Date : 20040729
Dossier : IMM-5827-03
Référence : 2004 CF 1042
Ottawa (Ontario), le 29 juillet 2004
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER
ENTRE :
YOLANDE PERSUE
demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
LA JUGE SNIDER
[1] Mme Yolande Persue, une citoyenne de la Grenade, prétend être une réfugiée au sens de la Convention. Elle fonde sa demande sur son appartenance à un groupe social, à savoir les femmes de la Grenade victimes de violence familiale.
[2] Dans une décision datée du 3 juillet 2003, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que Mme Persue n'était pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger. La seule question déterminante dont était saisie la Commission avait trait à la protection de l'État. La Commission a conclu que, bien que la violence familiale demeure un problème grave à la Grenade et que la protection qu'offre l'État aux femmes victimes de violence n'est pas parfaite, il est quand même possible de se prévaloir de la protection de l'État dans ce pays.
[3] Mme Persue sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Commission.
[4] La seule question à trancher dans la présente demande est de savoir si la Commission a commis une erreur en concluant que la Grenade offre une protection adéquate aux femmes victimes de violence.
Analyse
[5] Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, à la page 724, la Cour suprême du Canada a conclu que, pour revendiquer avec succès le statut de réfugié au sens de la Convention, le demandeur doit fournir des éléments de preuve clairs et convaincants de l'absence de protection étatique. La question que soulève la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir si la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle en concluant qu'il est possible de se prévaloir de la protection de l'État à la Grenade. Pour répondre à cette question, il faut appliquer la norme de la décision manifestement déraisonnable (Alli c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2002), 20 Imm. L.R. (3d) 252 (C.F. 1re inst.).
[6] Il existe une présomption suivant laquelle l'État offre une protection à ses citoyens, et le demandeur ne peut réfuter cette présomption que s'il présente une preuve claire et convaincante démontrant le contraire. Le fardeau de la preuve qui incombe au demandeur est directement proportionnel au degré de démocratie atteint dans l'État en question. Plus les institutions de l'État seront démocratiques, plus le demandeur devra avoir cherché à épuiser les recours qui s'offrent à lui (Ward, précité, à la page 725; N.K. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 206 N.R. 272, au paragraphe 5 (C.A.F.)).
[7] Le fait que l'instance à laquelle s'est adressée Mme Persue pour obtenir la protection de l'État ne lui ait pas permis d'obtenir cette protection ne lui est pas utile : « Les omissions locales de maintenir l'ordre d'une façon efficace n'équivalent pas à une absence de protection étatique. » (Zhuravlvev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 187 F.T.R. 110, au paragraphe 31.)
[8] La Commission a conclu que Mme Persue pouvait obtenir une injonction restrictive comme type de protection. De plus, la Commission était saisie d'éléments de preuve selon lesquels la situation à la Grenade s'est améliorée pour les victimes de violence familiale depuis 1995, année où se sont produits les incidents de violence allégués. La protection offerte par l'État aux victimes n'est pas parfaite, étant donné qu'il dispose de ressources inadéquates pour mettre pleinement en oeuvre sa nouvelle législation en matière de violence familiale. Toutefois, l'existence de cette législation et sa mise en oeuvre progressive démontre une volonté sincère de l'État de protéger les victimes de violence. Cette volonté de protection, jointe à la possibilité d'obtenir une injonction restrictive - qui n'est pas contestée par Mme Persue dans ses observations -, montre que la décision de la Commission n'est pas manifestement déraisonnable.
[9] Enfin, contrairement à ce que prétend la demanderesse, je suis convaincue que la Commission n'a pas omis de tenir compte d'éléments de preuve pertinents quant à l'omission de la Grenade de pleinement mettre en oeuvre sa législation en matière de violence familiale. En renvoyant dans sa décision au fait que la protection qu'offre l'État aux victimes de violence familiale n'est pas parfaite, la Commission a pris acte, à mon avis, de la preuve dont elle était saisie. Cette preuve était de nature générale et n'indiquait pas que la demanderesse ne pouvait obtenir d'injonctions restrictives ou bénéficier d'autres moyens de protection.
[10] Pour ces motifs, la demande sera rejetée. Ni l'une ni l'autre des parties n'a proposé que je certifie une question de portée générale. Aucune question ne sera certifiée.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
1. La demande est rejetée; et
2. Aucune question de portée générale n'est certifiée.
« Judith A. Snider »
Juge
Traduction certifiée conforme
Julie Boulanger, LL.M.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-5827-03
INTITULÉ : YOLANDE PERSUE
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 27 JUILLET 2004
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LA JUGE SNIDER
DATE DES MOTIFS : LE 29 JUILLET 2004
COMPARUTIONS :
Hart A. Kaminker POUR LA DEMANDERESSE
Stephen Jarvis POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Kranc & Associates POUR LA DEMANDERESSE
Toronto (Ontario)
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada