avec l’affirmation selon laquelle le fait de ne pas présenter un risque inacceptable de récidive est un élément essentiel pour obtenir un sursis à une mesure de renvoi, la norme n’est pas suffisamment stricte. La norme appropriée consiste à démontrer qu’il est peu probable que le demandeur récidive. Plus important encore, le moment de l’application de la norme n’est pas celui où le sursis est octroyé, mais le moment où il est exécuté. Sans cette distinction, cette observation n’aide pas la Cour dans sa recherche d’une interprétation différentielle de l’alinéa 67(1)c) et du paragraphe 68(1).
[37]
Le demandeur a étayé son argumentation en citant plusieurs affaires dans lesquelles la Section d’appel de l’immigration avait accordé le sursis à la mesure de renvoi. Le demandeur a renvoyé à la décision Barrinetos c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CanLII 66587, aux paragraphes 8 et 9, où la Commission a accepté une recommandation conjointe des parties à l’égard d’une demande de sursis, reconnaissant ainsi l’expression crédible de remords du demandeur lors de son audience. La Commission a noté que les actes criminels qui ont conduit à la délivrance d’une mesure de renvoi étaient graves, tout en reconnaissant que « l’appelant a changé de vie, de telle sorte que la prise de mesures spéciales est justifiée en l’espèce »
. Un long sursis a été accordé dans le but de permettre à l’appelant de « démontrer, par sa conduite »
qu’il peut être « un citoyen respectueux des lois du Canada »
. La Cour convient pour l’essentiel que, lorsque tous les facteurs sont correctement pris en compte, le but d’un sursis à une mesure de renvoi est de donner l’occasion de démontrer qu’il est probable et non « possible »
que l’appelant sera un résident respectueux des lois au Canada.
[38]
Dans la décision Malhi c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CanLII 87002, aux paragraphes 5, 15 à 18, 21 à 23 et 29, l’appelant a plaidé en faveur d’un sursis à la mesure de renvoi qui lui permettrait de « montrer qu’il est réadapté »
. La Commission a conclu au paragraphe 29 qu’« [i]l incombe à l’appelant de démontrer que le risque de récidive qu’il représente est acceptable »
, en déclarant « que, selon la prépondérance de probabilités, il existe une bonne possibilité qu’il se réadapte »
. L’énoncé « selon la prépondérance des probabilités, il existe une bonne possibilité »
décrit deux normes de preuve différentes, soit celle de la probabilité et celle de la possibilité. La Cour convient que le risque de non-récidive est le critère approprié, mais elle n’est pas d’accord sur le fait que la norme soit un « risque [...] acceptable »
ou une « bonne possibilité »
, ces deux normes étant insuffisamment strictes. La norme doit être une norme qui assure suffisamment la protection et la sécurité de la société canadienne. Le demandeur doit établir que des efforts continus de réadaptation pendant une période de sursis, et d’autres circonstances d’évaluation du risque, démontreront la probabilité de réussite de sa réadaptation, et par conséquent, qu’il ne risque pas de récidiver à la fin de la période de sursis.
[39]
Dans la décision Oneil c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CanLII 94197, la Commission s’est demandé si l’appelant avait vraiment changé de vie, mais elle a néanmoins estimé qu’il était sur la bonne voie. La Commission a en outre déclaré au paragraphe 35 qu’« [i]l appartient à l’appelant de démontrer qu’il mérite de continue [sic] de vivre au sein de son unité familiale et au Canada, et le tribunal est donc d’avis qu’un sursis d’au moins trois ans s’impose. Un sursis de cette durée donnera à l’appelant la possibilité de démontrer une réadaptation d’importance, mais il aura aussi l’occasion d’échouer s’il s’écarte du droit chemin ».
La Cour n’est pas d’accord avec le fait que ce raisonnement reflète les exigences de l’octroi d’un sursis à une mesure de renvoi aux termes du paragraphe 68(1), plus précisément en ce qui concerne le concept d’offrir « une occasion d’échouer »
.
[40]
La thèse du défendeur en réponse à la directive de la Cour était simplement que le libellé des deux dispositions suit un cheminement identique et que, par conséquent, les facteurs de la décision Ribic s’appliquent de la même manière aux deux questions. Bien que cela semble vrai, la Cour n’en voit pas l’utilité parce que ces facteurs doivent être appliqués d’une manière différente pour obtenir des résultats différents.
[41]
Le procureur général a également cité la décision Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 328, au paragraphe 38, pour la proposition selon laquelle « [p]our surseoir à une mesure de renvoi, la SAI doit avoir des motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales »
. Cela est conforme à la jurisprudence de la Cour suprême et des Cours fédérales qui décrivent tous les facteurs de la décision Ribic, y compris la gravité de l’infraction et la possibilité de récidive, comme étant des facteurs d’ordre humanitaire. La Cour estime en toute déférence que ces facteurs ne concernent pas les contraintes liées à l’équité, mais sont des facteurs compensatoires liés à la protection et la sécurité publiques. Les décrire comme des facteurs relatifs aux contraintes liées à l’équité n’est pas conforme à l’interprétation moderne de l’alinéa 67(1)c) et du paragraphe 68(1). Ils relèvent de l’expression « vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales »
, ou de l’équivalent anglais «
in light of all the circumstances »
that must warrant equitable relief.
[42]
La Cour a également noté la décision Sananikone v Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] D.S.A.I No 1950 (C.I.S.R.), dont la conclusion se trouve aux paragraphes 15 et 16, comme suit :
Compte tenu de toutes les circonstances de l’espèce, le tribunal est convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que le risque de récidive de la part de l’appelant est suffisamment faible pour ne pas entrer en conflit avec notre devoir d’appliquer les lois du Canada de façon à assurer la santé, la sécurité et le maintien de l’ordre au sein de la société canadienne. Le tribunal est disposé à accorder un sursis à l’appelant pour lui permettre de poursuivre son processus de réadaptation. Le sursis accordé est d’une durée de trois ans.
L’appelant doit savoir que toute autre condamnation au criminel ou toute transgression des conditions de son sursis peut entraîner son renvoi du Canada. Il lui incombe de se comporter de façon responsable. L’appelant bénéficie d'une réelle possibilité de poursuivre l'orientation positive que sa vie a prise récemment. Il est à espérer que l’appelant comprendra qu’il s’agit pour lui d'une importante possibilité de se réhabiliter. Le présent sursis offre une structure qui lui permettra de poursuivre ses efforts en vue de se réhabiliter.
[43]
La Cour convient que le risque de récidive doit être suffisamment faible en tant que danger pour la sécurité et le bon ordre de la société canadienne pour que le sursis à la mesure de renvoi puisse être accordé. Cela reflète l’essence même du deuxième paragraphe, à savoir qu’il en résultera un citoyen réhabilité et respectueux des lois. Néanmoins, le critère n’est pas énoncé en appliquant la terminologie juridique appropriée, sans aucune description de l’objectif final du sursis. Le sursis est accordé en fonction de la démonstration d’une réadaptation suffisante, de sorte qu’à la fin de la période de sursis, la Commission puisse conclure qu’il est probable que le demandeur ne récidive pas à l’avenir, s’il obtient le statut de résident permanent.
3)
La décision Rajagopal c Canada
[44]
Un autre jugement, cette fois de la Cour fédérale, qui n’a pas été mentionné par les parties, mais qui présente néanmoins un certain intérêt pour les questions soulevées en l’espèce, est la décision Rajagopal c Canada (Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 523, aux paragraphes 30 à 34 [Rajagopal]. Les motifs pertinents y sont exposés, la Cour soulignant les déclarations qui nécessitent une discussion :
2. Évaluation de l’opportunité d’accorder un sursis
[30] Le demandeur soutient que, s’il réclame un sursis, comme c’est le cas en l’espèce, la SAI doit examiner sa demande et invoquer de « solides » raisons pour étayer son refus. Ainsi qu’il est précisé au paragraphe 14 du jugement Lewis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. 1227 (C.F. 1re inst.)(QL) : « lorsqu’un sursis est demandé et que les faits montrent qu’il y a lieu d’envisager un sursis conditionnel, si des motifs sont donnés conformément au paragraphe 69.4(5) de la Loi, le demandeur a le droit de savoir pourquoi le sursis est refusé ».
[31] Le demandeur affirme qu’en l’espèce, la SAI n’a pas formulé d’analyse ou invoqué de motifs sérieux pour justifier son refus d’accorder le sursis demandé, se contentant d’une conclusion à l’emporte-pièce. Ainsi que la Cour l’a signalé dans le jugement Archibald c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 747 (C.F. 1re inst.) (QL), au paragraphe 11 : « L’évaluation du risque de récidive, c’est-à-dire la possibilité que le requérant commette d’autres infractions criminelles, est l’un des facteurs importants à prendre en considération pour décider s’il faut surseoir à une ordonnance d’expulsion ». Dans le cas qui nous occupe, le demandeur affirme que la seule conclusion tirée par la SAI à cet égard reposait sur son autre conclusion que le demandeur n’éprouvait pas de remords, laquelle conclusion était également fondée sur son interprétation erronée du constat de police. La SAI n’a par conséquent pas tenu compte de tous les éléments de preuve tendant à démontrer que le demandeur ne récidiverait probablement pas.
[32] Pour sa part, le défendeur affirme que la SAI n’a pas commis d’erreur en refusant d’accorder le sursis et il ajoute que la SAI a clairement motivé son refus. Suivant le défendeur, les tribunaux reconnaissent au demandeur le droit de savoir pourquoi la SAI a refusé de lui accorder le sursis demandé sans aller toutefois jusqu’à lui reconnaître le droit d’exiger de la SAI qu’elle formule des motifs complémentaires ou spéciaux à cet égard.
[33] Sur la question de savoir s’il y a lieu ou non d’accorder un sursis, la SAI a expliqué que « [l]e sursis à l’exécution d’une mesure d’expulsion est, de par sa nature, une mesure spéciale. Toutefois, comme je l’ai conclu, les motifs d’ordre humanitaire en l’espèce ne justifient pas la prise d’une mesure spéciale. Par conséquent, il n’est pas indiqué que j’accorde en l’espèce un sursis à l’exécution de la mesure d’expulsion. » La SAI a poursuivi en faisant observer ce qui suit : « Pour les motifs qui précèdent, je conclus qu’il n’est pas justifié en l’espèce de prendre une mesure spéciale suivant l’alinéa 67(1)c) ou le paragraphe 68(1) » de la Loi.
[34] Il est évident que l’analyse de la SAI était censée s’appliquer de façon globale aux décisions qu’elle rend en vertu de l’alinéa 67(1)c) et du paragraphe 68(1) de la Loi. La SAI ne se contentait pas d’énoncer une conclusion relativement à la question du sursis.
[45]
Trois points présentent un intérêt pour la Cour dans la présente cause. Premièrement, la Cour fédérale confirme la décision Archibald c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 95 FTR 308, 29 Imm LR (2d) 259 en reconnaissant l’importance du facteur de risque que constitue la protection et la sécurité du public pour déterminer s’il y a un risque de récidive de la part du demandeur. La récidive est souvent mentionnée comme un facteur distinct. En fait, c’est l’objectif de la réadaptation; être réadapté signifie que la récidive est peu probable. Comme il a déjà été indiqué, la Cour conclut que la probabilité de récidive établit une distinction entre l’application de l’alinéa 67(1)c) et l’application du paragraphe 68(1), en fonction du moment où cette conclusion est tirée, soit à la fin de l’audience de l’appel, soit à la fin de la période de sursis à la mesure de renvoi.
[46]
Le deuxième point concerne la nomenclature. Dans cette affaire, la Commission fait remarquer que « les motifs d’ordre humanitaire en l’espèce ne justifient pas la prise d’une mesure spéciale »
(Rajagopal, au paragraphe 33). Malgré les modifications apportées à la LIPR en 2001, la Commission et les tribunaux insistent pour décrire l’ensemble des sept facteurs de la décision Ribic comme représentant l’ensemble des motifs d’ordre humanitaire. En toute déférence, cela découle de nouveau d’une interprétation incorrecte de l’alinéa 67(1)c) et du paragraphe 68(1) modifiés, qui ne reconnaît pas que le législateur a séparé les facteurs humanitaires des deux autres facteurs de la décision Ribic, en plus de tout autre facteur pertinent, qui, pour les questions de grande criminalité, ont trait à la protection et la sécurité du public.
[47]
Troisièmement, avec respect, il est suggéré que le raisonnement de la Commission, comme l’a confirmé la Cour, ne répondrait pas à la norme de contrôle établie dans l’arrêt Vavilov, qui exige que la décision soit « justifiée »
. Le demandeur a soutenu que la Section d’appel de l’immigration n’a pas « invoqué de motifs sérieux »
pour refuser de surseoir à la mesure de renvoi, en affirmant que la Commission « n’a pas formulé d’analyse ou invoqué de motifs sérieux pour justifier son refus d’accorder le sursis demandé »
(Rajagopal, au paragraphe 31). Le défendeur a fait valoir que, bien qu’il ait le droit de savoir pourquoi le sursis est nécessaire, il n’est pas nécessaire que « [la SAI] formule des motifs complémentaires ou spéciaux à cet égard »
(Ibid., au paragraphe 32). La Cour a confirmé le concept selon lequel la pondération des facteurs d’ordre humanitaire ne justifiait pas la prise de mesures spéciales dans les deux cas.
[48]
Le problème est le même que celui constaté en l’espèce. La Commission n’est pas en mesure de fournir une explication rationnelle des normes différentielles qui distinguent l’alinéa 67(1)c) et le paragraphe 68(1) de la Loi. La Cour suprême a indiqué dans l’arrêt Vavilov, au paragraphe 85, qu’il doit y avoir « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle [qui] est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti »
[non souligné dans l’original]. La Cour fait respectueusement valoir que l’absence d’un énoncé d’objectif ou d’une norme juridique définie établissant une distinction quant à l’application des deux dispositions représente une contrainte pour le décideur. Il n’y a pas d’analyse cohérente et rationnelle de ces dispositions qui justifie que le même raisonnement s’applique à deux dispositions distinctes qui permettent des résultats différents en matière de redressement.
[49]
En outre, si la norme dans la décision Rajagopal est que les mêmes faits ne justifient pas la prise de mesures spéciales aux termes des deux dispositions, lorsque la même norme juridique s’applique, cela confirme logiquement qu’il doit y avoir un seuil commun s’appliquant aux deux dispositions. Ce raisonnement ne semble pas répondre aux normes de justification requises de l’arrêt Vavilov sans les seuils à franchir décrits dans les deux situations. Il n’existe pas de rejet sorti de nulle part pour ainsi dire, qui ne soit pas fondé sur les faits, appliqué à une norme raisonnable relative à deux dispositions distinctes.
[50]
Il semble que les autres membres de la Commission qui ont envisagé le raisonnement adopté dans la décision Rajagopal en ont conclu qu’il était problématique. Sinon, on aurait pu penser qu’une solution aussi simple pour résoudre l’énigme de la différenciation de l’application des deux dispositions aurait été adoptée dans d’autres affaires, notamment après avoir été confirmée par la Cour fédérale. À tout le moins, la décision Rajagopal est un exemple de plus des difficultés auxquelles font face les membres de la Commission et la Cour en s’attelant à trouver une différenciation significative pour refuser le sursis, après que la Commission a déployé tous les efforts possibles pour justifier le rejet de l’appel.
4)
Distinction avec l’approbation des facteurs de la décision Ribic par la CSC dans l’arrêt Khosa
a)
Introduction
[51]
La Cour commence son analyse différentielle des deux dispositions par ce qui sera sans doute considéré comme une conclusion nouvelle. La valeur de précédent de l’interprétation de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR dans l’arrêt Khosa de la Cour suprême du Canada devrait se limiter à son objectif important de concilier l’appréciation des faits avec la norme de contrôle du caractère raisonnable énoncée dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir].
[52]
Plus précisément, l’arrêt Khosa CSC ne peut être interprété comme une approbation générale des facteurs de la décision Ribic, et certainement pas pour leur application à l’interprétation de l’alinéa 67(1)c) et du paragraphe 68(1) de la Loi. L’esprit de ces dispositions et leur méthode d’application prévue n’ont pas fait l’objet d’une interprétation globale et « moderne »
. L’analyse qui suit vise à interpréter de manière exhaustive l’alinéa 67(1)c) et le paragraphe 68(1), en commençant par une perspective historique du traitement des dispositions qu’ils ont remplacées.
b)
La décision Ribic et l’arrêt Chieu
(i)
La décision Ribic
[53]
Les autres redressements fondés sur l’équité qui permettaient aux personnes interdites de territoire d’interjeter un appel direct, ou qui accordaient simplement un sursis conditionnel à la mesure de renvoi, remontent à l’article 11 de la Loi sur la Commission d’appel de l’immigration, SC 1966-67, c 90. Cet article prévoyait la possibilité d’interjeter appel devant la Commission d’appel de l’immigration (CAI), comme elle s’appelait alors, sur toute question de droit ou de fait ou toute question mixte de droit et de fait. L’article 15 de cette loi conférait à la CAI le pouvoir de suspendre ou d’annuler une mesure d’expulsion prise à l’encontre d’un résident permanent compte tenu de [traduction] « toutes les circonstances de l’affaire »
.
[54]
Il n’y avait pas de mention distincte d’un libellé d’ordre humanitaire, tel qu’il existe dans les dispositions modifiées en 2001. Le texte législatif ne prévoyait pas non plus de régime séparant les facteurs en fonction de l’élément de contrainte ou des deux facteurs compensatoires (la possibilité de récidive et la gravité de l’infraction) qui concernent la protection et la sécurité du public, en accordant essentiellement le statut de résident permanent aux personnes formellement reconnues coupables de grande criminalité.
[55]
Il est également très important de noter que la phraséologie originale [traduction] « toutes les circonstances de l’affaire »
dans la loi de 1966-67 a été reprise dans l’alinéa 67(1)c) et le paragraphe 68(1) modifiés en 2001. Cela est important dans la mesure où la Cour suprême dans l’arrêt Khosa, au paragraphe singulier interprétant l’alinéa 67(1)c), n’a pas pris en compte les implications évoquées par la référence continue du législateur à cette phraséologie.
[56]
En outre, la Commission dans la décision Ribic et les tribunaux dans l’arrêt Khosa ne se sont pas opposés à d’autres demandes de mesures spéciales qui auraient donné lieu à une interprétation différente, avec des résultats différents. Dans la décision Ribic, l’appelante n’avait pas présenté sa demande de modification des conditions par écrit comme l’exige la Loi. L’application stricte de la loi ne prévoyait pas de considérations liées à l’équité lorsque l’affaire a été présentée à l’arbitre, ce qui a entraîné une mesure d’expulsion. Il s’agissait d’un cas évident où des considérations liées à l’équité étaient requises.
[57]
La Commission a décrit l’application de son mandat consistant à statuer sur l’affaire en tenant compte de « toutes les circonstances de l’espèce »
aux paragraphes 14 et 15 de la décision Ribic (non souligné dans l’original) :
Chaque fois que la Commission exerce sa compétence en équité en vertu de l’alinéa 72(1)b), elle ne le fait qu'après avoir estimé que la mesure d'expulsion est valide en droit. Dans chaque cas, la Commission examine les mêmes questions générales afin de déterminer si, vu toutes les circonstances de l'espèce, l’appelant ne devrait pas être renvoyé du Canada.
La Commission a déterminé qu’il existe des circonstances justifiant qu’elle fasse droit à l’appel. La mesure d'expulsion est annulée, et il est fait droit à l’appel.
(ii)
L’arrêt Chieu
-
Absence de régime ou de finalité dans le texte législatif
[58]
L’alinéa 72(1)b) est devenu l’alinéa 70(1)b) au moment où la Cour suprême examinait les facteurs de la décision Ribic dans l’arrêt Chieu, près de deux décennies plus tard, en 2002. Dans l’arrêt Chieu, la Cour s’est principalement concentrée sur la question étroite de savoir si les difficultés dans le pays d’origine de l’appelant constituaient un facteur de la décision Ribic approprié, au lieu d’être écartées par le pouvoir exclusif du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration en cette matière.
[59]
En dépit de sa portée limitée, la sanction des facteurs de la décision Ribic dans l’arrêt Chieu en est son principal héritage. Les facteurs eux-mêmes ne sont pas si problématiques. La question de l’héritage constitue l’approbation continue de sa méthodologie qui consiste en une évaluation globale de chacun des sept facteurs particuliers, puis en leur pondération pour déterminer l’issue des appels. En ce qui concerne cette méthodologie dans l’arrêt Chieu, rien ne suggère que l’interprétation de la Cour était erronée en tenant compte de l’ancien libellé de l’alinéa 70(1)b) de la LIPR. Ces motifs visent toutefois à mettre fin à son précédent méthodologique dans l’application de l’alinéa 67(1)c) et du paragraphe 68(1).
[60]
Le législateur n’avait donné aucune directive quant à l’obligation de faire droit à l’appel ou accorder le sursis de la mesure de renvoi, si ce n’est la phrase [traduction] « compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire »
. Il appartenait à la Commission de définir les considérations pertinentes et la manière d’exercer son pouvoir discrétionnaire dans l’application de ces considérations. Dans le contexte de la question étroite soulevée dans l’arrêt Chieu et de l’acceptation générale des facteurs de la décision Ribic, il n’y avait pas de raison d’examiner de nouveau la décision Ribic. C’est l’absence de toute explication raisonnable dans la jurisprudence pour différencier deux résultats différents qui a conduit la Cour à s’interroger sur ce que le législateur avait à l’esprit lorsqu’il a prescrit une norme juridique identique pour les deux dispositions.
-
La probabilité de récidive
[61]
Un point important à noter dans l’arrêt Chieu concernant la conciliation des deux dispositions par la Cour constitue les commentaires de la Cour suprême sur le facteur de risque qu’est la récidive. Étant donné l’importance, selon ce que la Cour conclut, que le législateur accorde à ce facteur, ou qu’il en a mieux décrit l’objet, les commentaires de la Cour suprême sont pertinents aux fins de la présente discussion. Au paragraphe 32 ci-dessous, la Cour a abordé le facteur de risque de récidive pour étayer son interprétation du terme « all »
de l’alinéa 70(1)b). La Cour a insisté sur les termes « probabilité »
et « probable »
, en plus de l’accent mis par la Cour sur le passage plus long :
32 En outre, la nature englobante du mot « all » indique que les possibilités réalistes sont tout aussi pertinentes que les certitudes dans cette décision discrétionnaire. Par exemple, la probabilité qu’un individu récidive est un facteur incertain, mais un facteur que la S.A.I. prend couramment en considération en vertu de l’al. 70(1)b) lorsqu’un individu est renvoyé à la suite d’une condamnation pénale, comme c’est le cas dans l’affaire Al Sagban. Cela indique que la S.A.I. devrait aussi pouvoir tenir compte de la situation du pays de destination probable même si, au moment de l’audition de l’appel interjeté en vertu de l’al. 70(1)b), on ne sait pas avec une certitude absolue quel sera finalement le pays de destination.
[62]
À première vue, la conclusion à tirer de cet alinéa est que, bien qu’elle ne soit pas expressément mentionnée comme un facteur de la décision Ribic, la récidive doit être considérée comme un autre facteur « incertain »
, « lorsqu’un individu est renvoyé à la suite d’une condamnation pénale »
(Ibid., au paragraphe 32). En toute déférence, la Cour suprême a une opinion différente en concluant que ni la Commission ni les tribunaux n’ont pleinement reconnu que le « risque de récidive »
est l’objet, ou le résumé, de tous les facteurs de risque compensatoires qui limitent l’octroi d’une mesure à vocation équitable.
[63]
Toutefois, aux fins de la présente discussion, l’importance se rapporte au seuil de la « probabilité »
de récidive fixé par la Cour suprême comme norme de preuve. La Cour conclut que la probabilité de ne pas récidiver est la mesure de sécurité prévue par le législateur pour limiter l’octroi de mesures spéciales aux termes de l’alinéa 67(1)c) ou du paragraphe 68(1) de la Loi.
[64]
Il convient de renvoyer à la jurisprudence interprétant la disposition contextuelle que constitue l’alinéa 36(3)c) de la Loi. Il dispose que les personnes ne sont pas interdites de territoires si elles sont en mesure de convaincre « le ministre de sa réadaptation »
. En tenant compte des politiques, les tribunaux ont déclaré qu’une demande de réadaptation « doi[t] à tout le moins, et expressément, évaluer si l’étranger est susceptible de récidiver »
(Tahhan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1279, au paragraphe 21, le juge Diner; De Campos Gregorio c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 748, aux paragraphes 23 à 26; Ramirez Velasco c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 543, aux paragraphes 8 et 9; et Lau c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1184, au paragraphe 24).
[65]
La jurisprudence qui applique le facteur de la « possibilité de réadaptation »
énoncé dans la décision Ribic décrit rarement le critère comme établissant un seuil de probabilité de non-récidive. Cela semble tenir du fait que la Cour suprême dans l’arrêt Khosa a approuvé en bloc les facteurs de la décision Ribic. Cela a conduit les Cours fédérales à considérer le terme « possibilité »
comme une forme de seuil, contrairement au terme « probabilité »
. Il s’agit également d’une fonction de la reconnaissance du fait que la demande de sursis doit répondre à une norme moins stricte que celle applicable à l’appel. Cela se prête de manière trompeuse à plusieurs possibilités. Par conséquent, la jurisprudence n’a pas bien saisi l’intention du législateur d’établir la probabilité de ne pas récidiver comme limite à l’accueil d’appels aux fins de l’alinéa 67(1)c) et du paragraphe 68(1).
[66]
Le législateur a voulu que la récidive soit le facteur déterminant qui résume l’objectif et le succès de la réadaptation, le remords, la gravité de l’infraction ou tout autre aspect des facteurs compensatoires liés à la protection et la sécurité du public qui s’opposent à l’accueil de l’appel ou l’octroi du sursis. De même, la Cour estime que la probabilité de récidive l’emporte logiquement sur les éléments de preuve les plus forts et les plus convaincants d’ordre humanitaire d’une exemption spéciale d’expulsion. Pour cette raison, la probabilité de récidive est également le facteur déterminant qui établit une distinction quant à l’application des deux dispositions. La probabilité de récidive est toutefois évaluée en fonction du moment choisi pour évaluer à quel moment le risque de récidive peut se produire – après l’appel interjeté aux termes de l’alinéa 67(1)c), ou après l’expiration de la période de sursis prévue au paragraphe 68(1).
La possibilité de réadaptation
[67]
En mentionnant la « probabilité »
comme norme de preuve de la récidive, il convient de noter que cette référence pourrait sembler être en conflit avec le facteur qu’est la « possibilité de réadaptation »
énoncé dans la décision Ribic (Ribic, au paragraphe 14). Or, ce n’est pas du tout le cas. Étant donné que les mêmes facteurs s’appliquent à l’alinéa 67(1)c) et au paragraphe 68(1), il faut s’attendre à ce que l’éventail de normes de preuve soit différent. La différenciation des deux dispositions repose sur la mise à l’échelle du risque de récidive. La pondération des facteurs compensatoires soumis à un barème par rapport aux facteurs fondés sur l’équité soumis à un barème constitue la méthode optimale de mise en balance des facteurs contradictoires pour déterminer l’issue de l’appel ou de la demande de sursis.
[68]
Une possibilité de ce qui est évalué, par opposition à une probabilité, a de 1 % à 99 % de chances de se produire. C’est la distinction entre la mesure de la possibilité et le seuil de 51 % de la mesure de « probabilité »
ou de « vraisemblance »
des facteurs, des éléments de preuve ou des résultats juridiques. Cela explique pourquoi la norme, et en fait le seul seuil fonctionnel cohérent dans presque toutes les décisions juridiques en ce qui concerne les faits ou le droit, est fondée sur un seuil de probabilité.
[69]
Il existe des exceptions où les possibilités sont légitimement utilisées, par exemple pour mesurer les futurs dommages-intérêts, ou lorsque toute mise à l’échelle est difficilement réalisable, comme fixer la norme la plus basse possible que constitue la « parcelle d’utilité »
en droit des brevets. Sinon, les possibilités sont écartées en droit. Ce facteur sape la règle de droit par les incohérences subjectives des décisions que permet un éventail de critères à remplir, par exemple une possibilité sérieuse décrivant un éventail indéterminé de critères. Les possibilités en tant que forme de seuil inférieur à une probabilité, outre qu’elles sont subjectivement dépourvues de structure, sont d’une asymétrie inacceptable dans leur effet sur les parties, si elles ne sont pas destinées à servir un certain objectif politique. En statuant sur les considérations de sécurité publique lorsqu’il conteste une conclusion de possibilité qui n’a pas pour but de fournir une mise à l’échelle, le procureur général est aux prises avec une norme semblable à celle de la poursuite en droit pénal selon la « preuve hors de tout doute raisonnable »
. Travailler avec des éventails de possibilités indéterminées est également un exercice mental décisionnel plus difficile que la décision plus simple d’avoir recours à un seuil de probabilité dichotomique (« blanc ou noir » ou « tout ou rien »).
[70]
En l’espèce, cependant, la mesure et l’application des facteurs de la décision Ribic représentent un recours valable aux possibilités. La pondération des facteurs d’ordre humanitaire et des facteurs liés à la protection et la sécurité publiques se prête à un éventail comparatif de possibilités soumises à un barème. Cela rend pertinente la graduation de la force relative des facteurs fondés sur l’équité et des facteurs que constituent la protection et la sécurité, plus précisément lorsque la demande de sursis est en cause. Dans ces circonstances, il est raisonnable de qualifier de « suffisante »
, de « bonne »
ou de « forte »
l’affaire en équité qui repose sur des possibilités soumises à un barème. Le barème en équité total est alors pondéré et mis en balance par rapport aux facteurs soumis à un barème relatifs à la récidive. La différence, cependant, est que la probabilité de récidive est plafonnée à 50 %. Tout risque plus élevé par la suite définit une probabilité de récidive qui entraîne le rejet automatique de l’un ou l’autre redressement. En dessous d’une probabilité, les termes « suffisamment »
, « assez »
et « hautement »
improbable peuvent servir de descripteurs soumis à un barème indiquant le degré de réadaptation.
c)
L’arrêt Khosa
[71]
En adoptant simplement les conclusions de l’arrêt Chieu à ses fins, la Cour suprême dans l’arrêt Khosa a permis d’enchâsser les facteurs de la décision Ribic dans l’alinéa 67(1)c) et le paragraphe 68(1) modifiés de la LIPR. Cette approche s’est étendue à la méthodologie de la décision Ribic consistant à pondérer chaque facteur séparément, puis à statuer cumulativement sur la manière dont les facteurs s’équilibrent dans le contexte de l’interprétation de l’alinéa 67(1)c). La Cour conclut en toute déférence que, lorsque les motifs de la majorité dans l’arrêt Khosa sont soigneusement examinés et évalués par rapport à la toile de fond que constituent les contraintes de l’arrêt Vavilov, tirer une conclusion jurisprudentielle d’interprétation aussi large n’est ni « justifié »
, ni « justifiable »
.
[72]
En adoptant l’approbation par l’arrêt Chieu des facteurs de la décision Ribic par Chieu, la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Khosa ne s’est nullement attachée à mener une interprétation globale de la formulation modifiée de l’alinéa 67(1)c) et du paragraphe 68(1) de la Loi. La Cour avait d’autres chats à fouetter en ce qui concerne le défi qu’elle devait relever. Elle devait déterminer la norme appropriée pour examiner les faits évalués (ceux qui impliquent l’appréciation des éléments de preuve). Le récent arrêt Dunsmuir venait tout juste d’éliminer la norme manifestement déraisonnable, qui avait jusqu’alors été appliquée pour examiner les faits.
[73]
Les circonstances et l’historique de l’examen du facteur de réadaptation de la décision Ribic dans les décisions des Cours fédérales ci-dessous, ont manifestement porté cette question à l’attention de la Cour suprême. Les deux Cours ont rendu leurs jugements à l’époque du contrôle judiciaire à trois facteurs, alors que la Cour suprême appliquait les principes de l’arrêt Dunsmuir. Premièrement, la Cour fédérale dans la décision Khosa a conclu au paragraphe 33 que le critère de l’erreur manifestement déraisonnable devrait s’appliquer parce que « [l]e principal argument de M. Khosa, c’est que la SAI a interprété erronément sa preuve »
concernant le facteur de la « possibilité de réadaptation »
(Khosa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1218). Cette conclusion concernait plus précisément l’interprétation de la Cour de l’alinéa 67(1)c), énoncée ainsi au paragraphe 24 :
[24] On a statué avec constance que la norme de contrôle applicable aux décisions de la SAI sur des appels interjetés en vertu de l’alinéa 67(1)c), ainsi que des dispositions correspondantes de l’ancienne loi, était celle de la décision manifestement déraisonnable.
[74]
Les juges majoritaires de la Cour d’appel fédérale n’étaient pas d’accord sur le fait que la tendance de la jurisprudence de la Cour suprême était d’élargir la portée du facteur que constitue la norme de la décision raisonnable (Khosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 24, aux paragraphes 3 à 7 [Khosa CAF]). En outre, la Commission a dû faire preuve de moins de déférence à l’égard de son expertise sur la question de la réadaptation, une « notion de droit pénal [à l’égard de laquelle] on ne saurait dire que la Commission détient des connaissances particulières en la matière »
, et à l’égard de laquelle elle devrait généralement s’inspirer des cours pénales (Ibid., aux paragraphes 9 à 12).
[75]
Les juges majoritaires de la Cour suprême n’étaient pas d’accord avec la Cour d’appel, notant que la Section d’appel de l’immigration a un mandat différent de celui des cours pénales, et que la déférence était due à juste titre à la Section d’appel de l’immigration aux termes de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR (Khosa CSC aux paragraphes 66 et 67). Elle a évidemment convenu que la norme de la décision raisonnable était la norme de contrôle appropriée, étant donné que la norme de la décision manifestement déraisonnable n’existait plus. La Cour s’est donc retrouvée face à la question de savoir ce qu’il convenait de faire des évaluations factuelles selon la norme de la décision raisonnable.
[76]
La dissidence du juge Fish a obligé les juges majoritaires à énoncer clairement ce qui était à l’origine une règle provisoire de « non-repondération des éléments de preuve »
. Le juge Fish s’est lancé dans un exercice de repondération et a présenté une norme plus interventionniste basée sur le libellé de l’arrêt Dunsmuir qui permettait l’intervention, en déclarant que « la déférence s’arrête là où commence la déraisonnabilité »
(Ibid., au paragraphe 160). Les juges majoritaires ont reconnu qu’une norme de contrôle aussi large pour l’évaluation des faits, afin de permettre la repondération des éléments de preuve, offrirait un champ d’intervention trop vaste dans les évaluations factuelles des tribunaux. Les préoccupations relatives à la rigueur des normes de contrôle des faits évalués reflètent largement celles de la Cour partagée à cinq contre quatre dans l’arrêt Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33 [Housen]. Pour limiter le champ d’intervention des cours de révision, les juges majoritaires de la Cour dans l’arrêt Khosa ont adopté la même norme de non-repondération comme élément supplémentaire de la norme de la décision raisonnable (sans admettre qu’il s’agit d’une telle norme).
[77]
La Cour décrit ce libellé comme un retour à l’ancienne norme abolie, car la méthodologie d’application d’une norme représente la norme, et non son étiquette. Interdire la repondération des éléments de preuve revient à appliquer de nouveau les critères d’erreur manifestement déraisonnable ou manifeste aux évaluations dans la recherche des faits, sans affirmer qu’il ne s’agit pas de la norme de la décision raisonnable. Les juges majoritaires dans l’arrêt Housen ont indiqué dans les termes les plus catégoriques, plus précisément aux paragraphes 21 et 22, que le fait de soupeser de nouveau des éléments de preuve est une forme d’analyse du caractère raisonnable inadmissible, et constitue une norme insuffisamment stricte pour l’examen des faits. L’examen visant à déterminer s’il existe des éléments probants à l’appui d’un fait est un exercice différent de celui qui consiste à analyser de nouveau les éléments de preuve pour voir si la conclusion de fait était raisonnable. L’arrêt Housen a appliqué cette même distinction à l’étape consistant à tirer une conclusion à partir des faits.
[78]
Dans l’arrêt Khosa, la réticence, la lutte et l’hésitation des juges majoritaires à prescrire la règle de la « preuve non soupesée »
sont apparentes dans leurs motifs après avoir simplement aboli la norme de la décision manifestement déraisonnable. Le juge Binnie déclare d’abord au paragraphe 61 que « [j]e ne crois pas qu’il rentre dans les attributions de la cour de révision de soupeser à nouveau les éléments de preuve »
[non souligné dans l’original]. Au paragraphe 64, il conclut également qu’« [i]l semble évident qu’un litige factuel de ce genre doit être tranché par la Section d’appel de l’immigration dans l’application de la politique d’immigration et qu’il ne doit pas être réévalué par les tribunaux judiciaires »
[non souligné dans l’original]. « Croire »
qu’une règle existe, et que cette existence « semble »
évidente, n’est pas le langage habituel que l’on attend de la Cour suprême pour énoncer une méthodologie fondamentale de contrôle de l’appréciation des faits en droit administratif. Cette norme représente l’héritage de la décision. En effet, les rédacteurs de la note liminaire ont traduit les déclarations provisoires de la Cour en une règle impérative citée par la suite dans des milliers de décisions.
[79]
En parlant d’héritage, l’arrêt Khosa CSC renforce l’application de la règle interdisant la repondération des éléments de preuve par rapport aux questions de fait et de droit. Le juge Fish a effectué une analyse du caractère raisonnable de la repondération des éléments de preuve quant à la conclusion négative de la Commission sur la réadaptation. Les juges majoritaires de la Cour ont adopté la même méthodologie que celle suivie par la Cour fédérale en isolant l’essence factuelle de la question mixte de fait et de droit de ce qui constitue la réadaptation de la conclusion générale selon laquelle l’appel devrait être accueilli aux termes de l’alinéa 67(1)c). Comme le démontrent les lignes directrices qui aident à déterminer si un appelant est « réadapté »
conformément à l’alinéa 36(1)c), il s’agit d’une question mixte de fait et de droit, même si la norme est créée par la jurisprudence, c’est-à-dire la négligence. Comme il n’a pas été possible d’extraire la question juridique de l’analyse de la réadaptation, la Cour suprême a traité la question comme étant de nature factuelle. Elle a donc intégré la règle interdisant de soupeser de nouveau les éléments de preuve par rapport à des questions mixtes de fait et de droit dans l’arrêt Housen (Ibid., aux paragraphes 26 à 30) lorsqu’il s’agit de déterminer le résultat de l’examen.
[80]
L’arrêt Vavilov, au paragraphe 125, a réalisé la quadrature du cercle que représentent les « normes »
pour le réexamen des conclusions de fait de l’évaluation. Les cours de révision ne peuvent pas soupeser de nouveau les éléments de preuve et ne peuvent intervenir que dans des « circonstances exceptionnelles ».
Cette norme ressemble à la règle dite de non-intervention à moins que « la chose “manifeste” [soit] une chose “évidente” »
énoncée dans l’arrêt Housen, au paragraphe 6. Dans l’arrêt Housen, la Cour a décrit la méthodologie de la norme manifeste comme étant « reformul[ée] parfois [...] en disant qu’une cour d’appel ne peut réviser la décision du juge de première instance dans les cas où il existait des éléments de preuve qui pouvaient étayer cette décision »
(Ibid., au paragraphe 1). Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a également indiqué que « bon nombre des mêmes raisons qui justifient la déférence d’une cour d’appel à l’égard des conclusions de fait tirées par une juridiction inférieure, dont la nécessité d’assurer l’efficacité judiciaire, l’importance de préserver la certitude et la confiance du public et la position avantageuse qu’occupe le décideur de première instance, s’appliquent également dans le contexte du contrôle judiciaire »
: voir l’arrêt Housen, aux paragraphes 15 à 18.
[81]
Tout cela pour dire que la Cour suprême, dans l’arrêt Khosa, concentrait entièrement son interprétation de l’alinéa 67(1)c) sur les questions continues liées à la nomenclature de l’évaluation et de l’appréciation de la suffisance des éléments de preuve. Cela ressort nettement du fait qu’au paragraphe 57 des motifs, la Cour a omis la formulation en guise de conclusion de l’alinéa 67(1)c), à savoir « vu les autres circonstances de l’affaire »
, ou dans la version anglaise «
in light of all the circumstances of the case »
. Ce libellé révèle le régime prévu par le législateur en vue de l’application de la disposition.
[82]
Dans ce contexte, les juges majoritaires de la Cour ont interprété les facteurs énoncés dans la décision Ribic comme comprenant l’interprétation de l’alinéa 67(1)c), et donc, du paragraphe 68(1), aux paragraphes 57 et 137. Ces paragraphes sont les suivants, la Cour insistant sur la nature de l’exercice discrétionnaire que constitue la décision de la Section d’appel de l’immigration :
[57] Reconnaissant que le renvoi peut entraîner des difficultés, le législateur a prévu à l’al. 67(1)c) un pouvoir de prendre des mesures exceptionnelles. Selon la nature de la question que pose l’al. 67(1)c), la SAI « fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé [...] il y a [...] des motifs d’ordre humanitaire justifiant [...] la prise de mesures spéciales ». Il revient à la SAI de déterminer non seulement en quoi consistent les « motifs d’ordre humanitaires [sic] », mais aussi s’ils « justifient » la prise de mesures dans un cas donné. L’alinéa 67(1)c) exige que la SAI procède elle‑même à une évaluation liée aux faits et guidée par des considérations de politique.
