Dossier : T‑896‑15
Référence : 2020 CF 1188
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 23 décembre 2020
En présence de monsieur le juge Fothergill
ENTRE :
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GEORGETOWN RAIL EQUIPMENT COMPANY
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demanderesse/défenderesse reconventionnelle
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et
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TETRA TECH EBA INC.
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défenderesse/demanderesse reconventionnelle
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ORDONNANCE ET MOTIFS
I.
Vue d’ensemble
[1]
La présente ordonnance concerne les dépens et les débours payables à Tetra Tech EBA Inc [Tetra Tech] par Georgetown Rail Equipment Company [Georgetown] à la suite de l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire in Tetra Tech EBA Inc c Georgetown Rail Equipment Company, 2019 CAF 203 [Tetra].
[2]
Pour les motifs qui suivent, les frais de Tetra Tech sont taxés selon la colonne V du tarif B. Tetra Tech ne sera remboursée que des débours jugés raisonnables et nécessaires.
II.
Contexte
[3]
Le 30 janvier 2018, j’ai conclu, dans la décision Georgetown Rail Equipment Company c Rail Radar Inc, 2018 CF 70 [Georgetown no 1] que le brevet canadien no 2 572 082 [le brevet 082], intitulé [TRADUCTION] « Système et méthode employés pour l’inspection de la voie ferrée » et le brevet canadien no 2 766 249 [le brevet 249], intitulé [TRADUCTION] « Système de correction de l’inclinaison et la méthode de l’abrasion de l’appui de rail » étaient valides et qu’ils avaient été contrefaits par Tetra Tech. J’ai par conséquent accueilli l’action en contrefaçon de Georgetown et j’ai rejeté la demande reconventionnelle présentée par Tetra Tech relativement à la validité.
[4]
Le protonotaire Kevin Aalto a ordonné la disjonction de l’instance aux termes de l’ordonnance qu’il a rendue le 30 mai 2016. La décision que j’ai rendue dans l’affaire Georgetown no 1 ne portait donc que sur l’étape de l’action relative à l’examen de la responsabilité.
[5]
Le 22 février 2018, Tetra Tech a interjeté appel devant la Cour d’appel fédérale [la CAF] du jugement que j’avais rendu dans l’affaire Georgetown no 1. Tetra Tech a demandé que la taxation des dépens soit reportée jusqu’à ce que l’appel ait été tranché et/ou que l’étape de la quantification soit terminée. J’ai accédé à sa demande par ordonnance le 28 mars 2018.
[6]
Malgré l’appel en instance, les parties ont passé à l’étape de la quantification. Elles ont préparé un exposé des questions en litige, échangé des documents, mené des interrogatoires préalables et commencé à s’occuper des rapports d’experts. Une audience de cinq jours sur la quantification devait commencer le 2 décembre 2019.
[7]
Toutefois, le 9 juillet 2019, la CAF a infirmé le jugement que j’avais rendu dans l’affaire Georgetown no 1 et a renvoyé la question de l’évidence et celle de la validité de certaines revendications du brevet 249 à la Cour fédérale pour qu’elle les tranche, à la suite de quoi j’ai rendu ma décision dans l’affaire Georgetown Rail Equipment Company c Tetra Tech Eba Inc, 2020 CF 64 [Georgetown no 2]. Comme chacune des parties avait eu partiellement gain de cause, aucuns dépens n’ont été adjugés à l’une ou l’autre partie dans l’affaire Georgetown no 2.
[8]
Georgetown a tenté sans succès de se pourvoir devant la Cour suprême du Canada relativement à la décision rendue par la CAF dans l’affaire Tetra.
[9]
Tetra Tech sollicite les dépens tant en ce qui concerne l’étape de l’action relative à l’examen de la responsabilité que celle consacrée à la quantification.
III.
Thèse des parties
A.
Tetra Tech
[10]
Tetra Tech réclame l’adjudication d’une somme globale de 412 912,97 $, calculée ainsi :
a) 265 649,65 $ à titre de dépens pour l’étape de l’action relative à l’examen de la responsabilité, ce qui correspond à la somme de 204 753,06 $, qui représente le remboursement de 33 % des frais juridiques de Tetra Tech, plus 60 896,59 $, en recouvrement intégral des débours raisonnables et nécessaires;
b) 142 263,32 $ à titre de dépens pour l’étape de l’action relative à la quantification, ce qui corresponde à la somme de 134 095,53 $, qui représente le remboursement de 50 % des frais juridiques de Tetra Tech, plus 8 167,79 $, en recouvrement intégral des débours raisonnables et nécessaires;
c) 5 000 $ pour la préparation de ses observations au sujet des dépens.
[11]
Tetra Tech réclame 50 % des frais qu’elle a effectivement engagés à l’étape de l’action relative à la quantification en raison de la décision de Georgetown d’insister pour passer à l’étape de l’action relative à la quantification malgré l’appel en instance.
B.
Georgetown
[12]
Georgetown soutient que les frais de Tetra Tech devraient être taxés selon la colonne V du tarif B, et elle a soumis un projet de mémoire de frais. Georgetown soutient qu’une adjudication des dépens fondée sur le tarif est compatible avec les observations que Tetra Tech a formulées au sujet des dépens à la suite du jugement rendu par notre Cour dans l’affaire Georgetown no 1, et dans lesquelles Tetra Tech soutenait que les dépens devaient être taxés selon la fourchette médiane de la colonne III du tarif B.
[13]
Georgetown est par conséquent d’avis que les dépens de Tetra Tech pour l’étape de l’action relative à l’examen de la responsabilité devraient être limités à la somme de 133 091,51 $, constituée d’un montant de 72 195 $ au titre des frais judiciaires et de 60 896,59 $ au titre de débours, en tenant pour acquis que ces derniers étaient raisonnables et nécessaires. Georgetown soutient que Tetra Tech a droit à un montant n’excédant pas 27 907,79 $ au titre des dépens pour l’étape de l’action relative à la quantification, ce montant étant constitué d’une somme de 19 740 $ en frais judiciaires et d’une somme de 8 167,79 $ à titre de débours, en tenant pour acquis que ces derniers étaient raisonnables et nécessaires.
[14]
À titre subsidiaire, Georgetown demande, advenant le cas où une somme globale serait accordée, que celle‑ci soit limitée à 25 % des frais effectivement payés par Tetra Tech tant à l’étape de l’action relative à l’examen de la responsabilité qu’à celle consacrée à la quantification. Georgetown s’oppose à ce que Tetra Tech reçoive une somme globale majorée pour l’étape de l’action relative à la quantification, en faisant observer que Tetra Tech n’a pas demandé qu’il soit sursis à l’instance pendant que l’appel était en cours.
IV.
Analyse
[15]
L’adjudication des dépens, y compris le calcul de leur montant, est une question qui relève du pouvoir discrétionnaire de la Cour (paragraphe 400(1) des Règles des Cours fédérales; Canada (PG) c Rapiscan Systems Inc, 2015 CAF 97, au para 10). Pour adjuger les dépens, la Cour tient compte des facteurs énumérés au paragraphe 400(3) des Règles.
[16]
L’adjudication d’une somme globale est expressément envisagée au paragraphe 400(4) des Règles et elle peut servir à promouvoir l’objectif des Règles des Cours fédérales d’apporter « une solution litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible »
(article 3 des Règles ; Nova Chemicals Corporation c Dow Chemical Company, 2017 CAF 25 [Nova], au para 11). L’adjudication d’une somme globale peut s’avérer une solution particulièrement indiquée dans une affaire complexe où le calcul précis des dépens serait une tâche inutilement complexe et laborieuse; il incombe toutefois à la partie qui demande l’adjudication de dépens majorés de démontrer en quoi sa situation particulière le justifie (Nova, aux para 12‑13).
[17]
Lorsqu’une partie demande l’adjudication des dépens sous forme de somme globale fixée selon un pourcentage des frais juridiques effectivement engagés et que cette somme est supérieure au barème prévu par le tarif, il est indiqué pour cette partie de fournir une description des services rendus en contrepartie pour convaincre la partie adverse et la Cour que les frais effectivement payés étaient raisonnables (Nova, au para 18). Avant d’adjuger les dépens sous forme de somme globale, le tribunal devrait disposer d’un dossier détaillé et de renseignements suffisants sur lesquels fonder le calcul d’une telle somme. Il est inapproprié de la part de la Cour d’accorder une somme globale sur la foi de simples affirmations quant aux sommes dépensées, sans preuve ni explication (Sanofi‑Aventis Canada Inc. c Novopharm Limited, 2009 CF 1139, au para 6, conf par 2012 CAF 265).
