Date : 20020726
Dossier : IMM-5079-01
OTTAWA (ONTARIO), LE 26 JUILLET 2002
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX
ENTRE :
PIOTR BURIANSKI
EWA KENDZIERSKA
ROMAN KENDZIERSKI
demandeurs
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
ORDONNANCE
Pour les motifs exposés, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question certifiée n'a été soulevée.
« François Lemieux »
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
Date : 20020726
Dossier : IMM-5079-01
Référence neutre : 2002 CFPI 826
ENTRE :
PIOTR BURIANSKI
EWA KENDZIERSKA
ROMAN KENDZIERSKI
demandeurs
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
LE JUGE LEMIEUX
[1] Les demandeurs - le mari, sa femme et leur fils - affirment être des Roms polonais. Leur revendication du statut de réfugié a été refusée par la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le tribunal) le 12 octobre 2001. Ils contestent la décision du tribunal par la présente demande de contrôle judiciaire.
[2] Leur histoire est familière. Dans leur formulaire de renseignements personnels, ils relatent des incidents qui ont commencé en 1990, dans le cas de M. Burianski, et, dans le cas d'Ewa Kendzierska, en 1997, c'est-à-dire après qu'elle soit rentrée en Pologne en 1993 à la suite du refus de la revendication du statut de réfugié de ses parents). Dans leur formulaire de renseignements personnels, les demandeurs parlent des agressions dont ils ont été victimes de la part de skinheads et du peu d'empressement de la police de faire quoi que ce soit ou de son défaut d'intervenir au motif que les agresseurs s'étaient enfuis ou ne pouvaient être identifiés.
[3] Voici les conclusions que le tribunal a tirées :
En conclusion, par conséquent, le tribunal détermine que les revendicateurs dans le présent cas n'ont pas satisfait au premier et au plus important critère de toute revendication du statut de réfugié, à savoir établir qu'ils sont bien ceux qu'ils disent être. Leur témoignage quant à leur identité n'est pas crédible. Même si le témoignage de la revendicatrice principale au sujet des incidents dont elle a prétendument été victime est vrai, il ne s'agit pas de persécution. Dans le cas du revendicateur principal, il se peut qu'il dise la vérité au sujet des incidents dont il a été victime, et, si c'est le cas, il s'agirait de persécution. Mais ici encore, le tribunal a des doutes sérieux quant à la véracité de ses déclarations, étant donné que lui-même et son épouse n'ont quitté le pays que trois ans après que le dernier incident s'est produit. Le tribunal ne comprend absolument pas pourquoi, si ces événements terribles se sont réellement produits, ils ne sont pas partis plus tôt.
Et finalement, même si tout ce que les revendicateurs ont dit au tribunal dans leurs Formulaires de renseignements personnels et dans leur témoignage en personne est vrai, les Roms polonais peuvent obtenir la protection de l'État en Pologne. Il est raisonnable que le tribunal s'attende à ce que les revendicateurs cherchent à obtenir la protection de l'État en Pologne avant de demander la protection du Canada.
a) Identité
[4] Sur la question de leur identité, les éléments de preuve que les demandeurs ont présentés au sujet de qui ils étaient et de la question de savoir si l'homme et la femme étaient effectivement mariés n'ont pas convaincu le tribunal.
[5] À l'exception de Piotr Burianski, qui a produit un certificat de naissance, les demandeurs n'étaient munis d'aucun document. Aucun n'avait de carte d'identité polonaise, carte que, selon le tribunal, tous les Polonais possèdent. Il n'y avait pas de certificat de naissance de leur fils et ils n'ont produit aucun document pour attester leur mariage (certificat de mariage, photos de noces, etc.).
[6] Pour ce qui est du certificat de naissance produit par M. Burianski, le tribunal n'a accordé que peu de valeur à ce document (ailleurs dans sa décision, le tribunal déclare qu'il ne lui accorde aucune valeur). Le tribunal a précisé qu'il était au courant de l'existence d'un commerce actif de faux documents relativement aux revendications de Roms polonais et il a fait observer que le certificat de naissance comportait un certain nombre d'aspects douteux.
[7] Le tribunal a estimé que la crédibilité de l' « oncle » de M. Burianski qui avait été appelé à témoigner pour confirmer l'identité du revendicateur principal constituait un aspect encore plus problématique pour les demandeurs. Le tribunal a relevé un certain nombre de contradictions et d'invraisemblances dans ce témoignage. Une fois de plus, le tribunal a conclu qu'il n'accorderait aucune valeur (ailleurs, le tribunal emploie l'expression « ne peut accorder beaucoup de poids » ) au témoignage de cette personne.
[8] Sur ce point, le tribunal écrit :
Donc, le tribunal ne peut tirer qu'une conclusion, à savoir que le revendicateur principal et la revendicatrice principale ne se sont pas acquittés du fardeau de la preuve en démontrant ce qui est absolument essentiel dans une revendication du statut de réfugié, c'est-à-dire que les revendicateurs sont bien ceux qu'ils disent être. Les revendicateurs sont peut-être des Roms. Ils parlent peut-être le polonais, mais le tribunal ne sait vraiment pas, d'après la preuve qui lui a été présentée, s'ils ont réellement vécu en Pologne, s'ils sont réellement mariés, si l'enfant est réellement le leur. Ainsi donc, le tribunal détermine que cette revendication est rejetée en raison de l'absence d'une preuve crédible et digne de foi selon laquelle les revendicateurs sont bien ceux qu'ils disent être.
b) Le mariage
[9] Le tribunal a déclaré que les deux revendicateurs ne l'avaient pas convaincu qu'ils étaient mariés. Ni l'un ni l'autre n'avait assisté à son propre mariage, ce qui, selon le tribunal, était fort étonnant, parce que, même s'il avait entendu parlé de cérémonies de mariage romes où le marié ou la mariée n'était pas présent, le tribunal n'avait jamais entendu parlé d'un mariage où les deux étaient absents. Le tribunal s'est fondé sur son expérience et sur la preuve documentaire pour en arriver à cette conclusion.
[10] Mais surtout, le tribunal a souligné le fait qu'à son arrivée au Canada, le fonctionnaire de l'immigration avait noté que M. Burianski lui avait affirmé qu'il était célibataire et que, dans son avis de revendication, il n'avait pas répondu à la question relative à l'existence d'un conjoint. Il a inscrit la mention s.o. (sans objet), tout comme Ewa Kendzierska.
[11] Le tribunal a jugé invraisemblable l'explication des revendicateurs suivant laquelle ils étaient célibataires parce qu'ils s'étaient querellés avant d'arriver au Canada. Le tribunal a écrit ce qui suit :
Étant donné les nombreuses déclarations non plausibles faites pendant le témoignage, jusqu'au témoignage concernant leur mariage, le tribunal émet des réserves sérieuses à l'égard de tout ce que ces revendicateurs lui disent. Mais encore, si le tribunal fait erreur dans ses conclusions au sujet des problèmes constants de crédibilité tout au long du témoignage en ce qui a trait à l'identité et au mariage prétendu, alors il a le devoir d'examiner le récit de la vie en Pologne fait par les revendicateurs.
c) Analyse des incidents
[12] En ce qui concerne l'incident relaté par Ewa Kendzierska (les remarques désobligeantes que lui ont faites des infirmières à l'hôpital où elle a donné naissance à son fils et le fait qu'elle a eu à attendre plus longtemps que les autres patients avant de voir un médecin), il ne s'agissait pas de persécution, mais de discrimination. Ce qui est arrivé à la revendicatrice était un incident isolé qui ne présente pas les caractéristiques de répétition et de constance qui ferait de ces incidents de la persécution.
[13] Quant au grave incident qui, selon les affirmations de la revendicatrice, s'est produit en 1998, le tribunal a déclaré que cet incident soulevait lui aussi des interrogations quant à la crédibilité de la revendicatrice, étant donné que, dans son FRP, elle avait écrit que l'incident s'était produit en 1997. Le tribunal a conclu que cette erreur n'avait aucun sens à ses yeux.
[14] Le tribunal s'est ensuite tourné vers les incidents au sujet desquels M. Burianski avait écrit. Le tribunal s'est interrogé sur la véracité de ces incidents, parce que le dernier incident relaté par le revendicateur remontait à 1997 alors que les demandeurs n'étaient partis qu'au début de l'an 2000. Le tribunal n'a pas accepté l'explication du revendicateur qu' « ils restaient à la maison; ils ne sortaient pas » .
[15] Le tribunal a tiré la conclusion suivante :
Le tribunal ne considère pas comme plausible qu'un couple reste à la maison et ne sorte pas pendant trois ans. Si ce que disent les revendicateurs est vrai, alors le tribunal s'attendrait raisonnablement à ce qu'ils aient fait en 1997 ce qu'ils ont fait en 2000, c'est-à-dire rassembler de l'argent, payer un passeur et partir. Le fait qu'ils n'ont pas agi ainsi porte le tribunal à s'interroger sur la véracité des allégations. Et même si ces allégations sont vraies, alors le fait qu'ils ne sont pas partis plus tôt touche directement à la crainte subjective. Il ne fait aucun sens, si ces événements terribles se sont vraiment produits, qu'ils attendent trois ans pour faire ce qu'ils ont finalement fait en 2000.
d) Protection de l'État
[16] Le tribunal a ensuite examiné la question de la protection de l'État en abordant le sujet en disant : « Mais si nous disons, pour argumenter, que le tribunal se trompe dans son évaluation de la crédibilité des revendicateurs, et que les allégations d'actes de persécution sont vraies, alors le tribunal doit examiner la question de la protection de l'État. »
[17] Le tribunal s'est dit convaincu, après avoir examiné la preuve documentaire, que la protection de l'État est offerte aux Roms polonais.
ANALYSE
[18] L'avocat des demandeurs affirme que le tribunal a commis quatre erreurs. Tout d'abord, sur la question de l'identité, l'avocat soutient que la validité du certificat de naissance de M. Burianski
n'a pas été contestée à l'audience et que, s'ils avaient des doutes au sujet de son authenticité, les commissaires, qui ne sont pas des experts, auraient dû le soumettre à des spécialistes de police scientifique. L'avocat ajoute qu'il n'y a rien qui contredit que M. Burianski est Polonais et qu'il est un Rom. Il a produit des photos ainsi que l'enveloppe dans laquelle son certificat de naissance lui avait été envoyé. Il a ajouté que toute la question de la validité du certificat de naissance semblait être une conversation entre le tribunal et l'interprète et non entre les demandeurs et le tribunal.
[19] Deuxièmement, le tribunal a mal interprété les éléments de preuve relatifs aux raisons pour lesquelles les demandeurs n'avaient pas quitté la Pologne plus tôt. Les demandeurs n'ont pas témoigné qu'ils s'étaient barricadés chez eux pendant trois ans. M. Burianski a reconnu qu'aucun incident ne s'était produit après 1998, mais il a ajouté que cette situation s'expliquait par le fait qu'il avait redoublé de prudence et qu'il ne sortait pas beaucoup.
[20] Troisièmement, sur la question de la protection de l'État, l'avocat affirme que le tribunal a commis une erreur en ne tenant pas compte de l'ensemble de la preuve documentaire mais en s'en tenant à un seul document, qui émanait de l'État.
[21] Finalement, l'avocat soutient que le tribunal n'a pas accordé aux demandeurs une instruction impartiale parce que, lors de leur première audience, les commissaires saisis de l'affaire ont muselé l'avocat des demandeurs (qui était une personne différente de l'avocat qui a plaidé la demande de contrôle judiciaire), ont transformé l'audience en procédure inquisitoire et sont devenus les adversaires des demandeurs.
[22] En particulier, les demandeurs affirment que les interruptions des commissaires au cours de l'interrogatoire et du plaidoyer de l'avocat et les propos sarcastiques que les commissaires ont tenus suscitent une crainte raisonnable de partialité et conduiraient une personne raisonnable à croire que le tribunal avait préjugé la question.
a) Crainte raisonnable de partialité
[23] Le critère de la crainte raisonnable de partialité est bien connu. Il consiste à se demander si une personne bien renseignée, qui examinerait la question de manière réaliste et pratique, et ayant bien réfléchi, en arriverait à la conclusion qu'il est plus probable que l'auteur de la décision, consciemment ou inconsciemment, n'a pas tranché la question de façon équitable.
[24] Plus précisément, en l'espèce, la question qui se pose est celle de savoir si la conduite des
commissaires saisis de l'affaire suscite une crainte raisonnable de partialité.
[25] Les demandeurs citent plusieurs exemples d'agissements du président du tribunal comme preuve de sa partialité ou d'une crainte raisonnable de partialité.
[26] Ces exemples sont les suivants : (1) les commentaires au sujet de la couleur de la peau; (2) le fait que le président du tribunal se conduisait comme un poursuivant; (3) les questions irrationnelles visant à dénigrer et à embrouiller les revendicateurs; (4) les questions sarcastiques; (5) la conclusion d'invraisemblance au sujet du fait qu'aucune question ne leur avait été posée au point d'entrée, et ce malgré le fait que les demandeurs ont répondu que le passeur s'occupait de tout; (6) les conclusions hâtives tirées par le tribunal au sujet du témoin qui s'est présenté pour confirmer l'identité des demandeurs avant même que ce témoin n'ait terminé sa déposition; (7) jugement préconçu lorsque le tribunal a examiné les photos visant à établir l'identité des revendicateurs; (8) questions non pertinentes au sujet de l'expérience vécue par le grand-père d'Ewa Kendzierska dans un camp de concentration en vue de l'embrouiller et de la dénigrer; (9) refus des commissaires saisis de l'affaire d'examiner la cicatrice de M. Burianski; (10) interruptions du président du tribunal au cours du plaidoyer de l'avocat, ce qui a confondu ce dernier.
[27] J'ai examiné la transcription dans sa totalité et je conclus que l'argument des demandeurs sur ce point est mal fondé. Je constate qu'un agent chargé de la revendication était présent le 3 juillet 2001 mais qu'aucun n'était présent lors de l'audience du 14 septembre 2001.
[28] Je souscris aux propos tenus par le juge Heald au nom de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Mahendran c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 14 Imm L.R. (2d) 30 :
Je n'hésite pas à exprimer ma préoccupation quant à la longueur des interventions du commissaire Groos. Je crois qu'il aurait dû laisser à l'agent d'audience la tâche d'interroger la partie appelante. Cela étant dit, je m'empresse toutefois d'ajouter que les membres de ce tribunal ont la capacité, aux termes du paragraphe 67(2) de la Loi sur l'immigration, de « faire prêter serment et interroger sous serment » et de « ... prendre toutes autres mesures nécessaires à une instruction approfondie de l'affaire » . Si, comme il ressort de la transcription, le commissaire Groos éprouvait des doutes sur le témoignage de la partie appelante suite à l'interrogatoire mené par l'avocat de cette dernière et par l'agent d'audience, il pouvait mener son propre interrogatoire dans l'exercice approprié de ses fonctions telles qu'il les perçoit. Compte tenu de cela, il est nécessaire d'apprécier la nature de l'interrogatoire pour décider si les objections soulevées par l'avocat de la partie appelante à cet égard et énoncées plus haut sont bien fondées [...] Après avoir examiné minutieusement la transcription, je ne peux, en toute déférence, être d'accord avec les critiques formulées par l'avocat sur l'interrogatoire mené par M. Groos. Je qualifierais cet interrogatoire d'intervention énergique visant à clarifier certaines contradictions dans la preuve. On y décèle également un certain sentiment de frustration face à l'impossibilité de bien comprendre l'objet général de la preuve présentée.
[29] Prises individuellement, les critiques formulées au sujet des interventions du président du tribunal, bien qu'elles ne soient peut-être pas du même ordre que celles dont il était question dans l'affaire Mahendran, précitée, ne portent pas atteinte, à mon avis, aux principes posés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty c. Canada (O.N.E.), [1978] 1 R.C.S. 369.
[30] Il ressort de mon examen de la transcription que les commissaires saisis de l'affaire avaient déjà tenu avec l'avocat des demandeurs deux conférences préalables au cours desquelles les points litigieux avaient été précisés et les questions projetées avaient été suggérées. Il est vrai que le président du tribunal est intervenu considérablement, mais l'avocat des demandeurs n'a rien trouvé à redire au sujet de ces interventions et ne s'y est jamais opposé. Dans les cas où il a jugé nécessaire
de compléter les réponses de ses clients, l'avocat a posé des questions complémentaires. À mon sens, l'avocat des demandeurs travaille au sens le plus réel du terme de concert avec les commissaires saisis de l'affaire et, lors de la première audience à laquelle un agent chargé de la revendication était présent, il cherchait à connaître l'histoire des demandeurs.
[31] Je tiens à ajouter qu'il est vrai que le président du tribunal a tenu des propos sarcastiques à l'occasion, mais que l'avocat des demandeurs le surveillait et obtenait de lui les rectifications nécessaires.
[32] Le dossier n'appuie pas la thèse de l'avocat des demandeurs suivant laquelle les questions posées par le président du tribunal avaient pour effet de dénigrer les demandeurs. M. Burianski s'est plaint une fois au sujet des questions détaillées qui lui étaient posées, mais après que le président du tribunal lui eut expliqué qu'il était nécessaire d'obtenir des réponses précises à des questions précises, M. Burianski a semblé convaincu.
[33] Je suis d'avis, pour ces motifs, de rejeter le premier moyen invoqué par les demandeurs.
b) Le certificat de naissance de M. Burianski
[34] Le dossier ne justifie pas, à mon avis, le reproche formulé par l'avocat des demandeurs qui se plaint que la question de l'authenticité du certificat de naissance de M. Burianski n'a pas été soulevée à l'audience.
[35] L'identité a été considérée avant l'audience et pendant toute la durée de l'audience comme une question cruciale. La question de l'absence de tampon sur le certificat de naissance a été discutée (aux pages 191 à 194 de la transcription). À la page 196 de la transcription, M. Burianski demande au président du tribunal s'il croit que le document en question est valable, ce à quoi le président du tribunal répond qu'il n'en est pas certain et qu'il lui faudra y réfléchir.
[36] Le certificat de naissance de M. Burianski comportait d'autres caractéristiques - telles que le fait que le texte du certificat était dactylographié sur le tampon - qui ont amené les commissaires saisis de l'affaire à lui accorder peu de valeur, voire aucune.
[37] Je suis convaincu que les demandeurs ont été suffisamment avisés par le tribunal que la validité du certificat de naissance était remise en cause, de même que toute la question de l'identité des demandeurs et celle de savoir s'ils étaient mariés.
c) Mauvaise interprétation de la preuve
[38] L'avocat des demandeurs affirme que le tribunal a tiré une conclusion de fait erronée en estimant que les demandeurs s'étaient terrés chez eux pendant trois ans avant de s'enfuir pour le
Canada. Il a raison de dire que M. Burianski n'a pas témoigné qu'il s'était cloîtré chez lui pendant trois ans. Il a toutefois bien dit qu'il ne sortait pas beaucoup, qu'il ne sortait jamais le soir et qu'il ne s'aventurait pas loin de l'immeuble où ils vivaient.
[39] J'accepte la perception que l'avocat des demandeurs a du témoignage de M. Burianski. Toutefois, même envisagée sous cet angle, la conclusion que le tribunal a tirée ne constitue pas une erreur qui justifierait l'intervention de la Cour. La raison s'en trouve dans l'arrêt Boulis c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration), [1974] R.C.S. 875, dans lequel la Cour suprême du Canada écrit ce qui suit, sous la plume du juge Laskin, au sujet de la Commission d'appel de l'immigration :
Il ne faut pas examiner ses motifs à la loupe, il suffit qu'ils laissent voir une compréhension des questions que [...] soulève et de la preuve qui porte sur ces questions, sans mention détaillée. Le dossier est disponible pour fin de contrôle des conclusions de la Commission.
[40] Ce que la Cour suprême du Canada nous dit en réalité dans l'arrêt Boulis, précité, c'est que les cours de justice n'ont pas à disséquer les motifs du tribunal administratif, mais plutôt à chercher à comprendre ce qui a essentiellement motivé celui-ci à rendre sa décision sur le fondement du dossier.
[41] Si j'aborde la question sous cet angle, j'estime que ce qui a troublé le tribunal sur ce point c'est la raison pour laquelle les demandeurs ont attendu trois ans avant de s'enfuir et le fait qu'il a jugé insatisfaisante la réponse que les demandeurs lui ont donnée au sujet de la réclusion qu'ils se sont imposée à eux-mêmes. Or, le dossier appuie l'opinion du tribunal à cet égard.
CONCLUSION
[42] L'optique dictée par l'arrêt Boulis m'amène à accepter l'argument fondamental invoqué par l'avocat du défendeur, en l'occurrence que la présente décision porte sur la question centrale de la crédibilité des demandeurs eux-mêmes ou sur l'insuffisance d'éléments de preuve crédibles qui leur permettraient d'établir les éléments fondamentaux de leur revendication.
[43] Sur la nature des conclusions sur la crédibilité, il convient de rappeler les propos que le juge McDonald a tenus pour le compte de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Secrétaire d'État du Canada c. Siad, [1997] 1 C.F. 608, à la page 620 :
Malgré les faiblesses du témoignage par ouï-dire du professeur Samatar mises en lumière par le juge président, le tribunal était en droit de juger ce témoignage crédible et digne de foi et de fonder sa décision sur ce témoignage. Le tribunal se trouve dans une situation unique pour apprécier la crédibilité d'un demandeur du statut de réfugié. Les décisions quant à la crédibilité, qui constituent « l'essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits » doivent recevoir une déférence considérable à l'occasion d'un contrôle judiciaire, et elles ne sauraient être infirmées à moins qu'elles ne soient abusives, arbitraires ou rendues sans tenir compte des éléments de preuve. En l'espèce, la décision quant à la crédibilité a été prise compte tenu des éléments de preuve, et le tribunal a justifié le fait qu'il a préféré le témoignage du professeur Samatar à celui de l'intimé, comme il est tenu de le faire.
[44] Un examen des motifs du tribunal et de la preuve démontre que le tribunal a tiré des conclusions au sujet de la crédibilité du témoignage des demandeurs en déclarant, à la page 6 : « le tribunal émet des réserves sérieuses à l'égard de tout ce que ces revendicateurs lui disent » . Le tribunal a tiré plusieurs conclusions d'invraisemblance en ce qui concerne (1) les explications fournies par les revendicateurs adultes au sujet de la raison pour laquelle ils avaient déclaré qu'ils étaient célibataires dans les notes prises au point d'entrée et qu'ils avaient répondu « sans objet » à la question relative à leur état matrimonial dans leur avis de revendication, (2) la confusion au sujet de l'année - 1997 ou 1998 - au cours de laquelle Ewa Kendzierska avait été victime du principal incident de persécution; (3) le temps qu'ils avaient attendu avant de s'enfuir de la Pologne; (4) la crédibilité entourant les questions de leur identité.
[45] On ne peut dire que les conclusions que le tribunal a tirées au sujet de la crédibilité sont manifestement déraisonnables.
[46] Comme je conclus que le tribunal n'a pas commis d'erreur en concluant que les demandeurs n'avaient pas établi le bien-fondé de leurs arguments au sujet de la persécution, je n'ai pas à examiner la question de la protection de l'État.
[47] Pour tous ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question certifiée n'a été soulevée.
« François Lemieux »
Juge
OTTAWA (ONTARIO)
Le 26 juillet 2002
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-5079-01
INTITULÉ : Piotr Burianski et autres
- et -
Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration
LIEU DE L'AUDIENCE : Ottawa (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : 15 juillet 2002
MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE LEMIEUX
DATE DES MOTIFS : 26 juillet 2002
COMPARUTIONS :
Me Mike Bell POUR LES DEMANDEURS
Me John Unrau POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Bell, Unger, Morris POUR LE DEMANDEUR
Ottawa (Ontario)
M. Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada