Date : 20050623
Dossier : IMM-147-05
Référence : 2005 CF 896
Toronto (Ontario), le 23 juin 2005
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O’REILLY
ENTRE :
ALI REZA MONEMI
demandeur
et
LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA
défendeur
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Le 10 janvier 2005, j’ai accueilli la requête présentée par Ali Reza Monemi visant l’obtention d’un sursis à l’exécution d’une ordonnance l’obligeant à quitter le Canada pour l’Iran le 11 janvier 2005. J’ai accueilli la requête de M. Monemi parce que j’étais convaincu qu’il avait satisfait au critère bien connu à trois volets applicable pour l’octroi d’un sursis.
[2] Le défendeur me demande maintenant d’annuler mon ordonnance initiale au motif que les éléments de preuve dont j’étais saisi relativement à la requête en sursis étaient frauduleux ou, à tout le moins, inexacts. Le défendeur m’a saisi d’un certain nombre de nouveaux affidavits qui visent à démontrer que l’ordonnance initiale n’aurait pas dû être accordée. M. Monemi a lui aussi présenté de nouveaux affidavits. Certains des auteurs de ces affidavits ont été contre-interrogés, et je suis saisi des transcriptions de leur témoignage.
[3] Je ne suis pas convaincu de la nécessité d’annuler l’ordonnance initiale, et ce, même si, comme le prétend le défendeur avec insistance, la fiabilité des éléments de preuve sur lesquels cette ordonnance était fondée est mise en doute. Par conséquent, je dois rejeter la présente requête.
I. Question en litige
Compte tenu de ces nouveaux éléments de preuve, mon ordonnance du 10 janvier 2005 doit-elle être annulée?
II. Analyse
a) L’ordonnance initiale
[4] Mon ordonnance sursoyant au renvoi de M. Monemi du Canada était fondée sur les motifs suivants :
(i) La question sérieuse
[5] La situation de M. Monemi soulevait une question sérieuse en ce qui concerne sa demande en suspens d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision d’une agente de renvoi de ne pas surseoir à son renvoi. Cette situation était la suivante :
· l’agente n’avait pas tenu compte de nouveaux renseignements obtenus par M. Monemi sur le traitement d’un autre citoyen iranien, lesquels renseignements indiquaient que M. Monemi courait un risque en Iran s’il était envoyé dans ce pays sans titres de voyage réguliers;
· l’agente s’était fondée plutôt sur sa connaissance personnelle du dossier dont M. Monemi faisait état;
· l’agente s’était fondée également sur sa connaissance personnelle d’un autre dossier dont M. Monemi n’avait pas connaissance; et
· l’agente avait reproché à M. Monemi d’avoir présenté ces renseignements à la dernière minute, même si ceux-ci n’étaient disponibles que depuis peu.
(ii) Le préjudice irréparable
[6] M. Monemi a étayé sa demande de sursis d’un affidavit dont l’auteur prétendait que sa soeur, qui avait été renvoyée en Iran sans titres de voyage réguliers, avait été soumise à de très mauvais traitements. Elle aurait été détenue et n’aurait été libérée qu’après le versement d’un cautionnement important. Je n’ai trouvé aucun élément de preuve indiquant que M. Monemi pouvait s’attendre à subir les mêmes traitements s’il était renvoyé en Iran dans des circonstances semblables. Cependant, j’ai conclu que l’importance du risque encouru par M. Monemi n’avait pas été évaluée. L’agente de renvoi avait refusé d’étudier les éléments de preuve qu’il apportait. Un deuxième examen des risques avant renvoi fondé sur ces nouveaux renseignements n’avait pas été terminé. En conséquence, le renvoi de M. Monemi du Canada l’aurait exposé au risque de subir de très mauvais traitements, qui restaient encore à être évalués convenablement. J’ai conclu que, dans ces circonstances, on pouvait considérer que M. Monemi s’était acquitté de son obligation de démontrer qu’il subirait un préjudice irréparable si sa demande de sursis était rejetée.
(iii) La prépondérance des inconvénients
[7] Compte tenu des circonstances et des éléments de preuve dont j’étais saisi, j’ai conclu que l’obligation du ministre de renvoyer du Canada les personnes qui font l’objet d’une mesure de renvoi valide passait au second plan par rapport à la préoccupation légitime relative à la sécurité humaine.
b) La compétence de la Cour pour annuler ou modifier ses ordonnances
[8] Le paragraphe 399(2) des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, autorise la Cour à annuler ou à modifier une ordonnance dans les deux cas suivants :
a) des faits nouveaux sont survenus ou ont été découverts après que l’ordonnance a été rendue;
b) l’ordonnance a été obtenue par fraude.
[9] Le défendeur prétend que son enquête a révélé la fausseté des éléments de preuve sur lesquels M. Monemi se fondait dans sa requête initiale pour l’obtention d’un sursis. Il prétend qu’on ne saurait reprocher à M. Monemi d’avoir déposé cette preuve, étant donné qu’il n’en connaissait pas la fausseté, mais que la Cour devrait néanmoins annuler son ordonnance initiale.
