Date : 20210128
Dossier : IMM-7277-19
Référence : 2021 CF 100
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 28 janvier 2021
En présence de monsieur le juge Mosley
ENTRE :
|
ISSAKHA HAMID, HAMID
|
demandeur
|
et
|
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
|
défendeur
|
JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Introduction
[1] M. Hamid Issakha Hamid, le demandeur, sollicite le contrôle judiciaire de la décision datée du 7 novembre 2019, par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a rejeté son appel à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] qui lui avait refusé le statut de réfugié ou de personne à protéger, aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], car sa demande d’asile manquait de crédibilité.
[2] Il s’agit de la deuxième demande de contrôle judiciaire d’une décision de la SAR concernant le demandeur. Pour les motifs qui suivent, la présente demande sera rejetée.
II.
Le contexte
[3] Le demandeur est d’origine tchadienne. Il appartient à l’ethnie gorane et au sous-groupe des Goranes-Kreda.
[4] La demande d’asile du demandeur est fondée sur un conflit avec un autre groupe ethnique, les Zaghawa, qui était survenu à la suite de la mort d’un enfant à un événement sportif le 26 novembre 2016. Plusieurs membres de la communauté gorane avaient ensuite été tués ou blessés dans l’escalade de la violence entre les deux groupes. Le demandeur affirme que les membres de la police avaient refusé d’intervenir, parce qu’ils étaient zaghawa. Le demandeur avait décidé de mobiliser les jeunes Goranes de sa région, de mettre en place une association [l’Association] pour soutenir les victimes et d’organiser des manifestations visant à dénoncer la communauté zaghawa.
[5] Le demandeur allègue que ces manifestations avaient été réprimées par la police. Le 12 février 2017, il avait été arrêté et mis en détention avec des membres de son Association par des agents de l’Agence nationale de sécurité, qui les avaient accusés de vouloir se joindre à un groupe d’insurgés tchadiens installés dans le Sud de la Libye. Alors que le demandeur était en détention à N’Djamena, les agents de l’Agence de sécurité avaient voulu lui soutirer de l’information et l’avaient torturé. Deux mois plus tard, le convoi qui le transportait, avec d’autres détenus, vers un autre établissement de détention aurait été attaqué par des militaires qui auraient commencé à tuer les prisonniers. Le demandeur aurait réussi à s’enfuir et à trouver refuge chez un oncle qui l’aurait par la suite aidé à se procurer des documents de voyage et à quitter le pays. Son employeur lui avait fourni une lettre afin de faciliter sa demande de visa pour les États-Unis et un certificat de congé indiquant l’approbation d’une période de vacances du 15 mai au 30 juin 2017. Le demandeur avait obtenu un visa pour les É.‑U. le 18 mai 2017.
[6] Le 14 juin 2017, le demandeur était arrivé aux É.‑U et, le 1er juillet 2017, à la frontière canadienne, où il avait demandé l’asile. Sa demande avait été entendue et tranchée par la SPR en septembre 2017.
[7] La SPR n’avait pas cru le récit du demandeur, en raison d’un certain nombre d’incohérences et d’omissions dans sa preuve. Le demandeur avait allégué avoir fondé l’Association, alors que les éléments de preuve documentaire qu’il avait présentés démontraient qu’elle avait été créée en France, qu’il n’avait pas participé à sa création et qu’il n’était pas membre de la direction comme il l’avait affirmé. La SPR avait conclu qu’il avait été tout au plus un membre actif dans sa communauté.
[8] De l’avis de la SPR, les éléments de preuve documentaire du demandeur n’étayaient pas son récit des problèmes qu’il avait vécus, notamment le fait qu’il faisait partie des gens touchés lors de l’arrestation et de la détention des membres de l’Association, ainsi que pendant l’attaque du convoi de prisonniers par les soldats. La SPR avait relevé d’autres contradictions dans la preuve du demandeur et les éléments de preuve documentaire, y compris son relevé d’emploi.
[9] De manière générale, la SPR n’avait pas été satisfaite des réponses qu’avait fournies le demandeur pour expliquer les contradictions, les omissions et les incohérences.
[10] La décision de la SPR avait été confirmée par la SAR le 26 janvier 2018. Cependant, cette décision avait été infirmée par la Cour fédérale le 11 décembre 2018, au motif que la SAR avait eu tort de suivre une décision antérieure qui commandait une certaine retenue à l’égard des conclusions de fait de la SPR. Toutefois, comme l’a souligné le juge Diner dans la décision Rozas del Solar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1145, il ne s’agissait pas de la norme de contrôle applicable. La Cour avait renvoyé l’affaire pour nouvelle décision : Hamid c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2018 CF 1246.
[11] Le demandeur a présenté d’autres éléments de preuve le 26 juin 2019 en vue de la nouvelle décision sur l’appel. La SAR a refusé d’admettre les nouveaux éléments de preuve du demandeur, et l’appel a été rejeté une seconde fois le 7 novembre 2019. Cette décision fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.
III.
La question en litige
[12] La question centrale en l’espèce est de savoir si la décision de la SAR était raisonnable, en particulier concernant l’admissibilité des nouveaux éléments de preuve présentés par le demandeur.
IV.
Les dispositions législatives applicables
[13] Les dispositions suivantes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 s’appliquent :
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
[14] Les dispositions suivantes des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012‑257 [les Règles de la SAR] s’appliquent :
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
V.
La norme de contrôle
[15] Comme l’a déterminé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 30, la norme de la décision raisonnable est présumée s’appliquer à la plupart des questions examinées dans le cadre d’un contrôle judiciaire, et cette présomption évite toute immixtion injustifiée dans l’exercice par le décideur administratif de ses fonctions. Bien que la présomption puisse être écartée dans certaines circonstances, comme il en est question dans l’arrêt Vavilov, aucune exception ne s’applique en l’espèce.
[16] La cour de justice effectuant un contrôle selon la norme de la décision raisonnable doit centrer son attention sur la décision même qu’a rendue le décideur administratif, notamment sur sa justification. Une cour de justice qui applique la norme de contrôle de la décision raisonnable ne se demande donc pas quelle décision elle aurait rendue à la place du décideur administratif, ne tente pas de prendre en compte l’éventail des conclusions qu’aurait pu tirer le décideur, ne se livre pas à une analyse de novo, et ne cherche pas à déterminer la solution correcte au problème. La cour de révision n’est plutôt appelée qu’à décider du caractère raisonnable de la décision rendue par le décideur administratif – ce qui inclut à la fois le raisonnement suivi et le résultat obtenu (Vavilov, au para 83).
VI.
Analyse
[17] Comme l’a expliqué le juge Gascon dans Tsigehana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 426 au para 34, les conclusions de fait, l’appréciation de la crédibilité et les inférences raisonnables font partie intégrante de l’expertise et des connaissances particulières que la LIRP confère à la SAR et à la SPR. Ces tribunaux administratifs méritent de la déférence, et la cour de révision qui applique la norme de la décision raisonnable devrait faire preuve d’une réserve judiciaire à leur égard.
[18] De même, la Cour doit faire preuve de déférence lorsque la SAR interprète sa loi constitutive et détermine si de nouveaux éléments de preuve sont admissibles, au titre du paragraphe 110(4) de la LIPR : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 au para 26 [Singh]. La question que doit trancher la Cour n’est pas celle de savoir si la SAR aurait dû juger admissibles les nouveaux éléments de preuve en question, mais plutôt celle de savoir si la décision de la SAR de ne pas les juger admissibles est raisonnable : Warsame c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 920 au para 30; Bilbili c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1188 au para 19; Walite c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 49 au para 30.
[19] Le deuxième commissaire de la SAR a examiné puis rejeté la demande de présenter de nouveaux éléments de preuve. Le demandeur ne conteste pas la décision de la SAR concernant certains éléments de preuve rejetés, mais conteste le refus d’admettre les documents suivants :
(1) Une lettre de l’employeur de demandeur, datée du 24 octobre 2017;
(2) Une lettre de l’Association Tchadienne de Soutien aux Victimes (l’ATSV), datée du 20 mars 2019;
(3) Une lettre du bureau canadien du Parti pour les Libertés et le Développement (le PLD du Canada), datée du 1er mai 2019;
(4) Un rapport de l’International Crisis Group sur le Tchad, daté du 5 décembre 2018 et mentionné dans la lettre de l’ATSV.
[20] La lettre de l’employeur du demandeur au Tchad, datée du 24 octobre 2017, confirmait que le demandeur avait travaillé pour l’employeur de juin 2013 au 12 février 2017 et mentionnait des éléments de la demande d’asile concernant les mauvais traitements que le demandeur avait subis aux mains des autorités tchadiennes, le rôle de l’oncle et les raisons de la délivrance du certificat de congé. L’auteur de la lettre n’a pas indiqué comment il avait été mis au courant des renseignements autres que le statut d’emploi du demandeur.
[21] Pour que la lettre soit admissible, le demandeur devait établir que l’élément de preuve était survenu depuis le rejet de sa demande ou n’était alors pas normalement accessible ou, s’il l’était, que le demandeur ne l’aurait pas normalement présenté, dans les circonstances, lors de l’audience. Une explication des raisons pour lesquelles l’élément de preuve satisfait aux critères du paragraphe 110(4) doit être fournie au titre du paragraphe 29(3) des Règles de la SAR. Pour déterminer s’il faut accueillir la demande, aux termes du paragraphe 29(4), le commissaire de la SAR prend en considération tout élément pertinent, y compris la pertinence et la valeur probante du document.
[22] Le commissaire de la SAR a accepté le fait que la lettre avait été rédigée après la décision de la SPR, mais il a conclu que le contenu concernait des affaires qui étaient survenues avant l’audience devant la SPR et qu’aucune explication n’avait été fournie quant à la raison pour laquelle la lettre n’avait pas pu être présentée avant l’audience. L’ancienne conseil du demandeur a déposé un exposé des arguments avant l’appel, dans lequel elle a tenu les propos suivants :
Nous déposons par la même occasion une lettre de l’employeur confirmant les faits et corroborant le témoignage de l’appelant. Cette lettre a été rédigée après la décision et confirme l’émission du certificat de travail pour des motifs humanitaires. Le critère de la nouveauté est rencontré ainsi que la pertinence et crédibilité. Nous vous demandons donc d’accepter ces documents.
[23] Cet argument traite de la pertinence du document, sans toutefois expliquer la raison pour laquelle l’élément de preuve n’avait pas été obtenu avant l’issue de l’audience de la SPR. Dans la présente demande, M. Hamid soutient que ce sont les questions soulevées par la SPR concernant le certificat de congé fourni par son employeur qui ont donné lieu à la présentation de ce document supplémentaire. Il explique que ce sont ces questions, qui mettaient à l’épreuve sa crédibilité, qui ont fait en sorte qu’il était pertinent et nécessaire pour lui d’obtenir une autre lettre de son employeur. Cette explication ne semble pas toutefois avoir été fournie à la SAR. De plus, le fardeau de la preuve à l’égard de la demande d’asile devant la SPR incombait au demandeur. Le fait qu’il ignorait les questions qu’on lui poserait ou la façon dont sa crédibilité serait appréciée ne le dégage pas de cette obligation. Le rôle de la SAR ne consistait pas à offrir au demandeur l’occasion de compléter une preuve déficiente devant la SPR, mais plutôt à permettre que soient corrigées des erreurs de fait, de droit ou mixtes de fait et de droit.
