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Date : 20210111


Dossier : T‑671‑20

Référence : 2021 CF 37

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 11 janvier 2021

En présence de la juge responsable de la gestion de l’instance, Angela Furlanetto

ENTRE :

SUNOVION PHARMACEUTICALS CANADA INC.

ET

SUMITOMO DAINIPPON PHARMA CO., LTD.

demanderesses

et

TARO PHARMACEUTICALS INC.

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.  Contexte

[1]  La Cour est saisie d’une action, intentée au titre du paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement sur les MBAC), concernant trois brevets inscrits pour l’ingrédient médicinal chlorhydrate de lurasidone : brevets canadiens nos 2,538,265, 2,696,510 et 2,814,828 (le brevet 828).

[2]  La présente ordonnance concerne une requête présentée par la défenderesse, Taro Pharmaceuticals Inc. (Taro), visant à modifier sa défense pour y inclure des allégations qui ne figurent pas dans son avis d’allégation (l’AA), mais qui ont été soulevées dans la défense présentée dans le cadre d’une autre action intentée au titre du paragraphe 6(1) en lien avec le chlorhydrate de lurasidone, action à laquelle le fabricant de médicaments génériques tiers Pharmascience Inc. (Pharmascience) est partie.

[3]  Les modifications proposées visent à ajouter ce qui suit : a) des documents d’antériorité supplémentaires, indiqués aux annexes A, B et C, pour étayer les allégations d’évidence à l’égard des brevets invoqués; b) des motifs d’invalidité additionnels relativement au brevet 828, soit l’antériorité, l’inutilité, la portée excessive, l’ambiguïté et l’insuffisance.

[4]  Il n’est pas contesté que les allégations fondées sur les motifs d’invalidité additionnels et les documents d’antériorité supplémentaires sont les mêmes que celles qui figurent dans la défense présentée dans le cadre de l’action de Pharmascience et qui sont en jeu dans le cadre de la présente instance à l’encontre des demanderesses.

[5]  L’action de Pharmascience a été intentée le 28 février 2020, près de quatre mois avant la présente action, laquelle a été intentée le 24 juin 2020. La défense dans l’action de Pharmascience a été déposée le 8 juin 2020, et la défense de Taro en l’espèce a été présentée le 27 juillet 2020.

[6]  Taro a soulevé la question de ses modifications auprès des demanderesses pour la première fois dans une correspondance datée du 14 octobre 2020. Après avoir vainement tenté d’obtenir un consentement à l’égard des modifications proposées, Taro a déposé la présente requête le 10 novembre 2020, laquelle a été entendue par vidéoconférence le 3 décembre 2020. La requête a été présentée avant que les interrogatoires préalables oraux aient eu lieu.

[7]  L’instruction de l’action en l’espèce doit débuter le 25 avril 2022. L’instruction de l’action de Pharmascience débutera le 1er novembre 2021.

[8]  La seule question que la Cour doit trancher dans le cadre de la présente requête est celle de savoir si les modifications proposées devraient être autorisées.

[9]  Les demanderesses affirment qu’il serait abusif d’autoriser les modifications proposées puisque cela serait contraire aux exigences énoncées dans le Règlement sur les MBAC. Elles soutiennent que, sous le régime du Règlement sur les MBAC, les allégations d’invalidité soulevées comme moyen de défense dans une action en contrefaçon intentée en vertu du paragraphe 6(1) se limitent à celles qui sont étayées par un exposé détaillé des faits et du droit dans l’AA du fabricant de médicaments génériques. Selon elles, agir autrement inciterait les fabricants de médicaments génériques à ne soulever les allégations d’invalidité qu’une fois qu’une action a été intentée, entravant ainsi la capacité de l’innovateur d’étudier convenablement la question de savoir s’il doit intenter une action et s’exposer aux risques qui peuvent en découler. Les demanderesses font valoir que les modifications proposées sont considérables et que, même si elle y était tenue, Taro n’a pas fait preuve de diligence en communiquant ce qu’elle cherche maintenant à invoquer. Les demanderesses affirment qu’il serait préjudiciable d’autoriser Taro à apporter, maintenant, des modifications n’ayant pas été mentionnées préalablement dans son AA.

