Date : 20010628
Dossier : IMM-5584-99
Référence neutre : 2001 CFPI 720
ENTRE :
JUAN LING FENG
demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE O'KEEFE
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle une agente des visas a refusé, le 14 octobre 1999, la demande que la demanderesse avait présentée en vue de résider en permanence au Canada.
Les faits
[2] La demanderesse, Juan Ling Feng, est une citoyenne chinoise qui a présenté une demande en vue de résider en permanence au Canada à titre de membre de la catégorie des parents ayant une offre d'emploi dans une entreprise familiale. La demande a fait l'objet d'une sélection administrative, mais la demanderesse n'a pas obtenu un nombre suffisant de points (55) pour être convoquée à une entrevue. Par une lettre en date du 14 octobre 1999, la demande a été rejetée. La demanderesse a été appréciée comme suit à l'égard de la profession de surveillante dans la transformation des produits textiles (no 9216.0 de la CNP) :
Âge 10
Demande dans la profession 00
FEF 05
Expérience 04
Emploi réservé 10
Facteur démographique 08
Études 10
Anglais 00
Français 00
Total 47
[3] L'offre d'emploi au Canada avait été faite par Hai Chieh Wu; cette offre avait été approuvée par Citoyenneté et Immigration Canada. Le conjoint de la demanderesse est le frère de la conjointe de Hai Chieh Wu. Par conséquent, la demanderesse est la belle-soeur de Hai Chieh Wu. Lorsqu'elle a été contre-interrogée au sujet de son affidavit, l'agente des visas a admis avoir par erreur cru que l'offre d'emploi avait été faite par une tante paternelle du conjoint de la demanderesse.
Arguments de la demanderesse
[4] L'agente des visas a commis une erreur au vu du dossier en se trompant au sujet des liens de parenté existant entre la demanderesse et l'employeur. Cela étant, elle ne peut pas s'être acquittée de sa tâche de la façon appropriée en appréciant l'offre d'emploi dans une entreprise familiale puisque la réunification des familles est une pierre angulaire de la catégorie des requérants ayant une offre d'emploi dans une entreprise familiale.
[5] L'agente des visas a commis une erreur de droit en n'attribuant pas à la demanderesse dix points pour le facteur professionnel étant donné qu'en ce qui concerne cette profession, la cote est de plus de cinq points au titre de l'IEF. Partant, si la demanderesse avait obtenu dix points pour le facteur professionnel, au moins 57 points lui auraient été attribués lors de la sélection préliminaire et elle aurait eu droit à une entrevue. L'agente des visas n'a pas respecté l'équité procédurale en omettant de convoquer la demanderesse à une entrevue.
[6] L'agente des visas n'était pas au courant des dispositions de l'alinéa 11(3)a) du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172 (le Règlement); cela étant, elle n'en a pas tenu compte, contrairement à ce qui est déclaré au paragraphe 8 de son affidavit.
Arguments du défendeur
[7] Le défendeur soutient qu'il faudrait tenir compte des décisions rendues dans les affaires To c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (22 mai 1996) dossier A-172-93 (C.A.F.) et Shen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 6 Imm. L.R. (3d) 144 (C.F. 1re inst.) en déterminant si la Cour doit intervenir.
[8] L'agente des visas a admis son erreur et, au cours du contre-interrogatoire, elle a reconnu que l'offre d'emploi avait été faite par le beau-frère de la demanderesse, mais le défendeur soutient que l'agente n'a pas commis d'erreur susceptible de révision étant donné que la chose ne tirait pas à conséquence. Selon la demanderesse, il ressort clairement de la transcription que ce qui importait, c'était que l'offre d'emploi soit faite par un parent plutôt que par un type précis de parent. Le défendeur soutient que, de toute façon, l'appréciation fondée sur le facteur professionnel est la question déterminante aux fins de la présente demande.
[9] Le défendeur affirme qu'en ce qui concerne la profession de la demanderesse, la cote est de 5 au titre du FEF, ce qui équivaut à une cote de 3 au titre de l'IEF. La demanderesse aurait uniquement pu obtenir dix points supplémentaires si la cote avait été d'au moins 5 au titre de l'IEF. En outre, le défendeur soutient que le facteur 2 de l'annexe I du Règlement exige que l'agent des visas choisisse l'indicateur minimal en vue d'évaluer le FEF lorsque plus d'un IEF est établi dans la CNP. En l'espèce, l'agente des visas a donc choisi la cote 3+ plutôt que la cote 6+ au titre de l'IEF et elle l'a comparée à la grille en vue d'en arriver à un FEF de 5.
[10] Dans son affidavit, l'agente des visas a déclaré qu'en ce qui concerne l'exercice favorable d'un pouvoir discrétionnaire, elle n'a pu constater dans la présente demande aucun autre élément, si ce n'est ceux qui sont évalués selon les critères de sélection, qui soit susceptible d'aider la demanderesse à réussir son installation au Canada. En outre, on n'a pas expressément demandé à l'agente des visas d'exercer favorablement son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 11(3) du Règlement. Le défendeur rejette l'allégation selon laquelle l'agente des visas ne sait pas ce qu'est l'exercice favorable d'un pouvoir discrétionnaire puisqu'elle a uniquement déclaré ne pas connaître le numéro particulier de la disposition pertinente du Règlement.
Les dispositions législatives pertinentes
[11] Le facteur 2 « Études et formation » et le facteur 4 « Facteur professionnel » de l'annexe I du Règlement, pour lesquels le maximum est de 18 points, sont ainsi libellés :
Colonne I Facteurs |
Colonne II Critères |
Colonne III Nombre maximal de points |
. . . |
||
2. Études et formation |
(1) À évaluer suivant le programme d'études et la période de formation professionnelle, d'apprentissage, de formation en usine ou de formation en cours d'emploi précisés dans la Classification nationale des professions comme étant nécessaires pour acquérir les connaissances théoriques et pratiques et les compétences qu'exige la profession pour laquelle le requérant est apprécié selon l'article 4. Les points d'appréciation sont attribués selon le barème suivant : a) lorsqu'aucun programme d'études et aucune période de formation ne sont nécessaires, 1 point; b) lorsque quelques années d'études secondaires, une formation en cours d'emploi ou de l'expérience sont nécessaires, 2 points; c) lorsqu'un diplôme d'études secondaires est nécessaire, 5 points; d) lorsqu'un cours pratique, une formation, des ateliers ou de l'expérience reliés à la profession sont nécessaires, habituellement à la suite des études secondaires, 7 points; e) lorsqu'un certificat ou un diplôme d'études collégiales ou techniques est nécessaire ou lorsqu'un programme de formation professionnelle, d'apprentissage ou de formation spécialisée est nécessaire, 15 points; f) lorsqu'un diplôme d'études universitaires au niveau du baccalauréat est nécessaire, 17 points; g) lorsqu'un diplôme d'études universitaires au niveau de la maîtrise ou du doctorat ou un diplôme d'études professionnelles qui requiert des études additionnelles au-delà du baccalauréat est nécessaire, 18 points; (2) Lorsque plus d'un indicateur d'études et de formation est établi dans la Classification nationale des professions pour une profession donnée, l'indicateur minimal est retenu pour l'évaluation du facteur études et formation. |
18 |
Colonne I Facteurs |
Colonne II Critères |
Colonne III Nombre maximal de points |
4. Facteur professionnel |
(1) Des points d'appréciation sont attribués en fonction des possibilités d'emploi au Canada dans la profession : a) à l'égard de laquelle le requérant satisfait aux conditions d'accès, pour le Canada, établies dans la Classification nationale des professions; b) pour laquelle le requérant a exercé un nombre substantiel des fonctions principales établies dans la Classification nationale des professions, dont les fonctions essentielles; c) que le requérant est prêt à exercer au Canada. (2) Ces possibilités sont déterminées en fonction de l'activité sur le marché du travail aux niveaux national et régional, après consultation du ministère du Développement des ressources humaines, des gouvernements provinciaux et de toute autre organisation ou institution compétente. |
10 |
[12] Le paragraphe 11(3) du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, est ainsi libellé :
11.(3) L'agent des visas peut a) délivrer un visa d'immigrant à un immigrant qui n'obtient pas le nombre de points d'appréciation requis par les articles 9 ou 10 ou qui ne satisfait pas aux exigences des paragraphes (1) ou (2), ou b) refuser un visa d'immigrant à un immigrant qui obtient le nombre de points d'appréciation requis par les articles 9 ou 10, s'il est d'avis qu'il existe de bonnes raisons de croire que le nombre de points d'appréciation obtenu ne reflète pas les chances de cet immigrant particulier et des personnes à sa charge de réussir leur installation au Canada et que ces raisons ont été soumises par écrit à un agent d'immigration supérieur et ont reçu l'approbation de ce dernier. |
11.(3) A visa officer may (a) issue an immigrant visa to an immigrant who is not awarded the number of units of assessment required by section 9 or 10 or who does not meet the requirements of subsection (1) or (2), or (b) refuse to issue an immigrant visa to an immigrant who is awarded the number of units of assessment required by section 9 or 10, |
|
if, in his opinion, there are good reasons why the number of units of assessment awarded do not reflect the chances of the particular immigrant and his dependants of becoming successfully established in Canada and those reasons have been submitted in writing to, and approved by, a senior immigration officer. |
||
Les points litigieux
[13] 1. L'agente des visas a-t-elle commis une erreur de droit en n'attribuant pas à la demanderesse dix points pour le facteur professionnel étant donné qu'en ce qui concerne cette profession, la cote est de plus de cinq points au titre de l'IEF? Plus précisément, si la demanderesse avait obtenu dix points pour le facteur professionnel, au moins 57 points lui auraient été attribués lors de la sélection préliminaire et elle aurait eu droit à une entrevue. L'agente des visas a-t-elle respecté l'équité procédurale en omettant de convoquer la demanderesse à une entrevue?
2. L'agente des visas a-t-elle commis une erreur au vu du dossier en se trompant au sujet des liens de parenté existant entre la demanderesse et l'employeur? Plus précisément, l'agente des visas ne peut pas s'être acquittée de sa tâche de la façon appropriée en appréciant l'offre d'emploi dans une entreprise familiale puisque la réunion des familles est une pierre angulaire de la catégorie des requérants ayant une offre d'emploi dans une entreprise familiale.
3. L'agente des visas n'était pas au courant des dispositions du paragraphe 11(3) du Règlement sur l'immigration de 1978 (pouvoir discrétionnaire favorable) et, cela étant, elle n'en a pas tenu compte, contrairement à ce qui est déclaré au paragraphe 8 de son affidavit.
Analyse et décision
[14] L'agente des visas n'a pas attribué de points d'appréciation à la demanderesse à l'égard du facteur professionnel (facteur 4) de l'annexe I du Règlement. Pendant le contre-interrogatoire, l'agente des visas a déclaré qu'au cours d'une séance de formation, on lui avait enseigné que s'il y avait deux indicateurs d'études et de formation établis dans la CNP à l'égard d'une profession, il fallait retenir l'indicateur minimal. J'ai examiné l'annexe I du Règlement; il y est uniquement prévu que l'indicateur minimal est retenu lorsque le facteur « Études et formation » (le facteur 2) est évalué. Il n'est pas fait mention de l'utilisation de l'indicateur minimal aux fins de l'évaluation du facteur professionnel selon le facteur 4 (voir l'annexe I, facteurs 2 et 4 du Règlement).
[15] De plus, le Guide des carrières, partie 2 de la CNP, publié par Développement des ressources humaines Canada qui est utilisé par les agents des visas dit, sous la rubrique « Surveillants/surveillantes dans la transformation des produits textiles » , qu'il y a deux indicateurs d'études et de formation 3+ et 6+ pour ce poste.
[16] Le Guide d'Immigration Canada, chapitre OP5, Traitement des demandes des immigrants indépendants, dit ce qui suit, à la page 19, sous la rubrique « Facteur demande dans la profession » :
Le maximum de 10 points prévu pour le facteur « Demande dans la profession » est attribué à un demandeur qui a une offre d'emploi validée dans une profession à laquelle la CNP attribue une cote de cinq (5) ou plus au titre de l'IEF. (Il convient de noter que la cote cinq (5) de la CNP équivaut à quinze (15) points d'appréciation pour le facteur études.)
Le nombre maximum de 10 points prévu pour le facteur « Demande dans la profession » est également attribué à un demandeur dont la profession a été désignée par le ministre (voir la partie 4.1.5).
Si un candidat n'obtient aucun point pour le facteur « Demande dans la profession » , c'est-à-dire si sa profession ne figure pas sur la Liste générale des professions, n'a pas été désignée par le ministre ou s'il n'a pas d'offre d'emploi validée, on interrompra le traitement de la demande.
Il n'est pas ici fait mention du fait qu'il faut choisir l'IEF minimal à l'égard du facteur 4 (Demande dans la profession) s'il y a deux indicateurs selon la CNP. Dans le passage précité, il est clairement dit : « [...] à laquelle la CNP attribue une cote [...] au titre de l'IEF [...] » et non « [...] à laquelle l'agent des visas attribue une cote [...] au titre de l'IEF [...] » . La demanderesse a une offre d'emploi validée; de plus, l'un des indicateurs des études et de la formation est de 6+. Il s'ensuit que la demanderesse doit se voir attribuer dix points d'appréciation pour le facteur professionnel. L'agente des visas a commis une erreur en choisissant les indicateurs d'études et de formation minimaux pour le facteur 4, puisque rien ne permet en droit de tirer pareille conclusion. Le choix de l'indicateur d'études et de formation minimal s'applique au facteur 2, « Études et formation » . Si l'agente des visas avait évalué de la façon appropriée le facteur 4, la demanderesse aurait obtenu 57 points, de sorte qu'elle aurait eu droit à une entrevue personnelle conformément au sous-alinéa 11.1a)(ii) du Règlement sur l'immigration de 1978. La décision de l'agente des visas de choisir l'IEF minimal pour le facteur 4 de l'annexe I constitue une erreur de droit. La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie.
[17] Étant donné la décision que j'ai rendue au sujet de la première question, je n'ai pas à examiner les deuxième et troisième questions.
[18] Les parties disposent d'un délai d'une semaine à compter de la date de la présente décision en vue de soumettre une question grave de portée générale, le cas échéant, pour que je l'examine.
« John A. O'Keefe »
Juge
Halifax (Nouvelle-Écosse)
Le 28 juin 2001
Traduction certifiée conforme
Martine Guay, LL. L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-5584-99
INTITULÉ : JUAN LING FENG
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE VENDREDI 11 MAI 2001
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : MONSIEUR LE JUGE O'KEEFE
DATE DES MOTIFS : LE JEUDI 28 JUIN 2001
COMPARUTIONS :
M. C. Rotenberg, c.r. POUR LA DEMANDERESSE
Mme C. Mitchell POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
M. Cecil L. Rotenberg, c.r.
255, chemin Duncan Mill
Bureau 808
Don Mills (Ontario)
M3B 3H9 POUR LA DEMANDERESSE
Ministère de la Justice
Bureau régional de Toronto
2 First Canadian Place
Bureau 3400, Exchange Tower, B.P. 36
Toronto (Ontario)
M5X 1K6 POUR LE DÉFENDEUR
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
Date : 20010628
Dossier : IMM-5584-99
Référence neutre : 2001 CFPI 720
ENTRE :
JUAN LING FENG
demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE