Date : 20030220
Dossier : IMM-1253-02
Référence neutre : 2003 CFPI 202
Toronto (Ontario), le jeudi 20 février 2003
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL
ENTRE :
DMITRI BAKCHEEV
et
IRINA MORDAKINA
demandeurs
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Les demandeurs dans la présente affaire, mari et femme, tous deux citoyens de la Russie, revendiquent une crainte fondée de persécution du fait de leur religion, à savoir en tant que membres de la Vraie Église Orthodoxe.
[2] À l'appui de leur revendication, les demandeurs présentent leur propre témoignage de persécution par la police et, en plus, relatent leur expérience de victimes d'agressions physiques par des gens qui les prennent pour des traîtres à la nation russe. La revendicatrice déclare avoir souffert, preuve médicale à l'appui, d'un avortement post-traumatique à la suite d'une des agressions physiques.
[3] Afin de rendre une décision, la SSR était très intéressée à une preuve indépendante établissant le bien-fondé de la revendication de persécution des demandeurs en Russie en tant que membres de la Vraie Église Orthodoxe. À cet égard, bien que la preuve documentaire ait établi que la Vraie Église Orthodoxe était enregistrée par les autorités russes en février 1996, la SSR a conclu ce qui suit :
Le tribunal a été incapable de trouver une preuve documentaire convaincante selon laquelle des membres de la Vraie Église orthodoxe ont été blessés physiquement ou se sont vus refuser le droit de pratiquer leur religion. Il est raisonnable de s'attendre à ce que des actes du genre soient signalés dans les documents internationaux sur lesquels le tribunal s'est appuyé. Par conséquent, le tribunal détermine précisément que les croyants de la Vraie Église orthodoxe ne risquent pas sérieusement d'être persécutés au motif de leurs croyances religieuses.
(Décision, pages 8 et 9)
[4] Comme preuve indépendante, les demandeurs ont fait comparaître un témoin essentiel de la persécution de leurs coreligionnaires, le père Oleg Uryupin, un prêtre de La Vraie Église Orthodoxe qui réside à Toronto. Vu le peu de preuve documentaire qui corrobore le témoignage de persécution des membres de l'Église, j'estime qu'il est raisonnable de s'attendre à ce que la SSR prenne les plus grandes précautions pour évaluer le témoignage du père Urypin.
[5] En ce qui concerne le témoignage du père Uryupin, la SSR a dit ce qui suit :
Le tribunal a accordé un poids moindre au témoignage du témoin, Père Oleg Uryupin, concernant la situation de la Vraie Église orthodoxe russe aujourd'hui. Père Oleg est originaire de Kiev, la capitale de l'Ukraine. Quand nous lui avons demandé où il avait obtenu de l'information sur la Vraie Église orthodoxe russe, le témoin a indiqué la preuve documentaire, les encyclopédies et aussi Internet. Quand nous lui avons demandé le site Web consulté pour corroborer cette information, le témoin a été incapable de nommer un site Web précis. Père Oleg a déclaré que sa conjointe, qui effectuait un voyage à titre privé en Russie, communiquait régulièrement avec lui pour lui faire part de la situation de ce pays. Le tribunal a déterminé que la source de la majeure partie des renseignements de Père Oleg était d'ordre général et intéressée. Par contre, le tribunal accorde davantage de poids aux sources impartiales, comme le Home office britannique qui n'a aucun intérêt dans l'issue de cette revendication. (Décision, page 8)
[6] À mon avis, l'évaluation du témoignage du père Uryupin par la SSR est manifestement injuste. La qualification du témoignage de « intéressé » est entièrement inexpliquée. J'estime qu'une conclusion raisonnable à tirer de l'utilisation de ces termes est que le père Uryupin était soupçonné de fournir une preuve embellie à l'appui de la revendication des demandeurs. Je conclus que si un tel soupçon existe, il devrait être expressément présenté à l'audience afin que le témoin puisse donner une explication. En tout cas, à mon avis, faire cette affirmation sans fournir de motifs est non seulement irrespectueux envers le témoin, mais cela contrevient à l'exigence selon laquelle un témoignage sous serment doit être cru à moins que ne soient exposés des motifs précis de ne pas le croire.
[7] Un deuxième motif qui justifierait la conclusion que la décision de la SSR en ce qui a trait au témoignage du père Uryupin est injuste émerge de l'observation que, quand on le lui a demandé, il n'a pas pu fournir une source précise de site Web qui lui a permis de trouver sur Internet des renseignements relatifs à la persécution. Une lecture de la transcription des échanges qui ont eu lieu sur cette question, permet de tirer la conclusion raisonnable que la SSR soupçonnait à nouveau le père Uryupin d'exagérer et d'embellir son témoignage pour appuyer les demandeurs. À mon avis, pour être équitable envers le témoin, et aussi envers les demandeurs, la SSR aurait dû fournir au père Uryupin la possibilité de présenter les sources de site web qu'elle cherchait à connaître avant, en effet, de lui reprocher de ne l'avoir pas fait durant l'audience.
[8] J'accepte les arguments avancés par l'avocat des demandeurs que le témoignage du père Uryupin est essentiel pour la cause des demandeurs étant donné qu'il comble les lacunes entre la preuve documentaire soumise à la SSR, qui ne porte pas sur la question de la persécution des membres de la Vraie Église Orthodoxe en Russie aujourd'hui, et le témoignage des demandeurs sur la persécution dont ils ont été victimes. Pour ces motifs, je conclus que le rejet injuste du témoignage du père Uryupin rend la décision de la SSR manifestement déraisonnable.
ORDONNANCE
En conséquence, la décision de la SSR est annulée et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour un nouvel examen.
« Douglas R. Campbell »
Juge
Traduction certifiée conforme
Jean Maurice Djossou, LL.D.
COUR D'APPEL DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-1253-02
INTITULÉ : DMITRI BAKCHEEV et
IRINA MORDAKINA c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
DATE DE L'AUDIENCE : le mercredi 19 février 2003
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : le juge Campbell
DATE DES MOTIFS : le jeudi 20 février 2003
COMPARUTIONS :
Arthur Yallen POUR LES DEMANDEURS
Angela Marinos POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Arthur Yallen
Yallen & Associates
Avocats
204, rue George, 3e étage
Toronto (Ontario) POUR LES DEMANDEURS
M5R 2N5
Morris Rosenberg
Sous-procureur général du Canada POUR LE DÉFENDEUR
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
Date: 20030220
Dossier : IMM-1253-02
ENTRE :
DMITRI BAKCHEEV et
IRINA MORDAKINA
demandeurs
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE