Dossier : T-1472-19
Référence : 2021 CF 71
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 21 janvier 2021
En présence de madame la juge Fuhrer
ENTRE :
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TASLAR TRADING CORPORATION
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appelante
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et
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PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET R.C. FARMS LTD.
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intimés
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1]
Taslar Trading Corporation [Taslar Trading] est un négociant en grains titulaire d’une licence conformément à la Loi sur les grains du Canada, LRC 1985, c G‑10 [la LGC ou la Loi]. Un producteur, R.C. Farms Ltd. [RC Farms], s’est plaint à la Commission canadienne des grains que Taslar Trading n’avait pas payé la totalité des lentilles vertes qu’il lui avait livrées aux termes d’un contrat. À l’issue de l’enquête, dont les résultats ont été discutés lors d’une téléconférence avec Taslar Trading et RC Farms, la Commission a conclu que Taslar Trading n’avait pas fourni les accusés de réception requis en temps voulu et qu’elle avait ainsi contrevenu au paragraphe 81(1) de la Loi. La Commission lui a ordonné de verser à RC Farms une indemnité de 161 116,32 $, y compris les intérêts, pour les pertes ou les dommages que son manquement lui avait fait subir. Sur le fondement de l’article 101 de la Loi, Taslar Trading interjette appel de l’arrêté no 2019‑53 du 7 août 2019 pris par la Commission et demande à ce qu’il soit annulé. Taslar Trading a préparé et présenté un cahier d’appel conjoint et la Commission a présenté un dossier certifié du tribunal. Ces documents se recoupent considérablement.
[2]
Deux questions principales se posent. Premièrement, la Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que Taslar Trading aurait dû fournir des accusés de réception aux dates en question? Deuxièmement, dans sa conclusion selon laquelle Taslar Trading avait appliqué une déduction inappropriée sur le grain livré, la Commission a‑t‑elle commis une erreur en ne tenant pas compte de certains éléments de preuve, à savoir la pratique au sein de l’industrie et l’existence d’une entente verbale entre Taslar Trading et RC Farms (en plus du contrat écrit qu’elles ont conclu) ou les a‑t‑elle mal interprétés?
[3]
J’estime qu’il n’y a ni question de droit ni principe juridique isolable en cause. Ainsi, compte tenu du mécanisme d’appel prévu par la Loi, la norme de contrôle applicable en appel en l’espèce est celle de l’erreur manifeste et dominante : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], aux para 36‑37 (citant Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 RCS 235, aux para 8, 10, 19, 26‑37; voir aussi ING Bank NV c Canpotex Shipping Services Limited, 2017 CAF 47, au para 48). L’erreur « manifeste »
désigne une erreur évidente, tandis que l’erreur « dominante »
a une issue déterminante sur la conclusion du décideur; il s’agit d’une norme de contrôle qui appelle une très grande retenue : Mahjoub c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157, aux para 61‑64.
[4]
Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincue que la Commission a commis une erreur manifeste et dominante concernant les dates auxquelles les accusés de réception auraient dû être remis, ni qu’elle n’a pas tenu compte de certains éléments de preuve ou les a mal interprétés. Par conséquent, je rejette l’appel. Mon analyse suit le résumé des faits contextuels ainsi que les dispositions et principes applicables.
II.
Contexte
[5]
Taslar Trading et RC Farms ont signé le contrat d’achat WMTC1708 en date du 10 novembre 2017. Taslar Trading, l’acheteur, a convenu d’acheter de RC Farms, le vendeur, cinq wagons de 460 tonnes métriques de lentilles vertes à un prix de 33,5 cents par livre pour les lentilles de grade 1 et de 32 cent par livre pour les lentilles de grade 2, soit le prix net du producteur; les lentilles devaient être livrées à Frontier entre novembre et décembre 2018. L’échéance de paiement était de 15 jours après le déchargement au port. La seule autre condition ou modalité figurant dans le contrat d’achat sommaire prévoyait que l’absence de signature n’avait pas pour effet d’annuler une entente verbale.
[6]
Le contrat d’achat ne mentionne pas White Mud Trading Company [White Mud]. Il s’agit toutefois de la seule installation à grains à Frontier, en Saskatchewan. RC Farms a livré les lentilles vertes à White Mud en plusieurs chargements de camions du 15 au 20 décembre 2017. White Mud a nettoyé le grain et chargé cinq wagons qu’elle a expédiés en deux fois à Ray‑Mont Logistics Vancouver, Inc. [Ray‑Mont Logistics] qui se trouve à Richmond, en Colombie‑Britannique. Ray‑Mont Logistics a reçu le premier envoi le 19 janvier 2018 et le second le 8 février suivant. Les wagons ont été déchargés et leur contenu a été conditionné dans différents emballages afin d’être exporté dans des conteneurs maritimes.
[7]
À des fins de classement du grain, White Mud a prélevé des échantillons dans le chargement des cinq wagons et les a envoyés à SGS Saskatoon pour évaluation. Il s’est avéré que le deuxième envoi de trois wagons contenait des lentilles de grade 2. Taslar Trading n’a pas fourni les certificats de classement de SGS à l’égard des deux premiers wagons. Seuls les trois derniers, constituant le deuxième envoi, ont fait l’objet de prélèvements. Ils ont été de nouveau évalués en Colombie‑Britannique par SGS Vancouver, qui a établi qu’ils contenaient des lentilles de grade 3. Les deux premiers wagons n’ont pas fait l’objet de prélèvements en vue d’un classement parce qu’ils avaient déjà été expédiés en Turquie. Les acheteurs turcs ont contesté le classement, ce qui a entraîné la réduction des paiements dus à Taslar Trading en raison de la qualité.
[8]
Taslar Trading a délivré des accusés de réception pour les premier et deuxième envois, datés du 19 janvier (nos 00400 et 00405) et du 8 février 2018 (nos 00415, 00416 et 00417) respectivement. Aucune copie de l’accusé de réception no 00405 ne figure au dossier d’appel. Les autres accusés de réception, et le résumé de tous les reçus, indiquent que les lentilles étaient de grade 3. Des copies de tous les reçus dans le dossier d’appel indiquent des déductions liées à une [traduction] « taxe »
(0,67 % + TPS) et à un [traduction] « droit »
ou frais de manutention (8 $/TON), dont aucun n’est mentionné dans le contrat d’achat, ainsi qu’un prix de 374,79 $ par tonne.
[9]
Le 29 janvier 2018, Taslar Trading a versé à RC Farms une somme initiale de 125 000 $. Taslar Trading a appelé RC Farms le 13 ou le 14 mars 2018 pour lui faire savoir que le grade des lentilles avait été abaissé au grade 3 lors du déchargement et pour lui offrir un prix réduit de 0,16 $ par livre sur les cinq wagons, mais RC Farms n’a pas accepté. Taslar Trading a versé une somme subséquente de 36 575,94 $ le 28 mars 2018. Nul ne conteste qu’elle a payé ces sommes.
[10]
Malgré les dates figurant sur les accusés de réception, Taslar Trading a reconnu qu’il a fallu quatre ou cinq jours pour recevoir les résultats du classement; les certificats de classement de SGS sont eux‑mêmes datés du 18 avril 2018. Taslar Trading allègue avoir envoyé les accusés de réception par courrier, mais RC Farms affirme qu’elle n’en a reçu aucun jusqu’à ce que l’agent de conformité de la Commission, qui a mené l’enquête, fournisse des copies. Taslar Trading a admis durant la téléconférence avec RC Farms le 30 mai 2019 qu’il lui a fallu plus que les deux semaines dont elle dispose habituellement pour conclure le paiement, ajoutant qu’elle a déployé des efforts sincères pour produire les accusés de réception.
[11]
Taslar Trading et RC Farms sont d’accord sur deux points. Premièrement, en ce qui concerne les accusés de réception, le bon poids est celui de 443,64 tonnes mesuré lors du déchargement à Ray‑Mont Logistics. Le contrat d’achat ne précise pas quand ou comment le poids à la livraison devait être déterminé. Deuxièmement, elles reconnaissent également que la taxe de 0,67 % plus la TPS prélevée par Saskatchewan Pulse Growers est juste et raisonnable. Le contrat d’achat ne mentionne pas non plus cette taxe.