[10] Je suis convaincu que le défendeur a démontré que des faits nouveaux sont survenus depuis le prononcé de l’ordonnance initiale, faits qui permettraient à la Cour de déterminer s’il y a lieu d’annuler cette ordonnance. Bien qu’une partie des éléments de preuve sur lesquels le défendeur se fonde ait été découverte, ou aurait pu l’être, avant le 11 janvier 2005, une grande partie de ceux-ci n’a été découverte que par la suite. En conséquence, il ne m’est pas nécessaire de décider si l’ordonnance de sursis a été obtenue par suite de fraude.
c) L’ordonnance de sursis doit‑elle être annulée?
[11] Le défendeur a déposé des éléments de preuve qui contredisent ceux sur lesquels M. Monemi s’est fondé dans sa requête initiale. En résumé, ces éléments de preuve montrent que d’autres citoyens iraniens renvoyés sans titres de voyage réguliers n’avaient peut‑être pas été maltraités à leur arrivée ou par la suite, contrairement aux renseignements fournis par M. Monemi.
[12] À mon avis, dans les circonstances de l’espèce, cela n’est pas suffisant pour justifier l’annulation de l’ordonnance initiale. La question sérieuse que j’ai dégagée lorsque j’ai rendu l’ordonnance de sursis initiale demeure valable. Les nouveaux éléments de preuve n’influent d’aucune manière sur ma conclusion à cet égard.
[13] En ce qui concerne le préjudice irréparable, les nouveaux éléments de preuve soulèvent des doutes quant à savoir si les personnes renvoyées en Iran sans titres de voyage réguliers sont maltraitées. Toutefois, j’avais conclu sur ce point que le renvoi d’une personne du Canada pouvait donner lieu à un préjudice irréparable avant que le risque que celle‑ci fasse l’objet de très mauvais traitements soit évalué convenablement. Cette conclusion ne pourrait être annulée que s’il était tout à fait évident, compte tenu des nouveaux éléments de preuve, qu’il n’y avait aucun risque de la sorte en l’espèce. Cependant, si ce critère préliminaire n’était pas rempli, je serais obligé d’apprécier l’ensemble de la preuve, ce qui reviendrait à effectuer ma propre évaluation du risque. Ce n’est tout simplement pas le rôle de la Cour. Les nouveaux éléments de preuve dont dispose le défendeur doivent être soumis au décideur compétent, de manière à qu’il puisse procéder à une évaluation appropriée du risque auquel est exposé M. Monemi.
[14] Compte tenu de ce qui précède, la prépondérance des inconvénients continue de favoriser la poursuite du séjour de M. Monemi au Canada pour que celui-ci soit en mesure d’exercer ses recours juridiques. Cependant, je dois souligner que je partage les doutes du défendeur en ce qui concerne la possibilité qu’un faux affidavit ait pu être déposé en l’instance. Le défendeur exprime des doutes additionnels, que je ne partage pas, suivant lesquels le faux affidavit a pu amener la Cour à rendre une ordonnance que celle-ci n’aurait autrement pas rendue. L’ordonnance initiale a été rendue principalement au motif que le traitement par l’agente de renvoi de l’allégation de risque faite par M. Monemi soulevait une question sérieuse. Ce n’est pas seulement l’affidavit qui a justifié le prononcé de l’ordonnance de sursis.
d) Questions accessoires
[15] M. Monemi a demandé que j’ordonne la mise sous scellés du dossier concernant la présente requête, afin de protéger des tiers. Il a également demandé les dépens. J’ai besoin d’observations supplémentaires sur ces questions avant d’en décider. M. Monemi peut déposer ses observations écrites supplémentaires dans les dix (10) jours ouvrables suivant la présente ordonnance. Le défendeur disposera de cinq (5) jours ouvrables à compter de la réception des observations de M. Monemi pour déposer une réponse. M. Monemi disposera de cinq (5) jours ouvrables pour déposer une réplique.
III. Dispositif
[16] La requête est rejetée.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
1. La requête est rejetée.
2. Le demandeur disposera de dix (10) jours ouvrables à compter de la présente ordonnance pour déposer ses observations écrites supplémentaires;
3. Le défendeur disposera de cinq (5) jours ouvrables à compter de la réception des observations du demandeur pour déposer une réponse.
4. Le demandeur disposera de cinq (5) jours ouvrables pour déposer une réplique.
« James W. O’Reilly »
Juge
Traduction certifiée conforme
Julie Boulanger, LL.M.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM‑147‑05
INTITULÉ : ALI REZA MONEMI
c.
LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA
REQUÊTE JUGÉE PAR TÉLÉCONFÉRENCE À OTTAWA (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 17 JUIN 2005
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE O’REILLY
DATE DES MOTIFS : LE 23 JUIN 2005
COMPARUTIONS :
Peter D. Larlee POUR LE DEMANDEUR
Lorne A. Waldman
Peter Bell POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Larlee & Associates Law Corp.
Vancouver (C.-B.)
Waldman & Associates POUR LE DEMANDEUR
Toronto (Ontario)
John H. Sims, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
Toronto (Ontario)