[…]
[137] [...] L’application concrète des facteurs énoncés dans Ribic au cas dont la SAI était saisie et l’exercice de son pouvoir discrétionnaire relèvent des faits. Selon moi, la SAI n’a pas tiré ses conclusions de fait de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait. Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi.
[83]
En conclusion, l’interprétation de la Cour suprême de l’alinéa 67(1)c) a été fixée en fonction de déclarations concernant la « justification »
des éléments de preuve dans l’exercice des conclusions de fait discrétionnaires de la Commission. Aucune tentative n’a été faite de procéder à une interprétation textuelle, contextuelle ou téléologique des dispositions modifiées, en adoptant simplement de manière globale les facteurs énoncés dans la décision Ribic antérieurs à la modification de l’application de l’alinéa 67(1)c). Cela reflète le fait que le fondement factuel présenté à la Cour n’exigeait pas une interprétation plus complète de la disposition. Cela a conduit la Cour à contourner les questions historiques et difficiles d’application différentielle découlant du contexte très inhabituel dans lequel deux normes légales identiques s’appliquent à des résultats sensiblement différents. Le fondement factuel circonscrit la ratio decidendi d’une décision.
[84]
On pourrait affirmer que l’attention limitée qu’a accordée la Cour suprême à la question du contrôle des évaluations factuelles en droit administratif fournit une base raisonnable pour établir une distinction avec l’arrêt Khosa CSC, en la limitant à sa décision particulière concernant le contrôle des évaluations factuelles. Ces motifs s’étendent à l’apparente adoption en bloc par la Cour de la méthodologie de la décision Ribic découlant d’un exercice d’interprétation limité, sans tenir compte de l’ensemble de la formulation législative modifiée, et de l’objectif de redressement visé par le législateur en promulguant l’alinéa 67(1)c) et le paragraphe 68(1) de la LIPR.
5)
L’interprétation des modifications de 2001
[85]
Il est acquis en matière jurisprudentielle que l’alinéa 67(1)c) et le paragraphe 68(1) doivent être interprétés conformément au principe moderne adopté par Elmer Driedger dans l’arrêt Rizzo Shoes, au paragraphe 21, selon lequel « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur »
.
a)
Le régime à trois éléments de l’alinéa 67(1)c) et du paragraphe 68(1)
[86]
Il est utile d’avoir une référence visuelle à titre de comparaison de l’alinéa 70(1)b) et de l’alinéa 67(1)c) de la version moderne de la Loi, avec ce que la Cour décrit comme ses trois éléments numérotés entre crochets dans chaque disposition :
|
|
[87]
En 1985, la totalité des sept facteurs énoncés dans la décision Ribic a été conçue par la Section d’appel de l’immigration en vue de mettre en œuvre les politiques non décrites souhaitées par le législateur, par l’adoption d’un libellé qui décrivait un très large exercice du pouvoir discrétionnaire prescrit à l’alinéa 70(1)b). Les appels ou les reports de mesures de renvoi devaient être accordés « [au motif] que, eu égard aux circonstances particulières de l’espèce, ils [les résidents permanents et les titulaires de permis de retour] ne devraient pas être renvoyés du Canada »
. Ainsi, la Commission a interprété l’expression « eu égard aux circonstances particulières de l’espèce »
comme incluant ensemble, sans aucune distinction d’étiquetage, ce qui peut être à juste titre décrit comme étant les cinq facteurs relatifs aux « contraintes »
liées à l’équité et les deux « facteurs liés à la protection et la sécurité publiques »
(la gravité de l’infraction et la possibilité de réadaptation).
[88]
Le législateur a conceptuellement retiré les cinq facteurs fondés sur l’équité de la décision Ribic de ceux qui comprenaient auparavant « [les] circonstances particulières de l’espèce »
de l’ancien alinéa 70(1)b). Ces facteurs sont maintenant compris dans le libellé du premier élément de l’alinéa 67(1)c) et du paragraphe 68(1), « en tenant compte de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché par la décision, motifs d’ordre humanitaire suffisante »
. Ce libellé ressemble beaucoup à celui du paragraphe 25(1) de la Loi.
[89]
Il est reproduit ci-dessous aux fins de comparaison, non souligné dans l’original :
|
|
[90]
Selon le premier élément de l’alinéa 67(1)c) et du paragraphe 68(1), les facteurs liés aux contraintes devraient comprendre ceux décrits dans les lignes directrices et la jurisprudence qui s’appliquent au paragraphe 25(1) de la Loi, libellé de manière similaire. Cela ne devrait pas prêter à controverse. Dans l’arrêt Chieu, la Cour suprême du Canada a indiqué, au paragraphe 79, « la décision discrétionnaire visée par l’al. 70(1)b) exige l’examen de “toutes les circonstances atténuantes pouvant être invoquées en faveur de l’expulsé” »
. De même, la Cour suprême dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, au paragraphe 27 [Kanthasamy] a souligné que les motifs d’ordre humanitaire, tels qu’ils sont mentionnés dans les lignes directrices, doivent s’étendre à « tout autre facteur pertinent invoqué par le demandeur n’étant pas visé aux [art. 96 et 97] »
. Les appelants qui demandent un redressement aux termes de l’alinéa 67(1)c) ou du paragraphe 68(1) n’ont invoqué aucun facteur compensatoire lié à la sécurité publique qui ne sont pas des facteurs liés aux contraintes et qui, s’ils ne sont pas satisfaits, les empêcheront d’obtenir une mesure spéciale.
[91]
Le troisième élément de l’alinéa 67(1)c) et du paragraphe 68(1), « vu les autres circonstances de l’affaire »
, ou dans la version anglaise «
all the circumstances of the case »
, doit avoir un certain rôle à jouer en plus des facteurs liés à l’équité qui ont été extraits de l’ancien libellé de l’alinéa 70(1)b) et qui sont maintenant inclus dans le nouveau premier élément. La logique veut que ce troisième élément comprenne au minimum le contenu de ce qui reste des facteurs de la décision Ribic fondés sur le même libellé de la disposition précédente, les facteurs liés à l’équité ayant été supprimés.
[92]
Cela s’étend aux deux facteurs liés à la protection et la sécurité publiques (la gravité de l’infraction et la possibilité de réadaptation), en plus de ce qui a été désigné dans la jurisprudence, comme le « remords »
ou la « probabilité de récidive »
. Ces facteurs reflètent l’objectif de l’alinéa 3(1)h) de la LIPR, à savoir « [...] protéger la santé et la sécurité publiques et [...] garantir la sécurité de la société canadienne »
; Le deuxième élément des dispositions, à savoir que l’octroi d’une mesure spéciale est justifié (exprimé par le terme « justifiant »
dans la version française, ou par le terme «
warranted »
dans la version anglaise) par les facteurs liés à la protection et la sécurité publiques, confirme contextuellement cette interprétation.
[93]
L’économie de l’alinéa 67(1)c) et du paragraphe 68(1) devient donc manifeste. Le législateur a voulu que les appelants démontrent d’abord leur droit à une mesure à vocation équitable selon le même raisonnement que celui qui s’applique au paragraphe 25(1) de la Loi. Une fois cette exigence satisfaite, l’appel ou le sursis ne sera accordé que s’il est justifié par la satisfaction des facteurs du deuxième élément. Il comprend tous les facteurs liés à la protection et la sécurité publiques qui sont compris dans l’expression « les autres circonstances de l’affaire »
. La définition du dictionnaire du mot «
warrant »
en anglais n’est pas ambiguë. Il s’agit de l’équivalent anglais : «
justify or necessitate (a certain course of action) »
[justifier ou nécessiter (une certaine ligne de conduite)] (Dictionnaire anglais de Google fourni par Oxford Languages, en ligne : <www.google.com>). Une mesure à vocation équitable ne peut être accordée que si elle est d’abord prouvée, et ensuite, que si les facteurs liés à la protection et la sécurité ne l’interdisent pas, auquel cas les deux catégories de facteurs doivent être évaluées l’une par rapport à l’autre.
b)
Démontrer d’abord qu’une mesure à vocation équitable est justifiée
[94]
L’interprétation qui précède est étayée par les conséquences absurdes qui s’ensuivent si l’affaire en équité n’est pas d’abord démontrée comme un seuil pour poursuivre l’instance aux termes de l’alinéa 67(1)c) et du paragraphe 68(1). Il n’est pas raisonnable que le législateur ait voulu qu’un appelant condamné pour grande criminalité puisse avoir gain de cause dans le contexte de l’appel ou d’une demande de sursis à la mesure de renvoi si la Commission n’était pas d’abord convaincue qu’une cause en équité avait été établie. Il s’agit là certainement de l’essence même de la disposition. En outre, toute autre interprétation signifierait qu’une personne interdite de territoire ayant commis des actes criminels graves se verrait accorder une possibilité préférentielle d’obtenir le statut de résident permanent par rapport à un demandeur d’asile respectueux des lois dont la demande a été rejetée parce qu’aucun risque n’a pu être démontré, mais qui a une demande en équité valable. Il n’y a pas de meilleure preuve de cette absurdité que l’affaire actuellement devant la Cour qui ne se rapproche aucunement d’une demande valable en équité.
[95]
Il existe également plusieurs autres raisons pratiques qui justifient une interprétation selon laquelle l’alinéa 67(1)c) et le paragraphe 68(1) doivent être analysés selon une méthodologie qui sépare l’évaluation de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire des questions de protection et de sécurité publiques. Parmi les autres avantages d’utiliser des seuils et une analyse séparée des deux éléments des dispositions, on peut citer les suivants :
Une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire rejetée met fin aux deux processus. Cela permet d’éviter de gaspiller des ressources décisionnelles limitées pour les tâches d’évaluation et de rédaction des décisions de la Commission. Certes, il est allégué qu’une bonne rédaction de décision encourage la description d’autres motifs de rejet, le cas échéant. Néanmoins, il appartient au décideur, à sa seule discrétion, de s’étendre sur d’autres motifs de rejet de l’appel, même si la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire n’est pas suffisamment étayée;
Des cas comme celui qui nous occupe, où la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire n’est pas apparente, peuvent également être rejetés de manière plus appropriée au stade de l’autorisation, lorsqu’aucun fondement équitable n’est fourni, ou par la suite, par la cour de révision, avec la même efficacité dans les deux cas sans que la qualité de la justice rendue soit diminuée;
Pour la même raison, il est également plus juste pour l’appelant de connaître le fondement différent du rejet, et donc de mieux cibler les observations à tous les niveaux de la procédure;
La prise de décision est également facilitée dans le cas d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire favorable. Le décideur peut apposer des étiquettes utiles pour décrire l’échelle de l’évaluation globale, c’est-à-dire suffisante, bonne ou forte. Cela devrait faciliter les évaluations cumulatives comparatives lorsqu’elles sont mises en balance avec les facteurs compensatoires que sont la protection et la sécurité. Tout comme le processus fondé sur la décision Ribic, la prise de décision nécessite la mise à l’échelle de la valeur probante des facteurs concurrents, ce qui devrait être facilité si l’on procède d’abord à une évaluation pour chaque élément, puis à une évaluation globale des éléments les uns par rapport aux autres;
Peut-être plus important encore, en forçant la Section d’appel de l’immigration à considérer séparément les facteurs liés aux contraintes, elle disposera enfin d’un temps égal pour examiner les facteurs liés à la protection et à la sécurité. Un examen de la jurisprudence dans ce domaine montre que la majeure partie de l’évaluation de la Commission est consacrée à l’examen des facteurs liés à la protection et à la sécurité. Cela se produit probablement parce que ce sont les deux premiers éléments de la liste des facteurs énoncés dans la décision Ribic. Mais ce sont aussi ceux qui demandent le plus de temps parce qu’ils sont les plus difficiles à évaluer, nécessitant souvent la lecture des décisions des cours pénales et des éléments de preuve qui leur sont présentés. Cela permet d’éviter les causes où il n’y a pas de fondement d’ordre humanitaire valable pour poursuivre, comme dans l’affaire qui nous intéresse, parce que la Commission s’égare dans une certaine mesure lorsqu’elle cherche des motifs pour justifier son refus d’accueillir le sursis ou la mesure de renvoi;
La réduction des efforts pour résoudre l’appel peut être reportée de la même manière après avoir conclu qu’une cause est fondée sur des motifs d’ordre humanitaire suffisants, ce qui implique nécessairement une prise en compte séparée des facteurs liés à la protection et à la sécurité publiques. La Commission peut choisir de commencer l’examen de l’appel par la demande de sursis aux termes du paragraphe 68(1). Comme il est décrit ci-dessous, la Commission a elle aussi un seuil à respecter pour démontrer l’absence de probabilité de récidive, soit au moment où l’appel est accueilli, soit au moment où la période de sursis est terminée. La demande de sursis requiert un degré de valeur probante inférieur à celui de l’appel. Si le sursis est rejeté, logiquement, l’appel doit l’être aussi. À l’inverse, si le sursis est accueilli, la Commission peut ensuite plus facilement relever les autres éléments de preuve positive probants pour appuyer le fait qu’il est fait droit à l’appel. Cela est considérablement plus simple que de relever les autres éléments de preuve positive pour rejeter le sursis, sans compter qu’un résultat positif en appel est moins susceptible de faire l’objet d’une révision.
c)
Déterminer ensuite les différences d’objectifs de l’alinéa 67(1)c) et du paragraphe 68(1) en fonction de la probabilité de récidive
[96]
Lorsqu’elle a d’abord tenté de comprendre l’objectif du législateur en adoptant deux articles dont la même norme juridique s’appliquait aux mêmes faits, la Cour a d’abord examiné si le législateur avait eu l’intention de prévoir deux autres recours mutuellement exclusifs. D’une manière ou d’une autre, l’appelant serait appelé à décider de la voie à suivre – appel ou sursis. La Cour a été quelque peu induite en erreur par l’expression ambiguë «
if any »
que l’on ne trouve que dans la version anglaise de l’article 69 de la Loi. En fin de compte, aucune interprétation significative n’est venue à l’esprit, une conclusion que les rédacteurs français semblent avoir partagée.
