Date : 20011217
Dossier : IMM-1455-01
Référence neutre : 2001 CFPI 1385
ENTRE :
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
demandeur
et
HAO CU LAO
défenderesse
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
Il s'agit d'une demande fondée sur l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration en vue d'obtenir le contrôle judiciaire d'une décision datée du 2 février 2001 dans laquelle la Section d'appel de la Commission de l'immigration et du Statut de réfugié (la Section d'appel) a fait droit à l'appel que Hao Cu Lao (la défenderesse) a interjeté contre le rejet de la demande parrainée de Jia Sheng Huang (M. Huang) et de ses enfants, Yong Jiu Huang et Yong Rui Huang.
LES FAITS
[2] La défenderesse a rencontré son époux aux alentours de 1975 à Saigon, alors qu'il était en mission de deux jours comme simple soldat de l'armée vietnamienne.
[3] Ce fut une brève rencontre où ils ont parlé de l'amour et de la possibilité d'un avenir ensemble.
[4] La défenderesse et M. Huang ont échangé leurs adresses et, après le retour de M. Huang au Nord Viêt-Nam, ils se sont écrits jusqu'en avril 1976.
[5] La défenderesse prenait cette relation au sérieux et croyait qu'il en était de même pour M. Huang; toutefois, ils ont perdu contact pendant environ vingt ans.
[6] Pendant ce temps, M. Huang s'est marié et a eu des enfants, mais en 1992, il a perdu son épouse dans un accident de motocyclette au cours duquel il a aussi été grièvement blessé.
[7] La défenderesse ne s'est jamais mariée et a immigré au Canada en 1995.
[8] En avril ou en mai 1996, la défenderesse assistait à une fête chez un oncle qui l'avait aidée quelque temps auparavant à trouver un emploi dans une fabrique de pièces d'automobiles à Guelph (Ontario).
[9] À cette occasion, elle a vu une photographie de M. Huang dans un album de photos et l'a reconnu; après s'être informée, elle a appris qu'il était le frère de l'ami de son oncle.
[10] Cela les a amenés à reprendre contact au moyen de lettres et de conversations téléphoniques.
[11] Le 9 mai 1997, la défenderesse a parrainé la demande de résidence permanente au Canada de M. Huang dans la catégorie de la famille (fiancé).
[12] Le 24 août 1997, la défenderesse a visité la Chine et quatre jours plus tard, le couple s'est marié.
[13] L'agente d'immigration Janet Waterman-Zhang (l'agente d'immigration) a fait passer une entrevue à M. Huang le 3 novembre 1998. À la suite de l'entrevue, elle n'était pas convaincue que M. Huang avait épousé la défenderesse avec l'intention de vivre avec elle en permanence; elle était plutôt d'avis qu'il s'était marié pour obtenir son admission au Canada.
[14] Dans la lettre de refus datée du 19 novembre 1999, l'agente d'immigration a donné cinq motifs à l'appui de sa décision :
1) les circonstances de la façon dont M. Huang a été présenté à la défenderesse;
2) l'incapacité de M. Huang de montrer qu'il connaît la répondante;
3) le fait que M. Huang a passé très peu de temps à apprendre à connaître son épouse quand elle l'a visité en Chine et qu'ils se sont mariés;
4) le fait qu'il n'y a pas eu de réception de mariage;
5) le fait que les parents de M. Huang et cinq de ses frères et soeurs étaient au Canada.
[15] La défenderesse a interjeté appel de la décision de l'agente d'immigration devant la Section d'appel, qui lui a donné gain de cause.
[16] Il s'agit en l'espèce d'une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par Colin MacAdam de la Section d'appel (le commissaire de la Section d'appel) le 2 février 2001.
LA QUESTION LITIGIEUSE
[17 ] Le commissaire de la Section d'appel a-t-il commis une erreur de droit en fondant sa décision d'accueillir l'appel sur des conclusions de fait tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve dont il disposait, de sorte que sa décision était manifestement déraisonnable?
L'ANALYSE
[18] Non, le commissaire de la Section d'appel n'a pas commis d'erreur de droit en fondant sa décision d'accueillir l'appel sur des conclusions de fait tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve dont il disposait, de sorte que sa décision était manifestement déraisonnable.
La norme de contrôle applicable
[19] Le demandeur s'appuie sur la décision Tandy Electronics Ltd. pour la détermination de la norme de contrôle applicable à la Section d'appel. La Commission des relations de travail de l'Ontario ressemble à la Section d'appel en ce qu'il s'agit de deux tribunaux hautement spécialisés, mais la Cour suprême du Canada dans Boulis c. Canada (Ministre de la Main d'oeuvre et de l'Immigration), [1974] R.C.S. 875, a examiné la question de la norme de contrôle applicable aux décisions de la Section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Dans cette affaire, le juge Abbott, citant lord MacMillan dans D.R. Fraser and Co.Ltd. v. Minister of National Revenue, [1949] A.C. 24, à la page 36, a dit :
[TRADUCTION] Les critères selon lesquels il faut juger l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire conféré par une loi ont été définis dans plusieurs arrêts qui font jurisprudence et il est admis que si le pouvoir discrétionnaire a été exercé de bonne foi, sans influence d'aucune considération étrangère, ni de façon arbitraire ou illégale, aucune cour n'a le droit d'intervenir, même si cette cour eût peut-être exercé ce pouvoir discrétionnaire autrement s'il lui avait appartenu.
[20] La Cour n'interviendra donc pas à la légère relativement aux décisions de la Section d'appel.
[21] En l'espèce, le demandeur se fonde sur des déclarations apparemment contradictoires dans la preuve documentaire et la transcription. Dans ses motifs, le commissaire de la Section d'appel fait référence à plusieurs de ces contradictions et affirme être convaincu que les lettres appuient raisonnablement la cohérence générale de l'histoire. À titre d'exemple, le demandeur prétend que le fait que la défenderesse incite M. Huang à venir au Canada rejoindre sa famille indique qu'ils se sont mariés principalement à des fins d'immigration et non pour vivre ensemble en permanence.
[22] Le commissaire de la Section d'appel fait référence à cette contradiction apparente et conclut que l'affirmation contestée dans la lettre établit uniquement que la défenderesse exprime des doutes sur la relation, ce qui est raisonnable compte tenu des circonstances inhabituelles de l'affaire. En outre, il conclut que leurs intentions sont claires parce que de nombreuses autres lettres sont remplies de références selon lesquelles la principale intention de M. Huang est de venir au Canada vivre avec son épouse. À la page 6 de sa décision, le commissaire de la Section d'appel affirme :
Pour résumer, j'accepte l'argument de l'appelante qu'il y a de nombreuses raisons pour lesquelles des personnes se marient. Je suis convaincu qu'en dépit du nombre de membres de sa famille que compte le requérant principal ici, il a contracté le mariage dans l'intention de vivre en permanence avec l'appelante et non principalement dans le but d'obtenir l'admission au Canada à titre de membre de la catégorie des parents.
[23] Ayant examiné les lettres et la transcription, j'estime que les conclusions du commissaire de la Section d'appel s'appuient raisonnablement sur la preuve et qu'il était autorisé en droit à les tirer.
Référence à la preuve
[24] Le fait que le commissaire de la Section d'appel n'ait pas mentionné chacune des incohérences et des failles apparentes dans la preuve ne rend pas sa décision déraisonnable. Le demandeur a des réserves quant au fait que la Section d'appel, pour rendre sa décision, n'a pas pris en considération une déclaration formulée par M. Huang au cours de son entrevue avec l'agente d'immigration, déclaration selon laquelle ce qu'il préférait de son épouse c'est qu'elle avait attendu 20 ans pour l'épouser, et d'autres déclarations faites à cette occasion et pouvant indiquer les intentions de M. Huang ou faire la lumière sur des incohérences.
[25] À mon avis, les questions auxquelles la Section d'appel décide de faire référence dans ses motifs pour fonder sa décision font la lumière sur son évaluation de la preuve. Dans l'arrêt Hoang c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] A.C.F. no 1096 (C.A.F.), le juge MacGuigan de la Cour d'appel fédérale a déclaré :
C'est à la Commission qu'il appartient de décider de la valeur probante qu'il y a lieu d'accorder à la preuve et cette décision n'est pas susceptible de révision par cette Cour.
[26] À mon avis, le fait que le commissaire de la Section d'appel ne se soit pas référé à certains aspects de l'entrevue de M. Huang avec l'agente d'immigration n'est pas fatal quant à la validité de la décision de la Section d'appel.
Les circonstances de la façon dont M. Huang a été présenté à la défenderesse
[27] Le commissaire de la Section d'appel s'est dans un premier temps penché sur les circonstances de la façon dont M. Huang a été présenté à la défenderesse. Il a examiné les lettres que se sont écrites la défenderesse et son mari avant et après le refus de l'agente de l'immigration, et il a noté deux affirmations en apparence contradictoires. Lorsqu'il a lu dans leur contexte les lettres mentionnées à la page 3 de sa décision, le commissaire de la Section d'appel a affirmé ce qui suit :
Lorsque je lis cette lettre dans le contexte des nombreuses lettres déposées en preuve qui sont antérieures et postérieures au refus, je ne peux qu'accepter l'argument de l'appelante selon lequel cette lettre reflète son grand étonnement devant la chance qu'elle avait d'être réunie avec le requérant principal après tellement d'années, et de constater qu'il était libre et disposé à l'épouser.
[28] De façon générale, pour ce qui est de la question des circonstances entourant la façon dont M. Huang a été présenté à la défenderesse, le commissaire de la Section d'appel, contrairement à l'agente d'immigration, s'est dit d'avis que l'histoire était crédible et s'appuyait raisonnablement sur la preuve.
L'incapacité de M. Huang de montrer qu'il connaît la répondante
[29] Le deuxième motif justifiant le refus était que M. Huang ne connaissait pas suffisamment la défenderesse au moment de son entrevue. Sur ce fondement, la Section d'appel a conclu aux pages 9 et 10 de sa décision :
Une lecture attentive des notes de l'entrevue figurant au dossier révèle que, en fait, le requérant principal en savait beaucoup au sujet de la façon dont il avait rencontré et revu plus tard l'appelante[...]
Le fait que M. Huang a passé très peu de temps à apprendre à connaître son épouse quand elle l'a visité en Chine et qu'ils se sont mariés
[30] Le troisième motif justifiant le refus a trait aux circonstances de la courte visite de la défenderesse en Chine où elle s'est mariée avec M. Huang. Le commissaire de la Section d'appel a conclu à la page 4 que bien que cette visite ait été brève, la preuve le convainquait que la défenderesse et M. Huang avaient eu de nombreux contacts avant le mariage :
Je ne trouve aucune raison de croire qu'il ne s'agit pas là d'un mariage authentique tout simplement parce que l'appelante n'est demeurée en Chine que pendant deux semaines. La preuve me convainc que l'appelante et le requérant principal ont eu de nombreux contacts dans les mois précédant le mariage, et que leurs sentiments l'un pour l'autre se sont intensifiés en raison de leur brève rencontre romantique vingt ans auparavant.
Le fait qu'il n'y a pas eu de réception de mariage
[31] En outre, l'explication donnée pour expliquer l'absence de réception au moment du mariage a convaincu le commissaire de la Section d'appel. En fait, on a témoigné au sujet du fait que dès qu'ils ont pu, M. Huang et la défenderesse ont organisé un petit dîner pour les parents et amis. À la page 4 de sa décision, le commissaire de la Section d'appel déclare :
L'appelante a donné un témoignage détaillé et très crédible concernant les circonstances du mariage. De même, elle a témoigné en détail au sujet d'un petit dîner tenu quelques jours après le mariage, avec des amis et parents du requérant principal. Je note qu'elle a déclaré que le dîner avait eu lieu le seul jour de repos dont disposaient, chaque semaine, le requérant principal et ses amis. Il s'agit là d'une explication raisonnable du problème de la tenue d'une réception au moment du mariage.
Les parents de M. Huang et cinq de ses frères et soeurs étaient au Canada
[32] Le commissaire de la Section d'appel s'est dit préoccupé par le cinquième motif justifiant le refus par l'agente d'immigration. Toutefois, à la page 5 de sa décision, il a noté :
Quoique cette situation pouvait créer des doutes quant aux principales intentions du requérant lorsqu'il a contracté le mariage, je suis convaincu par toute la preuve dont je suis saisi que la principale intention du requérant lorsqu'il s'est marié était de vivre avec l'appelante. Les lettres en preuve révèlent que l'appelante et le requérant principal ont aussi discuté ouvertement de cette question, c'est-à-dire la présence de membres de la famille du requérant au Canada. Dans une lettre, l'appelante incite le requérant principal à venir rejoindre sa famille au Canada.
Fabrication de la preuve
[33] Le demandeur soutient que le commissaire de la Section d'appel a rendu une décision manifestement déraisonnable parce qu'il n'a pas tenu compte du fait que la preuve soumise par la défenderesse avait pu être fabriquée dans le but de tromper les agents d'immigration. Cet argument ne tient pas. Dans ses motifs, à la page 5, le commissaire de la Section d'appel s'est penché sur la question de savoir s'il était en présence d'un « complot tramé avec soin » , en faisant référence aux affirmations de la défenderesse dans une de ses lettres, lettre où elle incitait M. Huang à venir la rejoindre au Canada :
Je conclus que ces remontrances indiquent une relation romantique naissante compatible avec leurs prétendues circonstances à l'époque. Pour en croire autrement, je devrais croire que toutes les lettres en preuve ont été fabriquées au fil du temps dans un complot tramé avec beaucoup de soin.
[34] Le commissaire de la Section d'appel a également déclaré que la défenderesse avait donné en substance un témoignage très crédible et que le « ton de tendresse » et l'authenticité des lettres produites en preuve le convainquaient.
[35] Il est du ressort du commissaire de la Section d'appel de tirer toutes ces conclusions. À la lumière de la norme de contrôle applicable aux décisions de la Section d'appel et pour tous les motifs exposés précédemment, le demandeur ne m'a pas convaincu qu'une erreur susceptible de contrôle a été commise.
[36] La question n'est pas de savoir si j'aurais rendu une décision différente si j'avais été à la place du commissaire de la Section d'appel. Je dois décider si celui-ci a commis une erreur qui pourrait justifier l'intervention de la Cour.
O R D O N N A N C E
EN CONSÉQUENCE, LA COUR ORDONNE :
La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Ni un ni l'autre avocat n'a proposé de question à certifier.
« Pierre BLAIS »
Juge
OTTAWA (ONTARIO)
Le 17 décembre 2001
Traduction certifiée conforme
Julie Boulanger, LL.M.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
NO DU GREFFE : IMM-1455-01
INTITULÉ : M.C.I. c. Hao Cu Lao
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : Le 11 décembre 2001
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS
DATE DES MOTIFS : Le 17 décembre 2001
COMPARUTIONS:
Mme Amina Riaz POUR LE DEMANDEUR
M. William Murray POUR LA DÉFENDERESSE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:
M. Morris Rosenberg POUR LE DEMANDEUR
Sous-procureur général du Canada
Samuel Eng. & Associates POUR LA DÉFENDERESSE
Markham (Ontario)