Date : 20000302
Dossier : IMM-6829-98
ENTRE :
RUN AI HU (YEN OIL CHOW),
demanderesse,
- et -
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,
défendeur.
MOTIFS DE L"ORDONNANCE
LE JUGE LEMIEUX
Les faits
[1] Tous les membres de la famille Chow, à l"exception de Lap Kang Chow, sont résidents permanents du Canada. La présente demande de contrôle judiciaire, qui a été présentée par la mère Yen Oil Chow, concerne le refus en date du 15 septembre 1998 du consul à l"immigration au consulat général du Canada à Hong Kong (CGC) de délivrer un visa au fils en qualité de résident permanent.
[2] Les passages pertinents de la lettre qu"a fait parvenir le consul à la fille de la demanderesse sont les suivants :
[TRADUCTION] Comme vous le savez, il a été déterminé que M. Chow ne satisfait pas aux conditions pour être considéré comme le fils à charge de vos parents... Par conséquent... un visa d"immigrant ne pouvait pas être délivré à votre frère. |
[3] L"expression " fils à charge " est définie à l"article 2 du Règlement sur l"immigration (le Règlement) et fait partie des dispositions dudit règlement concernant le parrainage des parents. Cette définition est la suivante :
" fils à charge " : Fils |
a) soit qui est âgé de moins de 19 ans et n"est pas marié; |
b) soit qui est inscrit à une université, un collège ou un autre établissement d"enseignement et y suit à temps plein des cours de formation générale, théorique ou professionnelle, et qui : |
(i) d"une part, y a été inscrit et y a suivi sans interruption ce genre de cours depuis la date de ses 19 ans... |
[4] C"est en 1992 que la famille Chow a commencé ses démarches pour obtenir la résidence permanente au Canada après que la fille de la demanderesse, Sau Fa Chow, eut parrainé les membres de sa famille immédiate, savoir ses parents, son frère Lap Kang Chow et sa soeur Xiu Wei.
[5] Le dossier indique que le grand-père de la demanderesse est venu au Canada il y a une centaine d"années et que la famille étendue de la demanderesse (son frère, ses soeurs, ses cousins et cousines) sont très présents dans ce pays, bon nombre de ceux-ci étant maintenant citoyens canadiens.
[6] Sau Fa Chow a déposé la demande de parrainage de sa famille en décembre 1992 et a éprouvé des difficultés en raison de questions d"admissibilité et du fait que son père souffrait d"un problème médical qui n"a été réglé qu"après un certain temps.
[7] Ce n"est qu"en décembre 1996 que le CGC a tenu une entrevue par l"intermédiaire d"un interprète à Hong Kong. La demanderesse, son mari, sa fille Xiu Wei et son fils Lap Kang Chow étaient présents.
[8] Je souligne que Lap Kang Chow est né le 11 janvier 1973 et que les documents qu"il a remis au CGC indique ce qui suit :
a) il a terminé ses études primaires en 1988 à l"âge de 15 ans |
b) il a fréquenté une école secondaire de premier cycle du 1er septembre 1988 au mois de juin 1991 |
c) il a fréquenté une école secondaire de deuxième cycle de septembre 1991 à juin 1994 lorsqu"il a obtenu son diplôme; |
d) de septembre 1994 à 1997, il a étudié la comptabilité à l"université des télécommunications et de la radiodiffusion à Kaiping, province de Guangdong, en Chine. |
Les notes STIDI de l"agent des visas
[9] L"agent des visas qui a reçu la famille Chow en entrevue à Hong Kong, le 3 décembre 1996, n"a pas souscrit d"affidavit dans les présentes procédures de contrôle judiciaire. Ses notes STIDI font toutefois partie du dossier certifié du tribunal. L"agent des visas a tout d"abord reçu en entrevue la demanderesse et son mari, auxquels se sont plus tard joints Lap Kang Chow et sa soeur.
[10] Je reproduis intégralement les notes STIDI de l"agent des visas :
[TRADUCTION] Dans sa demande de résidence permanente et dans la formule jointe relativement à la composition de la famille qui a été remplie le 6 avril 91 et reçue le 19 avril 91, la répondante a écrit que ses frère et soeur étaient " en chômage ". Comme on l"a vu plus haut, la soeur Xiu Wei (née le 15 / 04 / 75) était alors âgée de 17 ans. Le frère, Liqiang (né le 11 / 01 / 73), était âgé de 20 ans. |
L"intéressée et son mari ont dit que leur fille Xiu Wei restait à la maison depuis qu"elle avait quitté l"école en 1990. Quant au fils, Liqiang, ils ont dit qu"il n"avait jamais travaillé et qu"il avait fréquenté l"école à temps plein jusqu"à maintenant. Même s"il n"était pas certain des dates (le mari, qui a parlé presque tout le temps, a dit à plusieurs reprises qu"ils n"étaient que de simples fermiers et que leur mémoire n"était pas bonne), le mari a dit qu"après avoir terminé l"école primaire en 1988 (à 15 ans), le fils a fréquenté sans interruption l"école secondaire de premier cycle, l"école secondaire de deuxième cycle et l"université des télécommunications à Kaiping. |
D"après les documents soumis, le fils/Liqiang a fréquenté l"école secondaire de premier cycle de sept. 88 à juin 91, l"école secondaire de deuxième cycle de sept. 91 à juin 94 et il fréquente l"université des télécommunications à Kiaping depuis sept. 94. |
Lorsqu"on lui a demandé pourquoi le fils avait commencé l"école primaire à 9 ans, le mari a répondu que c"était normal en Chine. |
(Plus tard au cours de l"entrevue, en présence des deux enfants, il a fait remarquer que la fille Xiu Hui avait commencé le primaire en 1981 à 6 ans, tandis que le fils Liqiang, de deux ans son aîné et âgé de 8 ans à l"époque, était censé être resté à la maison.) |
Interrogés au sujet du fait que la répondante avait dit dans la déclaration sur la composition de la famille que ses deux frère et soeur étaient au chômage en avril 91, l"intéressée et son mari ont dit qu"ils ne comprenaient pas, qu"elle avait peut-être fait une erreur. Cependant, ils ont confirmé qu"ils habitaient tous les cinq ensemble à ce moment-là (la répondante a obtenu l"établissement en déc. 91). |
Les deux enfants ont été convoqués au bureau. La fille/Xiu Hui a confirmé qu"elle avait quitté l"école après avoir terminé ses études secondaires de premier cycle en juin 90; elle a expliqué qu"elle n"avait pas poursuivi ses études parce qu"elle avait de mauvais résultats scolaires. Elle a dit qu"elle n"avait pas eu d"emploi lucratif, qu"elle aidait simplement aux tâches ménagères. Elle a ajouté qu"elle avait été formée comme couturière par une voisine qui avait une machine à coudre. Lorsqu"on lui a demandé si elle avait fréquenté l"école secondaire du premier cycle avec Liqiang, elle a répondu par l"affirmative, mais qu"ils n"étaient pas dans la même classe. Elle a dit que Liqiang avait terminé ses études un an plus tôt, en 1989. |
Ce dernier s"est montré un peu confus quant aux dates de ses études : à un moment donné, il a admis qu"il avait terminé ses études secondaires de premier cycle en 1989, puis il a dit les avoir terminées en 1991, puis il a hésité quand sa soeur a affirmé catégoriquement qu"il les avait terminées un an avant elle. Lorsqu"on lui a demandé comment il se faisait qu"il avait du retard dans ses études par rapport à sa soeur plus jeune (quand on sait l"importance qui est accordée au fils - et seulement au fils - dans la société chinoise), la mère est intervenue pour dire que c"était parce qu"il avait repris une année. |
Toutefois, le fils a nié l"avoir jamais fait. |
Le fils/Liqiang a ajouté qu"il avait fréquenté l"école secondaire de deuxième cycle de sept. 94 à juil. 94. Le document qu"il a produit avec sa demande est un document de remplacement qui lui a été délivré pour remplacer l"original " perdu ". Lorsqu"on lui a demandé comment il avait " perdu " l"original, Liqiang a dit qu"il lui avait été volé par un pickpocket. Devant ma totale incrédulité, Liqiang a dit que c"était vrai. La mère a ensuite ajouté que leur fiche du ménage avait aussi " disparu ", mais avait été retrouvée plus tard. Interrogé au sujet des diverses matières qu"il avait étudiées à l"école secondaire de deuxième cycle, Liqiang a été incapable de fournir des détails. |
Interrogé au sujet de son inscription (en comptabilité) à l"université des télécommunications et de la radiodiffusion de Guangdong, Liqiang a dit qu"il fréquentait cet établissement (c.-à-d. suivant des cours sur les télécommunications et faisant des travaux écrits) à " temps plein " depuis sept. 94. Lorsqu"on lui a demandé ce qu"il entendait par temps plein, il a réfléchi un long moment avant de dire 5 heures par jour. Interrogé sur le nombre de matières qu"il étudiait par semestre, il a été incapable de répondre. Le document soumis avec la demande indique 3 matières à l"automne 94; 4 au cours de la saison hiver/ printemps 1995; 4 à l"automne 1995; et 4 à la session hiver/printemps 1996. Un autre document indique qu"il est actuellement inscrit pour sa troisième et dernière année d"un cours d"une durée de trois ans. Lorsqu"on lui a demandé de noter par écrit tous les cours qu"il avait suivis jusqu"à maintenant, l"intéressé a été incapable d"en fournir un correctement. Il en a par ailleurs indiqué 4 autres qui n"avaient que des liens éloignés avec les matières inscrites dans son bulletin scolaire et 2 autres qui n"y figurent pas. Il a été incapable d"énumérer les huit autres matières indiquées dans son bulletin. Bien que l"intéressée, son mari et son fils aient soutenu qu"ils disaient la vérité et que le fils étudiait à temps plein depuis 1982, cela n"est pas croyable. Vu que la répondante a indiqué que son frère était au chômage depuis le début de 1991, étant donné que sa jeune soeur a clairement affirmé qu"il avait fini ses études secondaires de premier cycle un an avant elle (ils fréquentaient la même école et voyageaient ensemble), étant donné que le fils ne se rappelait pas s"il avait terminé ses études en 1989 ou 1989 [sic], étant donné qu"il était improbable que le fils - le seul fils d"une famille traditionnelle, sain de corps et d"esprit - ait commencé l"école un an après sa jeune soeur, étant donné que l"on ne peut pas se fier aux bulletins scolaires fournis (en particulier, le bulletin scolaire de l"école secondaire de deuxième cycle qui a été rempli par la même personne alors qu"il aurait dû l"être par cinq différents enseignants sur une période de six semestres et trois ans), vu qu"il a été impossible de discuter du curriculum de l"école secondaire de deuxième cycle et de celui de l"université des télécommunications, il est tout à fait évident que l"intéressé n"était pas un étudiant à temps plein (si même il était étudiant) depuis la date de ses 19 ans. Si l"on suit le cheminement scolaire de ses deux soeurs, le fils a plus probablement (et très raisonnablement) terminé ses études secondaires en 1989. Tous les documents scolaires produits au soutien de sa demande sont faux. Même si on lui donnait le bénéfice du doute quant aux cours de comptabilité qu"il suivrait ou auxquels il assisterait depuis sept. 94, il s"agit au mieux d"une proposition à temps partiel. |
Le fils n"appartient pas à la catégorie des parents. Lorsqu"on leur a demandé s"ils souhaitaient venir au Canada sans leur fils, l"intéressée et son mari ont déclaré qu"ils ne voulaient pas que la famille soit séparée, mais qu"ils désiraient quand même partir. |
(non souligné dans l"original)
[11] Les notes STIDI de l"agent des visas indiquent que le nom de Lap Kang Chow a été radié de la demande de parrainage le 4 décembre 1996 et que des visas de résidents permanents ont été délivrés à la demanderesse, à son mari et à sa fille qui sont venus au Canada.
[12] Le dossier certifié du tribunal ne précise pas si une lettre officielle de refus ou une confirmation de la radiation a été envoyée à la demanderesse au sujet de son fils; il était toutefois évident que celui-ci avait été refusé lorsque des visas ont été délivrés aux autres personnes en cause, mais pas à lui.
Suite des événements
[13] Le dossier certifié du tribunal indique que le CGC a reçu une télécopie d"Anna Terrana, députée de Vancouver Est, au sujet de la famille Chow. Le Premier secrétaire du CGC a répondu à la députée le 11 décembre 1996. Il a confirmé que Lap Kang Chow a été [TRADUCTION] " incapable de démontrer son statut permanent d"étudiant jusqu"à ce jour et que les documents produits pour étayer sa déclaration à cet égard étaient des faux. Notre conclusion est directement corroborée par les renseignements fournis par votre électrice dans sa demande d"avril 1990 relativement au statut de son frère ".
