Date : 20010509
Dossier : 00-T-48
Référence neutre : 2001 CFPI 411
Ottawa (Ontario), le 9 mai 2001
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD
ENTRE :
RICHARD ATANASOFF
demandeur
- et -
LE COMMISSAIRE AUX SERVICES CORRECTIONNELS et
LE DIRECTEUR DU PÉNITENCIER DE WARKWORTH
défendeurs
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
1. Le demandeur a déposé une requête en vertu de la règle 369 des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, en vue d'obtenir la prorogation du délai de dépôt de sa demande de contrôle judiciaire. La décision contestée de transférer le demandeur d'un établissement à sécurité moyenne vers un établissement à sécurité maximum a été rendue le 25 septembre 2000. Par application de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, le demandeur devait déposer sa demande de contrôle judiciaire au plus tard le 25 octobre 2000.
2. Toutefois, le demandeur n'a reçu son certificat de l'aide juridique que le 24 octobre 2000, de sorte qu'il lui restait un seul jour pour déposer sa demande. Le demandeur a déposé par erreur un avis de requête, comprenant une demande de prorogation de délai, sous le régime des anciennes Règles de la Cour fédérale (règle 1602) le 16 novembre 2000. Comme les Règles de la Cour fédérale ont été modifiées en 1998, le demandeur a déposé une nouvelle requête sous le régime des nouvelles Règles le 27 décembre 2000.
3. Les défendeurs soutiennent que le délai écoulé entre le 16 novembre et le 27 décembre n'a pas été expliqué et qu'il dénote l'absence d'intention continue. Cette absence d'intention, combinée à l'argument des défendeurs portant que la demande du demandeur n'a pas de chance raisonnable d'être accueillie, devrait entraîner le rejet de la requête en prorogation de délai du demandeur.
4. Après avoir reçu son certificat d'aide juridique, le demandeur a présenté par erreur une demande en vertu des anciennes Règles de la Cour fédérale et a tenté de signifier et déposer les documents nécessaires le 16 novembre 2000. Il faut souligner que les défendeurs ne demandent pas à la Cour de faire jouer en défaveur du demandeur l'erreur de son avocat qui a procédé en vertu des anciennes règles. Le demandeur devait donc préparer, signifier et déposer de nouveaux documents, obligation dont il s'est acquitté le 27 décembre 2000.
5. Il est utile de revoir l'arrêt Grewal c. Canada[1], l'un des arrêts de principe sur les critères que la Cour doit appliquer pour exercer son pouvoir discrétionnaire d'accorder une prorogation de délai en vertu du paragraphe 18.1(2) des Règles de la Cour fédérale (1998). Dans cette affaire, le demandeur a demandé la prorogation du délai pour déposer une demande de contrôle judiciaire près de douze mois après la décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Monsieur le juge en chef Thurlow a dit ce qui suit, à la page 272 :
Il me semble [...] qu'en étudiant une demande comme celle-ci, on doit tout d'abord se demander si, dans les circonstances mises en preuve, la prolongation du délai est nécessaire pour que justice soit faite entre les parties.
Il a ajouté, aux pages 277 et 278 :
... en dernière analyse, la question de savoir si l'explication donnée justifie la prorogation nécessaire doit dépendre des faits de l'espèce et, à mon avis, nous commettrions une erreur si nous tentions d'énoncer des règles qui auraient l'effet de restreindre un pouvoir discrétionnaire que le Parlement n'a pas jugé bon de restreindre.
6. Monsieur le juge Marceau, dans la même affaire, a affirmé que la prorogation devait être accordée si la « recherche ultime de la justice semble transcender la nécessité de mettre fin à l'incertitude relative aux droits des parties » . Il a examiné les facteurs suivants dont il faut tenir compte pour trancher la question d'une prorogation :
L'imposition de délais applicables à la contestation de la validité des décisions judiciaires a naturellement pour but de mettre en oeuvre un principe fondamental de notre pensée juridique selon lequel, dans l'intérêt de la société dans son ensemble, les litiges doivent avoir une fin (interest reipublicae ut sit finis litium), et les règles générales adoptées par les tribunaux relativement aux demandes de prorogation de ces délais ont été élaborées en tenant compte de ce principe. L'autorisation d'interjeter appel après expiration du délai imparti ne sera accordée que si, considérant les circonstances d'une affaire, la recherche ultime de la justice semble transcender la nécessité de mettre fin à l'incertitude relative aux droits des parties. D'où l'obligation d'étudier différents facteurs, tels la nature du droit visé par les procédures, le redressement sollicité, l'effet du jugement rendu, ce qui a été fait en exécution de ce jugement, le préjudice que subiront les autres parties au litige, le temps écoulé depuis le prononcé du jugement, la façon dont le requérant a réagi à ce jugement, la raison pour laquelle il n'a pas exercé son droit d'appel plus tôt, le sérieux de ses prétentions contre la validité du jugement. Il me semble que, pour apprécier la situation comme il se doit et tirer une conclusion valide, il est essentiel de balancer les différents facteurs impliqués. Par exemple, une explication parfaitement convaincante justifiant le retard peut entraîner une réponse positive même si les arguments appuyant la contestation du jugement paraissent faibles et , de la même façon, une très bonne cause peut contrebalancer une justification du retard moins convaincante.
7. Je suis d'avis que le demandeur a, en l'espèce, une cause défendable à faire valoir. Le demandeur nie l'inconduite invoquée à l'appui du transfèrement et soutient que le transfèrement même n'a pas été effectué en conformité avec la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (la Loi) et avec le Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620 (le Règlement). Le demandeur plaide notamment que, en vertu de l'alinéa 12c) du Règlement, le « directeur du pénitencier [...] doit [...] transmettre les observations du détenu au commissaire » ou à son représentant. Selon le demandeur, en l'espèce, le directeur, plutôt que le commissaire ou son représentant, a pris la décision unilatérale de transférer le demandeur d'un établissement à sécurité moyenne, contrairement à l'esprit de la Loi et du Règlement. J'estime que le demandeur a une « cause défendable » à faire valoir.
8. J'ai examiné la question de savoir si une prorogation doit être accordée en l'espèce en gardant à l'esprit l'affirmation faite par le juge Marceau dans l'affaire Grewal selon laquelle « une très bonne cause peut contrebalancer une justification du retard moins convaincante » . Bien que le demandeur n'ait pas proposé d'explication convaincante pour son retard, plus particulièrement entre le 16 novembre et le 27 décembre, je suis convaincu qu'il a établi qu'il avait une « cause défendable » à faire valoir et qu'il a démontré son intention continue de poursuivre l'affaire.
9. Pour les motifs qui précèdent, la requête sera accueillie.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
1. La requête est accueillie.
2. Le demandeur signifiera et déposera sa demande de contrôle judiciaire dans les dix (10) jours suivant la date de la présente ordonnance.
« Edmond P. Blanchard »
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, LL.L, Trad. a.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : 00-T-48
INTITULÉ DE LA CAUSE : RICHARD ATANASOFF
c.
LE COMMISSAIRE AUX SERVICES CORRECTIONNELS ET LE DIRECTEUR DU PÉNITENCIER DE WARKWORTH
AVIS DE REQUÊTE TRANCHÉE SUR LA BASE DE PRÉTENTIONS ÉCRITES
MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR : MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD
DATE DES MOTIFS : LE 9 MAI 2001
PRÉTENTIONS ÉCRITES
M. Fergus J. (Chip) O'Connor POUR LE DEMANDEUR
M. John B. Edmond POUR LES DÉFENDEURS
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Fergus J. (Chip) O'Connor POUR LE DEMANDEUR
Kingston (Ontario)
John B. Edmond POUR LES DÉFENDEURS
Ottawa (Ontario)