Date : 20030923
Dossier : IMM-4324-02
Référence : 2003 CF 1066
ENTRE :
TASADDAQ MUSHTAQ
demandeur
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE PINARD
[1] La Cour statue sur une demande de contrôle judiciaire d'une décision en date du 19 août 2002 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a refusé de reconnaître au demandeur le statut de réfugié au sens de la Convention au sens de l'article 96 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) ou celui de « personne à protéger » au sens de l'article 97 de la Loi.
[2] Le demandeur est un citoyen du Pakistan. Il affirme craindre avec raison d'être persécuté du fait de ses opinions politiques. Il affirme en outre qu'il risque d'être soumis à la torture ou d'être exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités au Pakistan.
[3] La Commission a fondé sa décision sur le manque de crédibilité du demandeur, ce que celui-ci conteste.
[4] Lecture faite de la transcription et après examen de la preuve, je suis convaincu, malgré l'éloquent plaidoyer de Me Richard, qu'en l'espèce, la Commission a agi de façon déraisonnable en tirant une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité du demandeur.
[5] Le demandeur soutient que la Commission a trop insisté sur sa capacité de répondre aux questions portant sur l'histoire politique du Pakistan. Il ressort de la transcription que le demandeur a pu répondre à bon nombre des questions qui lui ont été posées par la Commission au sujet de l'histoire politique du pays, mais qu'il n'était pas en mesure de répondre à d'autres questions plus précises. La Commission a fortement tablé sur cette incapacité du demandeur pour tirer une conclusion défavorable au sujet de sa crédibilité. Les pages 238 à 242 de la transcription révèlent toutefois le zèle dont a fait preuve la Commission en bombardant le demandeur de questions précises et par trop détaillées, ainsi que l'impatience qu'elle a manifestée devant l'incapacité du demandeur à lui répondre. Le degré de précision exigé par la Commission et l'ampleur des connaissances de la politique auxquelles elle s'attendait de la part du demandeur allaient au-delà des « faits essentiels » dont parle le défendeur et étaient déraisonnables dans le contexte de la revendication du demandeur. La Commission n'a pas tenu compte de la situation particulière du demandeur ou du fait qu'il n'avait travaillé pour le Parti du peuple pakistanais (le PPP) que dans sa localité et non à l'échelle nationale.
[6] En ce qui concerne les contradictions relevées entre les notes prises au point d'entrée et le témoignage du demandeur, la Commission s'est là encore attardée sur des détails au lieu de s'en tenir à l'essentiel de la revendication. À la page 3 de ses motifs, la Commission affirme que le demandeur a déclaré dans sa déposition qu'il avait été détenu pendant deux jours après son arrestation, le 23 mars 2001, alors que les notes prises au point d'entrée indiquent qu'il n'a été détenu qu'un seul jour. La Commission fait ensuite une erreur en citant la transcription et affirme que le demandeur avait déclaré que, lors de son entrevue, il avait parlé d'un seul jour de détention et qu'il n'avait [TRADUCTION] « jamais parlé de deux jours » , En fait, à la page 244 de la transcription, le demandeur précise ce qui suit : [TRADUCTION] « Monsieur, j'ai effectivement parlé de deux jours à cette occasion. Je crois qu'ils ont fait une erreur en transcrivant mes propos » . L'interprétation erronée qu'elle a elle-même faite de la preuve a influencé la conclusion que la Commission a tirée au sujet de la crédibilité du demandeur.
[7] La Commission a signalé une autre contradiction, en l'occurrence le fait que, dans les notes prises au point d'entrée, il était précisé que le demandeur avait été arrêté pour avoir tenté d'organiser une manifestation contre la Ligue musulmane du Pakistan (la Ligue) et la police, alors qu'il avait déclaré dans son témoignage qu'il avait été arrêté en raison des critiques qu'il avait formulées à l'endroit de la Ligue et de la police. Son témoignage n'est pas clair sur ce point et il n'était pas déraisonnable de la part de la Commission de conclure à l'existence d'une contradiction. Cette contradiction tirait toutefois peu à conséquence et ne suffisait pas à elle seule à ébranler la crédibilité du demandeur (voir, par exemple, la décision Attakora c. Canada (M.E.I.), (1989), 99 N.R. 168).
[8] La Commission a appelé par ailleurs l'attention sur une autre contradiction en ce qui concerne le récit donné par le demandeur au sujet de l'attaque portée contre sa ferme. Le demandeur a d'abord dit que des hommes armés avaient donné une raclée à ses employés, pour ensuite affirmer qu'ils les avaient menacés et harcelés et qu'ils avaient battu un d'entre eux. Il a ensuite affirmé qu'ils avaient giflé un de ses employés. La Commission s'est élevée contre l'emploi de ce terme, en soulignant qu'une gifle n'est pas une raclée. À cause de cette présumée contradiction, la Commission a estimé qu'aucune attaque n'avait eu lieu. Le demandeur a cependant bien précisé à la page 247 qu'une [TRADUCTION] « gifle s'appelle une raclée en punjabi » et que son récit ne comportait donc aucune contradiction à son avis. La Commission n'a pas repris ces explications dans ses motifs et elle a remis en question l'emploi du mot « raclée » dans toute la revendication du demandeur.
[9] Je suis d'accord avec le demandeur lorsqu'il affirme qu'il a bien expliqué que Choudhry Younas et Mohammad Younas étaient une seule et même personne, ainsi qu'il en ressort de la page 251 de la transcription. Compte tenu du fait que le demandeur a également donné le nom complet et exact de toutes les personnes nommées dans le « premier compte rendu d'information » (le compte rendu), il était déraisonnable de la part de la Commission de n'accorder aucune valeur au compte rendu en raison de l'absence de concordance d'un nom qui pouvait facilement s'expliquer.
[10] En ce qui concerne l'arrivée du demandeur à l'aéroport de Dorval, là encore la Commission n'a pas été raisonnable. Elle a manifestement pénalisé le demandeur parce qu'il n'arrivait pas à se souvenir de l'heure précise à laquelle son vol était arrivé et elle a décidé de ne pas ajouter foi à ses dires en se fondant sur ses propres connaissances générales des vols intercontinentaux au lieu de s'en remettre à l'horaire des vols du jour en question. L'heure exacte d'arrivée du vol du demandeur ne saurait jouer un rôle primordial en ce qui concerne sa revendication.
[11] Tout au long de l'audience et partout dans ses motifs, la Commission s'est attachée à de menus détails du témoignage du demandeur et elle a négligé d'aborder l'essentiel de sa revendication, ce qui va à l'encontre de l'arrêt Attakora, précité, dans lequel la Cour d'appel fédérale déclare ce qui suit à la page 169 :
J'ai parlé du zèle qu'a mis la Commission à déceler des contradictions dans le témoignage du requérant. Bien que la Commission ait une tâche difficile, elle ne devrait pas manifester une vigilance excessive en examinant à la loupe les dépositions de personnes qui, comme le présent requérant, témoignent par l'intermédiaire d'un interprète et rapportent des horreurs dont il existe des raisons de croire qu'elles ont une réalité objective.
[12] Pour cette raison, la conclusion défavorable que la Commission a tirée au sujet de la crédibilité est entachée de graves irrégularités et elle est manifestement déraisonnable. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu'il procède à une nouvelle audition.
_ Yvon Pinard _
Juge
OTTAWA (ONTARIO)
Le 23 septembre 2003
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-4324-02
INTITULÉ : TASADDAQ MUSHTAQ c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L'AUDIENCE : le 13 août 2003
MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE PINARD
DATE DES MOTIFS : le 23 septembre 2003
COMPARUTIONS:
Me Viken G. Artinian POUR LE DEMANDEUR
Me Sébastien Dasylva POUR LE DÉFENDEUR
Mme Zoé Richard (stagiaire)
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:
Me Viken G. Artinian POUR LE DEMANDEUR
Montréal (Québec)
M. Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)