Dossier : T-1742-19
Référence : 2020 CF 1144
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 14 décembre 2020
En présence de monsieur le juge Favel
ENTRE :
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CLARISSE LECOQ
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demanderesse
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et
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NATION CRIE DE PETER BALLANTYNE et
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WARREN MCCALLUM
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défendeurs
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I.
Nature de l’affaire
[1]
La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée par la demanderesse, Mme Clarisse Lecoq [Mme Lecoq], conformément au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, relativement à une décision rendue le 2 octobre 2019 [la décision contestée] par le tribunal d’appel de la Nation crie de Peter Ballantyne [le tribunal d’appel].
[2]
Dans la décision contestée, le tribunal d’appel a fait droit à l’appel de M. Warren McCallum [M. McCallum] concernant l’élection de Mme Lecoq à titre de conseillère de la Nation crie de Peter Ballantyne [la NCPB] pour le district urbain de Prince Albert lors de l’élection partielle du 15 août 2019. Le tribunal d’appel a conclu que le comportement de certains membres du personnel électoral avait [traduction] « donné l’impression que ceux-ci cherchaient à influencer »
les résultats, en violation du code électoral de la Nation crie de Peter Ballantyne [le code électoral]. Le tribunal d’appel a ordonné la tenue d’une élection partielle dans les 30 jours suivant le prononcé de sa décision, conformément à l’alinéa 8e) du code électoral.
[3]
Mme Lecoq demande à la Cour d’annuler la décision du tribunal d’appel et d’ordonner qu’elle continue d’exercer ses fonctions de conseillère de la NCPB.
[4]
Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.
II.
Historique et contexte
A.
Contexte historique
[5]
La sélection des dirigeants des communautés des Premières Nations au Canada n’a pas toujours été opérée par voie d’élections. Avant l’imposition de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I-5, aux communautés des Premières Nations, celles-ci possédaient leurs propres modes de gouvernance. Notamment, elles choisissaient leurs dirigeants selon des lois, des coutumes, des traditions et des pratiques établies depuis longtemps. Les Premières Nations disposaient également de leurs propres systèmes de règlement des différends pour résoudre les conflits au sein des communautés.
[6]
La Loi sur les Indiens a modifié unilatéralement ces systèmes de gouvernance et de règlement des différends, et imposé une forme de délégation de pouvoirs qui comprenait des élections. Il y a actuellement trois principales façons pour les Premières nations de choisir leurs dirigeants. Elles peuvent tenir des élections en vertu (1) de la Loi sur les Indiens, (2) des lois électorales coutumières ou (3) des accords sur l’autonomie gouvernementale. En outre, un petit nombre de Premières nations choisissent leurs dirigeants par voie de représentation héréditaire et/ou d’un système de clans, ce qui peut inclure des élections dans certaines circonstances.
[7]
La NCPB choisit ses dirigeants en vertu d’une loi électorale coutumière, soit le code électoral.
B.
NCPB
[8]
La NCPB est une bande au sens de la Loi sur les Indiens. Elle est signataire du Traité no 6 et se situe dans le nord de la Saskatchewan. Elle est composée de sept réserves : la réserve de Pelican Narrows, la réserve de Sandy Bay, la réserve de Deschambault Lake, la réserve d’Amisk Lake (Denare Beach), la réserve de Southend, la réserve de Kinoosao et la réserve de Sturgeon Landing.
[9]
Élaboré par les membres de la NCPB, le code électoral régit le mode d’élection du chef et des conseillers. Il prévoit des postes de conseillers pour chacune des sept réserves, ainsi qu’un poste de conseiller pour le district urbain de Prince Albert.
C.
Appel des élections de 2018 et déclenchement de l’élection partielle de 2019
[10]
Mme Lecoq et M. McCallum étaient candidats au poste de conseiller pour le district urbain de Prince Albert aux élections générales de 2018. M. McCallum a remporté l’élection, mais Mme Lecoq a fait appel des résultats de l’élection, avec succès.
[11]
M. McCallum a présenté une demande de contrôle judiciaire de cette décision rendue en 2018 par le tribunal d’appel, que notre Cour a rejetée (McCallum c Nation Crie Peter Ballantyne, 2019 CF 898) [McCallum 2019]. En conséquence, une élection partielle a été tenue le 15 août 2019 pour pourvoir le poste de conseiller pour le district urbain de Prince Albert. Mme Lecoq, M. McCallum et un troisième membre de la NCPB ont présenté leur candidature à ce poste.
[12]
Lors de l’élection partielle de 2019, la NCPB a engagé un tiers, John Dorion, à titre d’observateur indépendant, chargé d’observer l’élection et de rédiger un rapport. Le rapport de M. Dorion est inclus dans le dossier de la Cour.
D.
Appel interjeté en 2019
[13]
Le 30 août 2019, M. McCallum a interjeté appel des résultats de l’élection partielle de 2019. Le 13 septembre 2019, Ida Swan [Mme Swan], Victoria Michelle [Mme Michelle], Leonard Bear [M. Bear] et Helen Bodnar [Mme Bodnar], membres du tribunal d’appel, se sont rencontrés et ont décidé que la preuve était suffisante pour justifier l’instruction de l’appel.
[14]
Le 18 septembre 2019, Mme Lecoq a écrit au directeur général des élections pour s’opposer à l’habilité de Mme Michelle et de Mme Bodnar à siéger au tribunal d’appel, au motif que leur nomination contrevenait à l’article 7 du code électoral. Mme Lecoq s’est également opposée à ce que Mme Swan entende l’appel, en raison d’un conflit d’intérêts et d’une crainte de partialité. En outre, Mme Lecoq a contesté la validité de l’appel interjeté par M. McCallum, compte tenu des documents qu’il avait déposés. Le même jour, l’avocat de Mme Lecoq a adressé une lettre au directeur général des élections pour s’enquérir de la date, de l’heure et du lieu de l’instruction de l’appel et pour soulever la question du conflit d’intérêts.
[15]
Le 30 septembre 2019, le tribunal d’appel a tenu une audience conformément à l’article 8 du code électoral. Au début de l’audience, l’avocat de Mme Lecoq a réitéré les objections qui avaient été soulevées dans la lettre du 18 septembre 2019. Le tribunal d’appel en a discuté avec toutes les personnes présentes, puis a décidé que l’audience se poursuivrait devant les membres présents. Mme Swan a affirmé qu’elle ne se récuserait pas, comme elle l’avait fait en 2018, parce que quelqu’un lui avait dit que ce n’était pas nécessaire.
[16]
Au début de l’audience, Mme Swan, en sa qualité de présidente du tribunal d’appel, a déclaré que le tribunal d’appel ne ferait prêter serment à personne et qu’il n’interrogerait et ne contre-interrogerait personne.
[17]
Au cours de l’audience, Mme Lecoq a reconnu qu’il y avait eu quelques anomalies dans l’élection partielle, mais a déclaré que, selon elle, celles-ci n’étaient pas suffisamment importantes pour justifier la tenue d’une nouvelle élection partielle. Elle a demandé au tribunal d’appel de rejeter l’appel en vertu de l’alinéa 8e) du code électoral.
[18]
Après délibérations, le tribunal d’appel a rendu sa décision et fait droit à l’appel de M. McCallum. Acceptant les éléments de preuve présentés par M. McCallum, le tribunal d’appel a conclu que certains agissements des membres du personnel électoral avaient influé sur les résultats de l’élection et que le fait qu’une personne avait été renvoyée du bureau de vote soulevait la possibilité que d’autres personnes l’aient été également. Le tribunal d’appel a recommandé que la NCPB prenne des mesures pour régler certains problèmes avant les prochaines élections générales, prévues pour 2021. Le 2 octobre 2019, l’avocat du tribunal d’appel a fourni les motifs écrits de la décision.
[19]
Le 14 novembre 2019, la Cour a accueilli la requête en injonction de Mme Lecoq et a ordonné la suspension de l’élection partielle et le maintien en poste de Mme Lecoq à titre de conseillère pour le district urbain de Prince Albert jusqu’à ce qu’il soit statué sur la présente demande de contrôle judiciaire. L’ordonnance du 14 novembre 2019 a également ajouté M. McCallum à titre de défendeur.
[20]
Le 4 février 2020, la Cour a ordonné que le nom des membres du tribunal d’appel soit retiré de l’intitulé, au titre du paragraphe 303(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles). La NCPB est également défenderesse dans la présente affaire.
[21]
Mme Lecoq soulève les motifs de contrôle judiciaire suivants dans son avis de demande :
A. L’audience du tribunal d’appel constituait un abus de procédure, un déni de justice naturelle et un manquement à l’équité procédurale.
i. Le tribunal d’appel a été irrégulièrement formé, compte tenu de l’article 7 du code électoral, puisque deux de ses membres ont été nommés plutôt qu’élus. De plus, le directeur général des élections, Randy Clarke, a omis de disqualifier un membre du tribunal d’appel pour cause de conflit d’intérêts et de crainte de partialité;
ii. Le directeur général des élections a accepté à tort d’instruire l’appel, même si aucun affidavit n’a été remis, comme l’exige l’alinéa 8a) du code électoral;
iii. Le tribunal d’appel n’a pas accordé le poids qu’il convenait au rapport de l’observateur indépendant, John Dorion;
iv. Le tribunal d’appel n’a pas autorisé les témoins à prêter serment ou à être interrogés ou contre-interrogés.
E.
Preuve
[22]
La présente instance soulève des questions importantes, mais la Cour dispose seulement de l’affidavit de Mme Lecoq. Cet affidavit contient, entre autres pièces, la décision relative à l’appel de 2018. Mme Lecoq n’a pas été contre-interrogée sur le contenu de son affidavit. La Cour ne dispose d’aucun élément de preuve provenant des membres du tribunal d’appel, exception faite de la décision contestée et de la lettre de son avocat datée du 12 novembre 2019.
[23]
M. McCallum n’a pas déposé d’affidavit ni d’observations dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. Par excès de prudence, la Cour a ordonné au greffe de communiquer avec l’avocate de M. McCallum pour confirmer que celui-ci avait reçu signification des observations de Mme Lecoq et de la NCPB. Après avoir confirmé la signification, l’avocate de M. McCallum a demandé l’autorisation de présenter des observations. La Cour a refusé, mais elle a accordé à l’avocate de M. McCallum le statut d’observateur.
[24]
La NCPB n’a pas pris position sur le fond de la demande, sauf pour ce qui est mentionné ci-après, mais elle a présenté des observations sur les dépens.
III.
Questions et norme de contrôle
[25]
Mme Lecoq soulève de nombreuses questions quant à la procédure d’appel :
A. Le tribunal d’appel a-t-il été régulièrement formé?
i. Helen Bodnar et Victoria Michelle étaient-elles des membres en règle du tribunal d’appel?
ii. Ida Swan aurait-elle dû se récuser?
B. L’avis d’appel de WarrenMcCallum, qui n’était pas accompagné d’un affidavit, a-t-il été accepté à tort par le tribunal d’appel, d’une part, en vue de son examen et, d’autre part, en vue d’une audience?
C. Le déroulement de l’audience d’appel était-il déraisonnable, a-t-il constitué un déni de justice naturelle et était-il inéquitable sur le plan de la procédure?
D. La décision du tribunal d’appel était-elle manifestement déraisonnable?
[26]
Je reformulerai comme suit ces questions :
1) Le déroulement de l’audience d’appel était-il inéquitable sur le plan de la procédure?
2) Le tribunal d’appel a-t-il été régulièrement formé?
3) L’appel de M. McCallum a-t-il été valablement accepté?
4) La décision contestée était-elle raisonnable?
[27]
Les questions d’équité procédurale sont généralement examinées selon la norme de la décision correcte (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 49-56; Établissement de Mission c Khela, [2014] 1 RCS 502 au para 79). Toutefois, « l’obligation d’équité [est] souple et variable et [elle] repose sur une appréciation du contexte de la loi particulière et des droits visés »
(Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CSC 699 au para 22 [Baker]).
[28]
Comme l’a récemment fait observer ma collègue la juge Strickland dans la décision Blois c Nation crie d’Onion Lake, 2020 CF 953 [Blois] :
[26] Les questions d’équité procédurale sont examinées selon la norme de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au para 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au para 43; Canada c Première Nation d’Akisq’nuk, 2017 CAF 175, au para 19; Gadwa c Kehewin Première Nation, 2016 CF 597, au para 19, conf. par 2017 CAF 203; Morin c Nation crie d’Enoch, 2020 CF 696, au para 21; Tourangeau, au para 26). Dans le cadre d’un contrôle selon la norme de la décision correcte, aucune déférence n’est due au décideur, et la cour de révision établit s’il y a eu un manquement à l’obligation d’équité procédurale à l’égard de la partie demanderesse (Elson c Canada (Procureur général), 2019 CAF 27, au para 31; Connolly c Canada (Revenu national), 2019 CAF 161, au para 57).
[29]
Ainsi, la première question, y compris la question de la partialité, doit être examinée selon la norme de la décision correcte.
[30]
Les deuxième et troisième questions portent sur l’interprétation du code électoral; elles seront examinées selon la norme de la décision raisonnable (Blois, au para 24; Sturgeon Lake Cree Nation c Hamelin, 2018 CAF 131).
[31]
La quatrième question sera examinée en fonction de la norme de la décision raisonnable telle qu’elle est décrite dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Une cour de révision « doit être convaincue [que la décision] souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence »
(Vavilov, au para 100). Si la Cour conclut que la décision contestée est fondée sur une analyse cohérente et rationnelle et qu’elle est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles, la décision sera jugée raisonnable (Vavilov, au para 85).
[32]
Dans le contexte de son examen du caractère raisonnable de la décision contestée, la Cour doit éviter de soupeser et d’apprécier à nouveau la preuve (Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31 au para 55).
IV.
Observations des parties
A.
NCPB
[33]
La NCPB n’a pas pris position sur le fond de l’affaire; ses observations portent uniquement sur la question des dépens. Cela étant dit, la NCPB soutient que l’annulation par la Cour de la décision contestée [traduction] « reviendrait à faire abstraction des préoccupations susceptibles d’être valables exprimées par le tribunal d’appel dans le contexte de la procédure d’appel à laquelle Mme Lecoq s’oppose »
. La NCPB ajoute que certains problèmes liés au code électoral pourraient en conséquence ne pas être réglés.
B.
Mme Lecoq
[34]
Mme Lecoq fait valoir que le directeur général des élections a accepté l’appel de M. McCallum alors que celui-ci était irrégulièrement formé, en contravention de l’alinéa 8a) du code électoral. Elle déclare que, M. McCallum ayant omis de joindre un affidavit à son avis d’appel, son appel n’aurait pas dû être instruit et que le tribunal d’appel n’avait donc pas compétence pour l’examiner.
[35]
Mme Lecoq soutient que la composition du tribunal d’appel contrevient à l’article 7 du code électoral, parce que le directeur général des élections a nommé Mme Bodnar et Mme Michelle, alors que les membres du tribunal d’appel doivent être choisis par la communauté.
[36]
Mme Lecoq prétend aussi que le directeur général des élections n’a pas disqualifié Mme Swan en raison d’un conflit d’intérêts et d’une crainte de partialité. La crainte de partialité découlait du fait que Mme Swan s’était récusée de l’instruction de l’appel, qui visait les mêmes parties, en 2018. En outre, Mme Swan est la secrétaire-trésorière d’un conseil d’administration dont M. McCallum est le président. Mme Lecoq affirme que Mme Swan n’a fourni aucune raison valable pour refuser de se récuser.
[37]
En outre, Mme Lecoq conteste la procédure d’instruction de l’appel dans la mesure où les témoins n’ont pas été assermentés, interrogés ni contre-interrogés et aucune pièce n’a été acceptée.
[38]
Mme Lecoq fait valoir que la conclusion du tribunal d’appel – selon laquelle le fait qu’un membre éligible a été renvoyé du bureau de vote avant d’avoir l’occasion de voter aurait pu influer sur les résultats de l’élection – est manifestement déraisonnable, surtout compte tenu du fait qu’elle a remporté l’élection partielle par 110 voix. Mme Lecoq ajoute que rien ne prouve que les membres du personnel électoral ont tenté d’influer sur les résultats de l’élection ou qu’un incident quelconque ait influé sur les résultats de l’élection le jour de l’élection partielle.
[39]
Mme Lecoq affirme aussi que la décision contestée est inéquitable sur le plan procédural, car elle n’a pas été suffisamment motivée et qu’elle ne contient pas de résumé des faits montrant les éléments pris en compte par le tribunal d’appel pour arriver à sa décision.
[40]
Enfin, Mme Lecoq prétend que le tribunal d’appel n’a pas accordé de poids à la preuve de l’observateur indépendant, M. Dorion, au motif qu’il n’était pas membre de la NCPB.
V.
Analyse
A.
Le déroulement de l’audience d’appel était-il équitable sur le plan procédural?
[41]
La Cour suprême a déclaré ce qui suit dans l’arrêt Vavilov :
[77] Il est de jurisprudence constante que l’équité procédurale n’exige pas que toutes les décisions administratives soient motivées. L’obligation d’équité procédurale en droit administratif est « éminemment variable », intrinsèquement souple et tributaire du contexte : Knight c Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653, p. 682; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, par. 22‑23; Moreau‑Bérubé, par. 74‑75; Dunsmuir, par. 79. Dans le cas d’un contexte décisionnel administratif qui donne lieu à une obligation d’équité procédurale, les exigences procédurales applicables sont déterminées eu égard à l’ensemble des circonstances : Baker, par. 21. Dans l’arrêt Baker, la Cour a dressé une liste non exhaustive de facteurs qui servent à définir le contenu de l’obligation d’équité procédurale dans un cas donné, notamment la nécessité de fournir des motifs écrits. Parmi ces facteurs, mentionnons (1) la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir; (2) la nature du régime législatif; (3) l’importance de la décision pour l’individu ou les individus visés; (4) les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision; et (5) les choix de procédure faits par le décideur administratif lui‑même : Baker, par. 23‑27; voir également Congrégation des témoins de Jéhovah de St‑Jérôme‑Lafontaine c. Lafontaine (Village), 2004 CSC 48, [2004] 2 R.C.S. 650, par. 5. Parmi les cas où des motifs écrits sont généralement nécessaires, on compte les situations où le processus décisionnel accorde aux parties le droit de participer, où une décision défavorable aurait une incidence considérable sur l’intéressé, ou encore celles où il existe un droit d’appel : Baker, par. 43; D. J. M. Brown et l’honorable J. M. Evans, avec l’aide de D. Fairlie, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), vol. 3, p. 12‑54.
(1)
Déroulement de l’audience relative à l’appel
[42]
Mme Lecoq fait valoir que l’audience devant le tribunal d’appel était déraisonnable, vu l’absence de témoins assermentés, de contre-interrogatoire et de pièces acceptées. Elle fournit aussi des exemples d’objections soulevées auprès le tribunal d’appel, tant avant que pendant l’audience. De plus, elle souligne que le déroulement de l’audience relative à l’appel de 2019 contraste vivement avec celui de l’audience relative à l’appel de 2018.
[43]
Plus le processus administratif se rapproche du processus judiciaire, plus la protection procédurale est susceptible de se rapprocher de celle exigée pour un procès formel (Knight c Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 RCS 653 à la p 683). L’alinéa 8e) du code électoral précise que [traduction] « l’instruction de l’appel prendra la forme d’une séance officielle à laquelle participeront le tribunal d’appel, un avocat indépendant, l’appelant et son avocat, ainsi que tout candidat concerné et son avocat »
.
[44]
Plus une décision est importante et plus ses répercussions sont grandes, plus les protections procédurales requises seront rigoureuses. Ainsi, une justice de haute qualité est exigée lorsque le droit d’une personne d’exercer sa profession ou de garder son emploi est en jeu, parce qu’une décision défavorable peut avoir des conséquences graves et permanentes sur une carrière (Baker, au para 25).
[45]
Compte tenu des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker, je conclus qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale en l’espèce.
[46]
Le code électoral ne prévoit pas de droit d’appel de la décision du tribunal d’appel, ce qui fait ressortir la nécessité d’un degré élevé d’équité procédurale. L’issue de l’appel a également des répercussions importantes tant sur la gouvernance de la NCPB que sur Mme Lecoq et M. McCallum. À la lumière de ces facteurs, je conclus que la procédure d’appel comporte une composante judiciaire et que, en fonction des exigences du code électoral, un certain degré de formalité et de vérification de la preuve est nécessaire dans le contexte de l’instruction.
[47]
Le tribunal d’appel a instruit l’appel de Mme Lecoq en 2018. Sept témoins ont été assignés à l’audience, et dix pièces ont été présentées. Chaque témoin a été assermenté, interrogé et contre-interrogé, avec la possibilité d’être réinterrogé. Le tribunal d’appel a lui aussi posé des questions aux parties. À la suite de l’audience, le tribunal d’appel a fourni les motifs écrits de sa décision. Ceux-ci faisaient 15 pages et comportaient 101 paragraphes, dans lesquels le tribunal d’appel a présenté les faits, les observations des parties et son analyse. Mme Lecoq pouvait donc légitimement s’attendre à bénéficier du même degré d’équité procédurale et de transparence.
[48]
La seule preuve fournie à la Cour sur le déroulement des appels devant le tribunal d’appel est la procédure suivie dans le cadre de l’appel de 2018. Bien que le processus d’appel en 2018 ait été très formel et ait mené à une décision exhaustive, un tel degré de formalité n’est pas toujours nécessaire. Ce qui est nécessaire, c’est la capacité de vérifier la preuve fournie par les témoins.
[49]
Je suis conscient que le plaideur qui soulève des questions d’équité procédurale doit les soulever à la première occasion devant l’organisme décisionnel devant laquelle il comparaît (McCallum 2019, au para 54). Mme Lecoq a soulevé des objections, comme je l’ai déjà mentionné, mais non sur la question de savoir si l’audience relative à l’appel de 2019 correspondrait à celle relative à l’appel de 2018. Néanmoins, compte tenu du témoignage de Mme Lecoq, Mme Swan a déclaré au début de l’audience relative à l’appel de 2019 que l’audience serait différente de la précédente; on peut donc en déduire que la comparaison avec la procédure d’appel de 2018 était présente dans l’esprit des gens.
[50]
Les tribunaux doivent veiller à ce qu’il y ait une certaine cohérence dans leur procédure afin d’inspirer la confiance dans la communauté. Les organes d’appel jouent un rôle important dans le contexte de l’exercice par la Première Nation de sa compétence, chaque question traitée fournissant l’occasion de créer un ensemble de décisions faisant jurisprudence. Pour ce faire, il faut mettre en œuvre des garanties procédurales, par exemple la capacité de vérifier correctement la preuve de façon uniforme. Cela ne s’est pas produit en l’espèce.
[51]
Par conséquent, je conclus que le tribunal d’appel a manqué à son devoir d’équité procédurale envers Mme Lecoq lors de l’audience relative à l’appel de 2019 par rapport à celle relative à l’appel de 2018.
(2)
Existait-il une crainte de partialité?
[52]
S’agissant de l’allégation relative à la partialité, l’analyse porte uniquement sur Mme Swan, puisque Mme Lecoq, dans ses observations, n’a formulé aucune allégation de partialité concernant les autres membres du tribunal d’appel. Si le code électoral est muet sur les conflits d’intérêts des membres des tribunaux d’appel, l’article 14 du code électoral traite des conflits d’intérêts des chefs, des conseillers ou des Aînés.
[53]
Mme Lecoq renvoie à l’arrêt Johnny c Bande indienne d’Adams Lake, 2017 CAF 146 au para 50 [Johnny], où la Cour d’appel fédérale a conclu à l’existence d’une crainte raisonnable de partialité. Dans l’arrêt Johnny, la Cour d’appel fédérale a déclaré que, pour conclure à l’existence d’une crainte de partialité, il faut qu’il y ait un conflit d’intérêts réel. Cependant, si une personne raisonnable et bien informée penserait que le membre pourrait être incapable de se prononcer équitablement sur certaines questions, ce membre ne doit pas prendre part à la décision (Johnny, para 42).
[54]
Dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie (1976), [1978] 1 RCS 369 à la p 394, la Cour suprême du Canada s’est exprimée ainsi :
[L]a crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. […] [C]e critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, M. Crowe, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »
[55]
Notre Cour a déclaré, dans la décision Sparvier c Bande indienne Cowessess, [1993] 3 CF 142 au para 75, que l’application rigoureuse du critère de la crainte raisonnable de partialité n’est pas appropriée, pour les raisons qui suivent :
[75] […] il ne me semble pas réaliste de s’attendre à ce que les membres du tribunal d’appel qui résident dans la réserve n’aient eu aucun contact social, familial ou commercial avec un candidat à une élection. […]
[…]
Si on devait appliquer rigoureusement le critère de la crainte raisonnable de partialité, la légitimité des membres d’organismes décisionnels comme le tribunal d’appel, dans les bandes peu nombreuses, serait constamment contestée pour des motifs de partialité découlant des liens de parenté qu’un membre de l’organisme décisionnel avait avec l’un ou l’autre des candidats éventuels. Une application aussi rigoureuse des principes relatifs à la crainte de partialité risque de mener à des situations où le processus électoral serait constamment menacé par de telles allégations. Comme l’a affirmé l’avocat des intimés, une telle paralysie de la procédure pourrait compromettre l’élection autonome des gouvernements de bandes.
[56]
À première vue, il n’y a aucun lien de parenté ni avantage financier entre Mme Swan et M. McCallum; il n’y a donc pas de conflit d’intérêts ou de partialité. Mme Lecoq fait remarquer que Mme Swan s’est récusée lors de l’audience relative à l’appel de 2018. De plus, le dossier indique que, de fait, Mme Swan et M. McCallum siègent ensemble au conseil d’administration d’une société. Selon Mme Lecoq, Mme Swan lui a dit lors de l’audience relative à l’appel qu’elle ne se récusait pas cette fois-ci parce que quelqu’un lui avait dit qu’il n’y avait pas de conflit d’intérêts.
[57]
Cependant, lors de l’appel de 2018, qui concernait également Mme Lecoq et M. McCallum, Mme Swan s’était récusée. Cette constatation, combinée au fait que Mme Swan et M. McCallum siègent ensemble au conseil d’administration d’une société, engendre une crainte raisonnable de partialité ou, du moins, une perception de partialité.
B.
Le tribunal d’appel a-t-il été régulièrement formé?
[58]
Mme Lecoq ne conteste pas le fait que le tribunal d’appel était composé de quatre membres seulement, mais elle conteste le mode de sélection de deux de ses membres, Mme Bodnar et Mme Michelle.
[59]
L’article 7 du code électoral dispose que le tribunal d’appel est composé d’un membre éligible pour chacune des sept (7) communautés électorales et que les membres du tribunal d’appel sont [traduction] « élus à la majorité simple des électeurs lors de l’assemblée de mise en candidature de chaque communauté. Il demeure entendu que chaque communauté choisit un seul membre du tribunal d’appel. »
[60]
Le code électoral ne prévoit pas ce qui arrive si un poste est vacant. Rien n’indique quelles mesures auraient été prises pour informer les deux communautés du poste devenu vacant à la suite du décès de la personne qui les représentait, à l’exception de la lettre du 12 novembre 2019 de l’avocat du tribunal d’appel, dont voici un extrait :
[traduction]
Le tribunal d’appel admet que Helen Bodnar et Victoria Michelle n’ont pas été nommées ou élues membres du Comité d’appel conformément à l’article 7 du code électoral de 2014 de la Nation crie de Peter Ballantyne. Les deux femmes ont plutôt été élues, à bref délai, suivant la coutume de la bande, à la suite du décès du membre du tribunal d’appel qui représentait à la fois Denare Beach et Sturgeon Landing, survenu juste avant l’élection du 15 août 2019. Dans chacune de ces deux communautés de la Nation Crie de Peter Ballantyne, une réunion publique a été convoquée et s’est tenue à bref délai, mais seuls quelques membres de ces communautés s’y sont présentés. On voulait un représentant pour chaque communauté afin que le tribunal d’appel soit composé du nombre maximal de membres, en cas de contestation des élections. Les membres des communautés présents à ces réunions ont élu Mme Bodnar et Mme Michelle pour les représenter au sein du tribunal d’appel. Ni Mme Bodnar ni Mme Michelle n’ont été choisies personnellement par Randy Clark. Ni l’une ni l’autre n’a de rapport ou de lien avec M. Warren McCallum.
[61]
Le moment choisi pour la sélection des membres du tribunal d’appel est important, afin de garantir l’équité et l’impartialité pour tous les électeurs qui souhaitent contester une élection et pour les électeurs dont l’élection aux postes de chef ou de conseiller fait l’objet d’un appel. Toutes les parties ont consenti à ce que la lettre du 12 novembre 2019 soit versée au dossier.
[62]
Rien n’établit que les membres du tribunal d’appel des autres réserves n’étaient pas disponibles ou qu’il était impossible d’atteindre le quorum des membres du tribunal d’appel. À la lumière de ma conclusion sur la première question, je refuse de me prononcer sur cette question particulière, car elle n’est pas déterminante pour la présente demande. Je note cependant que le recours à une coutume de la bande pour remplacer un membre du tribunal d’appel décédé semble raisonnable dans les circonstances, puisque la date de mise en candidature était passée et que le code électoral ne prévoit pas la procédure à suivre pour remplacer les membres du tribunal d’appel en cas de décès ou de démission. Il reste que le processus de remplacement devrait être transparent afin de garantir malgré tout l’équité et la confiance dans l’ensemble de la procédure d’appel.
C.
L’avis d’appel de M. McCallum a-t-il été valablement accepté?
[63]
L’article 8 du code électoral prévoit ce qui suit :
[traduction]
8. La procédure suivante s’applique aux appels des résultats d’une élection :
a) Tout candidat peut interjeter appel des résultats de l’élection dans les vingt (20) jours suivant la date de l’élection en remettant un avis d’appel exposant les motifs de l’appel, appuyé par un affidavit du candidat remis au directeur général des élections ou au président du scrutin.
[64]
L’alinéa 2d) du code électoral définit l’affidavit comme la [traduction] « déclaration écrite faite volontairement sous serment ou par affirmation solennelle par un candidat et qui est reçue par une personne légalement autorisée »
.
[65]
Il appartient à la Cour d’évaluer si l’interprétation et l’application de l’article 8 par le tribunal d’appel étaient raisonnables (McCallum 2019, au para 45, citant McLean c Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67 au para 40).
[66]
M. McCallum a présenté une lettre indiquant qu’il interjetait appel des résultats de l’élection et contenant une déclaration faite sous serment et estampillée par un notaire public. M. McCallum a soumis son appel et la preuve y afférente dans le délai prescrit par le code électoral; cela suffit pour que le tribunal d’appel examine son appel compte tenu de sa procédure et d’un examen des éléments de preuve. Fait important à noter, le fait d’accepter des documents d’appel ne signifie pas nécessairement qu’il sera fait droit à l’appel. Le tribunal d’appel demeure tenu d’évaluer les autres éléments de preuve qui lui sont soumis.
[67]
Je conclus que le tribunal d’appel n’a commis aucune erreur lorsqu’il a accepté d’instruire l’appel de M. McCallum. Il faut trouver un équilibre entre, d’une part, le respect du libellé et des formalités du code électoral et, d’autre part, l’accès à la justice pour ceux qui veulent contester les résultats d’une élection. Une copie notariée d’une lettre ou d’un document d’appel peut suffire pour introduire un appel, mais les éléments de preuve contenus dans ce document devront tout de même être vérifiés, comme je l’ai expliqué plus tôt. Le tribunal d’appel ne s’arrête pas une fois qu’il a accepté les documents instituant un appel.
D.
La décision contestée était-elle raisonnable?
[68]
Par souci d’exhaustivité et au cas où j’ai tort sur la question du manquement à l’équité procédurale, je conclus que la décision contestée est déraisonnable, parce que le tribunal d’appel n’a pas tenu compte de l’ensemble des éléments de preuve.
[69]
À cet égard, la Cour reconnaît que les décideurs des Premières nations sont mieux placés pour comprendre leurs propres traditions juridiques et qu’on doit faire preuve de déférence envers eux. Il n’y a aucun élément de preuve au dossier concernant une coutume ou une tradition qui permettrait uniquement aux membres de la NCPB de témoigner ou de présenter des éléments de preuve.
[70]
Je suis conscient de l’argument de la NCPB selon lequel la Cour ne doit pas trop s’immiscer dans les [traduction] « préoccupations susceptibles d’être valables exprimées par le tribunal d’appel »
. Gardant cela à l’esprit, je conclus néanmoins que la décision contestée n’offre aucune analyse expliquant pourquoi le tribunal d’appel a préféré une série de renseignements à une autre série de renseignements dont elle disposait. Le tribunal d’appel a tenu compte du témoignage de M. McCallum et d’un Aîné et s’y est fié pour conclure à des irrégularités dans le déroulement de l’élection, mais le tribunal d’appel n’a fait aucune mention du rapport de M. Dorion ou de son témoignage à l’audience relative à l’appel.
[71]
La lettre du 12 novembre 2019 de l’avocat du tribunal d’appel indique ce qui suit :
[traduction]
Le tribunal d’appel a indiqué qu’il avait choisi de ne pas tenir compte du témoignage de M. John Dorion lorsqu’il a pris sa décision datée du 2 octobre 2019, parce que M. Dorion n’est pas membre de la Nation Crie de Peter Ballantyne.
[72]
Étant donné que M. Dorion avait été engagé pour jouer un rôle d’observateur le jour de l’élection, son témoignage aurait été pertinent. Comme il contredisait de plus les autres documents dont disposait le tribunal d’appel, celui-ci était tenu de l’évaluer et d’expliquer pourquoi il l’écartait. Le refus d’évaluer ce témoignage a mené à une décision déraisonnable.
VI.
Réparation
[73]
Ayant conclu que le tribunal d’appel a manqué à l’équité procédurale et que sa décision était déraisonnable, j’aurais renvoyé l’affaire au tribunal d’appel pour qu’il réexamine l’affaire en tenant compte des présents motifs. Cependant, je reconnais le caractère discrétionnaire des réparations pouvant être octroyées lors d’un contrôle judiciaire et j’estime que le renvoi de l’affaire n’est pas indiqué pour les raisons suivantes.
[74]
En application de l’alinéa 5a) du code électoral, les prochaines élections générales auront lieu le 13 avril 2021. En outre, l’alinéa 5b) du code électoral prévoit la mise en candidature et la nomination des représentants électoraux indépendants [traduction] « le deuxième vendredi de décembre de l’année précédant une année électorale […] »
. Une réunion de mise en candidature se tiendra le 16 mars 2021 conformément au sous-alinéa 5h)(i) du code électoral, et le pouvoir de signature et de décision du chef et des conseillers actuels prendra fin le 15 mars 2021, compte tenu de l’alinéa 15a) du code électoral. En outre, le sous-alinéa 8e)(iii) prescrit ce qui suit :
[traduction]
PROCÉDURE D’APPEL DES RÉSULTATS D’UNE ÉLECTION
8. La procédure suivante s’applique aux appels des résultats d’une élection :
[…]
e) L’instruction de l’appel prendra la forme d’une séance officielle à laquelle participeront le tribunal d’appel, un avocat indépendant, l’appelant et son avocat, ainsi que tout candidat concerné et son avocat. Le tribunal d’appel peut, selon le cas :
[…]
iii. faire droit à l’appel et ordonner la tenue d’une élection partielle dans les trente (30) jours suivant la décision d’accueillir l’appel;
[…]
[Non souligné dans l’original.]
[75]
Selon l’article 8, si la Cour renvoyait l’affaire au tribunal d’appel et que celui-ci confirmait de nouveau l’appel de M. McCallum et ordonnait la tenue d’une élection partielle, l’élection partielle pourrait se tenir au plus tôt 30 jours après la décision du tribunal d’appel. Si par contre l’affaire était renvoyée au tribunal d’appel et que celui-ci rejetait l’appel de M. McCallum, la procédure exigerait beaucoup d’efforts, et peut-être des coûts importants, alors que les prochaines élections générales approchent. Les délais étant simplement trop serrés, il n’est pas pratique de renvoyer l’affaire au tribunal d’appel.
[76]
Comme l’a déclaré mon collègue le juge Grammond dans la décision Thomas c One Arrow First Nation, 2019 CF 1663 aux para 38-43 [Thomas], l’organisation de deux élections pour un même poste au cours d’une période de moins de trois mois constituerait un gaspillage important de ressources. Bien que le code électoral qui s’applique en l’espèce ne contienne pas la même disposition que celle qui s’appliquait dans l’affaire dont était saisi le juge Grammond, je conclus que le peu de temps qui reste pour tenir une nouvelle audience relative à l’appel avant le déclenchement des élections générales constituerait, comme dans l’affaire Thomas, un gaspillage important des ressources de la NCPB, quelle que soit l’issue des délibérations du tribunal d’appel.
[77]
En conséquence, j’annule la décision contestée et je refuse de renvoyer l’affaire au tribunal d’appel (Standinghorn c Atcheynum, 2007 CF 1137 au para 55). Il en résulte essentiellement que Mme Lecoq conserve son poste de conseillère pour le district urbain de Prince Albert jusqu’à la fin de son mandat en avril 2021, en attendant les élections générales.
VII.
Dépens
[78]
Mme Lecoq note que, dans la décision McCallum 2019, la Cour a adjugé des dépens de 2 500 $ à l’encontre de la NCPB. Elle sollicite une somme globale de 10 000 $ au titre des dépens, faisant valoir que c’est la deuxième fois que le directeur général des élections contrevient au code électoral.
[79]
La NCPB s’appuie sur la loi et sur les facteurs énoncés à l’article 400 des Règles pour affirmer que, même si Mme Lecoq a gain de cause, aucuns dépens ne devraient être adjugés, chaque partie devrait assumer ses propres dépens ou les dépens devraient être limités à la somme de 2 500 $, non entièrement à la charge de la NCPB.
[80]
Dans la décision Whalen c Première Nation no 468 de Fort McMurray, 2019 CF 1119 [Whalen], le juge Grammond, après avoir résumé les différentes catégories de dépens, expose les principes qui régissent l’adjudication des dépens :
[27] […] [D]ans les affaires de gouvernance des Premières Nations, comme dans d’autres affaires, l’adjudication des dépens est laissée à la discrétion du juge de première instance, qui doit exercer ce pouvoir en tenant compte de tous les facteurs pertinents;
le déséquilibre qui existe entre les ressources financières du demandeur et celles de la Première Nation, ou avec celles de la partie dont les frais juridiques sont payés par la Première Nation, est un facteur pertinent;
pris isolément, toutefois, le déséquilibre des ressources n’est pas un facteur suffisant pour justifier une adjudication des dépens sur la base avocat-client;
le fait que la demande a contribué à clarifier l’interprétation des lois ou du cadre de gouvernance d’une Première Nation peut être pris en compte lors de l’adjudication des dépens, mais toutes les demandes ne tombent pas dans cette catégorie.
[81]
La demanderesse a eu gain de cause dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. Compte tenu de la réparation accordée, je note que le présent jugement et les présents motifs pourraient avoir fourni à la NCPB des éclaircissements sur les aspects procéduraux de son processus décisionnel à l’avenir. Je suis conscient que la NCPB n’a pas compliqué la présente instance et que M. McCallum n’y a pas participé. Compte tenu de ces facteurs et des principes exposés dans la décision Whalen, j’exerce mon pouvoir discrétionnaire, conformément au paragraphe 400(3) des Règles, et j’accorde à Mme Lecoq des dépens symboliques, sous la forme d’une somme globale de 3 000 $, qui seront assumés à parts égales par la NCPB et M. McCallum.
JUGEMENT dans le dossier T-1742-19
LA COUR ORDONNE que:
1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision du tribunal d’appel est annulée.
2. La Cour exerce son pouvoir discrétionnaire de ne pas renvoyer l’affaire au tribunal d’appel pour les motifs exposés ci-dessus. Mme Lecoq demeurera conseillère pour le district urbain de Prince Albert, conformément au code électoral, jusqu’aux prochaines élections générales.
3. Des dépens de 3 000 $ sont adjugés à Mme Lecoq. Ces dépens seront assumés à parts égales par la PBCN et M. McCallum et doivent être payés dans les quatre-vingt-dix (90) suivant la date du présent jugement et des présents motifs.
« Paul Favel »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
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DOSSIER :
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T-1742-19
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INTITULÉ :
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CLARISSE LECOQ c NATION CRIE DE PETER BALLANTYNE, WARREN MCCALLUM
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE Ottawa (ONTARIO) et WINNIPEG (MANITOBA)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 9 septembrE 2020
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE FAVEL
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DATE DES MOTIFS :
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LE 14 DÉcembrE 2020
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COMPARUTIONS :
Peter Abrametz
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POUR LA DEMANDERESSE
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Anil Pandila
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POUR LA DÉFENDERESSE
(NATION CRIE DE PETER BALLANTYNE)
|
Kellie Wuttunee
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POUR LE DÉFENDEUR
(WARREN MCCALLUM)
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Abrametz & Eggum
Avocats
Prince Albert (Saskatchewan)
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POUR LA DEMANDERESSE
|
Pandila & Co.
Avocat
Prince Albert (Saskatchewan)
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POUR LA DÉFENDERESSE
(NATION CRIE DE PETER BALLANTYNE)
|
Kellie Wuttunee
Avocate
Prince Albert (Saskatchewan)
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POUR LE DÉFENDEUR
(WARREN MCCALLUM)
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