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Date : 20210121


Dossier : IMM‑5660‑19

Référence : 2021 CF 68

[traduction française]

Ottawa (Ontario), le 21 janvier 2021

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

NANA AKYAA KUSI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Nana Akyaa Kusi a parrainé son époux, Andy Morrison, aux fins de l’obtention de la résidence permanente dans la catégorie du regroupement familial. La Section d’appel de l’immigration (la SAI) a rejeté la demande de visa de résident permanent de M. Morrison parce qu’elle a conclu que leur mariage n’était pas authentique. En dépit des enfants nés de l’union du couple et d’autres éléments de preuve favorables, la SAI a conclu que l’effet cumulatif de contradictions et de lacunes importantes et inexpliquées dans le témoignage du couple faisait pencher la prépondérance des probabilités contre l’authenticité du mariage.

[2] Madame Kusi conteste la décision de la SAI dans la présente demande de contrôle judiciaire. Elle soutient que la SAI a omis de reconnaître l’importance culturelle de la cérémonie de mariage traditionnelle à laquelle s’était prêté le couple au Ghana, qu’elle a insisté indûment sur des contradictions qui peuvent être tout simplement attribuables à des souvenirs qui se sont estompés ou à des perceptions différentes et qu’elle a accordé un poids insuffisant aux enfants issus du mariage. Elle allègue aussi que la décision de la SAI était inéquitable puisque celle‑ci a omis de prendre des mesures d’adaptation à son égard lorsqu’elle a éprouvé des difficultés à l’audience.

[3] Je conclus que la décision de la SAI était raisonnable et équitable. Mme Kusi n’a pas présenté à la SAI les arguments ou les éléments de preuve qu’elle fait valoir maintenant devant la Cour sur les normes culturelles ghanéennes relatives au mariage. Dans ces circonstances, il n’était pas raisonnable de s’attendre à ce que la SAI relève ces arguments et insiste sur eux. Je conviens que la SAI a renvoyé à des contradictions alléguées qui étaient sans importance ou non étayées par le dossier. Toutefois, la Cour ne doit pas effectuer un examen trop tatillon des conclusions quant à la crédibilité, et je ne peux pas conclure que l’appréciation globale faite par la SAI quant à la crédibilité des parties et à l’authenticité du mariage était déraisonnable. Je ne crois pas non plus que la SAI a omis de prendre en compte ou de soupeser comme il se devait la présence des enfants. Même si elle n’a pas expressément renvoyé à la présomption de l’authenticité d’un mariage du fait que des enfants soient nés de cette union qu’a reconnue la Cour, la SAI a affirmé que l’existence des enfants était « très favorable » à l’authenticité du mariage. À la lumière de la décision dans son ensemble, cette analyse était raisonnable. Enfin, en l’absence de demande de mesure d’adaptation ou d’argument avancé devant la SAI quant à la question de l’équité, je ne puis conclure à un manquement à l’équité dans la procédure.

[4] La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée. Même si Mme Kusi m’a demandé de certifier une question sur les normes culturelles se rapportant au mariage, je m’y refuse puisque je conclus que la question proposée ne répond pas aux exigences de la certification.

II. Questions en litige et normes de contrôle

[5] Les objections formulées par Mme Kusi à l’encontre de la décision de la SAI soulèvent les questions qui suivent :

  1. La conclusion de la SAI concernant l’authenticité du mariage était‑elle déraisonnable et, plus particulièrement, la SAI a‑t‑elle commis une erreur :

  • 1) en omettant de tenir compte adéquatement des normes culturelles ghanéennes relatives au mariage;

  • 2) en tirant des conclusions erronées quant à la crédibilité;

  • 3) dans la façon dont elle a traité les éléments de preuve se rapportant aux enfants du couple?

