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Date : 20210112


Dossier : T-1408-19

Référence : 2021 CF 45

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 janvier 2021

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

FRANCINE SÉGUIN

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision du sous-ministre des Pêches et des Océans, M. Timothy Sargent (l’administrateur général), qui a conclu que le poste de la demanderesse au ministère des Pêches et des Océans (le MPO) doit demeurer classifié aux groupe et niveau AS-05 (la décision contestée).

[2] La demanderesse soutient que la décision contestée est déraisonnable pour trois motifs : l’administrateur général a refusé de classifier le poste de la demanderesse au-delà du 1er avril 2016; l’administrateur général a mal appliqué les principes de classification, et l’administrateur général n’a pas procédé à une analyse de la relativité entre le poste de la demanderesse et les postes de comparaison. La demanderesse soutient en outre que l’administrateur général a fait preuve de partialité, manquant ainsi son obligation d’équité procédurale.

[3] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision contestée est déraisonnable, car l’administrateur général n’a pas raisonnablement appliqué les principes de classification. La présente demande de contrôle judiciaire est donc accueillie.

II. Les faits

[4] Avant d’examiner les faits particuliers de l’espèce, j’estime utile de décrire d’abord la procédure de classification.

A. La procédure de classification

[5] Le poste de la demanderesse est classifié selon la norme de classification du groupe des Services administratifs (la norme du groupe AS). La norme du groupe AS définit les facteurs et les sous-facteurs se rapportant aux fonctions, chacun comportant des degrés différents. Pour classifier un poste, la description de travail du poste est évaluée en fonction du facteur ou du sous-facteur défini dans la norme du groupe AS. Plus le degré exigé d’un poste est élevé à l’égard d’un facteur ou d’un sous-facteur donné, plus le nombre de points attribués à ce poste sera élevé. Le nombre total de points détermine la classification du poste (Adamidis c Canada (Conseil du Trésor), 2006 CF 243 [Adamidis] au para 9).

[6] Le tableau suivant présente les facteurs et les sous-facteurs visés par la norme du groupe AS :

Facteur

  • Sous-facteur

Valeur minimum

Valeur maximum

Connaissances

  • Instruction et expérience
  • Études (s’entend de la nécessité de se tenir au courant des tendances et des progrès qui s’observent dans un ou plusieurs domaines connexes aux fonctions du poste)

60

10

300

50

Décisions

70

350

Responsabilité attachée aux contacts

26

130

Surveillance

0

170

[7] À titre d’exemple, le tableau suivant présente l’échelle de notation du sous-facteur « Connaissances – Études » :

Degré

Description

Points

1

Ce travail exige des connaissances dans les lois et les règlements, les lignes de conduite et les méthodes ayant rapport à l’exécution du travail; ces connaissances s’acquièrent par l’étude des directives et des manuels publiés par les ministères et les organismes centraux.

10

2

Ce travail exige des connaissances dans les tendances et les progrès dans une spécialité administrative ou technique directement rattachée aux fonctions à remplir; ces connaissances s’acquièrent par l’étude de textes, de journaux et de périodiques.

30

3

Ce travail exige le perfectionnement et le maintien de connaissances approfondies dans une spécialité administrative ou technique, grâce à des études intensives d’une grande portée; OU des connaissances de la nature et de la corrélation des tendances et des progrès dans plusieurs domaines, par l’étude d’une grande variété de textes, journaux et périodiques.

50

[8] La norme du groupe AS décrit également les postes-repères. Chaque poste-repère comprend un résumé du poste et une description des particularités du poste en fonction des facteurs et des sous-facteurs définis dans la norme du groupe AS. Les postes à classifier sont comparés aux postes-repères afin de déterminer leur classification appropriée. Si un poste s’apparente à un poste-repère à l’égard d’un facteur ou d’un sous-facteur particulier, il obtiendra alors la même note que le poste-repère (Adamidis au para 9).

[9] Conformément à l’alinéa 11.1(1)b) et au paragraphe 11.2(1) de la Loi sur la gestion des finances publiques, LRC 1985, c F-11, les administrateurs généraux possèdent le pouvoir délégué de classifier les postes au sein de l’administration publique centrale. Le Comité de classification des professions (le CCP) peut examiner les classifications. Le CCP est un comité établi par l’employeur qui fait des recommandations concernant la classification de postes donnés.

[10] Lorsqu’un employé est insatisfait d’une décision de classification, un grief de classification peut être déposé en vertu de l’alinéa 208(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, LC 2003, c 22, art 2. La Directive sur les griefs de classification du Conseil du Trésor (la Directive sur les griefs) régit le processus de règlement des griefs de classification. Elle a été modifiée le 1er avril 2020; c’est donc sa version antérieure qui s’applique à la décision contestée. Les dispositions mentionnées ci-dessous ne reflètent donc pas la version actuelle de la Directive sur les griefs.

[11] Les griefs de classification sont examinés par le comité de règlement des griefs de classification (le CRGC), qui présente ensuite à l’administrateur général une recommandation sur la classification du poste faisant l’objet du grief : Directive sur les griefs, art 6.4.2. À la réception du rapport du CRGC, l’administrateur général doit approuver ou rejeter la ou les recommandations du CRGC : Directive sur les griefs, annexe B, art 4.1.1. Si l’administrateur général rejette la recommandation du CRGC, il doit fournir les raisons de ce rejet, lesquelles doivent être « liées directement à la justification avancée par le [CRGC] à l’appui de ses recommandations » : Directive sur les griefs, annexe B, art 4.1.1b).

[12] Les employés qui sont insatisfaits d’une décision sur un grief de classification peuvent présenter une demande de contrôle judiciaire (Canada (Procureur général) c Gilbert, 2009 CAF 76 au para 18).

B. La demanderesse

[13] La demanderesse est une employée du MPO qui occupe le poste de chef d’équipe nationale du Bien-être en milieu de travail au sein des ressources humaines (RH). Le 4 décembre 2015, la description de travail du poste de la demanderesse a été mise à jour et classifiée au niveau AS-05, conformément à la norme du groupe AS (la description de travail), avec une application rétroactive au 1er janvier 2010. La description de travail a ensuite été envoyée au CCP à des fins d’examen.

[14] Le 1er avril 2016, les fonctions et le superviseur de la demanderesse ont changé en raison d’une restructuration au sein des RH. Par conséquent, le MPO a demandé un deuxième examen du poste de la demanderesse afin de tenir compte des changements survenus à la suite de la restructuration. Ce deuxième examen n’est pas visé par la présente demande de contrôle judiciaire.

[15] En mars 2017, le CCP a rédigé un rapport provisoire recommandant que la description de travail soit classifiée au niveau AS-06, conformément à la norme du groupe AS (le rapport provisoire). Le rapport provisoire n’a pas été signé par tous les membres du CCP, n’a pas été inscrit dans le système de gestion des RH et n’a pas été fourni à la demanderesse ou à son syndicat.

[16] Dans le rapport provisoire, le CCP a recommandé que le facteur « Surveillance » de la description de travail passe du degré A1 au degré A2, car la demanderesse supervisait un à trois employés, dont l’un était classifié au niveau intermédiaire (c.-à-d. AS‑04). Ce changement apporté au facteur « Surveillance » était suffisant pour que la description de travail soit reclassifiée au niveau AS-06.

[17] Le 30 mars 2017, un membre du CCP a envoyé le rapport provisoire à la directrice de la classification du MPO, Mme Catherine Taubman. Le 3 avril 2017, Mme Taubman a répondu au membre du CCP et lui a demandé de [traduction] « rédiger [un rapport sur] le nouveau poste AS‑05 ».

[18] Le 5 juillet 2017, le CCP a publié un rapport final, qui recommandait que la description de travail demeure classifiée au groupe et niveau AS-05 (le rapport final). Le rapport final a conclu que le facteur « Surveillance » du poste de la demanderesse ne devrait pas passer du degré A1 au degré A2, car la demanderesse n’avait supervisé aucun employé de rang intermédiaire depuis le 7 janvier 2010.

[19] Après avoir reçu le rapport final, le MPO a décidé de maintenir la classification de la description de travail au niveau AS-05. Le 20 juillet 2017, la demanderesse a déposé un grief à l’encontre de cette décision et a demandé que la description de travail soit reclassifiée à la hausse et que la reclassification soit rétroactive au 1er janvier 2010.

[20] Dans un rapport daté du 29 mai 2019, déposé en réponse au grief de la demanderesse, le CRGC a recommandé que la description de travail soit classifiée au niveau AS-06. Le CRGC a conclu que le sous-facteur « Connaissances – Études » et les facteurs « Responsabilité attachée aux contacts » et « Surveillance » devraient être rajustés à la hausse. Le rapport du CRGC et des documents à l’appui ont ensuite été fournis à l’administrateur général.

[21] Dans la décision contestée, datée du 29 juillet 2019, l’administrateur général a rejeté la recommandation du CRGC de classifier la description de travail au niveau AS-06 et a maintenu sa classification au niveau AS-05. La demanderesse saisit maintenant la Cour d’une demande de contrôle judiciaire de cette décision.

C. La décision faisant l’objet du contrôle

[22] L’administrateur général a conclu que la classification de la description de travail ne s’applique qu’à la période du 1er janvier 2010 au 1er avril 2016. L’administrateur général a fait remarquer qu’à la suite de la restructuration des RH, qui a eu lieu le 1er avril 2016, la demanderesse a été transférée d’une unité organisationnelle à une autre, qu’elle a changé de superviseur et que ses fonctions ont été modifiées, notamment par la suppression de ses responsabilités de supervision. L’administrateur général a également fait remarquer que le CRGC n’avait qu’une seule description de travail à évaluer, car la description n’a pas été mise à jour après la restructuration du MPO.

[23] Compte tenu de ce qui précède, l’administrateur général a demandé à la direction de mettre à jour la description de travail de la demanderesse afin de tenir compte des changements survenus après le 1er avril 2016. Dans l’éventualité où l’examen de la nouvelle description par le CCP entraînerait la hausse du niveau de classification, l’administrateur général a ordonné que la classification de la nouvelle description soit rétroactive au 1er avril 2016.

[24] L’administrateur général a fait remarquer que le CCP et le CRGC sont arrivés à deux conclusions contradictoires : le premier a recommandé que la description de travail demeure au niveau AS-05, tandis que le second a recommandé qu’elle soit reclassifiée au niveau AS-06. En confirmant la recommandation du CCP, l’administrateur général a rejeté la recommandation du CRGC selon laquelle le sous-facteur « Connaissances – Études » et les facteurs « Responsabilité attachée aux contacts » et « Surveillance » de la description de travail devraient être rajustés à la hausse. Chacun de ces facteurs sera examiné à tour de rôle.

(1) Connaissances – Études

[25] L’administrateur général a accepté la recommandation du CCP d’évaluer la description de travail au degré 2 sous le sous-facteur « Connaissances – Études » et a rejeté la recommandation du CRGC de hausser cette évaluation au degré 3.

[26] La norme du groupe AS définit ainsi le degré 2 et le degré 3 du sous-facteur « Connaissances – Études » :

Degré 2

Ce travail exige des connaissances dans les tendances et les progrès dans une spécialité administrative ou technique directement rattachée aux fonctions à remplir; ces connaissances s’acquièrent par l’étude de textes, de journaux et de périodiques.

Degré 3

Ce travail exige le perfectionnement et le maintien de connaissances approfondies dans une spécialité administrative ou technique, grâce à des études intensives d’une grande portée; OU des connaissances de la nature et de la corrélation des tendances et des progrès dans plusieurs domaines, par l’étude d’une grande variété de textes, journaux et périodiques.

[27] L’administrateur général était d’accord avec la recommandation du CCP selon laquelle le poste-repère équivalent approprié pour le poste de la demanderesse à l’égard de ce sous-facteur était le poste-repère 5, qui est évalué au degré 2. L’administrateur général a conclu que, tant dans le poste-repère 5 que dans la description de travail, les connaissances relatives aux tendances et aux progrès directement liés aux fonctions exercées sont acquises par [traduction] « l’étude continue de périodiques et d’autres publications liées aux responsabilités du poste ».

[28] L’administrateur général était d’accord avec la conclusion du CCP selon laquelle la description de travail avait une portée moins grande à l’égard de ce sous-facteur que le poste-repère 9, qui est évalué au degré 3. L’administrateur général a fait remarquer que, dans sa présentation au CRGC, la demanderesse a indiqué que les documents de référence qui font régulièrement l’objet de ses lectures ou de ses recherches sont des bulletins d’information, des bulletins, des sites Web, des coupures de presse, des médias sociaux et d’autres sources externes. L’administrateur général a conclu que ces sources n’appuyaient pas la conclusion selon laquelle les connaissances sont acquises par « des études intensives d’une grande portée », comme l’exige le degré 3. L’administrateur général a également fait remarquer que la description de travail fait référence à [traduction] « l’étude continue de textes, de publications et de pratiques », et que cela ressemble au degré 2, qui fait référence à « l’étude de textes, de journaux et de périodiques ».

(2) Responsabilité attachée aux contacts

[29] L’administrateur général a accepté la recommandation du CCP d’évaluer la description de travail au degré C1 à l’égard du facteur « Responsabilité attachée aux contacts », et a rejeté la recommandation du CRGC de hausser cette évaluation au degré C2.

[30] La norme du groupe AS définit ainsi le degré C1 et le degré C2 du facteur « Responsabilité attachée aux contacts », en ce qui a trait aux personnes contactées :

Degré C1

[Contacts avec des] employés du même ministère, des collègues d’autres ministères, des représentants des services de vente, et les membres du public en général.

Degré C2

Des hauts fonctionnaires d’autres ministères ou organismes dont les principales attributions ne se rattachent pas aux services administratifs; des hauts fonctionnaires d’autres ministères ou organismes qui ont qualité pour contrôler ou affecter l’étendue et la portée des programmes du ministère; des associés d’autres paliers de gouvernement, d’autres pays, d’organismes privés ou de l’industrie.

[31] La norme du groupe AS définit les collègues comme « les employés de la fonction publique fédérale engagés dans des domaines semblables sans avoir qualité pour contrôler ou affecter l’étendue et la portée des programmes ministériels ». De même, les associés sont définis comme « les personnes avec lesquelles les contacts sont généralement établis pendant de longues périodes de temps dans des circonstances qui favorisent la perception des besoins de l’un ou l’autre ». Enfin, la norme du groupe AS définit les hauts fonctionnaires comme étant « des administrateurs ou autres personnes qui détiennent certains pouvoirs administratifs et qui ne sont pas des associés ».

[32] Selon l’administrateur général, la conclusion du CRGC selon laquelle la demanderesse avait des contacts avec des « hauts fonctionnaires » d’organismes centraux et d’autres ministères n’était pas étayée par la description de travail. Par conséquent, l’administrateur général a conclu que le CCP avait [traduction] « évalué à juste titre » la description de travail au degré C1. L’administrateur général a fait remarquer que la demanderesse a des contacts avec des personnes [traduction] « dont les titres suggèrent un éventail de collègues à différents niveaux : directeurs, conseillers principaux, conseillers, gestionnaires de programme, agents principaux de programme, agents de programme et gestionnaires ».

[33] L’administrateur général a accepté la conclusion du CCP selon laquelle la référence de la demanderesse à la [traduction] « négociation d’un contrat de trois ans avec le [président-directeur général] d’une organisation du secteur privé » était équivalente au poste-repère 5, qui est évalué au degré C1 et renvoie aux contacts avec des « représentants de sociétés privées, afin de discuter avec eux des marchandises et des services fournis ». Par conséquent, l’administrateur général a accepté la conclusion du CCP selon laquelle la description de travail du poste en cause avait une portée moins grande que la description de travail du poste-repère 9, qui est évaluée au degré C2 et renvoie aux contacts avec des [traduction] « hauts fonctionnaires dans le cadre de sa participation à des comités interministériels ».

(3) Surveillance

[34] L’administrateur général a fait remarquer que la demanderesse n’avait supervisé aucun employé de rang intermédiaire depuis le 7 janvier 2010. Compte tenu de cette information, l’administrateur général était d’accord avec la recommandation du CCP d’évaluer la description de travail au degré A1 pour ce qui est du facteur « Surveillance » (qui exige [traduction] « la supervision continue de trois employés subalternes ») et a rejeté la recommandation du CRGC de hausser cette évaluation au degré A2 (qui exige [traduction] « la supervision continue de deux employés subalternes et d’un employé de rang intermédiaire »).

[35] L’administrateur général a conclu que le CRGC s’est appuyé sur des [traduction] « renseignements erronés » lorsqu’il a accordé des points pour la supervision d’un poste de rang intermédiaire vacant. L’administrateur général a affirmé que, en relevant les divergences entre la description de travail et le nombre d’employés que la demanderesse avait réellement supervisés, le CCP a déterminé le bon nombre et le bon niveau des employés supervisés par la demanderesse.

III. Les questions en litige et la norme de contrôle

[36] La présente demande de contrôle judiciaire soulève deux questions :

  1. La décision contestée est-elle raisonnable?

  2. L’administrateur général a-t-il fait preuve de partialité, manquant ainsi à son obligation d’équité procédurale envers la demanderesse?

[37] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable à la décision contestée est celle de la décision raisonnable. Je suis d’accord. La norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle qui est présumée s’appliquer (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 10). Cette présomption est réfutée et la norme de la décision correcte s’applique dans deux situations : lorsque l’intention du législateur ou la primauté du droit l’exige (Vavilov aux para 10, 17). À mon avis, aucune de ces situations ne s’applique en l’espèce. Par conséquent, la norme de la décision raisonnable demeure la norme de contrôle applicable à la décision d’un administrateur général dans le contexte d’un grief de classification (Wilkinson c Canada (Procureur général), 2019 CF 83 [Wilkinson 3] au para 29, citant McEvoy c Canada (Procureur général), 2013 CF 685 [McEvoy] au para 39, conf par 2014 CAF 164 au para 17; Wilkinson c Canada (Procureur général), 2014 CF 741 [Wilkinson 1] aux para 16-17; Canada (Procureur général) c Allard, 2018 CAF 85 [Allard 2018] au para 25).