[14] Le dossier de la demanderesse fait état d"une procédure engagée par Sau Fa Chow, en sa qualité de répondante, devant la Section d"appel de l"immigration relativement à la décision de ne pas délivrer de visa d"immigrant à son frère. La Section d"appel de l"immigration a statué qu"elle n"avait pas compétence pour entendre l"appel parce qu"il n"y avait pas eu refus d"une demande d"établissement d"un parent.
[15] Lors du contrôle judiciaire, la demande a été présentée à madame le juge Reed qui a rejeté l"appel (IMM-5200-97, 29 juillet 1998). Le juge a toutefois dit qu"" on ne sait pas très bien si une décision définitive a été prise ou, dans l"affirmative, quand elle a été officiellement communiquée au fils et au père ". D"où la lettre du 15 septembre 1998 du consul en matière d"immigration au CGC et les procédures qui ont été engagées devant moi.
Ce que veut la demanderesse
[16] La demanderesse sollicite de la Cour une ordonnance portant qu"un visa d"immigrant doit être délivré à son fils. Dans l"affidavit qu"elle a souscrit au soutien de sa demande, elle déclare que son fils étudie à l"université des télécommunications et de la radiodiffusion et que ses parents subviennent à ses besoins financiers. Son fils est le dernier membre de sa famille en Chine.
[17] Le mari de la demanderesse a aussi déposé un affidavit dans lequel il corrobore les renseignements fournis par sa femme et ajoute qu"il n"a jamais consenti à ce que le nom de son fils soit radié de la demande de résidence permanente.
[18] L"oncle de La Kang Chow a aussi produit un affidavit corroborant.
Analyse
[19] Comme nous l"avons déjà dit, la famille Chow a comparu devant moi sans être représentée par un conseiller juridique, mais était assistée d"un interprète. Si l"on considère les limites de ce qu"un tribunal peut faire lors d"un contrôle judiciaire, leurs attentes étaient exagérées. Je leur ai indiqué que dans ce genre d"affaire où l"on examine la légalité d"une décision, la Cour n"est pas habilitée à ordonner la délivrance d"un visa.
[20] Malheureusement, il m"est impossible en l"espèce d"annuler la décision de l"agent des visas. Son refus reposait sur le fait qu"il avait déterminé que les documents produits pour étayer le statut de fils à charge de Lap Kang Chow étaient faux ou, subsidiairement, s"ils ne l"étaient pas, que le fils ne fréquentait pas l"université des télécommunications et de la radiodiffusion à temps plein comme l"exige le Règlement.
[21] Dans l"arrêt SCFP c. Montréal, [1997] R.C.S. 793, à la p. 844, madame le juge L"Heureux-Dubé de la Cour suprême du Canada a réitéré dans ses motifs les paramètres guidant la révision des conclusions de fait par une cour de justice. Notre Cour n"a pas le droit de revoir les faits ou d"apprécier la preuve, et ce n"est que lorsque la preuve, examinée raisonnablement, ne peut servir de fondement aux conclusions du tribunal qu"une conclusion de fait sera manifestement déraisonnable.
[22] En l"espèce, s"appuyant sur ce qu"il a vu et entendu à l"entrevue du 3 décembre 1996, l"agent des visas a tiré sa conclusion sur la crédibilité à partir des invraisemblances, des contradictions et des incohérences qu"il a constatées.
[23] Je ne peux pas intervenir dans les circonstances parce qu"il était raisonnablement loisible à l"agent des visas de conclure comme il l"a fait.
[24] Je ne suis pas habilité à ordonner la délivrance d"un visa pour des raisons d"ordre humanitaire, même si les conditions nécessaires à cette fin étaient présentes. Cette question relève d"autres autorités.
[25] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
(signé) " F. Lemieux "
_________________________________ |
Juge
2 mars 2000
Vancouver (Colombie-Britannique)
Traduction certifiée conforme
Suzanne Bolduc, LL.B.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION D"IMMIGRATION
AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER
No DU GREFFE : IMM-6829-98
INTITULÉ DE LA CAUSE : Run Ai Hu (Yen Oil Chow)
c.
MCI
LIEU DE L"AUDIENCE : Vancouver (Colombie-Britannique)
DATE DE L"AUDIENCE : 22 février 2000
MOTIFS DE L"ORDONNANCE du juge Lemieux en date du 2 mars 2000
ONT COMPARU :
Run Ai Hu pour la demanderesse |
Garth Smith pour le défendeur |
PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :
Run Ai Hu
Vancouver (C.-B.) pour la demanderesse |
Morris Rosenberg
Sous-procureur général
du Canada pour le défendeur |