[18]
Dans ses observations du 4 septembre 2020 au sujet des dépens, Tetra Tech n’a produit aucun relevé détaillé de ses frais juridiques ni de copies de factures pour démontrer la nécessité ou le caractère raisonnable de ses débours. Elle n’a soumis que des tableaux indiquant les montants en question.
[19]
Dans ses observations du 16 octobre 2020 au sujet des dépens, Georgetown a reproché à Tetra Tech de ne pas avoir soumis de projet de mémoire de frais ou d’éléments de preuve concernant les frais ou les débours réclamés pour l’étape de l’action relative à l’examen de la responsabilité or pour celle consacrée à la quantification. Georgetown s’est dite d’avis que des affirmations générales concernant les sommes dépensées, sans preuve ni explication suffisante, ne démontraient pas que les dépens réclamés par Tetra Tech étaient raisonnables.
[20]
Le 20 novembre 2020, notre Cour a ordonné à Tetra Tech de soumettre d’autres éléments de preuve et/ou explications pour justifier les frais juridiques et les débours qu’elle réclamait. La Cour a également accordé à Georgetown la possibilité de formuler de brèves observations en réponse.
[21]
Dans ses observations supplémentaires relatives aux dépens datées du 11 décembre 2020, Tetra Tech a soumis les mêmes tableaux que ceux qu’elle avait joints à ses observations initiales, les intégrant cependant cette fois‑ci à des affidavits. Les auteurs de ces affidavits donnent des explications générales au sujet des services rendus et attribuent diverses sommes à diverses catégories de services.
[22]
Voici les explications données par Tetra Tech au sujet des frais qui ont été payés à l’étape de l’action relative à l’examen de la responsabilité :
[traduction]
2. L’annexe A de mon affidavit est une liste de factures du cabinet ROBIC payées par Tetra Tech pour l’étape de l’action relative à l’examen de la responsabilité. Tetra Tech avait déjà soumis l’annexe A à la Cour dans le cadre de sa réponse du 1er mars 2018 aux observations de la demanderesse au sujet des dépens. Parmi les factures figurant sur cette liste, il y a lieu de mentionner celles relatives aux frais juridiques et aux débours que Tetra Tech peut réclamer pour l’étape de l’action relative à l’examen de la responsabilité jusqu’à la date de la décision de première instance, le 31 janvier 2018 (2018 CF 70).
3. Comme le montre l’annexe A, les frais juridiques payés par Tetra Tech pour l’étape de l’action relative à l’examen de la responsabilité s’élevaient à 585 008,75 $, plus 5 % de taxes, pour un total de 614 259,19 $. L’étape de l’action relative à l’examen de la responsabilité ne comprenait pas de requêtes ou d’autres étapes ayant déjà fait l’objet d’une adjudication de dépens.
[23]
Dans ses observations complémentaires du 18 décembre 2020 au sujet des dépens, Georgetown reproche de nouveau à Tetra Tech de ne pas avoir soumis d’éléments de preuve suffisants à l’appui de sa demande adjudication d’une somme globale à titre de dépens : [traduction] «
Tetra
Tech
s’est contentée de reprendre les renseignements qu’elle avait déjà soumis à la Cour dans ses observations précédentes sur les dépens du 4 septembre 2020 en les insérant dans des affidavits sans présenter d’éléments de preuve pour démontrer le caractère raisonnable de sa réclamation ».
[24]
Georgetown maintient que certains des frais réclamés par Tetra Tech pour l’étape de l’action relative à la quantification semblent excessifs et signale qu’il n’y a pas suffisamment de renseignements pour pouvoir établir s’ils sont raisonnables :
[TRADUCTION]
Par exemple, le cabinet DLA Piper réclame 125 889,75 $ en honoraires d’avocats pour « la préparation et la conduite d’un interrogatoire préalable » à l’étape de l’action relative à la quantification. Les interrogatoires préalables menés par les deux parties ont nécessité moins de trois jours. Aucune explication n’est donnée quant à la façon dont le cabinet DLA Piper est arrivé à ce chiffre ni sur la nature des services dont il a été tenu compte ou le nombre d’heures consacrées. À titre de comparaison, en ce qui concerne l’étape de l’action relative à l’examen de la responsabilité, Georgetown réclamait pour la préparation et la conduite des interrogatoires préalables menés par deux avocats pendant deux jours la somme de 77 813 $. Georgetown a produit une copie de ces dossiers pour expliquer les services rendus et les heures consacrées.
[25]
Georgetown relève également que le cabinet d’avocats ROBIC a retranché de ses factures certains [traduction] « éléments irrécouvrables »
, s’élevant à environ 9 623 $. Aucune explication n’a été fournie pour justifier comment ce chiffre avait été déterminé; on s’est contenté d’affirmer que cette somme correspondait aux services afférents à l’appel interjeté dans l’affaire Georgetown no 1 et au transfert du dossier du cabinet ROBIC au cabinet DLA Piper.
[26]
Georgetown soulève plusieurs autres questions au sujet de sommes réclamées par Tetra Tech pour lesquelles les observations formulées au sujet des dépens ne fournissent pas d’explications suffisantes. De plus, rien ne permet de penser que les débours réclamés par Tetra Tech étaient raisonnables. Il n’y a aucune facture pour justifier les postes réclamés ni d’affidavit en confirmant le caractère raisonnable. Georgetown se plaint également du fait que certains des débours réclamés par Tetra Tech ne sont pas remboursables, comme les frais généraux relatifs aux heures supplémentaires effectuées par le personnel du cabinet d’avocats ou la reliure de documents.
[27]
Dans ses observations du 1er mars 2018 au sujet des dépens qu’elle a déposées à la suite de la décision rendue par notre Cour dans l’affaire Georgetown no 1, Tetra Tech se disait d’avis qu’il n’y avait pas lieu en l’espèce d’adjuger les dépens sous forme de somme globale et que [traduction] « les dépens devaient être taxés conformément au critère applicable énoncé à l’article 407 des Règles, en l’occurrence selon la fourchette médiane de la colonne III »
. Tetra Tech a établi une distinction entre la présente espèce et l’affaire Nova, dans laquelle la CAF avait approuvé l’adjudication de dépens sous forme d’une somme globale :
[traduction]
L’affaire Nova était une « affaire de brevet extrêmement complexe qui a nécessité la participation de témoins experts », et qui comportait « 22 allégations d’invalidité, 33 jours d’interrogatoire préalable et 32 jours d’audience, plus de 700 pages d’observations écrites, et des plaidoiries finales qui avaient duré trois jours ». C’est en raison de ces facteurs que le juge de première instance a conclu que l’adjudication d’une somme globale à titre de dépens était justifiée. C’est loin d’être le cas en l’espèce.
[28]
Tetra Tech a eu deux occasions de fournir à la Cour et à la demanderesse un relevé détaillé et des renseignements suffisants pour justifier l’adjudication d’une somme globale à titre de dépens, ce qu’elle n’a pas fait, soit parce qu’elle en est incapable, soit parce qu’elle n’y est pas disposée. Compte tenu de la position adoptée par Tetra Tech à la suite de la décision rendue par notre Cour dans l’affaire Georgetown no 1 selon laquelle la présente instance était beaucoup moins complexe que l’affaire Nova, et compte tenu du fait que les dépens devraient être taxés conformément au tarif B, je considère qu’il s’agit d’une méthode raisonnable pour calculer les dépens en l’espèce.
[29]
Georgetown propose que les frais de Tetra Tech soient taxés conformément à la colonne V du tarif B et qu’elle ne soit remboursée que de ses débours jugés raisonnables et nécessaires. Une ordonnance sera rendue en conséquence.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que les frais de Tetra Tech sont taxés selon la colonne V du tarif B. Tetra Tech ne sera remboursée que de ses débours jugés raisonnables et nécessaires.
« Simon Fothergill »
Traduction certifiée conforme
M. Deslippes
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T‑896‑15
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INTITULÉ :
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GEORGETOWN RAIL EQUIPMENT COMPANY c. TETRA TECH EBA INC.
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Observations sur les dépens examinés à ottawa (ontario) conformément au jugement rendu par la Cour (2019 CAf 203)
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ORDONNANCE ET MOTIFS :
DATE DES MOTIFS :
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LE JUGE FOTHERGILL
LE 23 DÉCEMBRE 2020
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OBSERVATIONS ÉCRITES :
Donald M. Cameron
Anastassia Trifonova
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Pour la demanderesse/défenderesse reconventionnelle
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Bruce W. Stratton
Bentley Gaikis
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Pour la défenderesse/demanderesse reconventionnelle
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Bereskin & Parr, S.E.N.C.R.L./s.rl.
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Pour la demanderesse/défenderesse reconventionnelle
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DLA Piper (Canada) LLP
Toronto (Ontario)
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Pour la défenderesse/demanderesse reconventionnelle
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