III.
Dispositions et principes applicables
[12]
La Commission a notamment pour mandat général de régir la manutention des grains au Canada, au profit des producteurs de grains, et d’en assurer la fiabilité sur les marchés intérieur et extérieur : art 13 de la LCG. Pour réaliser son mandat, la Commission peut mener des enquêtes et tenir des audiences à l’égard de questions relevant de sa compétence, notamment le défaut d’un négociant en grains titulaire d’une licence de se conformer aux dispositions de la Loi. Elle peut également prendre des arrêtés de paiement visant à indemniser les producteurs de grains des pertes ou dommages subis par suite de l’infraction d’un négociant en grains titulaire d’une licence à une disposition de la Loi ou du Règlement ou de son défaut de s’y conformer : art 14, 91 et 97a) de la LCG; C B Constantini Ltd c Pierce, 2009 CF 281, au para 21.
[13]
Comme l’a fait remarquer la Commission dans les motifs de sa décision : [traduction] « L’achat et la vente de grains sont régis non seulement par l’entente conclue entre les parties, mais aussi par la loi »
. Pour être titulaire d’une licence aux termes de la Loi, le négociant en grains doit fournir à la Commission une garantie relative à ses obligations éventuelles de paiement envers les producteurs de grains : art 45(1)b) de la LCG. Tout négociant en grains titulaire d’une licence qui achète du grain de l’Ouest d’un producteur doit délivrer sans délai à ce dernier un accusé de réception ou un bon de paiement faisant état du grade du grain, de son appellation de grade et des impuretés qu’il contient : art 81(1) de la LCG. Si le négociant en grains ne s’acquitte pas de son obligation de paiement et qu’il fait ainsi subir des pertes ou des dommages au producteur de grains, ce dernier peut, s’il détient un accusé de réception ou un bon de paiement, recouvrer la garantie : art 49(2)b) de la LCG.
[14]
Le Règlement précise que le négociant en grains titulaire d’une licence doit délivrer l’accusé de réception ou le bon de paiement sur réception du grain livré par le producteur ou sur l’établissement d’un droit sur du grain livré par le producteur à une installation : paragraphe 45(2) du Règlement sur les grains du Canada, CRC, c 889 [le RGC ou le Règlement]. En somme, « [l]a Loi et le Règlement exigent [...] du négociant en grains qu’il émette un accusé de réception ou un bon de paiement au producteur immédiatement lorsque le grain est livré »
: C B Constantini Ltd c Neuls, 2009 CF 365, au para 40.
[15]
Ces dispositions de la Loi et du Règlement, reproduites ci-après à l’annexe A, confèrent une grande protection aux producteurs de grains, ce qui concorde avec le mandat de la Commission. Comme l’a par ailleurs souligné cette dernière, [traduction] « [l]a Loi protège le droit du producteur d’être payé pour le grain livré en vue de sa vente à un titulaire de licence »
. La Loi n’interdit pas au producteur d’accepter des déductions ou des compensations ni d’y consentir : Pioneer Grain Company c Goy, 2005 CF 530, au para 22. En l’absence d’un accord ou d’un consentement explicite ou inféré, le producteur a toutefois droit au paiement qui lui est dû pour le grain livré.
IV.
Analyse
[16]
À titre préliminaire, je signale que l’intimé, le procureur général du Canada, n’a fait aucune observation dans son mémoire des faits et du droit, ni à l’audience, concernant l’ordonnance sollicitée par Taslar Trading. Il a fait remarquer que son rôle en l’espèce se limitait à fournir une interprétation législative ou des directives et ne consistait pas à défendre la Commission.
[17]
À l’audience, la norme de contrôle applicable au présent appel n’a pas suscité de désaccord entre les parties. Compte tenu du contexte et des dispositions et principes applicables, je ne suis pas convaincue que la Commission a commis une erreur manifeste et dominante lorsqu’elle a tiré les conclusions suivantes :
(i) TaslarTradingaurait dû délivrer et remettre à RCFarmsles accusés de réception de tous les grains au plus tard le 19 janvier et le 8 février 2018, lors des premier et deuxième envois respectivement; comme elle ne l’a pas fait, TaslarTradinga contrevenu au paragraphe 81(1) de la LGC [conclusion relative aux accusés de réception];
(ii) la déduction d’une taxe de manutention de 8 $ par tonne indiquée sur les accusés de réception ne figurait pas dans le contrat d’achat, et rien ne démontrait qu’elle avait été convenue entre les parties [conclusion relative à la taxe de manutention];
(iii) TaslarTradinga appliqué une déduction inappropriée sur le grain livré à laquelle RCFarmsn’avait pas consenti [conclusion relative à la déduction inappropriée].
(1)
(i) Conclusion relative aux accusés de réception
[18]
Taslar Trading fait valoir que la livraison du grain n’a été complétée que lorsque le grain s’est retrouvé à l’installation de déchargement ou à l’installation terminale (à Ray‑Mont Logistics en Colombie‑Britannique) et qu’elle n’avait en outre aucun droit sur le grain lorsqu’il se trouvait encore chez le mandataire de RC Farms, White Mud. Par ailleurs, la décision de la Commission selon laquelle les accusés de réception auraient dû être remis au producteur au plus tard le 19 janvier et le 8 février 2018 à l’occasion des premier et deuxième envois respectivement était erronée, car le calcul était basé sur la date à laquelle le grain a été livré à White Mud.
[19]
Pour sa part, RC Farms fait valoir que White Mud était un mandataire de Taslar Trading et que, par conséquent, les accusés de réception devaient être remis entre le 15 et le 20 décembre 2017 lorsqu’elle a livré les lentilles à White Mud. La Commission ne s’est pas prononcée sur la question de savoir si White Mud agissait à titre de mandataire pour l’une ou l’autre des parties. J’estime toutefois qu’il n’était pas nécessaire de le faire étant donné que la Commission a conclu que les accusés de réception devaient être remis au plus tard aux dates auxquelles le grain est arrivé à Ray‑Mont Logistics en Colombie‑Britannique et a été déchargé. Par ailleurs, il n’y a pas eu de calcul. Comme je l’ai indiqué précédemment, la Loi et le Règlement exigeaient plutôt que les accusés de réception soient remis au moment de la livraison des premier et deuxième envois en Colombie‑Britannique.
[20]
J’estime en outre que Taslar Trading semble avoir confondu l’échéance de paiement du contrat d’achat (15 jours) avec la date à laquelle les accusés de réception devaient être remis; elle a d’ailleurs admis que même si les dates figurant sur les accusés de réception correspondaient à celles du déchargement, lesdits accusés ont été générés ultérieurement. C’est ce que confirment les déclarations suivantes du directeur de Taslar Trading lors de la téléconférence du 30 mai 2019 :
[traduction]
La date sur le reçu correspond en fait à la date du déchargement, mais non à celle où nous les générons. Nous établissons habituellement les accusés de réception lorsque nous terminons les résultats et les obtenons auprès de SGS. Et nous saisissons ces résultats les uns après les autres et cela prend généralement deux semaines, c’est pourquoi nous bénéficions d’un délai de grâce de deux semaines pour payer.
[21]
Dans les motifs de sa décision, la Commission a fait remarquer que le contrat d’achat ne contenait aucune disposition sur le prélèvement d’échantillons (au port) en vue du classement et de la détection des impuretés et ne prévoyait aucun mécanisme de résolution des litiges en cas de différend concernant le grade. Par conséquent, la Commission a conclu que lorsque les premier et deuxième envois ont été livrés le 19 janvier et le 8 février 2018, les renseignements dont disposaient les parties étaient que les lentilles étaient de grade 2 (suivant les rapports de classement établis en Saskatchewan). En outre, ce n’est qu’un mois plus tard que Taslar Trading a fait part à RC Farms de ses réserves quant aux renseignements concernant le classement. Si elle avait délivré les accusés de réception aux dates requises, RC Farms aurait eu droit au paiement des lentilles expédiées de grade 2 (c.‑à‑d. 0,32 $ par livre). Je ne relève aucune erreur manifeste et dominante dans les motifs et les conclusions de la Commission sur cette question.
(2)
(ii) Conclusion relative à la taxe de manutention
[22]
Le contrat d’achat ne contient pas non plus de disposition faisant état d’une taxe de manutention. Taslar Trading indique qu’un échange de courriels entre elle et White Mud, qui a eu lieu avant la signature du contrat d’achat le 10 novembre 2017, est à l’origine de l’[traduction] « entente »
qu’elle a négociée avec le mandataire de RC Farms, White Mud, concernant la taxe de manutention. Je conviens avec l’intimée, RC Farms, que l’échange de courriels n’atteste ni une relation de mandataire ni une entente concernant la taxe de manutention. Lorsqu’il a reçu la proposition de prix des lentilles de Taslar Trading, laquelle mentionne la taxe de manutention, le correspondant de White Mud a affirmé ce qui suit : [traduction] « Parfait, je transmets l’information et je vous tiens au courant »
. Je ne pense donc pas qu’il soit nécessaire d’aborder l’observation de RC Farms concernant l’applicabilité de la règle d’exclusion de la preuve extrinsèque.
[23]
Par ailleurs, comme l’a déclaré le directeur de RC Farms durant la téléconférence du 30 mai 2019 :
[traduction]
[…] Je vois qu’il [le directeur de Taslar Trading] a communiqué avec White Mud à ce sujet [la taxe de manutention]. Je n’ai jamais été mis au courant. Et pourquoi cette taxe n’a‑t‑elle pas été mentionnée dans le contrat? C’est tout ce à quoi je peux me fier. Je n’essaie pas de tirer profit du fait que le contrat n’était pas compliqué. C’est ce que je lis. C’est ce que j’ai signé.
[24]
Enfin, je fais remarquer que l’en‑tête de Taslar Trading figure sur le contrat d’achat et que celui‑ci a été signé par cette dernière et par RC Farms, mais pas par White Mud, pour le compte de RC Farms ou en son nom. Je ne relève donc aucune erreur manifeste et dominante dans les motifs et les conclusions de la Commission sur cette question.
(3)
(iii) Conclusion relative à la déduction inappropriée
[25]
J’estime que les motifs de la décision n’indiquent pas clairement si la Commission a tenu compte, en plus de la taxe de manutention, de la réduction du prix sur les accusés de réception pour conclure que la déduction était inappropriée. Bien qu’aucune des parties n’ait précisément plaidé cette réduction, j’estime que l’avis d’appel modifié est de portée suffisamment large pour l’englober dans le motif suivant : [traduction] « La Commission a eu tort de ne pas considérer comme il se doit la pratique actuelle au sein de l’industrie lorsqu’elle a estimé que la titulaire de licence (l’appelante) avait appliqué une déduction inappropriée sur le prix du grain livré. »
J’estime donc qu’il s’agit-là de l’argument complet.
[26]
En plus de la déduction de la taxe de manutention sur les accusés de réception, la Commission a également contesté la réduction de prix (grade 2 par opposition à grade 3) à laquelle RC Farms n’avait pas consenti. La Commission a fait remarquer que le contrat d’achat ne contient ni référence ni barème de réduction pour les grains de grade inférieur à 2; les prix fournis correspondent uniquement aux grades 1 et 2. RC Farms n’a pas non plus consenti à la réduction de prix proposée lorsqu’elle a été contactée, un mois après le dernier déchargement, au sujet de la qualité des lentilles. Questionnée sur la réduction de prix durant l’enquête, Taslar Trading a mentionné s’être servie du [traduction] « tableau de
GrainShark Marketing
»
et du [traduction] « barème de réductions de
GrainShark Marketing
»
pour calculer le rabais. Or, rien dans le dossier d’appel ou dans le dossier certifié du tribunal n’explique cette référence ni si elle représente la pratique au sein de l’industrie.
[27]
Cependant, la Commission conclut simplement que : [traduction] « À l’issue de son enquête, la Commission est convaincue que le titulaire de licence a appliqué une déduction inappropriée sur le grain livré à laquelle le producteur n’avait pas consenti. »
Je signale que la Commission désigne également la taxe de manutention comme une réduction : [traduction] « Le contrat d’achat ne fait aucune mention de cette réduction. »
[28]
Immédiatement après avoir conclu au caractère inapproprié de la déduction, la Commission a calculé les pertes ou les dommages subis par RC Farms relativement à la valeur des lentilles vertes de grade 2 à 32 cents par livre (ou 705,48 $ par tonne par rapport au prix de 374,79 $ par tonne figurant sur les accusés de réception), a supprimé l’[traduction] « escompte de taxe de 8 $ par tonne »
et a tenu compte de l’escompte de taxe de Saskatchewan Pulse Growers. Comme je n’ai relevé aucune erreur manifeste et dominante dans les conclusions de la Commission concernant la délivrance et la remise des accusés de réception requis, je ne relève pas non plus d’erreur de ce type dans cette approche ou sur cette question.
V.
Conclusion
[29]
Comme j’ai conclu que la Commission n’a commis aucune erreur manifeste et dominante, je rejette le présent appel interjeté contre l’arrêté no 2019‑53.
VI.
Dépens
[30]
Taslar Trading et RC Farms conviennent que les dépens sont à la discrétion de la Cour. Je ne vois aucune raison en l’espèce de m’écarter du principe général selon lequel les dépens doivent suivre l’issue de la cause.
[31]
Le procureur général ne sollicite pas de dépens. RC Farms réclame des dépens plus élevés et des intérêts supplémentaires. Bien que Taslar Trading ait commis des erreurs procédurales, et que des retards aient découlé des malencontreux événements dont son avocat a été victime, je ne suis pas convaincue que ces facteurs justifient d’adjuger des dépens plus élevés ou des dépens procureur‑client. Par ailleurs, comme Taslar Trading avait le droit d’interjeter appel de l’arrêté de la Commission, je ne suis pas convaincue qu’il soit justifié dans les circonstances d’accorder des intérêts supplémentaires.
[32]
Conformément au pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré par l’article 400 des Règles, j’ordonne à Taslar Trading de payer les dépens à RC Farms, lesquels seront taxés suivant le haut de la colonne III du tarif B des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106.
JUGEMENT dans le dossier T-1472-19
LA COUR STATUE que :
L’appel interjeté par TaslarTrading Corporation contre l’arrêté no 2019‑053 de la Commission canadienne des grains est rejeté.
Les dépens taxés suivant le haut de la colonne III du tarif B sont adjugés à R.C. Farms Ltd. et payables par Taslar Trading Corporation.
« Janet M. Fuhrer »
Juge
Traduction certifiée conforme
Mylène Boudreau, traductrice
Annexe A : Dispositions applicables
Loi sur les grains du Canada, LRC 1985, c G-10
Règlements sur les grains du Canada, CRC, c 889
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T-1472-19
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INTITULÉ :
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TASLAR TRADING CORPORATION c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET R.C. FARMS LTD.
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Winnipeg (Manitoba) (PAR TÉLÉCONFÉRENCE)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 19 janvier 2021
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jugement et motifs :
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la juge FUHRER
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DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :
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LE 21 janvier 2021
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COMPARUTIONS :
Kolade Oladokun
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pour l’appelante
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Judith Boer
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pour l’intimé
(PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA)
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Lindsay Gates
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pour l’intiméE
(R.C. FARMS LTD.)
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Kolade Oladokun
A.R.E. Law Prof. Corp.
Regina (Saskatchewan)
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pour l’appelante
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Procureur général du Canada
Regina (Saskatchewan)
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pour l’intimé
(PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA)
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Lindsay Gates
Ryan Nagel
Kanuka Thuringer LLP
Swift Current (Saskatchewan)
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pour l’intiméE
(R.C. FARMS LTD.)
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