[38] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable s’intéresse au raisonnement qui a mené à la décision et au résultat de la décision (Vavilov au para 83). Une décision est raisonnable si elle est justifiée, transparente et intelligible – elle doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes (Vavilov aux para 85, 99). En règle générale, une décision est déraisonnable si « le décideur omet de justifier, dans les motifs, un élément essentiel de sa décision, et que cette justification ne saurait être déduite du dossier de l’instance » (Vavilov au para 98).

[39] Cela étant dit, le contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’est pas une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (Vavilov au para 102). La partie qui conteste une décision doit établir qu’elle souffre de lacunes qui ne sont pas simplement superficielles ou accessoires par rapport à son fond; les lacunes doivent être suffisamment capitales ou importantes pour rendre la décision déraisonnable (Vavilov au para 100). La cour de révision devrait s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve dont était saisi le décideur, et elle ne devrait pas modifier ses conclusions de fait, à moins de circonstances exceptionnelles (Vavilov au para 125).

[40] Enfin, le contrôle selon la norme de la décision raisonnable s’intéresse au contexte : ce qui constitue une décision raisonnable « dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov au para 90). Dans de tels cas, lorsqu’un administrateur général choisit de s’écarter des recommandations du CRGC, cette dérogation doit être justifiée à la lumière de l’expertise du CRGC (Wilkinson 1 aux para 20, 40; voir aussi Wilkinson c Canada (Procureur général), 2020 CAF 223 aux para 19-21).

[41] Les questions d’équité procédurale, y compris la question de savoir s’il existe une crainte raisonnable de partialité, sont examinées sans s’en remettre à la déférence, selon ce qui peut être plus ou moins décrit comme la norme de la décision correcte (Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35). La question centrale est celle de savoir si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54, citant Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, [1999] ASC no 39 aux p 837-841).

IV. Analyse

A. La décision contestée est-elle raisonnable?

(1) Les observations de la demanderesse

[42] La demanderesse soutient que la décision contestée est déraisonnable pour trois motifs : a) l’administrateur général a refusé de classifier le poste de la demanderesse au-delà du 1er avril 2016; b) l’administrateur général a appliqué de manière déraisonnable les principes de classification, et c) l’administrateur général n’a pas effectué explicitement une analyse de la relativité. Chacun de ces motifs sera examiné à tour de rôle.

a) Il était déraisonnable pour l’administrateur général de refuser de classifier le poste de la demanderesse au-delà du 1er avril 2016

[43] La demanderesse soutient qu’il était déraisonnable pour l’administrateur général d’utiliser un processus de règlement des griefs de classification pour contester le contenu d’une description de travail, comme ses dates d’entrée en vigueur (Wilkinson c Canada (Procureur général), 2016 CF 1062 [Wilkinson 2] au para 13, citant Wilkinson 1 au para 9; Allard c Agence canadienne d’inspection des aliments, 2012 CF 979 [Allard] aux para 26, 39). La demanderesse affirme que la tâche de l’administrateur général est « d’accepter la description de travail et de déterminer sa classification appropriée telle que libellée » (Wilkinson 3 au para 46).

[44] La demanderesse soutient que le MPO a eu de multiples occasions tout au long du processus de règlement des griefs de contester le contenu de la description de travail s’il n’était pas d’accord avec son exactitude. Étant donné que toute modification future de la description de travail qui entraînerait une reclassification à la baisse ne peut être appliquée que de façon prospective, la demanderesse fait valoir que l’administrateur général était tenu de déterminer la classification pour la période du 1er avril 2016 au 29 juillet 2019, car cette classification ne pourrait être que maintenue ou haussée en dépit de toute modification ultérieure à la description de travail (Gallop et le Conseil du Trésor (Pêches et Océans), [1991] CRTFPC no 266 au para 5).

b) L’administrateur général a appliqué de manière déraisonnable les principes de classification

[45] La demanderesse soutient que l’administrateur général a appliqué de manière déraisonnable les principes de classification lorsqu’il a évalué le sous-facteur « Connaissances – Études » et les facteurs « Responsabilité attachée aux contacts » et « Surveillance » de la description de travail.

[46] En ce qui concerne le sous-facteur « Connaissances – Études », la demanderesse soutient qu’il était déraisonnable pour l’administrateur général de conclure que la classification au degré 3 exige « des études intensives d’une grande portée ». La demanderesse prétend que cette conclusion ne tient pas compte de l’autre critère prévu au degré 3, qui reflète le libellé de la description de travail. La demanderesse relève les similitudes suivantes entre le libellé du degré 3 et la description de travail :

Degré 3 – Études

Description de travail

Ce travail exige le perfectionnement et le maintien de connaissances approfondies dans une spécialité administrative ou technique, grâce à des études intensives d’une grande portée; OU des connaissances de la nature et de la corrélation des tendances et des progrès dans plusieurs domaines, par l’étude d’une grande variété de textes, journaux et périodiques.

[traduction] Ce travail exige des connaissances approfondies des lois, politiques, règlements, pratiques, principes et méthodologies relatifs aux sondages auprès des employés, au départ des employés, au soutien aux employés, à l’appréciation et à la reconnaissance des employées, et aux études sur la santé et le bien-être organisationnels, ainsi que de leur corrélation dans l’ensemble des domaines liés aux RH […]

Ce travail exige des connaissances approfondies des tendances et des progrès actuels en matière de bien-être en milieu de travail, par l’étude continue d’une grande variété de textes, de publications et de pratiques, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la fonction publique […]

[47] La demanderesse prétend que la décision contestée n’est pas directement liée à la justification avancée par le CRGC à l’appui de sa recommandation, comme l’exige l’alinéa 4.1.1b) de l’annexe B de la Directive sur les griefs. Par conséquent, la demanderesse soutient que la décision contestée ne fournit pas de motifs transparents ou intelligibles permettant de s’écarter de la recommandation du CRGC (Wilkinson 1 au para 40).

[48] En ce qui concerne le facteur « Responsabilité attachée aux contacts », la demanderesse soutient qu’il était déraisonnable pour l’administrateur général d’évaluer ce facteur au degré C1. La demanderesse prétend que le défaut de l’administrateur général d’examiner le libellé clair de la description de travail et les éléments de preuve concernant le poste de la demanderesse, qui militent tous fortement en faveur d’une évaluation au degré C2, démontre que l’administrateur général n’a pas tenu compte des renseignements pertinents ou a modifié les fonctions de la description de travail (Wilkinson 2 aux para 13, 16; Allard aux para 26, 39).

[49] La demanderesse fait remarquer que la description de travail mentionne les contacts suivants :

  • « le Bureau du dirigeant principal des ressources humaines du Secrétariat du Conseil du Trésor, de Statistique Canada, de Santé Canada, d’autres organismes centraux et ministères et de l’industrie privée »;

  • « des coordonnateurs régionaux, des coordonnateurs de secteur et de la Garde côtière canadienne, des champions des programmes du portefeuille et des agents négociateurs »;

  • « le sous-ministre, des champions et des membres du Comité de gestion ministériel ».

[50] La demanderesse soutient que, dans son rôle de chef d’équipe, elle devait s’acquitter des tâches suivantes :

  • participer à des consultations et à des négociations avec les directeurs d’autres ministères;

  • représenter le MPO lors de réunions des comités interministériels aux côtés de directeurs d’autres ministères et organismes;

  • tenter d’influencer la prise de décisions et participer à des discussions sur la résolution de problèmes avec des hauts fonctionnaires d’autres ministères afin de répondre aux besoins et aux priorités du MPO;

  • négocier des contrats avec des cadres supérieurs de fournisseurs du secteur privé;

  • agir à titre de personne-ressource au nom du MPO pour toute question syndicale concernant des programmes relevant de son mandat;

  • collaborer avec les syndicats et négocier des ententes entre le MPO et les syndicats.

[51] En ce qui concerne le facteur « Surveillance », la demanderesse soutient qu’il était déraisonnable pour l’administrateur général d’évaluer ce facteur au degré A1 au motif que le poste de rang intermédiaire supervisé par la demanderesse était vacant au moment de la classification. La demanderesse fait valoir que la considération clé dans une analyse de la classification est le niveau de responsabilité le plus élevé que le titulaire d’un poste peut assumer, même si la personne n’a jamais assumé de responsabilités à ce niveau ou l’a fait seulement occasionnellement (Allard, aux para 25-26, 34-35).

[52] La demanderesse soutient qu’il était déraisonnable pour l’administrateur général de ne pas tenir compte du poste de rang intermédiaire parce que la demanderesse a supervisé un employé de rang intermédiaire entre le 27 juillet 2004 environ et le 7 janvier 2010 et que la demanderesse pourrait être appelée à surveiller un employé de ce rang si le poste vacant était pourvu (Fok et le Conseil du Trésor (Pêches et Océans), [1995] CRTFPC no 84 [Fok] aux para 7-8; Toronto (City) c Canadian Union of Public Employees, Local 79 (Job Evaluation Grievance), [2013] OLAA No 292 [Toronto] au para 88).

[53] La demanderesse soutient que la Directive sur la classification du Conseil du Trésor (la Directive sur la classification) reconnaît que les postes vacants peuvent avoir une incidence sur la classification des postes de supervision. La demanderesse prétend que, puisque la Directive sur la classification encourage l’abolition des postes vacants, elle donne à penser que les postes vacants doivent être évalués au moment d’évaluer le facteur « Surveillance » d’un poste.

c) Il était déraisonnable pour l’administrateur général de ne pas effectuer explicitement une analyse de la relativité

[54] Le CRGC a recommandé que la description de travail soit classifiée au niveau AS-06 en raison de la similitude de la description de travail avec celle des postes de comparaison qui ont été classifiés à ce niveau. La demanderesse soutient qu’il était déraisonnable pour l’administrateur général de ne pas examiner explicitement ces postes de comparaison dans sa décision (Chong c Canada (Procureur général), [1995] ACF no 1600 [Chong] aux para 31-33, 46-47; Morrisey c Canada (Procureur général), 2018 CAF 26 [Morrisey] aux para 18-22).

(2) Les observations du défendeur

[55] Le défendeur soutient que la décision contestée est raisonnable et formule des arguments contraires à ceux de la demanderesse.

a) Il était raisonnable pour l’administrateur général de refuser d’appliquer la décision de classification au-delà du 1er avril 2016

[56] Le défendeur prétend que l’administrateur général a raisonnablement décidé que la description de travail s’appliquait du 1er janvier 2010 au 1er avril 2016. Selon le défendeur, l’administrateur général n’a pas tenté de contester ou de modifier la description de travail, comme l’a allégué la demanderesse; il a plutôt reconnu la nécessité d’un examen de la description de travail qui tient compte des changements survenus après la restructuration des RH en avril 2016, et a ordonné à la direction de mettre à jour la description de travail pour tenir compte de ces changements.

b) L’administrateur général a appliqué de manière raisonnable les principes de classification

[57] Le défendeur soutient que l’administrateur général a fourni des motifs justifiés, transparents et intelligibles pour s’écarter des recommandations du CRGC (Wilkinson 1 au para 41).

[58] En ce qui concerne le sous-facteur « Connaissances – Études », le défendeur soutient que l’administrateur général a examiné les documents que la demanderesse étudie et a raisonnablement évalué ce sous-facteur au degré 2. Le défendeur fait remarquer que le fait de procéder à la classification n’est pas aussi simple que d’établir une [traduction] « correspondance entre les termes ». Il faut lire les termes utilisés dans la description de travail et la norme du groupe AS dans leur contexte et examiner l’ensemble des tâches que comporte le travail (Bourdeau c Canada (Procureur général), 2015 CF 1089 [Bourdeau] au para 50).

[59] Le défendeur prétend qu’il était raisonnable pour l’administrateur général de s’appuyer sur les parties de la description de travail qui justifient une classification au degré 2, comme la référence à [traduction] « l’étude continue », malgré le fait qu’il pourrait y avoir d’autres éléments dans la description qui appuient une classification au degré 3 (Wilkinson 2 au para 16; Allard 2018 aux para 36-37).

[60] Le défendeur prétend qu’il était raisonnable pour l’administrateur général d’accepter la conclusion du CRGC selon laquelle la description de travail du poste en cause a une portée moins grande que celle du poste-repère 9, car la description de travail exige la collecte et l’étude de [traduction] « renseignements à partir de divers documents », tandis que celle du poste-repère 9 exige l’élaboration et le maintien de [traduction] « connaissances approfondies dans le domaine connexe afin de fournir des renseignements, une orientation ou des directives ».

[61] En ce qui concerne le facteur « Responsabilité attachée aux contacts », le défendeur soutient que l’administrateur général a raisonnablement évalué ce facteur au degré C1. Le défendeur fait remarquer que, conformément à la norme du groupe AS, l’administrateur général ne doit tenir compte que des contacts qui font partie intégrante du travail de la demanderesse. Le défendeur prétend que l’administrateur général a raisonnablement conclu que les contacts qui font partie intégrante du travail de la demanderesse sont des collègues de différents niveaux, par opposition à des associés ou des hauts fonctionnaires.

[62] Le défendeur fait remarquer qu’un désaccord quant à la fréquence ou à l’intensité d’une tâche n’équivaut pas à la modification d’une description de travail (Beauchemin c Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2008 CF 186 au para 41; Julien c Canada (Procureur général), 2008 CF 115 [Julien] au para 70, conf par 2008 CAF 270). Le défendeur soutient qu’il était donc raisonnable pour l’administrateur général de s’écarter de la recommandation du CRGC et de conclure plutôt que la demanderesse avait des contacts plus fréquents et plus intenses avec ses collègues qu’avec des hauts fonctionnaires.

[63] En ce qui concerne le facteur « Surveillance », le défendeur soutient que l’administrateur général a raisonnablement évalué ce facteur au degré A1. Le défendeur fait remarquer que, conformément à la norme du groupe AS, lorsqu’il s’agit d’un « poste dont le titulaire n’a pas une responsabilité permanente et réelle de surveillance sur le travail d’autres employés, on ne doit pas attribuer de points en vertu du présent facteur ».

[64] Le défendeur prétend que la demanderesse n’a aucune responsabilité permanente et réelle à l’égard d’un employé de rang intermédiaire, parce que le poste de rang intermédiaire inclus dans la description de travail est vacant depuis le 7 janvier 2010. Le défendeur prétend également que la Directive sur la classification ne crée aucune exigence selon laquelle un poste vacant devrait être pris en compte dans l’évaluation du facteur « Surveillance », et qu’une telle interprétation serait contraire à la norme du groupe AS.

c) Il était raisonnable pour l’administrateur général de ne pas effectuer explicitement une analyse de la relativité

[65] Le défendeur soutient que l’administrateur général n’était pas tenu d’effectuer explicitement une analyse de la relativité. Le défendeur prétend que, dans la mesure où les motifs de l’administrateur général permettent à la Cour de comprendre le raisonnement qui sous-tend la décision, l’administrateur général n’est pas tenu de tirer une conclusion concernant chaque élément de la décision ou d’expliquer pourquoi il n’a pas accepté certains des éléments de preuve dont il était saisi.

[66] Le défendeur prétend que les décisions Morrisey et Chong se distinguent de l’espèce.

[67] Le défendeur soutient que, dans l’arrêt Morrisey, « la relativité […] n’était pas un argument accessoire, mais se situait plutôt au cœur de l’argumentation des appelants » (au para 19). Il fait également remarquer que l’arrêt Morrisey portait sur les recommandations du CRGC, qui, en vertu de l’article 3.8.1 de l’annexe B de la Directive sur les griefs, doivent tenir compte entre autres du poste faisant l’objet du grief et de la façon dont il se rapporte aux évaluations proposées et aux postes-repères. Par contre, l’administrateur général n’est pas tenu de fournir les motifs de sa conclusion sur la relativité en vertu de la Directive sur les griefs.

[68] Le défendeur soutient que la décision Chong se distingue aussi de l’espèce, parce que, dans cette affaire, un membre du CRGC avait confirmé que le CRGC n’avait pas tenu compte des observations des requérants concernant la relativité (au para 46). En l’espèce, le défendeur fait remarquer que l’administrateur général a plutôt confirmé qu’il a tenu compte de tous les renseignements dont le CRGC disposait, y compris les observations sur la relativité.

(3) Analyse

a) Était-il déraisonnable pour l’administrateur général de refuser de classifier la description de travail au-delà du 1er avril 2016?

[69] À mon avis, il était raisonnable pour l’administrateur général de refuser de classifier la description de travail au-delà du 1er avril 2016. La demanderesse invoque les décisions Allard et Wilkinson 3 à l’appui de son argument selon lequel l’administrateur général a modifié le contenu de la description de travail ou refusé de tenir compte des tâches et des activités qu’il contient lors de son examen du grief de classification. Cependant, je conclus que ces affaires se distinguent de l’espèce.

[70] Dans l’affaire Allard, le CRGC a traité un grief de classification malgré la réception de renseignements contradictoires de la part des demandeurs et des gestionnaires concernant les activités contenues dans la description de travail en cause. Compte tenu de ce désaccord, le juge de Montigny a conclu que le CRGC « aurait dû s’assurer que les parties s’entendaient sur la description de travail avant d’aller plus loin » (Allard au para 37). En omettant de le faire, le CRGC a modifié le contenu de la description de travail des demandeurs (Allard au para 41).

[71] De même, dans l’affaire Wilkinson 3, le défendeur a prétendu qu’il n’était pas au courant du contenu de la description de travail en cause, bien qu’il ait déjà accepté son contenu. Par conséquent, le juge Mosley a conclu qu’il était trop tard, lors du processus de règlement du grief de classification, pour que le défendeur prétende que la description de travail était irrégulière, car ces préoccupations doivent être soulevées lors du grief sur la nature du travail (Wilkinson 3 au para 46).

[72] Contrairement aux affaires Allard et Wilkinson 3, l’administrateur général ne tente pas en l’espèce de modifier le libellé et le contenu de la description de travail. En fait, c’est la période pendant laquelle la description de travail s’applique qui est en cause. Compte tenu de la restructuration des RH et de l’incidence de ce changement sur les fonctions associées au poste de la demanderesse, je conclus qu’il était raisonnable pour l’administrateur général de ne pas appliquer la description de travail au-delà du 1er avril 2016.

[73] Je ne suis pas convaincu par l’argument de la demanderesse selon lequel, puisque la description de travail ne peut être reclassifiée à la baisse de façon rétroactive, l’administrateur général était tenu de déterminer la classification pour la période du 1er avril 2016 au 29 juillet 2019. Je conclus qu’il était raisonnable pour l’administrateur général d’exiger que la classification de la description de travail pour la période ayant commencé le 1er avril 2016 soit assujettie à un deuxième examen. Autrement, en l’absence d’une description de travail qui reflète les changements survenus après avril 2016, on contournerait la procédure de classification normalisée, car l’administrateur général classifierait alors ce qui est essentiellement une nouvelle description de travail. Si l’examen ordonné par l’administrateur général donne lieu à une reclassification rétroactive à la baisse, la demanderesse pourra, à ce moment-là, déposer un grief à cet égard.

b) L’administrateur général a-t-il appliqué de façon déraisonnable les principes de classification?

[74] À mon avis, l’administrateur général a appliqué de façon déraisonnable les principes de classification au sous-facteur « Connaissances – Études » et au facteur « Responsabilité attachée aux contacts ». Cependant, je conclus que la classification du facteur « Surveillance » par l’administrateur général est raisonnable.

[75] En ce qui concerne le sous-facteur « Connaissances – Études », l’administrateur général doit indiquer expressément qu’il a tenu compte des éléments de la description de travail qui appuient fortement une classification contraire à la sienne, et expliquer pourquoi il a pris une décision qui va à l’encontre de ces éléments de preuve (Wilkinson 2 au para 16). Bien que je remarque que la classification n’est pas une « correspondance entre les termes » (Bourdeau au para 50), le libellé parallèle de la description de travail et du deuxième critère du degré 3 de ce sous-facteur appuie une classification qui va à l’encontre de l’évaluation par l’administrateur général au degré 2.

[76] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que la décision contestée est déraisonnable, parce que le raisonnement suivi par l’administrateur général pour distinguer la description de travail du libellé parallèle du degré 3 n’est pas abordé dans ses motifs et ne peut être déduit du dossier (Vavilov au para 98). L’administrateur général n’a pas examiné de façon approfondie la portée et la profondeur de l’étude entreprise par la demanderesse; il a plutôt simplement conclu que les documents étudiés par la demanderesse n’appuient pas la conclusion selon laquelle les connaissances sont acquises grâce à « des études intensives d’une grande portée » et a donc évalué la description de travail au degré 2 pour ce qui est de ce sous-facteur. À mon avis, les motifs invoqués par l’administrateur général pour s’écarter de la recommandation du CRGC ne sont pas suffisamment justifiés à la lumière des motifs et de l’expertise du CRGC (Wilkinson 1 aux para 20, 40).

[77] En ce qui concerne le facteur « Responsabilité attachée aux contacts », je conclus que l’administrateur général n’a pas expliqué de façon raisonnable pourquoi les contacts de la demanderesse sont des collègues au sens de la norme du groupe AS. L’administrateur général a simplement fait remarquer que les titres des contacts de la demanderesse [traduction] « suggèrent un éventail de collègues à différents niveaux » et a donc évalué la description de travail au degré C1 à l’égard de ce facteur. Encore une fois, les brefs motifs invoqués par l’administrateur général à l’appui cette conclusion ne sont pas suffisamment justifiés à la lumière des recommandations du CRGC à l’effet contraire (Wilkinson 1 aux para 20, 40). Le raisonnement suivi par l’administrateur général pour déterminer quels contacts font « partie intégrante » du travail de la demanderesse, comme l’exige la norme du groupe AS, et lesquels de ces contacts sont des collègues ou des hauts fonctionnaires, n’est pas abordé dans ses motifs et ne peut pas être facilement déduit du dossier, ce qui rend sa décision déraisonnable (Vavilov au para 98).

[78] En ce qui concerne le facteur « Surveillance », je conclus qu’il était raisonnable pour l’administrateur général d’évaluer ce facteur au degré A1. Étant donné que la demanderesse n’a pas supervisé un employé de rang intermédiaire depuis le 7 janvier 2010, je conclus que l’administrateur général a raisonnablement conclu que la demanderesse n’avait pas la responsabilité « permanente et réelle » de superviser un employé de rang intermédiaire, comme l’exige la norme du groupe AS. Par conséquent, le motif sur lequel s’est fondé l’administrateur général pour s’écarter de la conclusion du CRGC, laquelle, comme l’a expliqué l’administrateur général, était fondée sur des [traduction] « renseignements erronés », est justifié, transparent et intelligible (Vavilov au para 99).

[79] Je ne suis pas convaincu par l’argument de la demanderesse selon lequel la Directive sur la classification exige que l’administrateur général tienne compte du fait qu’un poste est vacant au moment d’évaluer le facteur « Surveillance ». Cette politique ne concerne pas la procédure de classification et contredit directement la norme du groupe AS, qui régit la procédure de classification.

[80] Je ne suis pas non plus convaincu par l’argument de la demanderesse selon lequel les décisions Fok et Toronto appuient le principe selon lequel les postes vacants devraient être pris en compte au moment d’évaluer une description de travail à l’égard du facteur « Surveillance », car ni l’une ni l’autre de ces affaires ne portait sur l’interprétation de la norme du groupe AS. Le libellé précis de la norme du groupe AS, qui exige que les points ne soient attribués qu’aux postes dont le titulaire a une « responsabilité permanente et réelle », l’emporte sur tout principe général qui pourrait ressortir de ces affaires.

[81] Enfin, je ne suis pas convaincu par l’argument de la demanderesse selon lequel le principe énoncé dans la décision Allard – selon lequel une description de travail témoigne des qualités requises d’un employé, même s’il peut arriver qu’un employé ne remplisse pas toutes les fonctions et responsabilités mentionnées dans une description de travail en tout temps (au para 34) – s’applique en l’espèce. Encore une fois, l’affaire Allard ne concernait pas l’interprétation du facteur « Surveillance » prévu dans la norme du groupe AS, qui contredit en termes clairs le principe que la demanderesse tente d’extrapoler à partir de cette affaire.

c) Était-il déraisonnable pour l’administrateur général de ne pas effectuer explicitement une analyse de la relativité?

[82] À mon avis, les postes de comparaison invoqués par la demanderesse ne constituent pas un élément essentiel que l’administrateur général était tenu d’examiner pour que sa décision soit raisonnable (Vavilov au para 98). Comme le CRGC, l’administrateur général n’est pas tenu d’expliquer pourquoi il n’a pas accepté chacun des éléments de preuve dont il était saisi (McEvoy au para 79).

[83] L’administrateur général n’est pas tenu, en vertu de la Directive sur les griefs, de fournir les motifs pour lesquels il rejette l’analyse de la relativité du CRGC. J’accepte l’argument du défendeur selon lequel ce fait distingue l’espèce de l’affaire Morrisey, car celle-ci concernait les recommandations du CRGC, qui exigeaient une analyse de la relativité, conformément au paragraphe 3.8.1 de l’annexe B de la Directive sur les griefs. J’accepte également l’argument du défendeur selon lequel la décision Chong se distingue de l’espèce, car, dans cette affaire, un membre du CRGC avait indiqué que le CRGC n’avait pas examiné les renseignements sur le poste de comparaison (au para 46). En l’espèce, il n’y a aucune raison de douter de la déclaration de l’administrateur général selon laquelle il a analysé attentivement le rapport du CRGC, y compris son analyse de la relativité.

[84] Cela étant dit, je n’accepte pas l’argument du défendeur selon lequel la demanderesse a mis [traduction] « peu d’accent » sur l’analyse de la relativité dans ses observations au CRGC. La demanderesse et son syndicat ont présenté au CRGC plusieurs postes de comparaison au MPO et ailleurs, qui ont été examinés par le CRGC.

B. L’administrateur général a-t-il fait preuve partialité, manquant ainsi à son obligation d’équité procédurale envers la demanderesse?

[85] La demanderesse soutient que l’administrateur général a fait preuve de partialité. À l’appui de cette allégation, la demanderesse souligne les efforts répétés du MPO pour maintenir la description de travail au niveau AS-05, malgré deux rapports distincts recommandant une reclassification à la hausse. La demanderesse prétend que les [traduction] « irrégularités » qui ont mené au rapport final du CCP soulèvent également une crainte raisonnable de partialité. Plus précisément, la demanderesse fait remarquer que Mme Taubman a demandé à un membre du CCP de rédiger un nouveau rapport sur le [traduction] « poste AS‑05 » pour le poste de la demanderesse et que les signatures des membres du CCP semblaient avoir été copiées du rapport provisoire et collées dans le rapport final.

[86] Le défendeur soutient qu’il n’y a aucun élément de preuve indiquant que l’administrateur général a influencé le processus décisionnel du CCP. Selon le défendeur, le rapport provisoire ne devait pas constituer un rapport final, car il n’est pas signé et contient des marques de révision. Le défendeur soutient en outre que la Cour est chargée de déterminer si le processus suivi par l’administrateur général, et non pas le processus suivi par le CCP, était équitable sur le plan procédural.

[87] À mon avis, la présente affaire n’atteint pas le niveau d’une crainte raisonnable de partialité. Je conclus qu’une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste, ne conclurait pas, selon la prépondérance des probabilités, que l’administrateur général n’a pas rendu une décision juste (Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c Yukon (Procureure générale), 2015 CSC 25 au para 20, citant Committee for Justice and Liberty c Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369, [1976] ACS no 118 à la p 394).

[88] Même si je suis d’accord avec la demanderesse pour dire que le fait que Mme Taubman a demandé au membre du CCP de [traduction] « rédiger le nouveau poste AS-05 » est suspect, un soupçon à lui seul ne suffit pas pour établir une crainte raisonnable de partialité (Sharma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 381 au para 27, citant Arthur c Canada (Procureur général), 2001 CAF 223 au para 8). En outre, une crainte raisonnable de partialité de la part de Mme Taubman ne signifie pas nécessairement que l’administrateur général a également fait preuve de partialité.

[89] Je ne suis pas convaincu par l’argument de la demanderesse selon lequel le fait que l’administrateur général se soit appuyé sur le rapport final du CCP – qui, selon la demanderesse, a fait preuve de partialité – rend sa décision partiale. La demanderesse cite la décision Société Radio-Canada c Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1993] ACF no 1334 [SRC], à l’appui de son argument selon lequel une décision sera partiale si elle adopte un rapport partial. Dans la décision SRC, la Commission canadienne des droits de la personne avait rendu une décision en adoptant un rapport qui s’est avéré partial, sans fournir ses propres motifs (aux para 50-51).

[90] En l’espèce, l’administrateur général s’est appuyé sur le rapport final rédigé par le CCP, mais il a fourni ses propres motifs de le faire. Compte tenu de cette distinction, je conclus que, même si le rapport final était partial, le fait que l’administrateur général se soit appuyé sur le rapport final ne rend pas sa décision partiale. Les motifs de l’administrateur général montrent qu’il a évalué de façon indépendante la classification de la description de travail, au lieu d’adopter entièrement les motifs fournis dans le rapport final et de s’appuyer sur ceux-ci.

V. Dépens

[91] Dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire et compte tenu des facteurs énoncés au paragraphe 400(3) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), j’adjuge les dépens à la demanderesse, payables immédiatement par le défendeur, conformément à la colonne III du tarif B des Règles.

VI. Conclusion

[92] Je conclus que la décision contestée est déraisonnable et j’accueille donc, avec dépens, la présente demande de contrôle judiciaire.

[93] À titre de réparation, la demanderesse demande un verdict imposé ordonnant à l’administrateur général d’accepter les recommandations du CRGC. À mon avis, un verdict imposé n’est pas justifié en l’espèce, car le résultat du réexamen n’est pas si inévitable que le renvoi de l’affaire « ne servirait à rien » (Vavilov au para 142). Je renvoie donc l’affaire pour nouvelle décision, conformément aux motifs de jugement énoncés dans la présente décision.


JUGEMENT dans le dossier T-1408-19

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision faisant l’objet du contrôle est annulée, et l’affaire est renvoyée pour nouvelle décision, conformément aux motifs énoncés dans la présente décision.

  2. Les dépens sont adjugés à la demanderesse.

« Shirzad A. »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1408-19

 

INTITULÉ :

FRANCINE SÉGUIN c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 octobre 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

Le 12 janvier 2021

 

COMPARUTIONS :

Morgan Rowe

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Nour Rashid

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck LLP/s.r.l .

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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