  1. L’audience qui a mené à la décision de la SAI était‑elle inéquitable?

[6] Comme en conviennent les parties, la première de ces questions se rapporte au bien‑fondé de la décision concernant l’authenticité et elle commande l’application de la norme de contrôle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16, 17 et 23 à 25; Valencia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 787 au para 15. Lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la cour de révision tient compte « du résultat de la décision administrative eu égard au raisonnement sous‑jacent à celle‑ci afin de s’assurer que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée » (Vavilov, au para 15). Une décision raisonnable doit être « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et être « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » : Vavilov, aux para 85, 90, 99 et 105 à 107. La Cour doit apprécier la décision dans son ensemble et ne devrait pas s’attarder à une « erreur mineure » ou à une lacune accessoire, ni se livrer à une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » : Vavilov aux para 15, 85, 100 et 102. La Cour doit plutôt « être convaincue [que la décision] souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » avant de l’infirmer en raison de son caractère déraisonnable : Vavilov aux para 99 et 100.

[7] La seconde question a trait à l’équité procédurale. Les questions d’équité procédurale sont examinées en se demandant si un processus juste et équitable a été suivi eu égard à l’ensemble des circonstances : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au para 54. Cet exercice de révision est « particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte » même si aucune norme de contrôle n’est appliquée : Chemin de fer Canadien Pacifique au para 54, citant Eagle’s Nest Youth Ranch Inc c Corman Park (Rural Municipality #344), 2016 SKCA 20 au para 20.

III. Analyse

A. La décision de la SAI était raisonnable

[8] M. Morrison a demandé un visa de résident permanent au titre de la catégorie du regroupement familial, en étant parrainé par son épouse, Mme Kusi, conformément à l’alinéa 117(1)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le RIPR]. Le paragraphe 4(1) du RIPR prévoit que l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux d’une personne si le mariage n’est pas authentique, ou s’il visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] :

Mauvaise foi

Bad Faith

4 (1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas

4 (1) For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common‑law partner or a conjugal partner of a person if the marriage, common‑law partnership or conjugal partnership

a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi

(a) was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act;

b) n’est pas authentique

(b) is not genuine

[9] Il incombe à la demanderesse de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que l’époux parrainé n’est pas exclu en application de l’alinéa 4(1)a) ou b) : Khera c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 632 au para 7. Le critère établi au titre du paragraphe 4(1) est disjonctif — une conclusion selon laquelle le mariage visait principalement l’acquisition d’un statut ou qu’il n’est pas authentique aura pour effet d’exclure le demandeur : Idrizi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1187 aux para 25 et 26. En dépit du fait que l’affaire est instruite par la SAI en tant qu’appel interjeté à l’égard d’une décision défavorable d’un agent d’immigration, la SAI tient une audience de novo reposant sur les éléments de preuve qui lui ont été présentés pour évaluer si le paragraphe 4(1) s’applique : Khera au para 7; LIPR, paragraphe 63(1), article 67.

[10] La SAI a conclu que le mariage de Mme Kusi et de M. Morrison n’était pas authentique en fonction de sa conclusion selon laquelle il y avait d’importantes lacunes dans les éléments de preuve et d’importantes contradictions dans le témoignage donné par chaque membre du couple. Cela comprenait des lacunes dans le témoignage quant à l’évolution de leur relation, des disparités dans les versions de chacun sur les rencontres avec les familles et les séances de counseling conjugal, et des contradictions dans les éléments de preuve des parties quant à des questions comme celle de savoir si les deux enfants adultes issus d’une relation précédente de M. Morrison résidaient avec celui‑ci. Tout en renvoyant aux éléments de preuve favorables militant pour l’authenticité du mariage, dont les deux filles que le couple a eues et le fait qu’il attende un troisième enfant, la SAI a conclu que les facteurs favorables ne l’emportaient pas sur les grandes préoccupations soulevées par les contradictions dans les éléments de preuve. À la lumière de sa conclusion quant à l’authenticité du mariage, la SAI n’a pas examiné la question de savoir si le mariage visait principalement l’acquisition d’un statut sous le régime de la LIPR.

[11] Mme Kusi soulève trois grandes contestations quant au caractère raisonnable de la décision de la SAI : 1) elle allègue que la SAI a omis de dûment prendre en compte les normes culturelles ghanéennes relatives au mariage; 2) elle soutient que les conclusions de la SAI quant à la crédibilité étaient injustifiées, étant fondées sur des différences mineures dans les versions qui s’expliquent facilement; 3) elle prétend que la SAI n’a pas dûment tenu compte du fait que le couple avait des enfants. Mme Kusi a soulevé un autre argument dans son mémoire selon lequel sa déposition devant la SAI a pu être affectée par un problème de santé décrit comme la [traduction] « dysfonction cognitive liée à la maternité », mais cet argument a été abandonné à l’audition de la présente demande.

[12] Pour les motifs qui suivent, je ne suis convaincu par aucune des contestations soulevées par Mme Kusi pour démontrer que la décision de la SAI était déraisonnable.

1) La SAI n’a pas déraisonnablement omis de tenir compte des normes culturelles ghanéennes

[13] Mme Kusi soutient que suivant la tradition ghanéenne relative au mariage, la famille de chaque partie tient un rôle crucial. Elle fait remarquer que le mariage ghanéen équivaut à l’établissement d’une relation permanente entre deux familles et non pas tout simplement entre deux personnes, et que la SAI a omis de reconnaître l’importance du fait que M. Morrison avait demandé à sa famille à elle la permission de l’épouser et des enquêtes subséquentes effectuées par les familles. À l’appui de cet argument, Mme Kusi a produit un affidavit aux fins de la présente demande de contrôle judiciaire faisant état de sa propre compréhension du mariage coutumier ghanéen et a joint deux articles sur le sujet. Elle renvoie à la décision de la Cour dans l’affaire Gill (2010), dans laquelle le juge Barnes a souligné l’importance de ne pas appliquer les attentes occidentales relatives au mariage dans l’appréciation de l’authenticité d’un mariage contracté selon une autre coutume, dans cette affaire un mariage arrangé indien : Gill c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 122 [Gill (2010)] au para 7; voir aussi Farid Khan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1490 au para 16.

[14] La principale faiblesse de cet argument tient à ce que ces questions n’ont pas été soulevées devant la SAI. Les articles sur le mariage coutumier ghanéen n’ont pas été produits devant la SAI et ne peuvent pas être ajoutés au dossier maintenant dans la présente demande de contrôle judiciaire : Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 aux para 18 à 20. Rien n’indique non plus que Mme Kusi, qui était représentée par une conseil à l’audience devant la SAI, ait présenté des éléments de preuve sur l’importance culturelle du mariage coutumier ou sur la relation entre les deux familles ou ait présenté des arguments sur cette question. Je constate qu’à ce dernier égard, la transcription de la procédure devant la SAI qui a été présentée à la Cour semble incomplète et ne comporte pas la totalité des observations finales de la conseil, mais qu’à l’audition de la présente demande, Mme Kusi a confirmé qu’elle n’invoquait aucun argument quant à ce que contenaient les pages [traduction] « manquantes » de la transcription.

[15] Mme Kusi et M. Morrison ont bel et bien affirmé qu’ils avaient eu un mariage traditionnel et un mariage religieux, et ont présenté des éléments de preuve quant au fait que M. Morrison avait demandé à la famille de Mme Kusi la permission de l’épouser. Cependant, en dépit du fait que la conseil a formulé des observations quant à [traduction] « tous les éléments de preuve qui militent fortement en faveur d’une conclusion de mariage authentique », sa seule évocation de ces questions a consisté à souligner que le couple avait eu des rencontres avec les familles et un mariage traditionnel ainsi qu’un mariage religieux. Aucune observation n’a été formulée et aucun élément de preuve n’a été produit concernant l’importance particulière d’un mariage coutumier dans la culture ghanéenne, de la relation entre les deux familles ou du fait que M. Morrison avait demandé la permission d’épouser Mme Kusi.

[16] Comme la Cour suprême du Canada l’a souligné dans l’arrêt Vavilov, le caractère raisonnable d’une décision doit être apprécié en fonction de l’historique et du contexte de l’instance, y compris la preuve et les observations des parties : Vavilov aux para 94 et 125 à 128. Après avoir omis de produire des éléments de preuve à l’attention de la SAI sur l’importance culturelle du mariage coutumier au Ghana, voire d’en faire mention, Mme Kusi ne peut pas maintenant reprocher à la SAI d’avoir omis d’examiner la question : Vavilov au para 94; Access Copyright au para 15; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 aux para 22 à 26. Comme le souligne le ministre, l’appelant doit convaincre la SAI, et non la Cour, que le mariage est authentique : Ma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 509 au para 32.

[17] Mme Kusi soutient qu’étant donné que l’existence d’un mariage coutumier a été soulevée, il incombait à la SAI de chercher de l’information sur l’importance culturelle de ce mariage pour remplir son rôle de tribunal expert. Je ne suis pas d’accord. Le fardeau qui incombe à l’appelant devant la SAI comprend celui de présenter suffisamment d’éléments de preuve pour la convaincre que le mariage est authentique : Khera au para 7; Sandhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1061 au para 24. Qu’il s’agisse d’éléments de preuve relatifs à l’importance des normes culturelles, ou d’autres éléments de preuve qui peuvent être pertinents quant à l’issue de l’affaire, la SAI n’est pas tenue de chercher des éléments de preuve supplémentaires pour étayer ou comprendre le dossier d’un appelant.

[18] Je reconnais que, lorsqu’elle est soulevée, la question de l’importance culturelle d’un mariage coutumier peut représenter un facteur favorable pertinent dans l’appréciation globale de l’authenticité de l’union. Toutefois, il convient de noter qu’en l’espèce, les questions d’importance culturelle ont eu très peu de poids, voire aucun, eu égard aux nombreuses conclusions quant à la crédibilité tirées par la SAI. L’importance du mariage dans la coutume ghanéenne peut avoir peu de poids dans l’appréciation des deux parties à un mariage qui présentent, par exemple, des éléments de preuve très différents sur la question de savoir si les enfants de l’un des époux résident avec eux dans les faits.

[19] Par conséquent, je ne peux pas conclure que la SAI a laissé de côté des éléments de preuve sur l’importance culturelle de la cérémonie de mariage traditionnelle et de l’union des familles, qu’il était déraisonnable que la SAI n’ait pas insisté sur cet élément en tant que facteur favorable dans l’appréciation de l’authenticité du mariage ou que la SAI a indûment perçu le mariage d’un point de vue culturel occidental.

2) Les conclusions de la SAI quant à la crédibilité étaient raisonnables

[20] L’appréciation de la crédibilité fait partie du processus d’établissement des faits. La Cour suprême a réitéré dans l’arrêt Vavilov que les cours de révision ne doivent pas soupeser ou apprécier de nouveau la preuve : Vavilov au para 125. Les conclusions quant à la crédibilité sont décrites comme appelant « la déférence » : N’kuly c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1121 au para 21. Cela ne change pas la norme de contrôle qui s’applique, qui reste celle de la décision raisonnable, mais met en lumière le fait que, dans le cadre d’examen du caractère raisonnable, les décideurs disposent d’une latitude considérable pour tirer des conclusions quant à la crédibilité, au sujet desquelles il convient de ne pas intervenir à la légère : Amador Ordonez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1216 au para 6; Vavilov aux para 88 à 90.

[21] Par ailleurs, les conclusions quant à la crédibilité ne sont « pas à l’abri d’un contrôle judiciaire » et doivent être énoncées clairement et justifiées à la lumière des éléments de preuve : N’kuly au para 24; Valère c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1200 au para 14. Les conclusions défavorables quant à la crédibilité ne devraient pas non plus être fondées sur un « examen microscopique » de questions sans pertinence ou accessoires eu égard à la demande d’asile : Cooper c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 118 au para 4d.

[22] Mme Kusi souligne qu’un certain nombre des contradictions relevées par la SAI sont facilement et à juste titre attribuables à des divergences d’opinion sur un événement ou au temps qui s’est écoulé et aux défaillances de la mémoire. Par exemple, la SAI a souligné qu’en relatant leur première rencontre au Ghana, Mme Kusi se souvenait que les deux avaient pris un petit casse‑croûte chez un vendeur ambulant, tandis que M. Morrison a omis cet aspect de la rencontre dans ses éléments de preuve. La SAI a aussi relevé des disparités dans les souvenirs relatifs aux discussions qui ont eu lieu avec les familles en 2010, soit quelque neuf ans avant l’audience.

[23] Après avoir examiné la transcription de l’audience, je conviens que certaines des conclusions de la SAI quant à la crédibilité ne sont pas justifiables. Par exemple, la SAI, en relevant les contradictions quant aux personnes qui étaient présentes lors des rencontres de M. Morrison avec la famille Kusi, semble avoir supposé qu’il n’y avait eu qu’une seule rencontre, alors que, selon les éléments de preuve, il y en avait eu deux. Dans la même veine, je ne relève pas de contradiction raisonnable ou pertinente dans les éléments de preuve produits par le couple quant aux raisons pour lesquelles il avait présenté une seconde demande de parrainage au lieu d’interjeter appel à l’égard du refus de sa première. À d’autres égards, la SAI semble avoir relevé des disparités sur des questions accessoires, comme la personne qui accompagnait M. Morrison lorsqu’il a passé des analyses génétiques pour prouver qu’il était le père de ses enfants. Cependant, ce ne sont là que quelques‑unes des nombreuses disparités et lacunes relevées par la SAI, lesquelles incluaient des contradictions directes sur des questions pertinentes, comme la nature et la fréquence des séances de counseling avant le mariage, le moment où Mme Kusi a parlé à M. Morrison de son premier mariage, et la question de savoir si les enfants adultes issus de la relation précédente de M. Morrison résidaient avec lui.

[24] La SAI a résumé ces questions en ces termes :

Les incohérences non résolues tout au long de l’audience, qui portaient notamment sur des détails de moindre importance, pouvaient être attribuées à une mémoire qui faiblit avec le temps écoulé, mais d’autres détails s’avèrent plus significatifs et en dernière analyse, c’est l’effet cumulatif d’incohérences décisives qui fait pencher la prépondérance des probabilités en défaveur de l’authenticité. Les disparités relevées entre les témoignages de l’appelante et du demandeur n’ont pas été raisonnablement expliquées ou résolues.

[25] J’estime que les conclusions de la SAI montrent que celle‑ci était sensible au fait que les témoignages pouvaient être contradictoires en raison de problèmes de mémoire, et qu’elle ne devait pas insister outre mesure sur des questions mineures. Bien que je croie qu’il serait déraisonnable de se fonder sur certaines des préoccupations relevées par la SAI, je ne puis conclure que l’appréciation globale de la crédibilité effectuée par la SAI était déraisonnable. À cet égard, je souligne que, bien que la SAI ne doive pas examiner à la loupe les éléments de preuve, je ne dois pas non plus effectuer un examen microscopique des motifs de la SAI : Cortez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 800 au para 43. Comme l’a affirmé la Cour suprême, les lacunes qui sont superficielles ou accessoires ou qui équivalent à une « erreur mineure » ne rendent pas une décision déraisonnable : Vavilov au para 100.

3) La SAI a pris en compte raisonnablement les enfants issus du mariage

[26] Mme Kusi soutient que la SAI n’a pas suffisamment pris en considération le fait que M. Morrison et elle sont les parents de deux filles. En dépit du fait qu’elle a reconnu que la présence d’enfants ne démontre pas automatiquement qu’un mariage est authentique, elle a soutenu qu’il était déraisonnable que la SAI se fonde sur les préoccupations quant à la crédibilité mentionnées précédemment puisqu’il y a deux enfants et puisque le refus de la demande signifie que ceux‑ci seront privés de leur père.

[27] Dans la décision Gill (2010), le juge Barnes a souligné l’importance des enfants dans l’évaluation de l’authenticité d’un mariage, en affirmant ce qui suit au paragraphe 8 de sa décision :

La Commission a eu raison de reconnaître que, dans l’évaluation de la légitimité du mariage, il faut accorder un poids considérable à la naissance d’un enfant. Lorsqu’il n’y a pas de doute sur la paternité, il serait raisonnable d’adopter une présomption favorable à l’authenticité du mariage en cause. Il y a de nombreuses raisons d’accorder une grande importance à un tel événement, notamment l’improbabilité que les parties à un faux mariage s’imposent les responsabilités à vie associées au fait d’élever un enfant. Cette considération s’avère d’autant plus significative dans une situation comme la présente, où les parents sont des gens de moyens très modestes.

[Non souligné dans l’original.]

[28] Même si la SAI n’a pas renvoyé à une « présomption favorable » découlant de la naissance d’enfants, elle n’en a pas moins reconnu que « [l’]existence d’enfants nés du mariage est très favorable à l’appelante » [non souligné dans l’original.]. Cela cadre avec les décisions ultérieures rendues par la Cour se rapportant à la décision Gill (2010) et à l’importance des enfants dans l’appréciation de l’authenticité du mariage : p. ex., Gill c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 902 au para 15. Je conclus que le fait que la SAI ait reconnu que la présence d’enfants était très favorable à l’authenticité du mariage est conforme aux « contraintes juridiques » de nature jurisprudentielle qui pèsent sur la décision : Vavilov aux para 99 à 101, 111 et 112.

[29] Mme Kusi soutient qu’après avoir reconnu l’importance des enfants dans l’appréciation de l’authenticité du mariage, il était déraisonnable que la SAI conclue que ses autres conclusions quant à la crédibilité l’emportaient sur cet élément. Cependant, la pondération des éléments de preuve et des facteurs à l’appui d’une conclusion d’authenticité revient à la SAI. La Cour doit s’abstenir d’apprécier à nouveau les éléments de preuve et ne peut intervenir que lorsque l’appréciation des éléments de preuve est déraisonnable : Vavilov au para 125. En l’espèce, la SAI a examiné les facteurs favorables et défavorables, et Mme Kusi ne m’a pas convaincu que l’appréciation de la preuve faite par la SAI était déraisonnable.

[30] De plus, Mme Kusi soutient que l’appréciation de la SAI aurait dû tenir compte de l’intérêt supérieur des enfants (l’ISE) et que l’accent mis par la SAI sur les préoccupations quant à la crédibilité atténuait l’importance de l’ISE dans l’ensemble. Je ne crois pas que l’appréciation de l’authenticité du mariage déclenche ou nécessite l’appréciation de l’ISE. C’est plutôt une conclusion largement tributaire des faits, reposant sur un éventail de facteurs, et non pas une conclusion qui vise à protéger l’intérêt supérieur des enfants issus du mariage. La LIPR établit elle‑même cette distinction. Bien qu’il soit loisible à la SAI de prendre en compte des considérations d’ordre humanitaire, dont l’intérêt supérieur des enfants directement touchés, dans la plupart des appels qu’elle est appelée à trancher, cela lui est expressément interdit dans les appels interjetés à l’égard de refus de demandes de parrainage dans la catégorie du regroupement familial : paragraphe 63(1), article 65, alinéa 67(1)c).

[31] Comme le juge Near, alors juge de la Cour, l’a souligné dans la décision Valencia, « tant qu’il était raisonnablement loisible à la SAI d’arriver aux inférences qu’elle a tirées, rien ne permet à la Cour de changer la décision, bien que je sois tenté de tirer une conclusion contraire » : Valencia au para 24; Vavilov aux para 15, 83, 100 et 125. Malgré les arguments avancés par Mme Kusi, je conclus qu’il était raisonnablement loisible à la SAI de tirer sa conclusion quant à l’authenticité et que ses motifs étaient transparents, intelligibles et justifiés.

B. Le processus ayant conduit à la décision était équitable

[32] Mme Kusi a aussi allégué qu’il y avait eu manquement à l’équité procédurale lors de l’audience devant la SAI, en soulignant qu’elle devait s’occuper de deux enfants et des préoccupations soulevées pendant l’audience selon lesquelles elle éprouvait un inconfort à cause d’une douleur à la jambe. Mme Kusi n’a pas insisté sur ces arguments en contrôle judiciaire, puisque l’avocate a à juste titre reconnu que les préoccupations alléguées de manquement à l’équité n’avaient pas été soulevées devant la SAI. Quoi qu’il en soit, je conviens avec le ministre que ces arguments ne sauraient être retenus. Mme Kusi n’a demandé aucune mesure d’adaptation qui a été refusée par la SAI. Au contraire, la SAI a invité Mme Kusi à se lever ou à se dégourdir les jambes pour atténuer son inconfort. Après n’avoir soulevé aucune préoccupation quant à l’équité procédurale au sujet des conditions dans lesquelles s’était déroulée l’audience devant la SAI, Mme Kusi ne peut pas faire valoir maintenant que le processus était inéquitable : Sharma c Canada (Procureur général), 2018 CAF 48 au para 11.

IV. Question certifiée

[33] Lors de l’audition de la présente demande, Mme Kusi a demandé que je certifie la question qui suit en tant que question grave de portée générale aux termes de l’alinéa 74d) de la LIPR :

Dans des circonstances où la culture et les normes culturelles constituent le fondement d’un mariage, incombe‑t‑il au tribunal chargé d’apprécier l’authenticité dudit mariage de se renseigner sur l’importance de la culture en ce qui concerne le mariage?

[34] Pour être certifiée aux termes de l’alinéa 74d), une question doit i) être déterminante quant à l’issue de l’appel, ii) transcender les intérêts des parties au litige, et iii) porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale : (Lunyamila c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22, au para 46. J’estime que, même si elle pouvait être considérée comme déterminante, la question proposée ne répond pas à la condition de transcender les intérêts des parties au litige et de soulever une question de portée générale. Le principe voulant qu’il incombe à la personne qui interjette appel devant la SAI de présenter les éléments de preuve nécessaires pour convaincre la SAI de l’authenticité du mariage est établi depuis longtemps. Je crois que le fait de soulever une nouvelle thèse selon laquelle la SAI a une obligation indépendante de se renseigner sur l’importance culturelle d’un mariage lorsque l’appelant ne produit pas d’éléments de preuve à cet égard ne soulève pas une question de portée générale transcendant les circonstances particulières de l’espèce. Pour ces motifs, je refuse de certifier la question proposée.

[35] Je constate aussi que, comme l’a reconnu l’avocate de Mme Kusi, aucun avis préalable de la question certifiée n’a été donné contrairement à ce qu’exigent les Lignes directrices sur la pratique dans les instances intéressant la citoyenneté, l’immigration et les réfugiés de la Cour en date du 5 novembre 2018. L’avocate du ministre a donc dû répondre à la demande comme à la formulation de la question proposée à l’improviste. Bien qu’il ne me soit pas nécessaire d’invoquer ce manquement de nature procédurale, je souligne l’importance de respecter la condition relative à l’avis préalable pour que les avocats et la Cour puissent examiner de façon méthodique les questions proposées aux fins de la certification.

V. Conclusion

[36] Mme Kusi n’ayant pas établi que la décision de la SAI était déraisonnable ou inéquitable, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’est certifiée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑5660‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Nicholas McHaffie »

Juge

Traduction certifiée conforme

Isabelle Mathieu


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5660‑19

 

INTITULÉ :

NANA AKYAA KUSI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE LE 5 AOÛT 2020 À OTTAWA (ONTARIO) (LA COUR) ET À CALGARY (ALBERTA) (LES PARTIES)

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge MCHAFFIE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 21 JanVIER 2021

 

COMPARUTIONS :

Roxanne Haniff‑Darwent

POUR LA DEMANDERESSE

 

Meenu Ahluwalia

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Darwent Law Office

Calgary (Alberta)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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