Date : 20201217
Dossier : T‑1606‑18
Référence : 2020 CF 1161
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 17 décembre 2020
En présence de madame la juge Walker
ENTRE :
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RICHARDS PACKAGING INC.
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demanderesse/
défenderesse reconventionnelle
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et
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DISTRIMEDIC INC.
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défenderesse/
demanderesse reconventionnelle
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ORDONNANCE ET MOTIFS
(Requête de la demanderesse et requête incidente de la défenderesse en appel partiel de l’ordonnance sur la confidentialité rendue par madame la protonotaire Steele le 10 février 2020)
[1]
Richards Packaging Inc. (Richards) interjette appel, en partie, d’une ordonnance rendue par la protonotaire Alexandra Steele, la juge chargée de la gestion de l’instance, le 10 février 2020 (l’ordonnance sur la confidentialité). La protonotaire Steele a validé la désignation « Confidentiel – Réservé aux avocats »
(« réservé aux avocats »
) de vingt‑huit (28) des trente‑trois (33) documents en litige devant elle. Ces désignations avaient été faites par Richards en vertu d’une entente de confidentialité entre les parties qui encadrait le partage de documents confidentiels dans le cadre de la présente contestation de brevet. Les documents en question (les documents) étaient énumérés à l’annexe 1 de l’affidavit de documents fait sous serment par Richards le 3 avril 2019. Aux paragraphes 5 et 7 de l’ordonnance formelle que contient l’ordonnance sur la confidentialité, la protonotaire Steele a invalidé les désignations « réservé aux avocats »
des documents 23.3, 23.4, 23.5 et 91 et a permis qu’ils soient redésignés comme des « renseignements confidentiels »
(RC). Richards interjette appel des paragraphes 5 et 7 de l’ordonnance et demande à la Cour de valider les désignations « réservé aux avocats »
des documents 23.3, 23.4, 23.5 et 91.
[2]
Pour sa part, Distrimedic Inc. (Distrimedic) présente une requête incidente portant appel de l’ordonnance sur la confidentialité. Si la Cour fait droit à l’appel de Richards, Distrimedic lui demande d’ordonner le réexamen de la première demande de validation de Richards devant la protonotaire Steele.
[3]
L’appel et l’appel incident ont été interjetés par voie de requêtes en application du paragraphe 51(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles). Je vais statuer sur l’appel et l’appel incident dans l’ordonnance et les motifs qui suivent.
[4]
Pour les motifs énoncés ci‑dessous, l’appel de Richards sera accueilli et les documents 23.3, 23.4, 23.5 et 91 seront validés sous la cote « réservé aux avocats »
en vertu de l’entente de confidentialité. De plus, l’appel incident de Distrimedic sera rejeté.
I.
Contexte
[5]
Richards et Distrimedic sont des concurrents directs dans le domaine des produits médicaux qui servent à faciliter la distribution de médicaments à des patients, y compris des piluliers et des feuilles protectrices pour ceux‑ci. Richards fait affaire dans ce domaine par l’entremise de sa division Dispill. Essentiellement, les deux parties sont les seuls concurrents d’envergure dans le marché à créneau de ces produits.
[6]
Le 4 septembre 2018, Richards a intenté une poursuite contre Distrimedic pour contrefaçon de trois de ses brevets canadiens. Le 21 décembre 2018, Distrimedic a déposé sa défense et sa demande reconventionnelle dans lesquelles elle nie la contrefaçon et elle fait valoir que l’un des trois brevets est invalide.
[7]
Le 1er avril 2019, les parties ont conclu l’entente de confidentialité. Celle‑ci comporte deux niveaux, c’est‑à‑dire qu’elle contient des dispositions visant la désignation des documents sous les cotes suivantes : (1) RC, qui limite la communication de documents à la Cour, aux parties ainsi qu’à leurs avocats et experts; (2) « réservé aux avocats »
, qui limite la communication de documents seulement à la Cour et aux avocats et experts externes des parties, à l’exclusion de la partie destinataire. L’entente de confidentialité contient une disposition sur la contestation en vertu de laquelle une partie destinataire peut s’opposer à la cote de confidentialité d’un ou de plusieurs des documents de la partie qui les produit. Pour sa part, la partie qui produit les documents peut présenter une requête à la Cour pour faire valider la ou les cotes de confidentialité contestées.
[8]
Dans son affidavit de documents, Richards a d’abord désigné cinquante‑huit (58) de ses documents sous la cote « réservé aux avocats »
. Distrimedic s’est opposée aux cotes « réservé aux avocats »
et Richards a accepté de redésigner vingt‑cinq (25) documents sous la cote RC. Richards a maintenu la cote « réservé aux avocats »
de trente‑trois (33) documents et a présenté une requête devant la protonotaire Steele en vertu de l’article 22 de l’entente de confidentialité en vue de faire valider les autres cotes « réservé aux avocats »
.
II.
L’ordonnance sur la confidentialité
[9]
La protonotaire Steele a validé les cotes « réservé aux avocats »
de la majorité des documents en question dans la requête en validation de Richards. Son refus de valider la cote « réservé aux avocats »
de quatre documents est en litige dans le présent appel.
[10]
La protonotaire Steele a décrit le système courant à deux paliers (RC et « réservé aux avocats »
) en ce qui concerne les mesures de protection que contient l’entente de confidentialité et elle a énoncé les principes juridiques applicables à son analyse :
[traduction]
La cote « réservé aux avocats »
sert « à empêcher la divulgation de renseignements très délicats et confidentiels aux dirigeants, aux cadres supérieurs, aux employés ou à quiconque prenant part aux activités quotidiennes de la partie qui reçoit les documents afin que ces personnes ne puissent fonder, consciemment ou inconsciemment, leurs décisions d’affaires sur les renseignements confidentiels, au désavantage concurrentiel de la partie qui produit les documents »
(Les Développement Angelcare Inc. c Munchkin, Inc., 2018 CF 447 au para 20 (Angelcare)). La divulgation de renseignements cotés « réservé aux avocats »
doit présenter une « menace grave »
qui est « réel[e] et important[e], en ce qu’[elle] est bien étayé[e] par la preuve »
(Bard Peripheral Vascular Inc. c W.L. Gore & Associates, Inc., 2017 CF 585 aux para 15 et 16; Pliteq, Inc. c Wilrep Ltd., 2019 CF 158 aux para 6 et 9 (Pliteq)).
La partie qui revendique la confidentialité doit démontrer objectivement selon la prépondérance des probabilités (1) que les renseignements [o]nt été en tout temps considérés comme confidentiels et (2) que la divulgation des renseignements risquerait de compromettre ses droits exclusifs, commerciaux et scientifiques (AB Hasslec Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), 1998 CanLII 8942 (CF) aux para 29 et 30 (AB Hassle)).
Une cote
« réservé aux avocats »
n’est pas décernée à la légère et elle ne le sera pas sur la foi d’une simple affirmation (Glaxo Group Limitedc Novopharm Ltd., 1998 CanLII 7667 (CAF) aux para 2 et 3; Rivard Instruments, Inc. c Ideal Instruments Inc., 2006 CF 1338 au para 2 (Rivard)).Une cote
« réservé aux avocats »
peut être justifiée si, par exemple a) les parties sont des concurrents directs et les renseignements en cause permettraient à la partie qui les reçoit de faire du tort aux intérêts de la partie qui les produits de manière intentionnelle ou par inadvertance (Lundbeck Canada Inc. c Canada (Santé), 2007 CF 412 aux para 16 et 19 (Lundbeck)) ou b) la partie qui les reçoit compte un représentant unique qui pourrait se servir sciemment ou inconsciemment des renseignements en litige pour favoriser ses intérêts commerciaux (Arkipelago Architecture Inc. c Enghouse Systems Limited, 2018 CF 37 aux para 7 et 20, décision confirmée par 2018 CAF 192 au para 16 (Arkipelago Architecture)).
[11]
La protonotaire Steele s’est penchée sur le paragraphe 21 de l’entente de confidentialité :
[TRADUCTION]
21. Il existera une présomption réfutable à l’égard de la désignation à titre de Renseignements confidentiels ou de Renseignements confidentiels – Réservés aux avocats de documents contenant a) des secrets commerciaux ou d’autres renseignements confidentiels concernant la recherche, le développement ou les affaires ou de nature commerciale ou technique jouissant d’une protection en vertu de la loi applicable, b) des renseignements non publics de nature financière, commerciale ou technique de la partie ou d’une personne ou entité directement ou indirectement associée à la partie, ou c) des renseignements protégés ou dont l’accès est restreint par une loi ou un règlement gouvernemental.
[12]
La protonotaire Steele a incité à la prudence en précisant que même si la désignation de documents qui relèvent des définitions décrites au paragraphe 21 peut être présumée valide, Richards porte le fardeau de démontrer le caractère approprié de sa cote « réservé aux avocats », comme le prévoit le paragraphe 22 de l’entente de confidentialité. Si Richards réussissait à s’en décharger, il incomberait à Distrimedic de réfuter la présomption prévue au paragraphe 21.
[13]
La protonotaire Steele a pris connaissance de l’affidavit de monsieur Alain Proulx, le directeur des ventes nationales de Richards, qui a été fait sous serment le 1er août 2019 (l’affidavit de M. Proulx). L’affidavit de M. Proulx était l’unique élément de preuve invoqué par Richards à l’appui de sa requête. La protonotaire Steele a également passé en revue la transcription du contre‑interrogatoire de M. Proulx par Distrimedic (la transcription) et elle a tenu compte de l’argument de Distrimedic selon lequel aucune valeur probante ne devrait être accordée à l’affidavit de M. Proulx, parce qu’il était fondé sur du ouï‑dire et qu’il n’atteignait pas le seuil élevé exigé pour étayer une cote « réservé aux avocats »
. La protonotaire Steele n’était pas convaincue que la preuve de M. Proulx ne devrait avoir aucune valeur probante. Elle a affirmé que toute faiblesse dans la preuve de Richards serait prise en considération dans sa décision sur la question de savoir si Richards s’est déchargé de son fardeau consistant à valider ses cotes « réservé aux avocats »
.
[14]
La protonotaire Steele a fait remarquer que Distrimedic n’a présenté aucune preuve en réponse à la requête en validation.
[15]
La protonotaire Steele a conclu que les documents que Richards qualifiait de renseignements techniques hautement confidentiels (dessins techniques ou prototypes, notes de l’inventeur) étaient présumés être cotés RC, étant donné qu’ils contenaient des renseignements confidentiels concernant la recherche ou le développement ou de l’information technique ou d’autres renseignements techniques non publics de Richards ou de ses fournisseurs (alinéas 1c), 1d) et 21b) de l’entente de confidentialité). Elle a statué que Richards s’attendait raisonnablement à ce que les documents demeurent confidentiels, même s’ils n’étaient pas qualifiés comme tels.
[16]
Richards a fondé sa cote « réservé aux avocats »
essentiellement sur le fait que la preuve en question révélait des mesures et des spécifications précises qui ne sont pas facilement identifiables à la face même de ses produits et qui portent directement sur la qualité de ceux‑ci. Selon la preuve de Richards, si des renseignements de cette nature étaient divulgués, Distrimedic pourrait améliorer la qualité de ses produits censément inférieurs et jouir d’un avantage concurrentiel. La protonotaire Steele a déclaré qu’aucun élément de preuve soumis à la Cour n’établissait que les produits de Distrimedic étaient de qualité inférieure ni que Distrimedic ou son unique administrateur, monsieur Claude Filiatrault, ferait intentionnellement un mauvais usage des renseignements. Elle s’est ensuite demandé si M. Filiatrault, à titre de récepteur de l’information au nom de Distrimedic dans le but de mandater un avocat, pourrait volontairement ou par inadvertance être influencé par ces renseignements dans ses décisions d’affaires pour Distrimedic. Voici comment la protonotaire Steele s’est exprimée à ce sujet :
[TRADUCTION]
[49] Distrimedic fait valoir qu’il est impossible qu’elle soit « influencée » par des mesures, des spécifications et des résultats de tests précis. Même si cet argument peut paraître attrayant à sa face même, compte tenu des menus détails que contient l’information technique, la Cour n’est pas en mesure de déduire qu’aucune influence de cette nature n’est possible sans une preuve de Distrimedic ou de M. Filiatrault qui réfuterait les allégations de M. Proulx. La preuve démontre que M. Filiatrault est un homme d’affaires d’expérience qui possède de longs antécédents dans cette industrie en particulier, qui est actuellement l’unique administrateur, actionnaire et employé de Distrimedic (pièce AP‑3), qui semble aussi posséder des intérêts dans des compagnies liées qui s’associent à Distrimedic dans le processus de l’assemblage et la mise en marché de produits identiques à ceux de Richards (Distrimedic Inc. c Dispill Inc. 2013 CF 1043 au para 13) sous le nom de « The Alternative » (pièce AP‑4), que sa compagnie Distrimedic est le concurrent le plus important de Richards dans le marché canadien et qu’il est le seul donneur d’instructions aux avocats pour les besoins du présent litige. Compte tenu de ces faits et de l’absence de preuve du contraire, il n’est pas déraisonnable de conclure que les connaissances acquises par M. Filiatr[ault] dans le présent litige pourraient influencer certaines décisions futures concernant ses propres produits. Là encore, il n’existe pas de preuve que M. Filiatrault utiliserait ou divulguerait volontairement ces renseignements au détriment de Richards, mais la Cour ne peut pas écarter la possibilité qu’il ne serait pas influencé par ces connaissances supplémentaires qui ne seraient autrement pas accessibles à Distrimedic si ce n’était du litige.