[10]  La défenderesse allègue que les modifications apportées au Règlement sur les MBAC ne limitent plus un fabricant de médicaments génériques aux allégations soulevées dans son AA; l’action est plutôt régie par les actes de procédure et elle est destinée à être le pendant d’une action en contrefaçon de brevet ordinaire. La défenderesse soutient qu’autoriser les modifications ne causerait aucun préjudice aux demanderesses compte tenu de la chronologie et du fait que les modifications sont déjà en jeu dans l’action de Pharmascience. Par conséquent, elle fait valoir que les modifications ne soulèvent aucune nouvelle question pour les demanderesses.

[11]  Pour les motifs exposés ci‑après, je juge que les modifications proposées devraient être autorisées. À mon avis, les modifications ne devraient pas être refusées d’emblée au motif que les arguments et les documents d’antériorité que Taro cherche à soulever ne figuraient pas dans son AA. Les modifications doivent plutôt être examinées selon les principes qui s’appliquent aux modifications des actes de procédure et selon leur incidence dans le cadre de la présente instance. Dans cette perspective, j’estime qu’il est approprié d’exercer mon pouvoir discrétionnaire pour autoriser les modifications. Comme elles ont déjà été présentées dans l’action de Pharmascience, sans objection, elles ne sont pas dénuées de toute possibilité raisonnable de succès. En outre, compte tenu de l’état d’avancement de l’instance et de la nature de ce qui est proposé, les demanderesses ne subiraient qu’un préjudice limité si les modifications étaient autorisées à ce stade‑ci de l’instance, de façon à établir un parallèle entre les motifs d’invalidité additionnels invoqués en l’espèce et ceux invoqués dans l’action de Pharmascience.

II.  Les modifications proposées sont‑elles restreintes d’emblée par le Règlement sur les MBAC?

[12]  Le 21 septembre 2017, des modifications importantes ont été apportées au Règlement sur les MBAC (le Règlement modifiant le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), 2017, DORS/2017‑166), dont l’une consistait notamment à remplacer le droit d’un innovateur à présenter, en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement sur les MBAC, une demande visant à interdire au ministre de délivrer un avis de conformité (l’AC) à un fabricant de médicaments génériques par le droit d’intenter une action en contrefaçon de brevet contre le fabricant de médicaments génériques. Cette modification a eu pour effet de mettre fin aux doubles litiges. Sous l’ancien régime, une demande présentée au titre du paragraphe 6(1) du Règlement sur les MBAC servait uniquement à évaluer le bien‑fondé des allégations de non‑contrefaçon et d’invalidité aux fins de la délivrance d’un AC et elle ne pouvait pas être suivie d’une action distincte visant à trancher de manière définitive les questions de validité et de contrefaçon de brevet. Sous le nouveau régime, les parties sont autorisées à mettre en litige les questions de validité et de contrefaçon de brevet afin qu’elles soient tranchées de manière définitive sur la base d’un dossier complet, et ce, dans le cadre d’une seule instance ouvrant à un véritable droit d’appel : Amgen Inc. c Pfizer Canada Inc., 2018 CF 1078 au para 27, conf par 2019 CAF 249 aux para 8, 65; Janssen Inc. c Teva Canada Ltd., 2020 CF 593 au para 257; Règlement modifiant le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), 2017, DORS/2017‑166, Résumé de l’étude d’impact de la réglementation (le REIR), voir par exemple à la page 34.

[13]  Avant que les modifications soient apportées au Règlement sur les MBAC, l’AA définissait les questions qui pouvaient être soulevées dans le cadre d’une action fondée sur le paragraphe 6(1). Cela était le fait de la nature de l’action elle‑même, qui visait à établir le bien‑fondé des allégations formulées dans l’AA afin qu’un AC puisse être délivré, et du processus de demande, dans le cadre duquel aucun acte de procédure n’était présenté par le fabricant de médicaments génériques et l’avis de demande et la preuve de l’innovateur étaient fondés sur une réponse aux allégations formulées dans l’AA. L’AA devait être complet et soulever tous les faits et les arguments juridiques sur lesquels le fabricant de médicaments génériques entendait fonder ses allégations : Teva Canada Innovation c Apotex Inc., 2014 CF 1070 aux para 59‑66; AB Hassle c Canada (Ministre de la santé et du bien‑être social), 2000, 7 CPR (4th) 272 (CAF) aux para 21‑24; Bayer Inc. c Cobalt Pharmaceuticals Company, 2013 CF 1061 aux para 34‑37.

[14]  Tout comme sous l’ancien régime, l’élément qui déclenche une action fondée sur le paragraphe 6(1) du Règlement sur les MBAC modifié est la réception d’un AA par l’innovateur, moment où commence la période de 45 jours dont dispose ce dernier pour décider s’il y a lieu d’intenter une action en contrefaçon. Cependant, le contexte entourant l’AA a changé.