[24] La lettre du président de l’ATSV, datée du 20 mars 2019, a été rejetée pour des motifs de crédibilité. Bien qu’il aurait été possible de ne pas tenir compte d’une erreur dans l’acronyme de l’organisation, la lettre, à première vue, contredisait la prétention initiale du demandeur et son témoignage devant la SPR. La lettre indique que le demandeur était un membre actif de l’ATSV, qui est basée en France, alors qu’il avait affirmé et témoigné qu’il avait créé une association au Tchad, et non en France. De plus, il avait témoigné que les membres de l’ATSV en France avaient été au courant de sa situation au Tchad, et pourtant, la lettre du président ne mentionnait aucunement son arrestation, sa détention et sa torture alléguées.
[25] Le commissaire de la SAR a conclu que la lettre du PLD du Canada, datée du 1er mai 2019, n’était pas pertinente, puisqu’elle décrivait les mêmes événements que la demande d’asile et ne fournissait aucune nouvelle information autre que le fait qu’il était membre de l’organisation. La SAR a conclu que ce fait n’était pas pertinent aux préoccupations en matière de crédibilité liées aux événements particuliers que le demandeur allègue avoir vécus au Tchad, qui faisaient l’objet de l’appel, et non ses activités au Canada.
[26] La SAR a rejeté le rapport de l’International Crisis Group, car il ne fournissait aucun renseignement différent de ceux contenus dans les cartables nationaux de documentation pour le Tchad que la SAR a examinés, y compris le cartable le plus récent remontant à septembre 2018. L’appel n’était pas fondé sur les renseignements contenus dans le rapport traitant des conditions dans le pays, mais plutôt sur les événements précis que le demandeur alléguait avoir vécus.
[27] Le demandeur affirme que le refus d’admettre les nouveaux éléments de preuve soustrayait injustement la SAR de l’application du paragraphe 110(6) de la LIPR et de l’obligation de lui accorder une audience. Il soutient que, si la SAR avait admis tous les nouveaux éléments de preuve et effectué une appréciation indépendante, les préoccupations restantes liées à la crédibilité auraient été abordées. Subsidiairement, le demandeur prétend que, si les nouveaux éléments de preuve soulevaient des questions sérieuses quant à la crédibilité, le commissaire de la SAR aurait eu l’obligation de tenir une audience.
[28] À mon avis, la SAR ne s’en est pas remise aux conclusions défavorables de la SPR en matière de crédibilité. La SAR a écouté l’enregistrement de l’audience de la SPR et a effectué sa propre analyse. Le fait que la SAR a tiré une conclusion semblable à celle de la SPR ne démontre pas qu’il y a eu de la déférence ou que l’analyse n’a pas été indépendante. Une audience aurait été requise aux termes des paragraphes 110(3) et 110(6) de la LIPR seulement si de nouveaux éléments de preuve documentaire soulevaient des questions importantes concernant la crédibilité de l’appelant étaient centraux à la demande et, à supposer qu’ils aient été admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée. Compte tenu des conclusions de la SAR à l’égard de l’admissibilité des nouveaux éléments de preuve, la décision de rejeter la demande d’audience du demandeur était raisonnable.
[29] En appliquant la norme de contrôle de la décision raisonnable décrite ci-dessus, je ne vois aucune raison de modifier la décision de la SAR.
[30] Aucune question de portée générale n’a été proposée, et aucune ne sera certifiée.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-7277-19
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.
« Richard G. Mosley »
Juge
Traduction certifiée conforme
Christian Laroche, LL.B, juriste‑traducteur
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM‑7277‑19
|
INTITULÉ :
|
ISSAKHA HAMID, HAMID c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
tenue par vidéoconférence à Ottawa (Ontario)
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
Le 1er décembre 2020
|
JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LE JUGE MOSLEY
|
DATE DU JUGEMENT
ET DES MOTIFS :
|
Le 28 janvier 2021
|
COMPARUTIONS :
Arghavan Gerami
|
POUR LE DEMANDEUR
|
Fraser Harland
|
POUR LE DÉFENDEUR
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Gerami Law Professional Corporation
Ottawa (Ontario)
|
POUR LE DEMANDEUR
|
Procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)
|
POUR LE DÉFENDEUR
|