[17]
La protonotaire Steele a également affirmé que la Cour n’avait reçu aucune preuve ni explication en ce qui concerne la raison pour laquelle M. Filiatrault a eu besoin des renseignements techniques de Richards pour mandater un avocat. Elle n’a pas été en mesure de conclure que le préjudice que subirait Distrimedic en raison du maintien des cotes « réservé aux avocats »
serait plus grand que le préjudice que subirait Richards si les cotes n’étaient pas maintenues.
[18]
La protonotaire Steele a validé la cote « réservé aux avocats »
de Richards pour tous les documents contenant des renseignements techniques, à l’exception des documents 23.3, 23.4 et 23.5 (les documents techniques). La protonotaire Steele a fait remarquer que les documents techniques présentent tous un avertissement précisant que les renseignements qu’ils contiennent sont la propriété de Tilton, l’un des fournisseurs de Richards. Elle a affirmé que l’alinéa 1d) de l’entente de confidentialité prévoit que seule l’information d’une partie qui la produit peut être cotée « réservé aux avocats »
et elle a conclu que [traduction] « la Cour n’a pas d’autre solution que de conclure que ces documents sont des documents d’un tiers et que la cote “réservé aux avocats” est invalide et devrait être supprimée »
.
[19]
La protonotaire Steele s’est ensuite penchée sur le seul document demeurant en litige dans le présent appel, le document 91. Le document 91 contient les volumes de ventes de Richards sur des années selon le type de produit, s’il a été vendu au prix régulier ou à rabais ainsi que certains renseignements géographiques. Richards s’inquiétait de la possibilité que le document 91 permette à Distrimedic de comparer ses ventes à celles de Richards afin de déterminer la taille du marché canadien pour divers produits et la part du marché de Richards ainsi que d’estimer les revenus et les bénéfices de Richards pour chaque produit. Distrimedic a fait valoir que le document 91 ne contient pas de renseignements chiffrés, de modèles, de noms de clients ni de rabais et qu’il n’existe aucune justification pour une cote « réservé aux avocats »
.
[20]
La protonotaire Steele était convaincue que l’information qui se trouve dans le document 91 est présumée confidentielle, mais elle n’était pas disposée à valider la cote « réservé aux avocats »
. Elle a tiré des conclusions à la lumière de l’information que contient le document, y compris le fait qu’on y trouve seulement des renseignements d’années antérieures, et elle a qualifié de « non fondées »
les conclusions tirées par M. Proulx dans son affidavit. La protonotaire Steele a également conclu que le témoignage de M. Proulx à l’appui d’une cote « réservé aux avocats »
pour le document 91 a été discrédité en contre‑interrogatoire.
III.
Norme de contrôle et question en litige en appel
[21]
La norme de contrôle applicable aux appels d’ordonnances discrétionnaires des protonotaires est énoncée dans l’arrêt Corporation de soins de santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215 aux paragraphes 66 et 79. Ces ordonnances doivent être examinées selon la norme civile d’appel (Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33) de la façon suivante : 1) la norme de la décision correcte pour les questions de droit et les questions mixtes de fait et de droit lorsqu’il y a un principe juridique isolable; 2) l’erreur manifeste et dominante pour les conclusions de fait et les questions mixtes de fait et de droit.
[22]
La question en litige dans le présent appel est le refus de la part de la protonotaire Steele de valider la cote « réservé aux avocats »
déterminée par Richards en vertu de l’entente de confidentialité en ce qui concerne quatre documents. Le sort de l’appel repose sur mon analyse de l’application par la protonotaire Steele du droit aux faits et des conditions de l’entente de confidentialité et il ne met en cause aucune question de droit pure et isolable. Par conséquent, la Cour doit faire preuve de retenue face aux conclusions de la protonotaire en l’absence d’une erreur manifeste et dominante.
IV.
Analyse
[23]
Deux aspects factuels de la relation d’affaires entre les parties qui ont été reconnus par la protonotaire Steele dans l’ordonnance sur la confidentialité sont cruciaux pour le présent appel :
M. Filiatrault est le fondateur et actuellement l’unique actionnaire, administrateur et employé de Distrimedic. Il est une personne qui possède une expérience et des antécédents considérables dans cette industrie et qui semble avoir des intérêts dans des compagnies associées qui, avec Distrimedic, vendent des produits identiques à ceux de Richards (citation tirée de Distrimedic Inc. c Dispill Inc., 2013 CF 1043 au para 13);
Distrimedicest le concurrent le plus important de Richards dans le marché canadien et M. Filiatrault est l’unique donneur d’instructions pour les besoins du présent litige.
[24]
La protonotaire Steele a affirmé qu’il n’existait pas de preuve non plus démontrant que les produits de Distrimedic sont inférieurs à ceux de Richards ou que M. Filiatrault ou Distrimedic ferait intentionnellement un usage abusif de tout renseignement confidentiel divulgué dans le litige pour se procurer un avantage concurrentiel. Néanmoins, elle s’est demandé si M. Filiatrault pourrait utiliser par inadvertance des renseignements de cette nature au détriment de Richards (Pliteq, au para 27). Compte tenu des faits en l’espèce, la protonotaire Steele a jugé, au paragraphe 49 de l’ordonnance sur la confidentialité, [traduction] « qu’il n’est pas déraisonnable de conclure que les connaissances acquises par M. Filiatr[ault] dans le présent litige pourraient influencer certaines décisions futures concernant ses propres produits »
.
[25]
M. Proulx a expliqué dans son affidavit les antécédents de M. Filiatrault auprès de la division Dispill de Richards. Sa preuve n’est pas contestée par Distrimedic. En fait, Distrimedic n’a produit aucune preuve à l’appui de sa théorie selon laquelle M. Filiatrault devrait avoir accès aux documents en cause (voir Rivard, au para 38). M. Filiatrault était l’un des trois copropriétaires de Dispill Inc. entre 1998 et 2002. En 2002, à la suite d’un différend, le fondateur de Dispill a acheté les actions de M. Filiatrault et du troisième copropriétaire. M. Filiatrault et cette troisième personne ont ensuite pénétré le même secteur d’activités en constituant en société Distrimedic pour livrer concurrence à Dispill. En 2005, Richards a acheté Dispill Inc., y compris certains brevets et savoirs canadiens. Dispill fonctionne maintenant comme une division de Richards.
[26]
Le principe voulant [traduction] « que les employés n’y pensent pas »
qui a été décrit par la protonotaire Steele est reconnu dans la jurisprudence de notre Cour et il fait ressortir l’importance du contexte factuel et concurrentiel pour décider de la validité d’une désignation proposée « réservé aux avocats »
(Rivard, au para 39; Angelcare, au para 20). Les documents techniques et le document 91 sont du genre de ceux auxquels le principe s’applique directement. Chacun contient des renseignements détaillés dont Richards a maintenu la stricte confidentialité. Le paysage concurrentiel dans lequel évoluent les deux plaideurs en tant que grands concurrents n’est pas contesté. Même si rien ne laisse croire que M. Filiatrault utilisera intentionnellement ou malicieusement les renseignements, sa position chez Distrimedic et ses antécédents dans l’industrie en général et chez Dispill ne sont pas non plus contestés (Arkipelago Architecture, par. 20; Lundbeck, au para 9).
Documents 23.3, 23.4 et 23.5 – Renseignements et dessins techniques au sujet de piluliers
[27]
Richards soutient que la protonotaire Steele a commis une erreur manifeste et dominante lorsqu’elle a conclu que l’entente de confidentialité faisait obstacle à une désignation « réservé aux avocats »
dans le cas de renseignements élaborés pour son compte par un tiers, mais décrits comme des renseignements de nature exclusive appartenant au tiers. Richards fait valoir que la combinaison de l’alinéa 1d) et des paragraphes 3 et 26 de l’entente de confidentialité permet à une partie de désigner comme « réservés aux avocats »
des renseignements de tiers qui ont été produits par la partie (et non par le tiers) s’il est démontré que les renseignements sont (1) hautement confidentiels pour la partie appelée à les divulguer et (2) leur divulgation aux employés de la partie appelée à les recevoir causera un préjudice grave aux intérêts exclusifs, commerciaux ou scientifiques de la partie appelée à produire les documents (AB Hassle, au para 29 et 30; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c BNSF Railway Company, 2020 CAF 45, aux para 14, 23 et 24 (CN)).
[28]
Distrimedic n’est pas d’accord avec Richards sur l’interprétation qu’elle fait de l’entente de confidentialité et elle fait valoir qu’étant donné que les documents techniques ont été produits par Richards, et non par Tilton, le paragraphe 3 ne permet pas qu’ils soient désignés comme « réservés aux avocats »
. Distrimedic ajoute que l’information qui se trouve dans les documents est de nature exclusive pour Tilton et que Tilton n’a produit aucune preuve qu’elle allait subir un préjudice si les documents techniques étaient divulgués à M. Filiatrault, un défaut fatal dans la requête de Richards.
[29]
La protonotaire Steele a conclu que les documents techniques n’avaient pas été valablement désignés comme « réservés aux avocats »
, parce qu’il ne s’agissait pas de documents de Richards. Ils avaient plutôt été préparés par Tilton et ils contenaient la légende suivante : (la légende) :
[TRADUCTION]
L’INFORMATION CONTENUE DANS CE DESSIN EST LA PROPRIÉTÉ EXCLUSIVE DE TILTON PLASTIC. TOUTE REPRODUCTION EN PARTIE OU EN TOTALITÉ SANS LA PERMISSION ÉCRITE DE TILTON PLASTIC EST INTERDITE.
[30]
Voici ce qu’a déclaré la protonotaire Steele à ce sujet :
[TRADUCTION]
[51] La seule exception à cette conclusion [« réservé aux avocats »] touche les documents 23.3, 23.4 et 23.5 (qui font partie de la pièce AP‑6). Ces dessins techniques contiennent une mention ou un avertissement précis indiquant que l’information qu’ils contiennent appartient à Tilton et ne peuvent pas être reproduits sans sa permission. (Les documents arborant un logo de RotoMetrics ne contiennent aucun […] avertissement de cette nature). L’alinéa 1d) de l’entente prévoit que seule l’information d’une partie appelée à la produire peut être désignée comme « réservée aux avocats ». Étant donné que Richards n’a produit aucune entente ou document à l’appui du fait que les documents de Tilton devaient être traités comme hautement confidentiels et « réservés aux avocats » (par opposition à RC), la Cour n’a d’autre choix que de conclure que ces documents sont des documents de tiers et que la désignation « réservé aux avocats » est invalide et devrait être supprimée.
(Souligné dans l’original)
[31]
Voici ce que prévoient l’alinéa 1d) et le paragraphe 3 de l’entente de confidentialité :
[TRADUCTION]
1. Pour les besoins de la présente entente :
d) « Renseignement confidentiel – Réservé aux avocats » dans le contexte de la présente entente signifie des renseignements que la partie appelée à les produire prétend de bonne foi qu’ils constituent des renseignements commerciaux ou techniques hautement sensibles;
3. Une partie appelée à produire de l’information aura le droit et une possibilité raisonnable de désigner comme Renseignements confidentiels ou Renseignements confidentiels – Réservés aux avocats les documents, les éléments de preuve matériels et les renseignements, y compris les documents produits par un associé de la partie appelée à les produire ou par un tiers au litige, qu’elle juge constituer des Renseignements confidentiels ou des Renseignements confidentiels – Réservés aux avocats.
[32]
En substance, les documents techniques sont pratiquement identiques aux renseignements que contiennent certains autres documents techniques qui ont été produits pendant le litige par Richards, mais qui avaient été mis au point par ses fournisseurs pour son compte. La protonotaire Steele a validé les désignations « réservé aux avocats »
de ces autres documents techniques similaires que, par commodité, j’appellerai « les documents techniques réservés aux avocats »
. L’élément distinctif des documents techniques est la légende, ce qui a incité la protonotaire Steele à conclure qu’elle n’avait d’autre choix que d’invalider la désignation « réservé aux avocats »
des documents techniques.
[33]
Les documents techniques et « les documents techniques réservés aux avocats »
contiennent certaines configurations, certains dessins et certaines mesures qui ont été ou qui seront utilisés dans les produits que Richards met au point. Simplement dit, ces documents donnent une feuille de route des processus de recherche et développement (R et D) de Richards. Les courriels qui accompagnaient les diverses itérations des documents techniques et des « documents techniques réservés aux avocats »
démontrent que Richards a retenu les services de fournisseurs pour mettre au point des projets de dessin de produit qu’ils présentaient à Richards. Les désignations des « documents techniques réservés aux avocats »
ont été validées par la protonotaire Steele à la lumière de la preuve de M. Proulx. Elle a conclu que la divulgation des « documents techniques réservés aux avocats »
à M. Filiatrault causerait un grave préjudice aux intérêts commerciaux de Richards. Après avoir étudié la preuve de M. Proulx, dans laquelle celui‑ci explique la nature des documents et l’utilisation qu’en fait Richards, je ne relève aucune erreur dans l’analyse de la protonotaire Steele (Rivard, au para 38).
[34]
La protonotaire Steele a centré son analyse des documents techniques sur l’alinéa 1d) de l’entente de confidentialité. Je conclus qu’elle n’a pas commis d’erreur en prenant cette décision. Toutefois, je conclus également que la protonotaire Steele a commis une erreur manifeste et dominante lorsqu’elle est arrivée à la conclusion qu’elle n’avait pas le choix d’invalider la cote « réservé aux avocats »
des documents techniques, parce que l’alinéa 1d) [traduction] « prévoit que seule l’information de la partie appelée à la produire peut être désignée “réservée aux avocats” »
, à l’exclusion des documents techniques.
[35]
La question critique dans l’appel de Richards est l’effet de la légende; il s’agit également de savoir si le fait que Tilton revendique un intérêt exclusif dans l’information que contiennent les documents techniques fait nécessairement échec à la cote « réservé aux avocats »
selon la définition du terme à l’alinéa 1d). Je conclus que ce fait n’a pas cette conséquence.
[36]
Il existe une distinction de but et de résultat entre le fait qu’un tiers se réserve un intérêt exclusif dans l’information et la cote « réservé aux avocats »
rattachée à cette information en application de l’entente de confidentialité. La légende a pour objet d’empêcher Richards de se servir de l’information dans les documents techniques autrement que dans son propre processus de fabrication. Il n’est pas permis à Richards de distribuer ou de vendre cette information à des tiers. Le savoir‑faire en matière de fabrication qui est expliqué dans les documents techniques continue d’appartenir à Tilton. La légende protège la capacité qu’a Tilton de mettre en marché son propre savoir‑faire exclusif en matière de production et ses articles de commerce auprès d’autres clients. La réserve d’un droit exclusif a pour résultat ou pour conséquence d’empêcher Richards de se servir de l’information à d’autres fins que celles prévues dans son entente contractuelle avec Tilton.
[37]
Aux fins de l’entente de confidentialité, la cote « réservé aux avocats »
a pour objet de protéger les intérêts techniques et commerciaux de Richards en empêchant la divulgation de renseignements hautement sensible en R&D à Distrimedic, un concurrent direct. Cette désignation a pour conséquence de limiter l’utilisation qui est faite de l’information « réservée aux avocats »
avant et pendant le litige.
[38]
Le fait que l’information contenue dans les documents techniques est présentée comme étant exclusive à Tilton n’empêche pas Richards de démontrer que le contenu des documents techniques est son information hautement sensible au sens de la définition de l’information « réservée aux avocats »
à l’alinéa 1d). Un intérêt exclusif n’est pas inévitablement un intérêt confidentiel. Bien que l’information que contiennent les documents techniques puisse être exclusive à Tilton, elle n’est pas nécessairement confidentielle ou sensible au plan commercial pour Tilton. Si elle l’était, elle pourrait néanmoins être confidentielle et sensible au plan commercial pour Richards. L’alinéa 1d) de l’entente de confidentialité porte sur la désignation « réservé aux avocats »
par une partie appelée à divulguer de l’information technique confidentielle et sensible, qu’elle lui appartienne ou qu’elle ait été préparée par un tiers en son nom, dans la mesure où la partie appelée à divulguer remplit le critère énoncé dans la décision AB Hassle (AB Hassle, au para 11; CN, aux para 23 et 24). Une interprétation contraire créerait une lacune dans les mesures de protection prévues par l’entente de confidentialité.
[39]
Les documents techniques ont été mis au point par Richards, sous sa direction et pour son compte à l’aide du savoir‑faire de Tilton en matière de fabrication. Rien ne justifie que ces documents auraient pu ou dû être produits dans le présent litige par Tilton. Les documents techniques contiennent des données précises sur le développement de produits et les intérêts commerciaux de Richards, lesquelles deviennent pour Richards (son) information technique hautement sensible.
[40]
Le droit d’accorder une désignation « réservé aux avocats »
appartient exclusivement à Richards et Distrimedic, comme le prévoit le paragraphe 3 de l’entente de confidentialité. Pour réussir à défendre une désignation, Richards ou Distrimedic doit démontrer que la divulgation des documents ou de l’information en question compromettrait ses propres intérêts commerciaux. En ce qui concerne les documents techniques, la question dont était saisie la protonotaire Steele et dont est maintenant saisie notre Cour concerne l’effet de la divulgation sur les intérêts de Richards. Le fait que Tilton n’a produit aucune preuve sur la nature confidentielle et sensible (pour elle) de l’information qu’elle prétend exclusive n’est pas déterminant.
[41]
L’information que contiennent les documents techniques a été constamment traitée comme confidentielle par Richards et elle est sensible aux plans commercial et technique pour Richards. Distrimedic n’a produit aucune preuve pour contester le témoignage de M. Proulx à cet égard et Distrimedic n’a pas non plus démontré la nécessité que les documents techniques lui soient divulgués aux fins du présent litige.
[42]
Comme je l’ai mentionné ci‑dessus, la protonotaire Steele a conclu que (1) l’information que contiennent tous les documents techniques divulgués par Richards était objectivement confidentielle et (2) que la divulgation à Distrimedic et à M. Filiatrault de l’information contenue dans les documents techniques « réservés aux avocats »
causerait un préjudice grave à Richards. Je conclus que les renseignements sur la configuration et le prototype que contiennent les documents techniques ne sont pas différents. Le fait d’invalider leur désignation « réservé aux avocats »
et de divulguer les documents techniques à M. Filiatrault causerait un préjudice grave à Richards et, en fait, amenuiserait l’utilité de la désignation « réservé aux avocats »
des documents techniques « réservés aux avocats »
. Comme l’a affirmé l’avocat de Richards dans son argumentation, la divulgation des documents techniques à M. Filiatrault lui permettrait d’apprendre à connaître les produits futurs de Richards avant que Richards n’ait la possibilité de les mettre en marché.
[43]
Je statue que les documents techniques peuvent à bon droit être considérés comme des renseignements confidentiels de Richards au sens de l’alinéa 1d) de l’entente de confidentialité. La protonotaire Steele a commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’elle devait se limiter à statuer que les documents techniques ne pouvaient pas être cotés « réservé aux avocats »
. Cette erreur est manifeste et déterminante en ce qui concerne le refus de la protonotaire Steele de valider la cote « réservé aux avocats »
accordée par Richards aux documents techniques.
[44]
Le paragraphe 3 de l’entente de confidentialité est rédigé de façon médiocre et a donné lieu à des argumentations considérables dans le cadre de ces requêtes. Voici comment on pourrait paraphraser les éléments constitutifs de ce paragraphe :
Une partie appelée à produire (en l’espèce Richards) a le droit de désigner des documents
« réservés aux avocats »
;Certains documents,
« y compris les documents produits par un associé de la partie appelée à les produire ou par un tiers »
;Qu’
« elle »
juge constituer des renseignements« réservés aux avocats »
.
[45]
Le premier élément est simple. Richards a le droit de désigner des documents « réservés aux avocats »
. Le troisième élément doit être interprété parallèlement à l’alinéa 1d) et à la définition de « réservé aux avocats »
. Je trouve que le mot « elle »
dans le troisième élément fait référence à la partie appelée à produire (Richards) et non à l’associée ou à la tierce partie (Tilton). Richards doit établir que les documents techniques constituent de l’« information que la partie appelée à la produire [Richards] prétend de bonne foi qu’[elle] constitue des renseignements commerciaux ou techniques hautement sensibles »
(alinéa 1d)).
[46]
Richards et Distrimedic ne s’entendent pas sur la signification du deuxième élément du paragraphe 3 et sur celle de la phrase « y compris les documents produits par un associé de la partie appelée à les produire ou par un tiers »
. Richards fait valoir que ce paragraphe porte aussi sur les documents préparés par un tiers ou exclusifs à celui‑ci, mais qui ont été produits par une partie dans le cadre du litige. Distrimedic s’en remet aux mots « produits par »
au paragraphe 3 pour soutenir que les documents en question doivent avoir été produits par un associé ou un tiers. Distrimedic affirme que ce paragraphe ne permet pas à Richards de revendiquer une cote « réservé aux avocats »
, parce que les documents techniques ont été produits par Richards, et non par Tilton.
[47]
Je suis d’accord avec Richards sur le fait que le paragraphe 3 porte sur la production de documents par une partie au litige ainsi que par un associé ou un tiers. Les termes « y compris »
n’ont pas un sens exhaustif. Ils élargissent plutôt la gamme des documents susceptibles de relever du champ d’application de l’entente de confidentialité. Le paragraphe 3 est la disposition de l’entente qui produit des effets juridiques, puisqu’il accorde à chacune des parties le droit d’octroyer des cotes RC et « réservé aux avocats »
. L’alinéa 1d) est purement définitionnel. L’interprétation restrictive que fait Distrimedic du paragraphe 3 ferait en sorte que seuls les documents produits par un associé ou un tiers pourraient être protégés par les désignations RC ou « réservé aux avocats »
en vertu de l’entente de confidentialité.
Document 91 – Renseignements commerciaux et opérationnels
[48]
Le document 91 regroupe une série de tableaux détaillés qui font état des ventes unitaires par produit de Richards entre 2005 et 2019. Les divers tableaux détaillent ces ventes sur une base mensuelle et établissent une distinction entre les ventes au Québec et celles dans les autres provinces. Les tableaux indiquent le nombre de produits vendus à prix régulier, à rabais et dans le cadre de promotions spéciales.
[49]
M. Proulx a décrit la nature des renseignements que contient le document 91 et leur utilisation par Richards. Il a donné son avis sur les renseignements dommageables au plan commercial que M. Filiatrault serait en mesure de dériver des données détaillées de Richards sur ses ventes. Voici le témoignage qui se trouve dans l’affidavit de M. Proulx au sujet du document 91 :
- étant donné que Richards et Distrimedicsont des concurrents directs dans un marché en grande partie dominé par elles au Canada, l’information permettrait à Distrimedicde comparer ses ventes à celles de Richards afin de déterminer la taille globale du marché canadien et la part de marché de Richards. Distrimedicserait également en mesure d’estimer les revenus et les bénéfices de Richards pour chaque produit qu’elle a mis au point au fil des ans;
- Richards se sert de ses chiffres et de ses volumes de ventes, de sa pénétration du marché et de renseignements sur sa part de marché pour exploiter son entreprise et M. Proulx a présumé que Distrimedicfait la même chose;
- l’information que contient le document 91 est hautement sensible, elle permettrait à Distrimedicde prendre des décisions d’affaires basées sur les renseignements exclusifs de Richards et elle procurerait à Distrimedicune compréhension extrêmement utile de la santé des affaires de Richards au Canada.
[50]
Richards fait valoir que la protonotaire Steele a commis deux erreurs manifestes et dominantes lorsqu’elle a invalidé la cote « réservé aux avocats »
du document 91. Richards affirme que la protonotaire Steele a fait erreur quand elle a conclu que (1) la preuve dont elle était saisie à l’appui du contenu confidentiel et sensible du document 91 se limitait à deux paragraphes de l’affidavit de M. Proulx et (2) la preuve par affidavit de M. Proulx avait été discréditée en contre‑interrogatoire. Richards soutient que la première conclusion de la protonotaire Steele passe sous silence le contenu détaillé du document 91 lui‑même et de la description par M. Proulx des renseignements commerciaux stratégiques qui peuvent être dérivés de ce contenu. Richards fait également valoir que l’analyse et les avis de M. Proulx en ce qui concerne le document 91 ainsi que la capacité de Distrimedic d’extrapoler à partir de l’information que Richards divulgue n’ont pas été contredits en contre‑interrogatoire.
[51]
Pour sa part, Distrimedic soutient que le témoignage de M. Proulx a été discrédité en contre‑interrogatoire et que le document 91 ne permettrait pas à M. Filiatrault d’établir les renseignements stratégiques décrits par M. Proulx. Distrimedic fait ressortir le fait que le document 91 ne contient aucune information sur l’établissement des prix par Richards ni sur la part de marché de ses produits Dispill. En dernier lieu, Distrimedic affirme que la Cour doit faire preuve de déférence à l’égard des conclusions de la protonotaire Steele sur la crédibilité et que les conclusions que celle‑ci a tirées dans l’ordonnance sur la confidentialité n’étaient pas manifestement erronées.
[52]
Voici la conclusion de la protonotaire Steele en ce qui concerne le document 91 :
[TRADUCTION]
[55] La Cour est prête à accepter que le document soit coté RC. Toutefois, le témoignage de M. Proulx n’étaye pas une désignation « réservé aux avocats ». L’ensemble de la preuve de Richards repose sur les paragraphes 67 et 68 de l’affidavit de M. Proulx, qui ont été discrédités en contre‑interrogatoire. La Cour ne réussit pas à trouver quelque preuve corroborante que ce soit de l’affirmation de Richards selon laquelle la connaissance de l’information que contient la pièce AP‑8 pourrait influer sur les futures décisions d’affaires de M. Filiatrault ou de Distrimedic. Une grande partie des renseignements que contient la pièce AP‑8 concerne les années antérieures. La façon dont cette information pourrait servir à faire reposer, même par inadvertance, les stratégies de maketing [sic] ou de vente de Distrimedic n’a pas été expliquée. En outre, aucune explication n’a été fournie quant à la manière dont Richards pourrait subir un préjudice si l’information était divulguée à Distrimedic ou à M. Filiatrault (Pliteq, au para 10). La Cour ne peut pas accorder le redressement demandé par Richards en se fondant sur les allégations non étayées dans l’affidavit de M. Proulx, en particulier compte tenu du fait qu’il n’est pas apparent à la face même du document que l’information qu’il contient permettrait à Distrimedic ou à M. Filiatrault de faire ce que Richards laisse entendre qu’ils pourraient faire, c.‑à‑d. comparer les ventes de Distrimedic à celles de Richards, déterminer la taille du marché canadien pour des feuilles protectrices et des piluliers et la part de marché de Richards ainsi qu’estimer les revenus et les bénéfices de Richards pour chaque produit qu’elle a mis au point au fil des ans.
[53]
Je statue que la protonotaire Steele a commis une erreur dans sa conclusion selon laquelle le témoignage de M. Proulx avait été discrédité en contre‑interrogatoire. Je conclus que cette erreur était manifeste, selon la transcription, et qu’elle a été déterminante quant à son refus de maintenir la désignation « réservé aux avocats »
du document 91.
[54]
J’ai passé en revue le passage pertinent de la transcription. L’avocat de Distrimedic a posé à M. Proulx une série de questions qui étaient axées sur l’information que le document 91 ne contient pas (numéros de modèle, chiffres de ventes (et de rabais), part de marché). M. Proulx a répondu franchement aux questions, mais il n’a pas contredit le témoignage que reproduit son affidavit. Ses admissions concernant l’absence d’information dans l’affidavit n’affaiblissent pas son témoignage en ce qui concerne les utilisations que M. Filiatrault pourrait faire de l’information qui se trouve dans le document 91. Cette preuve, jumelée à l’explication fournie par M. Proulx quant à l’importance du contenu du document, demeure non contestée.
[55]
Le document 91 contient des renseignements détaillés sur les ventes d’unités, par produit au Canada, au cours d’une période appréciable. Il présente également des renseignements sur les ventes régionales et il constitue une matrice pour un examen des affaires de Dispill par ventes d’unités, régions géographiques et stratégies de rabais. Comme l’a déclaré M. Proulx dans son affidavit, étant donné que les parties sont des concurrents directs qui se partagent la majorité du marché total de l’industrie au Canada, les renseignements permettraient à Distrimedic d’additionner ses ventes d’unités à celles de Richards pour déterminer la taille du marché canadien ainsi que les parts de marché de Richards, non seulement en général, mais produit par produit. M. Proulx est également d’avis que les renseignements sur les ventes de Richards permettraient aussi à Distrimedic d’estimer les revenus et les bénéfices de Richards pour chaque produit mis au point au cours des années, compte tenu de la connaissance du marché et de ses moteurs économiques que possède M. Filiatrault.
[56]
À titre d’exemple, Distrimedic fait valoir que la ventilation géographique dans le document 91 se limite au Québec et aux autres provinces. Toutefois, Distrimedic n’a produit aucun élément de preuve donnant à penser que la ventilation qui figure dans le document 91 n’est pas une ventilation critique pour le marché canadien, et elle n’a produit aucune preuve concernant les difficultés d’estimer la part de marché une fois en possession des renseignements sur les ventes de Richards. En contre‑interrogatoire, M. Proulx a admis qu’il ne connaissait pas la ou les parts du marché canadien occupées par Distrimedic. Distrimedic soutient que cette admission affaiblit l’utilité du document 91, mais je suis d’accord avec Richards sur le fait que l’admission fait ressortir l’importance pour chacune des parties de maintenir la confidentialité de ses propres renseignements segmentés sur les ventes. Ni l’une ni l’autre des parties ne peuvent raisonnablement évaluer le marché total pour leurs produits sans l’information de l’autre.
[57]
La protonotaire Steele a exprimé des réserves quant à la possibilité que le document 91 contienne des renseignements financiers historiques, mais le fait qu’il porte sur des années d’exploitation antérieures de Richards ne suffit pas pour en empêcher l’utilisation comme valeur prédictive des activités opérationnelles futures de Richards. La justification de l’affirmation de M. Proulx selon laquelle la connaissance des renseignements contenus dans le document 91 pourrait influer sur les décisions d’affaires futures de M. Filiatrault repose sur la nature détaillée du document lui‑même et sur les avis et explications que M. Proulx a fournis dans son affidavit.
[58]
Je conclus que les renseignements détaillés que contient le document 91 et l’explication par M. Proulx du fait que les stratégies de vente et de mise en marché de Distrimedic pourraient reposer sur cette information étayent la position de Richards voulant que la divulgation du document 91 à Distrimedic et à M. Filiatrault causerait un préjudice concurrentiel grave. Je statue que la protonotaire Steele a commis une erreur dans son appréciation du contenu du document et dans sa conclusion selon laquelle il n’était pas apparent que l’information qu’il contient permettrait les extrapolations décrites par M. Proulx.
[59]
La protonotaire Steele a reconnu que l’information qui se trouve dans le document 91 a été accumulée par Richards dans l’attente raisonnable qu’elle demeurerait confidentielle. Je conclus que Richards a satisfait aux critères nécessaires pour désigner le document 91 « réservé aux avocats »
et que la conclusion contraire de la protonotaire Steele est une erreur manifeste et dominante.
V.
Conclusion concernant l’appel partiel par Richards de l’ordonnance sur la confidentialité
[60]
En résumé, j’ai conclu que les cotes « réservé aux avocats »
des documents 23.3, 23.4, 23.5 et 91 sont valides en application de l’alinéa 1d) et des paragraphes 3, 8 et 22 de l’entente de confidentialité. L’appel par Richards des paragraphes 5 et 7 de l’ordonnance formelle que contient l’ordonnance sur la confidentialité est accueilli.
VI.
Appel incident de Distrimedic – Demande de procès de novo
[61]
Au moyen d’un appel incident, Distrimedic demande que l’affaire soit renvoyée à la protonotaire Steele pour un nouvel examen si je fais droit à l’appel par Richards des paragraphes 5 et 7 de l’ordonnance sur la confidentialité. Selon Distrimedic, si la protonotaire Steele a commis des erreurs manifestes et dominantes dans son analyse des documents 23.3, 23.4, 23.5 et 91, tout le fondement de son analyse est remis en question et celle‑ci doit être reprise.
[62]
Richards fait valoir (1) que l’appel par Distrimedic de l’ordonnance sur la confidentialité est hors délai en vertu des Règles et (2) que les Règles ne prévoient rien quant à un « appel incident »
d’un appel fondé sur l’article 51 d’une ordonnance d’un protonotaire. Au fond et en tout état de cause, Richards fait valoir qu’un réexamen de ses cotes « réservé aux avocats »
est à la fois impensable et superflu, étant donné que les erreurs en question sont distinctes et ne remettent pas en doute l’ensemble de l’analyse de la protonotaire Steele.
[63]
Peu importe si un appel incident est permis par les Règles, je suis du même avis que Richards et je vais rejeter la requête incidente de Distrimedic. Je ne vois aucun motif pour ordonner un réexamen par la Cour de l’ordonnance sur la confidentialité de la protonotaire Steele ni des cotes « réservé aux avocats »
de Richards. Je ne souscris pas à l’observation de Distrimedic selon laquelle il existe une contradiction entre la découverte d’erreurs précises et déterminantes dans l’analyse des documents techniques et du document 91 par la protonotaire Steele et la confirmation de son analyse et de son application du critère AB Hassle au reste des documents. Les erreurs que j’ai relevées dans l’analyse de la protonotaire Steele sont ponctuelles et n’influent aucunement sur son analyse des autres documents. Les parties conviennent que la protonotaire Steele a correctement résumé le droit dans l’ordonnance sur la confidentialité. Son analyse des principes applicables aux désignations « réservé aux avocats »
n’est pas contestée. La façon dont la protonotaire Steele a appliqué ces principes à la preuve dont elle était saisie ne comporte pas d’erreur, sauf celles qui sont décrites dans la présente ordonnance et ses motifs.
VII.
Version publique de l’ordonnance sur la confidentialité
[64]
Au cours de l’instruction de l’appel et de l’appel incident, Richards et Distrimedic ont demandé que je me penche sur la question de savoir si les passages caviardés de la version publique de l’ordonnance sur la confidentialité (l’ordonnance publique du 2 mars 2020) devraient être conservés comme étant « réservés aux avocats »
. En raison de cette désignation, l’avocat de Distrimedic ne peut pas fournir la version non caviardée de l’ordonnance sur la confidentialité à Distrimedic ni à M. Filiatrault. Les renseignements caviardés concernent uniquement les estimations de M. Proulx en contre‑interrogatoire en ce qui concerne le pourcentage respectif de la part de marché des parties par rapport à l’industrie.
[65]
Les pourcentages ont été caviardés par Richards dans la transcription et ont été cotés « réservés aux avocats »
, parce qu’ils ont été calculés à partir des renseignements sur les ventes de Richards qui se trouvent dans le document 91 et en tenant compte de l’expérience de M. Proulx dans l’industrie. Richards fait valoir que les estimations de M. Proulx doivent aussi être « réservées aux avocats »
si je conclus que le document 91 est coté à bon droit « réservé aux avocats »
. Distrimedic soutient que les pourcentages ne sont pas fondés sur des données ou une étude de marché, mais qu’ils reposent simplement sur la conviction et l’intuition de M. Proulx. Il s’ensuit que leur divulgation à Distrimedic ne causerait pas de préjudice grave à Richards.
[66]
J’ai passé en revue les passages caviardés dans l’ordonnance publique et la transcription et j’ai tenu compte du fait que ma conclusion selon laquelle la désignation par Richards du document 91 comme « réservé aux avocats »
est valide. L’une des observations formulées par Richards à l’appui de sa cote « réservé aux avocats »
indiquait que la divulgation du document 91 à M. Filiatrault lui permettrait d’extrapoler les parts de marché de Richards pour ses produits, parce qu’il serait alors en possession de l’information pertinente des deux grands acteurs de l’industrie. Toutefois, les renseignements que contient le document 91 sont sensiblement différents des estimations par M. Proulx de la part de marché totale de chaque compagnie.
[67]
Le document 91 présente les ventes mensuelles de Richards, ses produits, ses rabais et ses renseignements géographiques. La nature détaillée de cette information a été centrale dans la défense Richards de sa cote « réservé aux avocats »
ainsi que dans ma conclusion selon laquelle la divulgation du document 91 à Distrimedic causerait un préjudice grave à Richards. Les estimations que M. Proulx a formulées en réponse à des questions concernant la taille du marché canadien pour les produits de Dispill et de Distrimedic sont nettement différentes. Dans ses réponses, M. Proulx n’a divulgué aucune donnée sur les finances, les produits ou les rabais ni de renseignements géographiques appartenant à Richards. Tout au plus, l’évaluation par M. Proulx de la part du marché de l’industrie qu’occupe Richards permettrait à M. Filiatrault de mieux apprécier la part de marché de Distrimedic, la part collective des autres acteurs de l’industrie et, peut‑être, la taille du marché global.
[68]
La jurisprudence qui porte sur la désignation « réservé aux avocats »
traite d’un préjudice commercial grave fondé sur des allégations plus solides que de simples affirmations. Je ne puis conclure que la divulgation des estimations de M. Proulx à Distrimedic entraînerait des conséquences néfastes graves au plan commercial pour Richards.
[69]
Je conclus donc que la désignation « réservé aux avocats »
par Richards des pourcentages estimatifs fournis par M. Proulx en contre‑interrogatoire est invalide, mais que les pourcentages estimatifs sont des RC. Une copie de l’ordonnance sur la confidentialité peut être remise à Distrimedic à titre de RC, au sens de l’entente de confidentialité.
VIII.
Dépens
[70]
Richards demande les dépens dans les présentes requêtes ainsi que dans la requête présentée par Distrimedic dans le présent dossier de la Cour pour interjeter appel de l’ordonnance de la protonotaire Steele concernant le privilège, également datée du 10 février 2020 (l’ordonnance sur le privilège), le tout se chiffrant à 6 000 $ tout inclus et payable sans délai. La requête sur le privilège et deux requêtes sur lesquelles je me suis penchée dans la présente ordonnance et les motifs qui l’accompagnent ont été instruites devant moi au cours d’une seule audience.
[71]
Le montant des dépens demandés par Richards est raisonnable, compte tenu de la complexité des trois requêtes, mais une ordonnance portant que les dépens adjugés doivent être payés sans délai n’est pas justifiée.
[72]
Des dépens d’un montant total unique de 6 000 $, y compris les taxes et les débours, sont adjugés à Richards à l’égard (1) de la présente requête et de la requête incidente et (2) de la requête de Distrimedic interjetant appel de l’ordonnance sur le privilège, que j’ai rejetée dans une ordonnance et des motifs de la même date que la présente.
ORDONNANCE dans le dossier T‑1606‑18
LA COUR :
Ordonne que l’appel interjeté par Richards Packaging Inc., la demanderesse, est accueilli et que les paragraphes 5 et 7 de l’ordonnance de la protonotaire Alexandra Steele, la juge chargée de la gestion de l’instance, datée du 10 février 2020 (l’ordonnance sur la confidentialité) sont annulés.
Ordonne que la requête concernant l’appel incident de l’ordonnance sur la confidentialité par Distrimedic Inc., la défenderesse, est rejetée.
Déclare que les désignations (« réservé aux avocats ») des documents 23.3, 23.4, 23.5 et 91 sont valides en application de l’alinéa 1d) et des paragraphes 3, 8 et 22 de l’entente de confidentialité du 1er avril 2019.
Déclare que la désignation
« réservé aux avocats »
des pourcentages estimatifs fournis par M. Proulx en contre‑interrogatoire devant Distrimedicet figurant dans la transcription de son contre‑interrogatoire n’est pas valide et permet que ces pourcentages estimatifs soient cotés« Renseignements confidentiels »
en vertu de l’entente de confidentialité.Ordonne que les dépens d’un montant total unique de 6 000 $, y compris les taxes et les débours, sont adjugés à la demanderesse à l’égard (1) de la présente requête et de la requête incidente et (2) de la requête de la défenderesse interjetant appel d’une ordonnance distincte de la protonotaire Alexandra Steele concernant le privilège et également datée du 10 février 2020, laquelle a été rejetée par une ordonnance de la juge Walker de la même date que les présentes.
« Elizabeth Walker »
Juge
Traduction certifiée conforme
Claude Leclerc
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
T‑1606‑18
|
INTITULÉ :
|
RICHARDS PACKAGING INC. c DISTRIMEDIC INC.
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE MONTRÉAL, Québec, ET Ottawa, Ontario
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
LE 22 JUILLET 2020
|
ordONNANCE ET MOTIFS :
|
LA JUGE WALKER
|
DATE DES MOTIFS :
|
LE 17 DÉCEMBRE 2020
|
COMPARUTIONS :
François Guay
Guillaume Lavoie Ste‑Marie
Marie‑Christine Bernier
|
POUR LA demanderesse
|
Brian Daley
Bianca Pietracupa
|
POUR LA défenderesse
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Smart & Biggar
Avocats
Montréal, Québec
|
POUR LA demanderesse
|
Norton Rose Fulbright
Canada LLP
Avocats
Montréal, Québec
|
POUR LA défenderesse
|