[15]  L’AA n’est plus le précurseur d’une demande visant à établir le bien‑fondé des allégations formulées dans l’AA. La procédure qui peut être intentée est une action qui vise à trancher les questions de validité et de contrefaçon de brevet, et dans le cadre de laquelle une défense est présentée et une demande reconventionnelle peut être faite. Les paragraphes 6(1) et 6(3) prévoient ce qui suit :

6 (1) La première personne ou le propriétaire d’un brevet qui reçoit un avis d’allégation en application de l’alinéa 5(3)a) peut, au plus tard quarante‑cinq jours après la date à laquelle la première personne a reçu signification de l’avis, intenter une action contre la seconde personne devant la Cour fédérale afin d’obtenir une déclaration portant que la fabrication, la construction, l’exploitation ou la vente d’une drogue, conformément à la présentation ou au supplément visé aux paragraphes 5(1) ou (2), contreferait tout brevet ou tout certificat de protection supplémentaire visé par une allégation faite dans cet avis.

 

6(1) The first person or an owner of a patent who received a notice of allegation referred to in paragraph 5(3)(a) may, within 45 days after the date on which the first person is served with the notice, bring an action against the second person in the Federal Court for a declaration that the making, constructing, using or selling of a drug in accordance with the submission or supplement referred to in subsection 5(1) or (2) would infringe any patent or certificate of supplementary protection that is the subject of an allegation set out in that notice.

 

...

 

...

(3) La seconde personne peut faire une demande reconventionnelle afin d’obtenir une déclaration :

 

(3) The second person may bring a counterclaim for a declaration

a) soit au titre des paragraphes 60(1) ou (2) de la Loi sur les brevets à l’égard de toute revendication se rapportant à un brevet faite dans le cadre de l’action intentée en vertu du paragraphe (1) ...

 

(a) under subsection 60(1) or (2) of the Patent Act in respect of any patent claim asserted in the action brought under subsection (1) ...

[16]  Le fabricant de médicaments génériques est tenu de fournir les renseignements qui permettront à l’innovateur d’établir si le brevet en question est contrefait, ainsi que des précisions concernant toute allégation portant que le brevet est invalide. Le paragraphe 5(3) modifié du Règlement sur les MBAC prévoit ce qui suit :

(3) La seconde personne qui inclut une allégation visée à l’alinéa (2.1)c) est tenue de prendre les mesures suivantes:

 

(3) A second person who makes an allegation referred to in paragraph (2.1)(c) shall

 

a) signifier à la première personne un avis de l’allégation à l’égard de la présentation ou du supplément déposé en vertu des paragraphes (1) ou (2), à la date de son dépôt ou à toute date postérieure;

 

(a) serve on the first person a notice of allegation relating to the submission or supplement filed under subsection (1) or (2) on or after its date of filing;

 

b) insérer dans l’avis de l’allégation :

(b) include in the notice of allegation

 

(i) une description de l’ingrédient médicinal, de la forme posologique, de la concentration, de la voie d’administration et de l’utilisation de la drogue visée par la présentation ou le supplément,

 

(i) a description of the medicinal ingredient, dosage form, strength, route of administration and use of the drug in respect of which the submission or supplement has been filed, and

 

(ii) un énoncé du fondement juridique et factuel de l’allégation, lequel énoncé est détaillé dans le cas d’une allégation portant que le brevet ou le certificat de protection supplémentaire est invalide ou nul.

 

(ii) a statement of the legal and factual basis for the allegation, which statement must be detailed in the case of an allegation that the patent or certificate of supplementary protection is invalid or void;

 

c) signifier, avec l’avis, les documents suivants :

(c) serve the following documents with the notice:

 

...

 

...

 

(iii) une copie électronique — pouvant faire l’objet de recherches — de toute partie de la présentation ou du supplément qui est sous le contrôle de la seconde personne et qui est pertinente pour établir si un brevet ou un certificat de protection supplémentaire visé par l’allégation serait contrefait,

 

(iii) a searchable electronic copy of the portions of the submission or supplement that are under the control of the second person and relevant to determine if any patent or certificate of supplementary protection referred to in the allegation would be infringed, and

 

(iv) si la seconde personne allègue que le brevet ou le certificat de protection supplémentaire est invalide ou nul, une copie électronique — ainsi qu’une copie électronique en français ou en anglais si une telle copie est disponible — de tout document à l’appui de son allégation;

(iv) if the second person is alleging that the patent or certificate of supplementary protection is invalid or void, an electronic copy of any document – along with an electronic dopy of it in English or French if available – on which the person is relying in support of the allegation;

 

[17]  Le droit d’intenter une action est censé être de nature définitive. Comme le prévoit l’article 6.01 du Règlement sur les MBAC, l’innovateur ne peut intenter aucune autre action que l’action en contrefaçon à l’égard des brevets visés par l’AA, sauf s’il peut établir qu’il n’avait pas de motifs raisonnables pour intenter une action :

6.01 Aucune autre action qu’une action intentée en vertu du paragraphe 6(1) ne peut être intentée contre la seconde personne pour la contrefaçon d’un brevet ou d’un certificat de protection supplémentaire visé par un avis d’allégation signifié en application de l’alinéa 5(3)a) relativement à la fabrication, à la construction, à l’exploitation ou à la vente d’une drogue conformément à la présentation ou au supplément visé aux paragraphes 5(1) ou (2), sauf si la première personne ou le propriétaire du brevet n’avait pas, dans la période de quarante‑cinq jours prévue au paragraphe 6(1), de motifs raisonnables pour intenter une action en vertu de ce paragraphe.

 

6.01 No action, other than one brought under subsection 6(1), may be brought against the second person for infringement of a patent or a certificate of supplementary protection that is the subject of a notice of allegation served under paragraph 5(3)(1) in relation to the making, construction, using or selling of a drug in accordance with the submission or supplement referred to in subsection 5(1) or (2) unless the first person or the owner of the patent did not, within the 45‑day period referred to in subsection 6(1), have a reasonable basis for bringing an action under that subsection.

[18]  Comme dans le cadre de l’ancien régime, un fabricant de médicaments génériques peut réclamer des dommages‑intérêts, au titre de l’article 8 du Règlement sur les MBAC, pour les pertes subies pendant la période durant laquelle il a été tenu à l’écart du marché en raison d’une action qui a fait l’objet d’un désistement ou a été rejetée. La portée des dommages‑intérêts est élargie pour permettre à un fabricant de médicaments génériques de réclamer toute perte découlant d’un report de mise en marché. En outre, la période de responsabilité n’est pas limitée à une date de fin précise; un fabricant de médicaments génériques peut donc, à sa discrétion, préciser une date plus pertinente, autre que la date la plus tardive entre la date de signification de l’AA et la date à laquelle l’AC aurait été délivré n’eut été du Règlement sur les MBAC.

[19]  Les demanderesses affirment que l’objet de l’AA, en ce qui a trait à une allégation d’invalidité, n’a pas changé dans le cadre du nouveau régime. Elles soutiennent que l’interdiction d’intenter d’autres actions en contrefaçon à l’égard de brevets visés par un AA (article 6.01 du Règlement sur les MBAC) de même que la responsabilité accrue prévue par l’article 8 mettent encore plus l’accent sur l’importance de fournir un énoncé détaillé de toutes les questions d’invalidité qui seront soulevées dans le cadre de l’instance afin que l’innovateur puisse prendre une décision éclairée à savoir s’il doit intenter une action eu égard aux risques et à la responsabilité associés à cette décision.

[20]  Cependant, l’opinion selon laquelle l’AA limite les questions en litige de sorte qu’une défense ne peut jamais être modifiée pour y ajouter de nouveaux arguments va à l’encontre du libellé explicite du REIR et ne concorde pas avec l’esprit général du Règlement sur les MBAC.

[21]  Comme l’a souligné Taro, la Cour peut s’appuyer sur le REIR pour interpréter le Règlement sur les MBAC, comme l’a récemment fait la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Apotex Inc. c Bayer Inc., 2020 CAF 86 au para 53.

[22]  Bien qu’il soit nécessaire de fournir un énoncé détaillé quant au fondement juridique et factuel de toute allégation d’invalidité, comme il est indiqué à la page 40 du REIR, la signification d’un AA vise à faciliter l’examen à une étape précoce des questions susceptibles d’être soulevées dans la procédure, et non à circonscrire ou à limiter les questions et les arguments qui peuvent être soulevés dans la procédure, lesquels sont définis, contrairement à l’ancien régime, par les actes de procédure :

L’AA doit énoncer le fondement juridique et factuel des allégations formulées dans la présentation ou le supplément, ce qui faciliterait l’examen à une étape précoce des questions susceptibles d’être soulevées dans la procédure. Cette exigence ne limite aucunement les questions ou arguments qui peuvent être soulevés dans une procédure en vertu du règlement proposé. La portée de l’instance serait définie par les actes de procédure conformément aux règles et pratiques applicables, ce qui harmoniserait les procédures introduites en vertu du Règlement avec celles engagées en vertu de la Loi.

 

The NOA must provide a legal and factual basis for any allegation made in the submission or supplement. This will facilitate early consideration of issues likely to be raised in litigation. This requirement does not circumscribe or otherwise limit the issues and arguments that may be raised in a proceeding brought under the Regulations. The scope of proceedings will be defined by the pleadings in accordance with prevailing rules and practices. This will further align litigation under the Regulations with litigation under the Act.

 

[23]  Les documents qu’un fabricant de médicaments génériques doit maintenant produire avec son AA dans le cadre de sa présentation de drogue nouvelle permettent à l’innovateur d’évaluer si les brevets concernés seront contrefaits. Comme dans le cas d’une action en contrefaçon de brevet ordinaire, les faits substantiels concernant une allégation d’invalidité sont énoncés dans la défense et peuvent être énoncés dans une demande reconventionnelle. Les exigences liées à l’AA et à la production rapide des documents dans le cadre d’une allégation d’invalidité visent à fournir des détails sur l’allégation en question et à faciliter un examen précoce des documents de façon à accélérer les procédures et le règlement des affaires. Il ressort de cet objectif que les questions et les arguments soulevés dans une défense à l’appui d’une allégation d’invalidité doivent se fonder sur les questions et les arguments soulevés dans l’AA, sans nécessairement s’y limiter compte tenu de l’extrait du REIR cité précédemment. Aux pages 40 et 41 du REIR, il est indiqué ce qui suit :

Allégations d’invalidité

Invalidity allegations

 

L’AA doit fournir un fondement détaillé et factuel à l’appui de toute allégation d’invalidité. La seconde personne doit aussi fournir une copie électronique de tout document à l’appui de son allégation. L’exigence de fournir des allégations d’invalidité détaillées et des documents justificatifs vise à permettre aux premières personnes et aux propriétaires de brevet qui choisissent d’engager une procédure en vertu du Règlement de commencer à examiner et évaluer ces documents sans avoir à attendre la signification des actes de procédure de la seconde personne. Cette façon de faire aidera à accélérer les procédures et à faciliter le règlement des affaires dans le délai de 24 mois. On s’attend à que les juges responsables de la gestion de l’instance cherchent à savoir si un examen précoce des questions de validité était possible ou a été effectué lorsqu’ils fixeront le calendrier des procédures et prendront d’autres décisions concernant la gestion de l’instance.

 

The NOA must provide a detailed legal and factual basis for any allegation of invalidity. The second person must also include electronic copies of any document relied upon in support of the allegation. The requirement to provide detailed invalidity allegations and supporting documents is intended to allow first persons and patent owners who choose to bring a proceeding under the Regulations to begin reviewing and assessing these documents without having to await service of the second person’s pleadings. This will help expedite proceedings and facilitate resolution within 24 months. It is expected that case management judges will assess whether early consideration of validity issues was possible and undertaken when scheduling proceedings and making other case management decisions.

...

...

Allégations de non‑contrefaçon

Non‑infringement allegations

 

Les allégations de non‑contrefaçon n’ont pas besoin d’être aussi détaillées que les allégations d’invalidité. La seconde personne est libre de choisir jusqu’à quel point elle veut fournir des détails à l’appui de l’allégation de non‑contrefaçon. La seconde personne doit toutefois signifier, avec son AA, toute partie de sa présentation ou de son supplément qui peut être pertinente pour déterminer si un brevet inscrit serait contrefait. La seconde personne doit satisfaire à cette exigence même si elle ne formule aucune allégation de non‑contrefaçon. En examinant les parties pertinentes de la présentation ou du supplément, les premières personnes et les propriétaires de brevets seront en mesure d’évaluer si elles croient qu’un brevet inscrit sera contrefait. En faisant en sorte que les premières personnes et les propriétaires de brevets disposent des renseignements nécessaires et qu’ils puissent évaluer par eux‑mêmes s’il y a contrefaçon, cette approche reflète mieux le fardeau de la preuve appliqué dans les procédures introduites en vertu de la Loi concernant une contrefaçon de brevet.

 

Non‑infringement allegations need not be as detailed as invalidity allegations; a second person will be free to choose how detailed a non‑infringement allegation may be. However, the second person is required to serve, along with its NOA, any portions of its submission or supplement that could be relevant for determining whether a listed patent would be infringed. The second person must comply with this requirement even if it makes no allegation of non‑infringement. By reviewing relevant portions of the submission or supplement, first persons and patent owners will be able to assess whether they believe a listed patent will be infringed. By providing first persons and patent owners with needed information and leaving it to them to assess infringement, this approach better reflects the burden of proof applied when patent infringement is litigated under the Act.

 

[24]  L’objectif est d’harmoniser le mieux possible la procédure avec les actions en contrefaçon de brevet (REIR, pages 33‑34, 36) et de faire en sorte que les procédures soient régies par les actes de procédure (REIR, page 40). Il subsiste donc la possibilité que, dans certaines circonstances, les actes de procédure puissent être modifiés, si la Cour est convaincue qu’il est dans l’intérêt de la justice d’autoriser les modifications proposées.

[25]  En effet, le fait de traiter les questions comme étant définies par les actes de procédure comporte ses propres garanties puisque la Cour conserve son pouvoir discrétionnaire, comme il est mentionné plus loin, pour déterminer si une modification proposée à une défense devrait être autorisée au titre de l’article 75 des Règles des Cours fédérales.

[26]  La défenderesse a invoqué différents exemples dans lesquels une défense a été modifiée dans le cadre d’une action fondée sur le paragraphe 6(1) du Règlement sur les MBAC modifié : défenses dans les dossiers T‑353‑18 et T‑1416‑18. Elle affirme que ces dossiers appuient la position selon laquelle la portée des actions fondées sur le paragraphe 6(1) n’est pas limitée par l’AA de la partie. Dans le dossier T‑353‑18, les modifications consistaient à ajouter des éléments d’antériorité à un motif d’invalidité déjà soulevé dans l’acte de procédure. En revanche, dans le dossier T‑1416‑18, un nouveau motif d’invalidité a été ajouté par voie de modification. Les modifications ont été apportées avec le consentement des parties dans chacune de ces affaires, ce qui a pour effet de limiter ce que l’on peut en déduire, mais de tels exemples appuient de façon générale la prétention selon laquelle la modification de la défense d’une partie pour y ajouter des éléments d’antériorité et des motifs d’invalidité additionnels n’est pas interdite d’emblée.

[27]  Les demanderesses allèguent que la jurisprudence relative à l’AA sous l’ancien régime continue de s’appliquer aux allégations d’invalidité puisque le choix d’intenter une action et le risque, pour un innovateur, d’être condamné à des dommages‑intérêts, au titre de l’article 8 du Règlement sur les MBAC, demeure lié à l’AA. Cependant, cet argument n’appuie pas la distinction alléguée entre un AA fondé sur la non‑contrefaçon et un AA fondé sur l’invalidité étant donné qu’un innovateur qui retarde indûment l’entrée sur le marché d’un médicament générique en ne réussissant pas à établir la contrefaçon peut être tenu responsable, en vertu de l’article 8, au même titre qu’un innovateur qui ne réussit pas à réfuter une allégation d’invalidité d’un brevet. En outre, l’article 8 prévoit des garanties supplémentaires puisque tout argument selon lequel un innovateur a été indûment incité à intenter une action du fait d’un AA incomplet peut être invoqué au titre du paragraphe 8(6) du Règlement sur les MBAC, qui autorise la Cour à tenir compte de tous les facteurs qu’elle juge pertinents pour « déterminer le montant de l’indemnité à accorder — y compris la répartition de ce montant ». Dans le cas qui nous occupe, une procédure (l’action de Pharmascience) fondée sur une défense qui comprenait les modifications proposées dans la présente requête avait déjà été intentée.

[28]  Je souligne que les demanderesses ont aussi fait valoir que les modifications proposées ne devraient pas être autorisées puisqu’elles vont à l’encontre de l’article 6.09 du Règlement sur les MBAC, lequel exige des parties qu’elles agissent avec diligence en remplissant les obligations qui leur incombent au titre du Règlement et qu’elles collaborent au règlement expéditif de l’instance. Les demanderesses affirment que le fait d’autoriser un fabricant de médicaments génériques à invoquer des moyens de défense fondés sur l’invalidité n’ayant pas été soulevés dans l’AA introduirait une règle ouverte quant aux exigences relatives à l’AA et favoriserait les guets‑apens dans les litiges.

[29]  Bien que je convienne que la Cour ne devrait pas tolérer les efforts visant à tromper une partie quant aux questions et aux arguments qui seront soulevés à l’appui des allégations d’invalidité, ou à dissimuler la teneur de ces arguments, je suis d’avis que les circonstances entourant les modifications proposées en l’espèce n’indiquent pas que Taro a soustrait certaines allégations de son AA uniquement dans le but de compléter son argumentation dans sa défense.  En effet, la défense présentée en l’espèce était fondée sur l’AA de Taro, lequel compte 74 pages. Les modifications visent à permettre à Taro de soulever tous les arguments possibles dans sa défense, y compris ceux que l’on sait maintenant soulevés par Pharmascience dans une instance connexe. L’article 6.09 du Règlement sur les MBAC n’intervient pas dans ces circonstances.

[30]  L’autre argument des demanderesses selon lequel Taro ne devrait être autorisée à soulever ses modifications proposées que dans le cadre d’une demande reconventionnelle et non par voie de modification de sa défense n’est pas, à mon avis, appuyé par le Règlement sur les MBAC. Il n’y a aucune raison d’obliger Taro à procéder de cette façon. La proposition selon laquelle Taro pourrait présenter une demande reconventionnelle comprenant les modifications proposées donne plutôt à penser que l’ajout des allégations en question ne causerait aucun préjudice.

[31]  À mon avis, les modifications proposées doivent être examinées à la lumière des principes relatifs à la modification des actes de procédure énoncés dans les Règles sur les Cours fédérales.

III.  La Cour devrait‑elle exercer son pouvoir discrétionnaire pour autoriser les modifications proposées?

[32]  L’article 75 des Règles sur les Cours fédérales prévoit que la Cour peut, à tout moment, autoriser une partie à modifier un document, aux conditions qui permettent de protéger les droits de toutes les parties. La règle générale concernant la modification des actes de procédure est qu’« une modification devrait être autorisée à tout stade de l’action aux fins de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties, pourvu, notamment, que cette autorisation ne cause pas d’injustice à l’autre partie que des dépens ne pourraient réparer, et qu’elle serve les intérêts de la justice » : Canderel Ltée c Canada (1993), [1994] 1 C.F. 3 (CAF) à la page 10; Enercorp Sand Solutions Inc. c Specialized Desanders Inc., 2018 CAF 215 au para 19 (« Enercorp »).

[33]  En tant que question préliminaire, une requête en modification ne sera pas accueillie à moins que la modification comporte une possibilité raisonnable de succès lorsqu’on examine ses chances de succès dans le contexte du droit et du processus judiciaire : Teva Canada Limitée c Gilead Sciences Inc., 2016 CAF 176 aux para 29‑30. S’il est évident et manifeste que la modification serait radiée si elle était plaidée, elle ne devrait pas être accueillie : Enercorp, précitée, au para 22. Ce n’est qu’une fois que le seuil initial est atteint que la Cour examinera d’autres questions, comme le préjudice causé à la partie adverse.

[34]  Une fois établi qu’une modification proposée comporte une possibilité raisonnable de succès, les autres facteurs seront examinés en tenant compte des intérêts de la justice. Ces facteurs comprennent notamment : le moment auquel est présentée la requête visant la modification; la mesure dans laquelle les modifications proposées retarderaient l’instruction expéditive de l’affaire; la mesure dans laquelle la thèse adoptée à l’origine par une partie a amené une autre partie à suivre dans le litige une ligne de conduite qu’il serait difficile, voire impossible, de modifier; la mesure dans laquelle les modifications demandées faciliteront l’examen par la Cour du véritable fond du différend. Ces facteurs ne sont pas exhaustifs ni limitatifs; un exercice de pondération est nécessaire puisqu’aucun facteur n’est censé être prédominant. Il s’agit, en fin de compte, de s’attarder à la simple équité, au sens commun et à l’intérêt qu’ont les tribunaux à ce que justice soit faite : Janssen Inc. c Abbvie Corporation, 2014 CAF 242 au para 3 (AbbVie); Continental Bank Leasing Corp. c R., [1993] 93 DTC 298 (CCI) à la page 302.

[35]  En l’espèce, les modifications proposées ont déjà été présentées dans l’action de Pharmascience, sans objection de la part des demanderesses, ce qui signifie qu’elles comportent une possibilité raisonnable de succès.

[36]  Je ne suis pas d’accord avec les demanderesses pour dire que les modifications proposées seraient susceptibles d’être radiées au motif qu’elles constituent un abus de procédure. La défense présentée en l’espèce était fondée sur l’AA de Taro, lequel comptait 74 pages. Il ne s’agit pas ici d’un cas où les documents tels que rédigés initialement étaient volontairement lacunaires. En outre, l’argument s’appuie sur une interprétation du Règlement sur les MBAC qui limite la portée de la procédure aux seules questions soulevées dans l’AA. Pour les motifs susmentionnés, je suis d’avis que cette interprétation n’est pas étayée par l’esprit et les objectifs du Règlement sur les MBAC, tel que modifié.

[37]  En ce qui concerne l’allégation de préjudice, il est à noter que, même avant que soient soulevées les modifications proposées à la défense, les demanderesses avaient déterminé qu’une action devrait être intentée sur le fondement des mêmes allégations que celles formulées dans l’action de Pharmascience. L’argument selon lequel les modifications soulevées en l’espèce auraient eu une incidence sur la décision des demanderesses d’alléguer la contrefaçon n’est pas crédible.

[38]  En outre, comme les modifications proposées sont déjà en jeu dans l’action de Pharmascience, la défenderesse ne soulève aucun nouvel argument qui nécessitera une nouvelle appréciation de la validité des brevets des demanderesses.

[39]  La défenderesse a soulevé les modifications proposées tôt dans le processus, avant que les interrogatoires préalables aient eu lieu. Ainsi, il est difficile de voir en quoi le fait d’autoriser l’intégration des modifications dans l’instance pourrait causer un préjudice important aux demanderesses, d’autant plus que les allégations ont déjà été soulevées dans l’action de Pharmascience.

[40]  L’exercice de pondération des facteurs énoncés dans l’arrêt AbbVie et des principes d’équité, de sens commun et d’intérêt de la justice milite en faveur d’autoriser l’intégration des modifications dans l’instance :

  • - les modifications ont été proposées en temps opportun;

  • - les modifications ne retarderont pas l’instruction de l’action;

  • - les modifications soulèvent des allégations qui ne sont pas nouvelles puisqu’elles sont déjà en jeu dans l’action de Pharmascience;

  • - la ligne de conduite adoptée dans le litige ne sera pas déraisonnablement modifiée par l’intégration des modifications dans l’instance, d’autant plus que les modifications sont conformes à ce qui a été soulevé dans le cadre de l’instance antérieure à laquelle Pharmascience est partie et que la présente instance n’en est qu’à ses débuts;

  • - les modifications portent sur la validité fondamentale des brevets en cause et elles permettront d’harmoniser les arguments soulevés dans la présente affaire avec ceux soulevés dans l’action de Pharmascience.

IV.  Dépens

[41]  Sans connaître l’issue de la présente requête, chacune des parties a fait savoir dans ses plaidoiries que 5 000 $ payables sans délai constitueraient des dépens convenables dans l’éventualité où elle obtiendrait gain de cause. Le montant de 5 000 $ semble approprié dans les circonstances. Par conséquent, les dépens seront adjugés à Taro, dont la requête est accueillie.

[42]  Cependant, je ne juge pas approprié d’exiger que le paiement de ces dépens soit effectué sans délai. Comme il s’agissait de la première requête exigeant l’examen des dispositions du Règlement sur les MBAC modifié concernant l’AA, j’estime qu’elle n’était pas entièrement dénuée de fondement. Par conséquent, les dépens suivront l’issue de la cause.


ORDONNANCE dans le dossier T‑671‑20

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête est accueillie et Taro est autorisée à signifier et déposer sa défense modifiée, ce qu’elle doit faire dans les sept (7) jours suivant la date de la présente ordonnance.

  2. Des dépens d’un montant de 5 000 $ sont adjugés à Taro; ils suivront l’issue de la cause.

« Angela Furlanetto »

Juge responsable de la gestion de l’instance

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑671‑20

 

INTITULÉ :

SUNOVION PHARMACEUTICALS CANADA INC. ET SUMITOMO DAINIPPON PHARMA CO., LTD. c TARO PHARMACEUTICALS INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

tenue par vidéoconférence à Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 3 décembre 2020

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

JUGE RESPONSABLE DE LA GESTION DE L’INSTANCE FURLANETTO

 

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

le 11 janvier 2021

 

COMPARUTIONS :

James Holtom

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Scott Beeser

Jon Stainsby

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Aitken Klee LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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