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Date : 19990617


Dossier : IMM-2910-98

OTTAWA (Ontario), le 17 juin 1999

EN PRÉSENCE DE : monsieur le juge Rouleau

ENTRE :

     JACOB RANJIT DCRUZE,

     demandeur,

ET :

     LE MINISTRE,

     défendeur.

     ORDONNANCE

     La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué afin qu'il procède à un nouvel examen de celle-ci.

                                     " P. ROULEAU "
                                                          JUGE

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


Date : 19990617


Dossier : IMM-2910-98

ENTRE :

     JACOB RANJIT DCRUZE,

     demandeur,

ET :

     LE MINISTRE,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) en date du 17 avril 1998 selon laquelle le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention.

[2]      Le demandeur est un citoyen du Bangladesh. Il prétend qu'il était persécuté par les intégristes musulmans du fait de sa religion chrétienne et de son appartenance au Bangladesh Hindu Buddhist Christian Unity Council. Craignant pour sa vie, il a obtenu un visa américain et fui son pays le 31 mars 1994. Il est arrivé aux États-Unis le 1er avril 1994. Deux mois plus tard, en juin 1994, il a demandé le statut de réfugié aux États-Unis. En septembre 1996, il a quitté les États-Unis pour venir au Canada où, à son arrivée, il a revendiqué le statut de réfugié. Lors de l'audience relative à son statut de réfugié au Canada, le demandeur a donné deux raisons l'ayant poussé à quitter les États-Unis. Premièrement, de juin 1994 à septembre 1996, aucune audience relative à sa revendication du statut de réfugié n'avait été prévue. Deuxièmement, à deux reprises, soit en décembre 1995 et en mars 1996, il avait été attaqué par les truands armés qui l'avaient battu et volé. Il n'a jamais signalé les attaques à la police par crainte de représailles des bandits.

[3]      La Commission n'a pas cru les raisons que le demandeur a données pour expliquer son départ des États-Unis. Il a dit au tribunal qu'il avait quitté les États-Unis sous l'effet de la peur, mais qu'il avait tout de même attendu six mois après le dernier incident avant de partir. Il n'a jamais signalé les passages à tabac à la police. Il n'a jamais mentionné les incidents survenus aux États-Unis dans son FRP. La Commission a conclu que le demandeur n'avait pas une crainte subjective de persécution au Bangladesh parce son comportement aux États-Unis était incompatible avec le comportement auquel on s'attend d'un demandeur authentique du statut de réfugié. La Commission s'est appuyée sur les extraits suivants des motifs du juge Rothstein dans Hibo Farah Mohamed c. M.C.I. (9 avril 1997), IMM-2248-96 (C.F. 1re inst.) :

     L'objet de la Convention de Genève est d'aider les personnes qui ont besoin de protection et non de venir en aide aux personnes qui préfèrent tout simplement demander asile dans un pays de préférence à un autre. La Convention et la Loi sur l'immigration devraient être interprétées en tenant compte de leur objectif véritable.         

[4]      Ayant tiré cette conclusion, la Commission a mis un terme à l'audience. Elle ne s'est jamais demandée si le demandeur avait une crainte fondée de persécution au Bangladesh.

[5]      La Commission a commis une erreur en s'appuyant sur la décision Hibo Farah Mohamed. Dans cette affaire, les demandeurs avaient obtenu le droit d'établissement en Suède. Ils se sont par la suite rendus au Canada et ils ont revendiqué le statut de réfugié. La Cour était fondée à refuser de leur accorder le statut de réfugié au Canada parce qu'ils bénéficiaient déjà de la protection d'un pays sans risque. En l'espèce, rien ne prouve que le demandeur possède un quelconque statut permanent aux États-Unis.

[6]      La Commission a décidé que le demandeur n'avait pas une crainte subjective de retourner au Bangladesh parce que son comportement était incompatible avec le comportement auquel on s'attend d'un demandeur authentique du statut de réfugié. En fait, il a attendu deux mois après son arrivée aux États-Unis pour revendiquer le statut de réfugié. Il a en outre retardé ses chances d'obtenir asile en venant au Canada, alors que sa demande aux États-Unis aurait vraisemblablement été traitée dans un proche avenir. Les retards à demander asile nient la preuve d'une crainte de persécution et il est loisible à la Commission de mettre en doute la crédibilité des demandeurs pour ce motif. Cependant, le tribunal ne peut pas ne tenir aucun compte des explications offertes et la crédibilité ne peut être mise en doute que si les explications fournies sont peu convaincantes; voir Hue c. Canada (M.E.I.) (8 mars 1988) A-196-87 (C.A.F.). Même si les explications du retard manquent de crédibilité, une telle conclusion n'est généralement pas déterminante quant à la demande; voir Huerta c. Canada (M.E.I.) (1993), 157 N.R. 225 (C.A.F.).

[7]      Pourtant, la Cour a confirmé les décisions de la Commission de rejeter une demande pour le motif que le comportement du demandeur est totalement incompatible avec une crainte authentique de persécution. À titre d'exemple, dans Cruz c. Canada (M.E.I.) (16 juin 1994), IMM-3848-93 (C.F. 1re inst.), le demandeur n'avait présenté une demande du statut de réfugié que sept ans après son départ de son pays d'origine, soit environ deux ans et trois mois après son arrivée au Canada. Le juge Simpson a décidé que le retard était tellement important qu'il était décisif quant à la demande. En l'absence d'éléments de preuve crédibles quant à la raison du retard, il était loisible à la Commission de conclure qu'il n'avait pas la crainte subjective de persécution nécessaire.

[8]      L'avocate du défendeur a invoqué le passage suivant des motifs du juge Linden dans l'arrêt Pan c. Canada (M.E.I.) (21 juillet 1994) A-859-91 (C.A.F.) :

                 En l'espèce, la section du statut a conclu que le comportement du requérant était [TRADUCTION] " incompatible avec une crainte subjective réelle de persécution ". Bien que cela puisse être une conclusion inusitée, ce n'en est pas moins une que peut tirer la Commission dans les cas appropriés. La Commission pouvait, dans cette affaire, conclure que le comportement du requérant, qui a voyagé à travers la Chine pendant plusieurs mois avec ce qui a semblé à la Commission être un minimum de précautions, n'était pas le comportement d'une personne craignant d'être persécutée.                 

[9]      L'arrêt Pan peut être distingué de la présente affaire. Une lecture à fond de la décision révèle que la demande de M. Pan a également été rejetée pour le motif que sa crainte n'avait aucun fondement objectif. L'avocate a également invoqué la décision Safakhoo c. Canada (M.C.I.) (11 avril 1997) IMM-455-96. Dans cette affaire, les demandeurs avait quitté l'Iran et vécu en France pendant cinq ans sans revendiquer le statut de réfugié. Quand leur statut en France a expiré, ils sont retournés en Iran. Ultérieurement, ils ont revendiqué le statut de réfugié au Canada. La Commission a rejeté leur demande pour le motif que leur comportement était incompatible avec celui de réfugiés authentiques. Le juge Pinard a confirmé la décision de la Commission. Premièrement, il a souligné que le séjour des demandeurs en France n'était pas en soi déterminant quant au bien-fondé de la demande parce qu'un retard à présenter une demande du statut de réfugié n'est pas un facteur décisif. Toutefois, le retard, conjugué avec le retour en Iran qui, je suppose, a également été expliqué d'une manière peu convaincante, montrait qu'ils n'avaient pas une crainte subjective de persécution dans ce pays.

[10]      En l'espèce, le demandeur n'est jamais retourné au Bangladesh. Il y a une période d'environ deux ans et six mois entre son départ du Bangladesh et sa demande du statut de réfugié au Canada. Il a revendiqué le statut de réfugié à son arrivée au pays. Le retard n'était pas aussi important que dans la décision Cruz et n'aurait pas dû être déterminant en l'espèce. La Commission aurait dû examiner la demande au fond.


[11]      La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué afin qu'il procède à un nouvel examen de celle-ci.

                                     " P. ROULEAU "
                                      JUGE

OTTAWA (Ontario)

Le 17 juin 1999

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              IMM-2910-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :      JACOB RANJIT DCRUZE c. LE MINISTRE
LIEU DE L'AUDIENCE :          OTTAWA (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE :          LE 2 JUIN 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE ROULEAU

DATE DES MOTIFS :          LE 17 JUIN 1999

ONT COMPARU :

MME RACHEL BENAROCH              POUR LE DEMANDEUR
MME PATRICIA DESLAURIERS              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MME RACHEL BENAROCH, AVOCATE      POUR LE DEMANDEUR

MONTRÉAL (QUÉBEC)

M. MORRIS ROSENBERG                  POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

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