[97]
Une interprétation « moderne »
de l’alinéa 67(1)c) et du paragraphe 68(1) de la LIPR met plutôt en évidence trois aspects qu’il est nécessaire de réexaminer : l’objectif du troisième élément sur la protection et la sécurité publiques, l’interprétation contextuelle de l’alinéa 67(1)c) et du paragraphe 68(1), et le critère juridique approprié qui s’applique à chaque disposition.
[98]
Comme il a été précédemment indiqué, la Cour conclut que l’objectif visé par le législateur était de circonscrire le statut de résident permanent en refusant d’accorder une mesure d’ordre humanitaire en équité – quelle que soit la force de la preuve – aux personnes interdites de territoire reconnues coupables de grande criminalité, sans s’assurer de manière appropriée qu’elles ne récidiveraient pas. Aucune autre interprétation de l’objet des facteurs liés à la protection et la sécurité publiques n’a de sens. L’objet de ces facteurs est confirmé par la jurisprudence précitée, qui interprète le terme « réadaptation »
figurant à l’alinéa 36(3)c) de la Loi. Aucun citoyen canadien, décrit dans l’arrêt Kanthasamy où la Cour suprême souligne l’objectif de la mesure spéciale, ne serait enthousiasmé par les circonstances d’une personne permettant d’atténuer l’application stricte des lois canadiennes sur l’immigration afin d’accorder un tel redressement exceptionnel, sans avoir l’assurance nécessaire qu’elle ne récidiverait pas.
[99]
Contextuellement, compte tenu de l’objet général et de la nécessité d’une application raisonnablement claire et cohérente des deux possibilités de mesure à vocation équitable, la seule interprétation raisonnable apparente des deux dispositions consiste à s’assurer que la récidive ne se produira pas, pour ce qui est de savoir à quel moment cette évaluation est faite. Pour l’appel aux termes de l’alinéa 67(1)c), l’appelant doit fournir des éléments de preuve suffisants pour garantir l’absence de récidive au moment de statuer sur l’appel. Pour le sursis à la mesure de renvoi aux termes du paragraphe 68(1), l’appelant doit fournir des éléments de preuve suffisants pour garantir l’assurance nécessaire qu’au moment de la décision sur la demande de sursis, il ne récidivera pas à l’issue de la période de sursis accordée.
[100]
En ce qui concerne l’énoncé d’un critère approprié à appliquer dans le contexte de l’examen de cette interprétation contextuelle téléologique, l’appelant doit prouver que la preuve de non-récidive est suffisante en tant que probabilité ou vraisemblance. Dans l’analyse ci-dessus, en discutant des concepts liés à la possibilité de réadaptation, la Cour a déjà souligné pourquoi les probabilités et les vraisemblances sont les seules normes de preuve raisonnables et pratiques en matière civile.
[101]
Ainsi, dans le libellé de l’alinéa 67(1)c) et du paragraphe 68(1), non seulement le législateur a établi l’ordre de considération des facteurs déterminants comme s’appliquant d’abord aux facteurs d’ordre humanitaire définis de manière large, mais encore, il ajouté la deuxième condition selon laquelle une mesure spéciale ne devrait être accordée, c’est-à-dire justifiée, que « vu les autres circonstances de l’affaire »
. Cette interprétation du processus éventuel en deux étapes reconnaît que la sécurité publique doit primer sur les motifs d’ordre humanitaire lorsque le risque de récidive est probable. Le législateur ne permettrait pas à une personne qui a déjà été condamnée pour grande criminalité de maintenir ou d’obtenir le statut de résident permanent, lorsqu’il y a une probabilité de récidive, en gardant à l’esprit que la mesure d’ordre humanitaire n’est accordée, au départ, que dans des circonstances spéciales ou exceptionnelles.
[102]
Cela ne veut pas dire que les éléments de preuve à l’appui d’une demande favorable fondée sur des motifs d’ordre humanitaire – par exemple, changer de vie en occupant un emploi stable, en se mariant ou en ayant des enfants – ne contribuent pas également à une conclusion positive de non-récidive. Il n’est pas question que les évaluations globales changent radicalement. L’objectif est d’appliquer ces dispositions, comme le législateur l’aurait souhaité, de manière mesurée et cohérente. Le processus devrait permettre aux personnes condamnées en matière criminelle d’obtenir ou de maintenir le statut de résident permanent par deux voies différentes en équité, conformément aux mêmes exigences prévues au paragraphe 25(1) de la Loi. Néanmoins, la Commission ne doit pas permettre une telle situation aux termes de l’une ou l’autre de ces dispositions si cela devait avoir pour conséquence de faire courir aux citoyens canadiens un risque inacceptable de voir un comportement criminel se poursuivre.
[103]
C’est la seule interprétation apparente qui représente de manière cohérente l’intention du législateur en promulguant deux dispositions identiques de mesure à vocation équitable et qui fournit un fondement raisonnable pour justifier rationnellement, de manière cohérente et équitable, leurs différents résultats. Il s’agit également de la seule interprétation par laquelle la Commission peut justifier une différence de résultat.
6)
Évaluation des facteurs liés à la protection et à la sécurité
a)
Le degré de réadaptation
[104]
La réadaptation repose sur l’hypothèse que les personnes condamnées en matière criminelle peuvent être traitées et peuvent revenir à un mode de vie sans criminalité. Le degré de réadaptation est donc directement lié à la probabilité de récidive. La gravité de l’infraction est également un facteur de risque, mais celui-ci est lié aux effets ou aux dommages causés par la récidive. La gravité de l’infraction peut également être un facteur d’ordre humanitaire négatif dans l’évaluation équitable de l’octroi d’une mesure spéciale contre l’expulsion. La gravité de l’infraction est examinée plus loin.
[105]
L’évaluation de la probabilité de tout comportement futur comme celui de la récidive est une décision difficile dans le meilleur des cas. Il est plus simple d’évaluer l’intention passée de commettre un crime que d’évaluer la probabilité de commettre un crime à l’avenir. Il s’agit essentiellement d’une tentative de juger le caractère de l’appelant, dans la mesure où la dissuasion n’empêche souvent pas la récidive lorsque des situations illégales comportant un grand intérêt personnel se présentent, si elle n’est pas limitée par une quelconque considération morale ou éducative. Il ne s’agit pas d’une conclusion qu’il convient de tirer sans faire preuve d’une grande prudence.
b)
Recours aux éléments de preuve liés à la détermination de la peine en matière criminelle
[106]
La réadaptation et la probabilité de non-récidive sont des considérations courantes dans l’évaluation des mesures spéciales dans les cas d’interdiction de territoire et de détermination de la peine en droit criminel. Les éléments de preuve et le raisonnement liés à la détermination de la peine en matière criminelle sont généralement très pertinents pour les questions de réadaptation. De l’avis de la Cour, les commentaires du juge Décary dans l’arrêt Khosa CAF, au paragraphe 9, avec la modification du terme « possibilité »
en celui de « probabilité »
, sont toujours valables. Il a déclaré que lorsqu’un jugement favorable en matière de réadaptation est rendu par une juridiction pénale, « [la Commission] [...] [devrait] expliquer pourquoi la réadaptation n’est plus une possibilité ».
Il a également décrit, au paragraphe 11, les lignes directrices relatives à l’utilisation du casier judiciaire dans les circonstances des faits de l’arrêt Khosa, mais qui, pour la plupart, ont une application générale :
[11] Dans les cas où, comme je le disais plus haut, au paragraphe 9, la Commission peut éventuellement mettre en doute le constat de réadaptation fait par la juridiction pénale provinciale, la Commission doit, à tout le moins, prendre en considération les facteurs généralement associés à la notion de réadaptation, une notion de droit pénal. En l’espèce, il s’agit notamment de l’absence de casier judiciaire (à part l’infraction en cause), l’absence de déclarations de culpabilité pour conduite dangereuse antérieures, la manière dont l’intéressé a répondu à la surveillance dans la collectivité, enfin le passé récent du délinquant, notamment l’élévation de son niveau de scolarité et ses antécédents sur le marché du travail. Pour les facteurs de réadaptation en droit pénal, voir l’arrêt R. v. J.S.M. [2006] B.C.R. No. 1947 (C.A.), et l’arrêt R. v. Laverty, [1991] B.C.R. No. 3862 (C.A.)[.]
[107]
La Cour suprême a semblé quelque peu en désaccord avec la déclaration de la Cour d’appel fédérale au paragraphe 9 selon laquelle « [l]a réadaptation est une notion de droit pénal; on ne saurait dire que la Commission détient des connaissances particulières en la matière »
. La Cour a souligné que « [l]es membres de la SAI possèdent une expertise considérable pour trancher les appels sous le régime de la LIPR »
(Khosa CSC, au paragraphe 58). En d’autres termes, la Commission doit aborder sa propre évaluation de la réadaptation de l’appelant avec l’état d’esprit du plaideur antagoniste : elle doit rechercher les domaines dans lesquels elle peut légitimement ne pas être d’accord avec le caractère équitable ou raisonnable du raisonnement et de l’évaluation de la question en cause par la cour pénale.
[108]
Il existe également un grand nombre de circonstances dans lesquelles la Commission n’est pas tenue d’accepter les conclusions des cours pénales en matière de réadaptation, outre le fait qu’elle a un mandat différent qui lui est propre, comme l’a noté la Cour suprême dans l’arrêt Khosa, au paragraphe 66. Par exemple, la Cour a souligné dans l’arrêt Khosa que l’appelant n’avait pas témoigné dans la procédure pénale, bien qu’il l’eût fait devant la Commission. Ce seul fait permettrait à la Commission de reconsidérer les conclusions de la cour pénale provinciale. La Section d’appel de l’immigration est également en mesure d’examiner les efforts, ainsi que le succès, de la réadaptation sur une plus longue période, car sa décision intervient souvent quelque temps après le prononcé de la peine. La Commission est tout aussi compétente pour examiner les éléments d’expertise médicale devant la cour pénale en ce qui a trait à la fiabilité des éléments de preuve (voir notamment Moffat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 896, au paragraphe 78). En l’espèce, la Commission a soulevé plusieurs points pour lesquels le rapport d’expertise psychologique n’était pas fiable, notamment en se fondant uniquement sur les renseignements fournis par l’appelant. Rien ne laisse croire que la Commission n’a pas indiqué les raisons pour lesquelles elle n’était pas d’accord avec le rapport du psychologue.
c)
Motivation du crime
[109]
La question de la réadaptation n’est pas une question d’intention. L’intention a déjà été établie en vue d’une condamnation. La motivation, censée excuser le mauvais jugement, est importante, plus précisément lorsqu’il y a des éléments de preuve qui établissent le grave manque d’empathie envers les autres, accompagné d’un préjudice important, ce qui expose le besoin d’une consultation psychologique.
[110]
De l’avis de la Cour, cette affaire fournit un exemple de l’absence de prise en compte suffisante de la motivation du crime comme facteur de réadaptation (et de condamnation). Le motif irrégulier, et franchement inquiétant, de l’appelant pour expliquer pourquoi il est intervenu dans les relations de sa petite amie avec d’autres hommes aurait dû faire l’objet d’une réflexion sérieuse. Les décideurs doivent être réceptifs et attentifs à ces questions, plus précisément lorsque d’innombrables préoccupations importantes ont été soulevées quant à la réaction méprisante de la société face aux actes de violence et de discrimination à l’égard des femmes.
[111]
Le psychologue expert engagé par le demandeur a estimé que son comportement était [traduction] « plus conjoncturel que lié à son caractère »
et qu’il n’était pas quelqu’un « qui représente probablement un risque de violence dans la collectivité »
. Le demandeur a reconnu que son comportement était motivé par la crainte que l’interaction continue de la victime avec sa petite amie ne conduise à leur séparation. L’expert a largement minimisé l’importance de son comportement criminel en affirmant, de façon non corroborée, qu’il agissait sous l’influence de ses amis plus jeunes et en soulignant ses deux tentatives précédentes pour empêcher la victime de poursuivre ses suppliques. C’est cette opinion qui a prévalu lors de la détermination de la peine du demandeur.
[112]
Il est difficile de concilier cette opinion avec les faits et la crainte préoccupante que le demandeur n’adopte un comportement de contrôle conjoncturel similaire à l’égard de femmes avec lesquelles il pourrait avoir une relation sérieuse à l’avenir, alors qu’il ne fait pas l’objet de consultation en réadaptation. La Commission a peut-être vaguement reconnu cette préoccupation conjoncturelle lorsqu’elle a établi une distinction entre la conclusion du psychologue sur le comportement du demandeur, à savoir qu’il ne représente pas un risque de violence dans la collectivité, et la conclusion selon laquelle cela ne suffit pas à démontrer qu’il ne récidiverait pas de manière non violente ou avec moins de violence.
[113]
Cerner et cadrer la question est souvent la tâche la plus difficile dans toutes les formes de jugement fondées sur des témoignages. Il convient d’accorder un délai de grâce dans l’évaluation de cette tâche. Il est beaucoup plus facile de cerner la véritable question à un niveau secondaire ou même tertiaire. Le conseil que la Cour peut donner aux avocats moins expérimentés est d’éviter leur deuxième pire échec : prendre connaissance de la question au procès, le pire étant de l’apprendre en appel, ce qui, selon l’expérience de la Cour, s’est produit à ces deux occasions. L’avocat a le devoir principal de bien cerner et cadrer la question. Il dicte l’argumentation concise qui sera présentée à l’audience ou contenue dans le mémoire, et surtout les questions à poser à l’audience pour prouver le fondement factuel de la question. Mais il est également du devoir du décideur de s’efforcer de cerner et de formuler correctement la question, comme c’est le cas pour la cour de révision.
[114]
La Cour ne pense pas qu’il soit spéculatif d’affirmer que tout le monde dans la présente instance avait en tête la façon dont on a été traitée la petite amie du demandeur. Ce n’est que parce que la « situation conjoncturelle »
a été décrite comme la justification dominante que la question est devenue la question intuitive de l’examen de la Commission et de la Cour, ramenant ainsi l’affaire à la question de motivation. La Commission n’a pas pu mettre le doigt sur la question, parce qu’elle n’a pas reconnu que la motivation était un élément important de la réadaptation du demandeur. Se concentrer sur la motivation, lorsqu’elle est discernable, aide à reconnaître la véritable essence d’une grande partie des éléments de preuve relatifs à la réadaptation.
[115]
Par conséquent, la Cour ne souscrit pas à la contestation par le demandeur de la distinction faite par la Commission entre la réadaptation communautaire et la réadaptation individuelle conjoncturelle. L’essence du raisonnement de la Commission est en contradiction avec le rapport psychologique, même si ce raisonnement n’est pas clairement exprimé. Même si le raisonnement de la Commission allait au-delà du fait de relier les points et de l’absence de motivation du défendeur, ce que la Cour estime ne pas être le cas, compte tenu de toutes les autres lacunes du rapport d’expertise et décrites par ailleurs par la Commission, le rejet de l’appel ne serait pas touché.
[116]
Il s’agit également d’un bon exemple de cas où la Commission était en droit de différer d’opinion avec le juge du tribunal pénal, qui s’est appuyé sur les conclusions de l’avocat du demandeur démontrant sa réadaptation. Les observations de l’avocat n’ont pas été présentées à la Commission.
d)
Évaluation de la valeur probante de la preuve de réadaptation
[117]
La probabilité de récidive devrait, dans une certaine mesure, s’inscrire dans une vision à long terme. Cela signifie qu’elle ne se limite pas nécessairement à envisager des infractions à court terme ou même des types d’infractions similaires. À maints égards, il s’agit d’une évaluation fondée sur 1) la crédibilité de l’appelant qui doit fournir 2) des éléments de preuve suffisants et 3) probants, 4) corroborés lorsqu’ils sont prévus et possibles, 5) lesquels démontrent un engagement à s’améliorer et un mode de vie réadapté qui correspond bien aux habitudes sociales et économiques des personnes respectueuses de la loi, 6) selon la norme de la probabilité, 7) tout en veillant toujours à ce que les préjugés et les stéréotypes n’influencent pas négativement l’évaluation. S’il est possible avant la rédaction des décisions, un examen des transcriptions des audiences de la Commission peut améliorer considérablement la qualité de la prise de décision, notamment en ce qui concerne l’évaluation du témoignage d’un témoin.
[118]
La majeure partie de la réadaptation en établissement concerne la participation d’un demandeur à un ensemble de programmes relatifs à la santé mentale et aux services éducatifs pour les contrevenants. Il peut s’agir de programmes spécialisés mis au point pour des domaines précis tels que l’intimidation, le comportement en gang et, ce qui est particulièrement intéressant en l’espèce, la violence physique, psychologique et sexuelle à l’égard des femmes. Les éléments de preuve concernant l’engagement, la participation et les résultats du demandeur à ces programmes – tels que documentés par les agents responsables et les experts en réadaptation – ont une excellente valeur probante. Dans la présente cause, la Commission a raisonnablement critiqué le demandeur pour ne pas avoir donné suite aux programmes suggérés, qui a donné peu de justification pour cette omission. Il s’agit là d’un élément de preuve probant important de son manque d’engagement à l’égard de la réadaptation, ou de son acceptation du fait qu’il avait besoin de conseils concernant son comportement lié à la grande criminalité.
[119]
Comme il a été indiqué, un changement positif bien documenté dans le mode de vie est un indicateur valable de réadaptation. Ces éléments de preuve se traduisent souvent par divers degrés d’évaluation positive des motifs d’ordre humanitaire, établissant ainsi un nouvel engagement en matière de soins et de soutien envers la famille et de la collectivité. L’avantage de tous ces éléments de preuve est qu’ils ont tendance à être concrets, car ils sont normalement corroborés, ce qui ajoute à leur valeur probante. Poursuivre son parcours éducatif, comme l’a noté la Commission, n’apporte que peu de valeur probante à une preuve de réadaptation, étant donné l’intérêt évident d’obtenir une éducation supérieure.
[120]
On peut attribuer beaucoup moins de poids au témoignage non corroboré d’un appelant condamné. Il n’y a pas d’« effet Maldonado »
, selon lequel la crédibilité de l’appelant est présumée dans les affaires concernant les réfugiés. Comme le demandeur a déjà gravement enfreint la loi, il n’y a guère de raison d’accepter des déclarations disculpatoires de sa part sans corroboration, plus précisément lorsque la corroboration est prévue et disponible. Les évaluations défavorables de la crédibilité et de la fiabilité sont aussi importantes dans les instances de la Section d’appel de l’immigration que dans les affaires concernant les réfugiés, et peuvent suffire, à elles seules, à rejeter l’appel.
[121]
De même, le remords et la honte ne doivent pas être confondus avec le regret d’avoir été attrapé qui, souvent, sous-tend tout autant ces émotions. On ne peut pas non plus se contenter d’écarter les inquiétudes concernant le comportement, car c’est le mauvais jugement qui est à l’origine du comportement inacceptable. Ce qui est particulièrement préoccupant dans la présente affaire, c’est l’apparente satisfaction rétributive qui semble avoir été affichée en réaction à la terreur causée par l’attaque de la victime dans le restaurant, à laquelle le demandeur a directement participé. La préoccupation de la Commission concernant ces éléments de preuve était raisonnable compte tenu de toutes les circonstances.
e)
Gravité de l’infraction
[122]
La gravité de l’infraction est une preuve concrète du préjudice potentiel lié à la récidive. Si l’infraction est suffisamment grave, elle porte atteinte à l’analyse du risque par la conséquence du préjudice associé à l’infraction. Ainsi, le risque constitue toujours le degré de la possibilité que le dommage se produise, ainsi que la gravité du dommage qui en découle.
[123]
Un exemple mathématique hypothétique, qu’il vaut mieux ne pas utiliser, pourrait aider à démontrer ce point. Si le risque de survenance du dommage est évalué à 3 sur 10, mais que le degré ou l’étendue du dommage causé est mesuré à 8 sur 10, la mesure globale du risque de dommage serait la moyenne des deux, c’est-à-dire (3 + 8) ÷ 2 = 5,5. Si 5 est le seuil d’un risque inacceptable, il faut alors prendre des mesures pour empêcher que des dommages ne se produisent, même si la probabilité que des dommages surviennent est relativement faible. En fait, la conséquence du dommage pèse souvent plus lourdement que la probabilité de récidive de l’infraction, ce qui explique que la gravité de certaines infractions criminelles soit difficile à surmonter. Il est nécessaire de formuler deux autres commentaires à partir de cet exemple.
[124]
Premièrement, on pourrait à juste titre se demander pourquoi, si le risque associé à la récidive varie en fonction à la fois de la possibilité qu’elle se produise et du préjudice qu’elle cause, mis en balance avec la solidité de la demande de mesure à vocation équitable, établir un seuil strict de non-récidive pour accorder la résidence permanente en appel, au lieu d’entreprendre une analyse complète. La réponse est simple : toute conclusion de probabilité de récidive, quel que soit le degré de gravité du crime, est inacceptable. Le législateur n’a jamais eu l’intention d’accorder une mesure à vocation équitable découlant d’une conclusion d’interdiction de territoire au motif de grande criminalité à toute personne susceptible de désobéir aux lois pénales du Canada, quelle que soit la gravité de l’infraction prévue. C’est la limite raisonnable qu’a fixée le législateur.
[125]
Mais il ne s’agit pas de nier la légitimité de la question. Si l’appelant a réussi à atteindre le seuil de non-récidive probable, ce qui implique nécessairement d’avoir d’abord une demande favorable fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, il est très probable que l’appel sera accordé. Le rejet n’interviendrait que pour les infractions les plus graves, en passant outre à la combinaison de l’analyse d’une demande fondée sur l’équité à peine suffisante et d’une probabilité simplement suffisante de non-récidive.
[126]
Deuxièmement, la gravité de l’infraction peut également annuler un certain degré de compassion qui, par ailleurs, soutient le dossier favorable fondé sur des motifs d’ordre humanitaire de l’appelant. Tout comme les motifs d’ordre humanitaire représentent un facteur croisé qui peut soutenir un argument de changement sincère démontrant la réadaptation, une infraction considérablement préjudiciable ou malveillante peut diminuer l’émotion de compassion qu’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire doit par ailleurs générer.
[127]
Les facteurs d’ordre humanitaire de l’alinéa 67(1)c) et du paragraphe 68(1) partagent l’« objectif commun »
décrit dans la décision Chirwa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1970), 4 AIA 351, à la page 363, 1970WL96710. Cet objectif a été reconnu dans l’arrêt Kanthasamy, au paragraphe 21, c’est-à-dire celui d’« offrir une mesure à vocation équitable lorsque les faits “sont de nature à inciter [une personne] raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne” »
. La Cour a également indiqué, aux paragraphes 30 et 31, que « le libellé qui [...] figure [dans Chirwa] [...] coexist[e] avec celui des Lignes directrices »
, car il « met l’accent sur la raison d’être équitable de la dispense pour considérations d’ordre humanitaire »
.
[128]
En d’autres termes, le sentiment ou l’émotion que constitue la compassion n’est pas à sens unique lorsque la conduite de l’appelant met en évidence une absence grave de compassion réciproque envers ses semblables. Il réduit l’évaluation globale finale de la mise en commun des facteurs dans une certaine mesure qui est en corrélation avec les mauvais traitements que l’appelant a infligés à d’autres personnes lors de l’infraction.
[129]
Même s’il s’agit d’un facteur d’ordre humanitaire, l’effet de la gravité du crime ne peut pas être évalué lors de l’examen initial des éléments de preuve d’ordre humanitaire, car il ne s’agit pas d’un facteur lié aux contraintes, mais plutôt d’un élément compensatoire qui diminue la justification de la prise d’une mesure spéciale à l’égard d’un renvoi. En outre, le fait de reporter la gravité du crime donne au demandeur une plus grande possibilité d’atteindre le stade de la non-récidive de l’analyse, en présentant d’abord le dossier le plus équitable possible, avant que la gravité de l’infraction ne risque de diminuer l’aspect équitable de l’affaire.
C.
Analyse de la décision de la Commission
1)
Appliquer les normes juridiques modifiées
[130]
Pour résumer, l’interprétation textuelle, contextuelle et téléologique de l’alinéa 67(1)c) et du paragraphe 68(1) de la LIPR décrit les questions mixtes de fait et de droit suivantes que les appelants doivent établir pour avoir gain de cause dans un appel ou une demande de sursis à une mesure de renvoi :
Les appelants ne peuvent avoir gain de cause aux termes de l’alinéa 67(1)c) ou du paragraphe 68(1) que si les éléments de preuve établissent une demande favorable fondée sur des motifs d’ordre humanitaire selon le même fondement qu’une demande faite conformément au paragraphe 25(1) de la LIPR, mais sans tenir compte de la gravité de l’infraction;
Les appelants auront gain de cause en appel en application de l’alinéa 67(1)c), s’ils peuvent prouver qu’il est probable qu’ils ne récidiveront pas, à la lumière d’une évaluation de tous les facteurs en matière d’équité et de protection et de sécurité à l’appui de cette conclusion;
S’ils n’obtiennent pas gain de cause en appel, les appelants parviendront à obtenir un sursis à la mesure de renvoi sous réserve de conditions appropriées, s’ils peuvent prouver qu’il est probable qu’ils ne récidiveront pas après la période de sursis à la mesure de renvoi, à la lumière d’une évaluation de tous les facteurs en matière d’équité et de protection et de sécurité à l’appui de cette conclusion.
[131]
L’application de ces normes pose des problèmes de procédure évidents, car la Cour examine plusieurs questions selon des principes juridiques qui n’ont pas été soumis à la Commission. Il ne s’agit pas d’une question telle que celle soulevée dans l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 [Alberta Teachers]. Cette question a été décrite ainsi dans l’arrêt Vavilov, au paragraphe 98 :
[E]lle concernait un contrôle judiciaire exercé dans des circonstances très précises et exceptionnelles : la question d’interprétation législative en litige n’avait jamais été soumise au décideur administratif et, en conséquence, ce dernier n’avait communiqué aucuns motifs à cet égard : par. 22‑26. De plus, il avait été convenu que la décideuse — la déléguée du commissaire à l’information et à la protection de la vie privée — avait appliqué une interprétation bien établie de la disposition législative pertinente, et que si on lui avait demandé de motiver son interprétation, elle aurait souscrit aux motifs fournis par le commissaire dans des décisions antérieures. [Non souligné dans l’original.]
[132]
Les questions qui n’ont pas été soumises à la Commission découlent de l’interprétation « moderne »
par la Cour de l’alinéa 67(1)c) et du paragraphe 68(1) de la Loi qui décrit une approche modifiée de l’application de ces dispositions par rapport à l’approche fondée sur les facteurs de la décision Ribic. La Cour s’efforce de se conformer aux directives de l’arrêt Vavilov qui fait référence à des « contraintes »
non respectées par le décideur en ce qui concerne les faits et le droit, dans sa distinction des contraintes incomplètes passées relativement à l’application de l’alinéa 67(1)c) et du paragraphe 68(1).
[133]
Il n’y a rien qui ressemble à un raisonnement dans l’arrêt Alberta Teachers, suggérant ainsi que la Cour applique « une interprétation bien établie de la disposition législative pertinente »
; en fait, c’est plutôt le contraire. La Cour soutient que l’alinéa 67(1)c) et le paragraphe 68(1) modifiés, s’ils sont interprétés de manière globale, imposent des « contraintes »
aux normes juridiques qui sont inconciliables à bien des égards avec ce qui constitue actuellement l’« interprétation bien établie de la ou des dispositions législatives pertinente[s] »
.
[134]
Si l’on invoque une nouvelle interprétation qui aboutit à un nouvel ensemble de normes juridiques modifiées, l’équité exige normalement que les parties aient la possibilité de présenter de nouveaux éléments de preuve et de formuler des observations différentes, ce qui pourrait avoir une incidence sur le résultat de leur demande. Toutefois, il y aurait une exception raisonnable à cette exigence si une question peut être déterminée sur la base de conclusions factuelles alors que tous les éléments de preuve pertinents ont été présentés au décideur.
[135]
La nouvelle norme fondée sur l’objectif des dispositions visant à garantir qu’une personne susceptible de récidiver n’obtienne pas gain de cause, en tant que forme distincte d’analyse uniquement après qu’un fondement équitable de redressement a été prouvé, nécessiterait clairement l’annulation de la décision aux fins d’une réévaluation par un autre décideur conformément aux directives de la Cour.
[136]
Néanmoins, il ne semble pas y avoir à l’égard de la Cour les mêmes limites à ce qu’elle s’appuie sur les éléments de preuve et les conclusions de la Commission en matière de contraintes équitables pour décider si une demande favorable fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a été présentée par le demandeur. Il s’agit d’une contrainte juridique raisonnable qui ne nécessite pas le renvoi de l’affaire pour réexamen. En d’autres termes, il n’est pas possible d’obtenir des éléments de preuve supplémentaires ou des arguments modifiés sur la question de savoir si le demandeur a présenté une demande suffisante fondée sur des motifs d’ordre humanitaire pour justifier la prise d’une mesure spéciale. Conformément à la norme modifiée, cette conclusion justifierait tant le rejet de l’appel que le rejet de la demande de sursis.
[137]
En opposition à cette conclusion, on pourrait craindre que la réinterprétation de l’alinéa 67(1)c) et du paragraphe 68(1) permette aux demandeurs de fournir des éléments de preuve quant aux contraintes par rapport à ceux appliqués par rapport à la norme énoncée dans la décision Ribic, tels qu’ils figurent dans les Lignes directrices relatives à une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire aux termes du paragraphe 25(1). On peut soutenir que les Lignes directrices énumèrent plus de facteurs liés aux contraintes que les cinq facteurs de la formule énoncée dans la décision Ribic. Mais la norme énoncée dans la décision Ribic a toujours été décrite comme n’imposant pas de limites aux éléments de preuve avantageux que les appelants peuvent souhaiter présenter pour soutenir leur dossier équitable. En ce qui concerne l’étendue des facteurs liés aux contraintes limitées découlant de la formule énoncée dans la décision Ribic, il semble qu’il s’agisse d’une distinction sans grande différence.
[138]
Néanmoins, si la Cour devait renvoyer l’affaire pour un nouvel examen, ce ne serait pas sur la base des mêmes conclusions factuelles de la Commission, avec les directives d’appliquer un examen échelonné des éléments de preuve exigeant que l’appelant établisse d’abord une demande favorable fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. La situation est donc analogue à celle où tout réexamen raisonnable des éléments de preuve ne changerait pas le résultat (voir Maple Lodge Farms Ltd c Canada (Agence d’inspection des aliments), 2017 CAF 45, au paragraphe 55).
[139]
La Cour conclut que le demandeur n’a aucune perspective raisonnable de démontrer une demande CH suffisante, compte tenu des cinq facteurs de la décision Ribic, ou des facteurs liés aux contraintes énoncés dans les Lignes directrices relatives au paragraphe 25(1). Il est à l’aise tant au Canada qu’en Chine. Il a de nombreux membres de sa famille et de sa parenté des deux côtés de l’océan, et voyage dans les deux sens. Il n’y a pas d’établissement inhabituel évident, et aucun degré réel de contraintes pour la famille ou les parents au Canada, qui semblent tous être bien lotis et ne dépendent en aucune façon du demandeur. Le seul élément de contrainte concerne l’incapacité du demandeur à terminer son diplôme d’ingénieur ou la perte de crédits déjà acquis, s’ils sont retirés, pour lesquels aucune preuve corroborante n’a été fournie. Sa situation ne suscite aucune émotion humanitaire ou compassionnelle particulière, ni aucun motif de prise de mesure spéciale contre l’expulsion. En outre, cette conclusion ne se fonde pas sur les répercussions de la gravité de l’infraction commise par le demandeur comme facteur atténuant un sentiment de compassion conformément au critère énoncé dans la décision Chirwa et approuvé par l’arrêt Kanthasamy.
[140]
Ne trouvant aucune conclusion raisonnable fondée sur la preuve présentée à la Commission établissant un fondement équitable pour étayer les prétentions du demandeur, la Cour rejette l’appel et la demande de sursis du demandeur.
2)
Application de la norme énoncée dans la décision Ribic
[141]
Afin de répondre à la demande principale du demandeur, la Cour examinera également les motifs et la décision de la Commission ayant rejeté la demande de sursis à la mesure de renvoi. Afin de faciliter l’analyse, le paragraphe unique contenant le raisonnement de la Commission est répété ici :
[23] Le tribunal a pris en considération la possibilité de surseoir à la mesure de renvoi, comme l’a suggéré l’intimé. Dans les circonstances particulières de l’espèce, un sursis ne contribuerait guère à la réalisation des objectifs de la LIPR. Les actes tels que ceux que l’appelant a posés minent la confiance du public dans la LIPR ainsi que l’appui de la part du public au généreux système canadien d’immigration et de protection des réfugiés. Ils font peser des soupçons sur les nombreux immigrants honnêtes qui travaillent d’arrache-pied et essaient d’améliorer leur qualité de vie au Canada. Le public serait offensé si l’appelant était autorisé à rester au Canada, même sous certaines conditions. Un sursis à la mesure d’expulsion n’est pas approprié.
[142]
La première déclaration de la Commission justifiant le rejet du sursis était qu’« un sursis ne contribuerait guère à la réalisation des objectifs de la LIPR ».
Cela fait de toute évidence référence à l’alinéa 3(1)h) de la LIPR. Cela renvoie également à la déclaration de la Commission immédiatement après avoir cité les facteurs énoncés dans la décision Ribic selon lesquels « [l]’exercice du pouvoir discrétionnaire doit être compatible avec les objectifs de la LIPR
. Ces objectifs consistent notamment à protéger la santé des Canadiens et à garantir la sécurité de la société canadienne ».
[143]
Comme il est indiqué, la Cour conclut que la référence de la Commission à « [la nécessité de] protéger la santé des Canadiens et à garantir la sécurité de la société canadienne »
renvoie aux deux premiers facteurs énoncés dans la décision Ribic (la gravité de l’infraction et la possibilité de réadaptation). Il se trouve que c’est l’argument de l’intimé, à savoir que le paragraphe 23 rejette la demande de sursis à la mesure de renvoi, qui fait référence de nouveau aux déclarations répétées de la Commission qui a conclu que les infractions étaient extrêmement graves. La Cour souscrit à cette interprétation qui constitue l’essentiel du raisonnement de la Commission ayant rejeté le sursis. Toutefois, elle n’est pas d’accord que le fait de se fonder sur une conclusion péremptoire sans explication réponde à l’exigence qu’est la « justification »
de la décision, plus précisément après que la Cour suprême a mis l’accent sur cet aspect du contrôle judiciaire tout au long de l’arrêt Vavilov.
[144]
Cela amène la Cour à interpréter la deuxième partie des motifs de la Commission, qui vise à expliquer pourquoi la gravité de l’infraction exclut en outre toute possibilité de sursis à la mesure de renvoi selon le raisonnement utilisé pour rejeter l’appel. Le raisonnement supplémentaire décrit la réaction très négative du citoyen canadien moyen qui n’est pas d’accord avec le fait qu’un résident permanent ou un ressortissant étranger puisse être autorisé à rester au pays, même sous conditions, après avoir commis une infraction aussi grave.
[145]
Le demandeur décrit ce raisonnement comme étant de nature à exprimer une forme de « dissuasion générale »
contre les personnes interdites de territoire qui commettent des crimes graves, car elles ne sont pas suffisamment punies si elles sont autorisées à rester au Canada. Le demandeur s’appuie sur le jugement rendu par mon collègue le juge Barnes dans la décision Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 992 [Li]. Au paragraphe 17, la Cour a à juste titre mis en garde contre le fait de « [c]onfondre le pouvoir discrétionnaire de la Section d’appel de l’immigration en matière de motifs d’ordre humanitaire et le contexte pénal [...] ».
La Cour a décrit la raison d’être et l’objectif du principe de dissuasion générale comme suit :
Le bien-fondé du principe de dissuasion générale lors de la détermination de la peine en matière criminelle est d’envoyer un message dans la collectivité. L’imposition d’une sanction pénale aux fins de servir d’exemple est nettement un aspect de la détermination de la peine qui n’a aucune place dans le processus d’expulsion en matière d’immigration.
[146]
Toutefois, dans la décision Li, la Commission a clairement soulevé la question de la dissuasion générale comme facteur ayant contribué à sa décision, comme l’a reproduit la Cour fédérale au paragraphe 6 :
[27] Cette réaction de l’appelant et la façon dont il s’est conduit à l’audience, lors du présent appel, nous rappellent à quel point il est important de rendre une décision propre à dissuader dès le départ tant les ressortissants étrangers que les résidents permanents de se livrer à ce genre d’activités criminelles. [Non souligné dans l’original.]
[147]
De plus, rien dans la décision Li n’indique que la Cour n’a pas suggéré que la probabilité de récidive ne fut pas une considération valable, selon le paragraphe 11 de la décision [non souligné dans l’original] :
[11] En ce qui concerne les facteurs énoncés dans Ribic, il était tout à fait indiqué que la SAI examine l’apparente absence de remords de M. Li ainsi que l’absence d’un engagement sérieux envers sa réadaptation et, compte tenu de la preuve dont elle était saisie, de tirer une conclusion différente de celle tirée dans l’instance pénale. Il s’agit de questions qui sont de toute évidence pertinentes pour ce qui est du risque de récidive. La question dont je suis saisi est de savoir si, en refusant à M. Li la prise de mesures spéciales, la SAI était fondée en droit de prendre en compte la dissuasion générale, qui est un principe de détermination de la peine en droit pénal.
[148]
La Cour ne partage donc pas l’avis selon lequel le raisonnement de la Commission en l’espèce est de nature à exprimer une forme de « dissuasion générale »
à l’encontre des personnes interdites de territoire qui commettent des crimes graves, tels qu’ils sont décrits dans la décision Li. Il n’est pas question d’envoyer un message à la collectivité, ni d’empêcher que ce type de crimes ne se produisent en premier lieu. Au contraire, la Commission exprime une nouvelle forme de raisonnement dans l’application des facteurs de la décision Ribic. Le raisonnement reflète la réaction émotionnelle négative connexe raisonnablement attendue d’un citoyen canadien compatissant et bien informé qui évalue la possibilité d’accorder une concession équitable permettant au demandeur de rester au Canada compte tenu de la preuve des infractions pénales commises par ce dernier.
[149]
Cela renvoie au critère de la décision Chirwa approuvé par l’arrêt Kanthasamy et à la conclusion de la Cour selon laquelle la gravité de l’infraction du demandeur peut être reconnue comme un facteur atténuant le sentiment de compassion dans l’esprit de la personne civilisée raisonnablement compatissante qui examine « toutes les circonstances de l’affaire ».
Le renvoi de la Commission au « public »
qui est « offensé si l’appelant était autorisé à rester au Canada »
fait allusion à la même personne raisonnable, également imprégnée d’un esprit de compassion. Compte tenu des circonstances, la diminution de toute émotion de compassion n’est pas déraisonnable pour quelqu’un qui fait preuve de peu de compassion en faisant du mal à autrui, à savoir en prenant part à des activités visant à séquestrer, humilier publiquement, agresser et escroquer une victime, et en incitant des amis plus jeunes à y participer, comme une forme d’intimidation qui nuit à la relation d’une femme avec la victime.
[150]
En interprétant les motifs de rejet de la demande de sursis à la mesure de renvoi d’une manière qui touche à la question de la compassion, la Cour est consciente des limites qui « permet[tent] aux cours de [révision] de relier les points sur la page quand les lignes, et la direction qu’elles prennent, peuvent être facilement discernées »
. Il s’agit d’une référence à la déclaration du juge Rennie dans la décision Komolafe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 431, au paragraphe 11, qui a été citée avec approbation dans l’arrêt Vavilov, au paragraphe 97.
[151]
En prolongeant les points en faveur des commentaires de la Commission pour les rendre pertinents à l’émotion raisonnable de compassion due à la gravité, ou peut-être au caractère du contrevenant, il ne s’agit pas d’une situation où la Cour intervient afin « de fournir les motifs qui auraient pu être donnés et de formuler les conclusions de fait qui n’ont pas été tirées. »
En toute déférence, il s’agit d’une situation où la Cour établit un lien avec les faits constatés par la Commission et ses motifs qui concernent implicitement la réaction raisonnable du citoyen canadien en diminuant l’exaltation de la compassion en faveur d’un sursis à une mesure d’expulsion.
[152]
Par conséquent, la Cour rejette en outre l’argument du demandeur selon lequel les motifs de la Commission pour rejeter la demande de sursis fondée sur les facteurs de la décision Ribic sont déraisonnables.
D.
Question à certifier
[153]
La décision de la Cour établit une distinction avec le raisonnement dans l’arrêt Khosa parce que la Cour suprême n’avait pas l’intention d’examiner les ramifications des modifications apportées par le législateur aux normes juridiques et à la méthodologie pour guider l’application de l’alinéa 67(1)c) et du paragraphe 68(1) de la Loi, avec pour résultat que le raisonnement dans la décision Ribic est inconciliable avec une interprétation « moderne »
de la LIPR. Cette conclusion soulève manifestement une question qui devrait faire l’objet d’un appel avec un minimum de retard étant donné que la décision Ribic est utilisée quotidiennement dans les décisions en matière d’interdiction de territoire de la Commission.
[154]
Bien qu’il s’agisse d’une question d’une importance primordiale, la Cour doit décrire en quoi les questions ci-dessus sont déterminantes en l’espèce (Lewis c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 130, au paragraphe 36). Cette exigence s’applique aux deux séries de motifs de rejet de la demande rendues concernant la décision de la Commission de rejeter la demande de sursis à la mesure de renvoi.
[155]
Dans le premier cas, une méthodologie différente séparant les facteurs d’ordre humanitaire des facteurs liés à la protection et la sécurité publiques résulte d’une interprétation modifiée de l’alinéa 67(1)c) et du paragraphe 68(1). Cette méthodologie est déterminante pour le rejet de la demande dans son ensemble, tant pour l’appel que pour la demande de sursis.
[156]
Dans le deuxième cas, le résultat confirmant le caractère raisonnable du rejet de la demande de sursis est déterminé par l’interprétation par la Cour du raisonnement novateur de la Commission en appliquant le critère suivant :
Le raisonnement reflète la réaction émotionnelle négative supplémentaire raisonnablement attendue d’un citoyen canadien bien informé qui évalue la possibilité d’accorder une concession équitable permettant au demandeur de rester au Canada compte tenu de la gravité qui se rattache aux infractions pénales commises par ce dernier.
[157]
À la lumière de la conclusion de la Cour, celle-ci a fourni une copie de ces motifs jointe à une directive, demandant ainsi aux parties de formuler une ou plusieurs questions appropriées, en vue de leur certification aux fins d’appel. La Cour a fait valoir que les questions renvoient à la reformulation des normes juridiques et de la méthodologie utilisées pour guider l’application de l’alinéa 67(1)c) et du paragraphe 68(1) de la LIPR. Plus précisément, la Cour a proposé les questions suivantes pour la certification :
Le jugement rendu par la Cour suprême dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 se distingue-t-il par le fait que la Cour suprême n’a pas procédé à une interprétation conforme à l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd (Re), [1998] 1 RCS 27 dans l’intention d’interpréter de manière complète et exhaustive l’alinéa 67(1)c) et le paragraphe 68(1) de la LIPR?
Les appelants peuvent-ils obtenir gain de cause aux termes de l’alinéa 67(1)c) ou du paragraphe 68(1) s’ils ne peuvent pas d’abord établir l’existence d’une demande favorable fondée sur des motifs d’ordre humanitaire pour les mêmes motifs qu’une demande présentée aux termes du paragraphe 25(1) de la LIPR?
Les appelants peuvent-ils avoir gain de cause dans un appel interjeté aux termes de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR s’ils ne peuvent pas prouver qu’il est probable qu’ils ne récidiveront pas et, en outre, à la lumière d’une évaluation positive de tous les autres facteurs pertinents en matière d’équité et de protection et de sécurité publiques?
La requête en sursis à la mesure de renvoi des appelants peut-elle être accueillie aux termes du paragraphe 68(1) de la LIPR si les appelants ne peuvent pas prouver qu’il est probable qu’ils ne récidiveront pas après la fin du sursis et, en outre, à la lumière d’une évaluation positive de tous les autres facteurs pertinents en matière d’équité et de protection et de sécurité publiques?
[158]
Les parties ont convenu que les quatre questions proposées soient certifiées aux fins d’appel. Le défendeur s’est opposé à la certification des quatre questions parce qu’elles ne soulevaient pas une question grave de portée générale, mais n’a pas fourni de raison à l’appui. La Cour convient avec le demandeur que les questions soulèvent des questions graves de portée générale, comme il est indiqué ci-dessus.
[159]
Le défendeur a fait valoir, à titre subsidiaire, que si les questions devaient être certifiées aux fins d’appel, les troisième et quatrième questions devraient s’appliquer particulièrement aux appelants interdits de territoire pour grande criminalité. La Cour est d’accord avec les modifications proposées.
[160]
Le défendeur s’est opposé à la certification de la question proposée. Il a fait valoir que le passage à une méthode d’évaluation en deux étapes (décrite comme un exercice de contrôle) ferait en sorte qu’il serait [traduction] « impossible d’évaluer si un demandeur a réussi à établir une demande favorable fondée sur des motifs d’ordre humanitaire sans d’abord examiner les facteurs de sécurité pour déterminer le seuil à atteindre »
. La Cour n’est pas d’accord avec le fait que les facteurs de sécurité pourraient déterminer le seuil en matière de motifs d’ordre humanitaire qui doit être atteint. Il n’y a pas de concept selon lequel les facteurs de sécurité fixent un seuil à atteindre pour une demande favorable fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Le seuil est le même que celui requis aux termes du paragraphe 25(1) de la Loi.
[161]
Le défendeur soutient que [traduction] « l’intention de l’alinéa 67(1)c) est de combiner les critères liés à la “prise en compte de toutes les circonstances de l’affaire” pour les appels interjetés à l’encontre de mesures de renvoi par les résidents permanents et aux “motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales” en un seul critère standard ».
Comme il est décrit ci-dessus, ce n’est pas l’interprétation de la Cour de l’alinéa 67(1)c) ou du paragraphe 68(1) de la Loi. Compte tenu de la structure et de l’économie apparente des dispositions et du maintien de façon partielle de la formulation partielle de la disposition précédente, la Cour a interprété l’effet des deux dispositions comme visant à fournir une méthodologie en deux étapes. Une explication interprétative complète de la méthodologie en deux étapes de la Cour, telle qu’elle a été voulue par le législateur, a déjà été fournie. En substance, les dispositions modifiées indiquent qu’il est démontré que le paragraphe 25(1) ne justifie la prise d’une mesure spéciale que si des facteurs de sécurité sont réunis, cette interprétation étant soutenue par une série de motifs liés au bon sens pour diviser l’analyse en étapes distinctes et clairement définies.
[162]
Si la Section d’appel de l’immigration n’exige pas d’abord des demandeurs interdits de territoire qu’ils démontrent une demande favorable fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, les demandeurs interdits de territoire seraient dans une meilleure situation pour obtenir le statut de résident permanent que les demandeurs d’asile déboutés. Bien qu’il n’ait pas été établi qu’ils ont commis des actes de grande criminalité, les demandeurs d’asile doivent démontrer qu’ils méritent la prise d’une mesure équitable à leur égard conformément au paragraphe 25(1). Au cours des quelque cinquante années de jurisprudence, les demandeurs interdits de territoire n’ont pas été tenus de démontrer qu’ils méritaient effectivement la prise d’une mesure spéciale à leur égard en premier lieu. Tout devient plus compliqué lorsqu’on considère leur risque de récidive. La présente cause est l’exemple parfait de la raison pour laquelle le texte législatif a été modifié pour éviter un résultat contextuel aussi absurde. L’essentiel est que si une demande équitable ne peut pas être démontrée, la demande devrait prendre fin, comme le voulait le législateur.
[163]
La Cour suppose que dans ses observations, le défendeur a mal compris le principe bien établi selon lequel la même preuve peut être appliquée à des fins différentes d’évaluation des circonstances d’ordre humanitaire et de la probabilité de récidive. La Cour est d’accord, et a même reconnu que cela s’appliquait à la preuve de la gravité de l’infraction, qui peut avoir un double effet négatif sur une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et sur les risques associés à la récidive. D’une part, il s’agit de la preuve d’un facteur de risque de résultat en cas de récidive; d’autre part, la Cour a estimé pour la première fois que les infractions graves peuvent atténuer l’exaltation de la compassion démontrée en vue d’accorder une mesure spéciale au demandeur. L’opinion selon laquelle des éléments de preuve autres que des contraintes peuvent renforcer ou réduire l’empathie compassionnelle dans une affaire fondée sur des motifs d’ordre humanitaire n’a été avancée que récemment par la Cour dans la décision Pryce c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 377. Cette affaire est actuellement devant la Cour d’appel fédérale. Si elle rejette l’empathie sans la preuve de contraintes dans une affaire fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, alors la preuve de la gravité de l’infraction n’aura aucun effet atténuant sur une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, et elle sera reléguée uniquement aux questions de sécurité.
[164]
Quoi qu’il en soit, comme il a été indiqué, les éléments de preuve peuvent être utilisés à une double fin pour prouver des faits ou des objectifs différents. Se marier, fonder une famille et occuper un emploi régulier sont des éléments qui ont également été mentionnés comme une forme de preuve pouvant avoir une incidence favorable sur une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (établissement, liens familiaux) en fonction d’une analyse des contraintes, tout en démontrant un certain degré de réadaptation. Cependant, contrairement à la gravité de l’infraction, une conclusion de réadaptation – par opposition aux éléments de preuve qui l’établissent –, ne sert aucune fin positive pour prouver une demande équitable. Il ne s’agit que d’une évaluation de 51 % ou plus de la probabilité que les demandeurs se conduisent à l’avenir, comme le feraient les citoyens canadiens ordinaires respectueux de la loi. C’est pourquoi une conclusion sur la récidive n’a aucune incidence sur le seuil d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.
[165]
En supposant que la gravité de l’infraction puisse être considérée de la même manière dans l’analyse des facteurs d’ordre humanitaire pour atténuer la compassion envers le demandeur, cela ne signifie pas qu’elle ne peut pas être déplacée pour être considérée dans l’évaluation des facteurs d’ordre humanitaire à titre de facteur lié à l’empathie, si, pour une raison quelconque, cela convient. La Cour a placé la nature « réductrice de l’empathie »
de la gravité du facteur lié à l’infraction à la deuxième étape du processus de détermination de la probabilité de récidive. Elle l’a fait principalement parce que cela réduit quelque peu l’effet négatif de « protection »
en faveur des demandeurs en laissant cet élément aux dernières étapes de l’évaluation globale. Les facteurs liés aux contraintes ont également été traditionnellement limités aux avantages que le demandeur cherche à faire valoir. La Cour est également préoccupée par l’acceptabilité indéterminée des éléments de preuve réduisant l’empathie comme facteur d’ordre humanitaire valable.
[166]
Comme considération supplémentaire, le critère exprimé aux questions 3 et 4 consiste en fin de compte à s’assurer que les demandeurs font la preuve d’une évaluation positive de tous les autres facteurs pertinents, même s’ils sont en mesure de démontrer une probabilité de non-récidive. Ce n’est pas comme si aucune preuve équitable, positive ou négative, ne serait prise en compte pour arriver à une conclusion finale sommaire sur le bien-fondé de la demande.
[167]
Par conséquent, la Cour ne partage pas les arguments du défendeur selon lesquels l’établissement d’une demande favorable fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ne peut être déterminé sans avoir préalablement examiné les facteurs liés à la sécurité pour établir le seuil à atteindre. La deuxième question aux fins de certification sera celle proposée par la Cour et acceptée par le demandeur.
E.
Conclusion
[168]
Conformément à l’arrêt Vavilov, la Cour conclut que les décisions de la Commission aux termes de l’alinéa 67(1)c) et du paragraphe 68(1) de la LIPR sont justifiées en fonction d’une chaîne d’analyse interne cohérente et rationnelle, avec une issue pouvant se justifier au regard des faits et du droit à laquelle est assujettie la Commission, tout en portant les marques du caractère raisonnable (justification, transparence et intelligibilité).
JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-6722-19
LA COUR rejette la demande, et les questions suivantes sont certifiées aux fins d’appel :
La décision de la Cour suprême dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 se distingue-t-elle par le fait que la Cour n’a pas procédé à une interprétation conforme à l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd (Re), [1998] 1 RCS 27 dans l’intention d’interpréter de manière complète et exhaustive l’alinéa 67(1)c) et le paragraphe 68(1) de la LIPR?
Les appelants peuvent-ils obtenir gain de cause aux termes de l’alinéa 67(1)c) ou du paragraphe 68(1) s’ils ne peuvent pas d’abord établir l’existence d’une demande favorable fondée sur des motifs d’ordre humanitaire pour les mêmes motifs qu’une demande présentée aux termes du paragraphe 25(1) de la LIPR?
Les appelants, interdits de territoire pour grande criminalité, peuvent-ils avoir gain de cause dans un appel interjeté aux termes de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR s’ils ne peuvent pas prouver, au moment où l’appel est tranché, qu’il est probable qu’ils ne récidiveront pas et, en outre, à la lumière d’une évaluation positive de tous les autres facteurs pertinents en matière d’équité et de sécurité publique?
La requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi des appelants, interdits de territoire pour grande criminalité, peut-elle être accueillie aux termes du paragraphe 68(1) de la LIPR si les appelants ne peuvent pas prouver qu’il est probable qu’ils ne récidiveront pas après la fin du sursis et, en outre, à la lumière d’une évaluation positive de tous les autres facteurs pertinents en matière d’équité et de sécurité publique?
« Peter B. Annis »
_________________________Juge
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-6722-19
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INTITULÉ :
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TIAN REN ZHANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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OTTAWA (ONTARIO)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 18 juin 2020
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE ANNIS
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DATE DES MOTIFS :
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Le 24 septembre 2020
MODIFIÉ LE 4 FÉVRIER 2022
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COMPARUTIONS :
Deanna Okun-Nachoff
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Pour le demandeur
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Edward Burnet
|
Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Deanna Okun-Nachoff
|
Pour le demandeur
|
Edward Burnet
Procureur général du Canada
Vancouver (Colombie-Britannique)
|
Pour le défendeur
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