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Date : 19971208


Dossier : T-618-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 8 DÉCEMBRE 1997

EN PRÉSENCE DE : MONSIEUR LE JUGE RICHARD

ENTRE


LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,


requérant,


et


JOHN MATTHEWS,


intimé.



ORDONNANCE



     Vu la demande de contrôle judiciaire d'une décision du 5 mars 1997 par laquelle J. Barry Turner, arbitre et membre de la Commission des relations de travail dans la fonction publique, a conclu qu'il avait compétence pour entendre les deux griefs présentés par l'intimé et a fait droit à l'un des griefs, ceux-ci ayant été renvoyés à l'arbitrage le 18 juin 1996 aux termes de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique;

     LA COUR ORDONNE :

     La demande de contrôle judiciaire est rejetée.



                                        John D. Richard

                                 Juge



Traduction certifiée conforme


François Blais, LL.L.





Date : 19971208


Dossier : T-618-97

ENTRE


LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,


requérant,


et


JOHN MATTHEWS,


intimé.




MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE RICHARD

Nature de l'instance

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision du 5 mars 1997 par laquelle J. Barry Turner, arbitre et membre de la Commission des relations de travail dans la fonction publique, a conclu qu'il avait compétence pour entendre les deux griefs présentés par l'intimé et a fait droit à l'un des griefs, ceux-ci ayant été renvoyés à l'arbitrage le

18 juin 1996 aux termes de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la Loi)1.

[2]      La demande est fondée sur le fait que l'arbitre a commis une erreur de droit lorsqu'il a conclu qu'il avait compétence en l'espèce en vertu du paragraphe 92(1) de la Loi et qu'il a outrepassé sa compétence en rendant une décision se rapportant aux griefs présentés par l'intimé.

Les faits

[3]      L'intimé travaillait pour le Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS) comme agent principal (de niveau 8) au sein de la Direction de l'administration et des finances, Direction générale des politiques et des systèmes.

[4]      L'intimé a commencé à travailler pour le SCRS en 1989; le SCRS l'a licencié le 1er avril 1996 en vertu de la Politique de réaménagement des effectifs (la PRE) et selon un exercice d'ordre inverse du mérite (l'OIM).

[5]      L'intimé s'est plaint du licenciement en alléguant qu'il s'agissait en réalité d'une mesure disciplinaire déguisée qui avait été prise sous le couvert de la PRE et de l'exercice OIM.

[6]      Aux trois paliers de la procédure de présentation des griefs, l'intimé a soutenu que le licenciement constituait en fait une mesure disciplinaire déguisée et a demandé à être réintégré. Le SCRS a rejeté tous les griefs.

[7]      Les griefs ont été renvoyés à l'arbitrage le 18 juin 1996 en vertu du paragraphe 92(1) de la Loi, étant donné que le SCRS est un employeur distinct spécifié à la partie II de la Loi.

[8]      Les audiences devant l'arbitre ont eu lieu les 9, 10, 11, 12 et 13 décembre 1996.

[9]      Au début de l'audience, l'avocat du SCRS a soulevé une objection préliminaire relativement à la compétence de l'arbitre en alléguant qu'il n'y avait pas de mesure disciplinaire se rapportant aux griefs présentés par l'intimé et que ce dernier ne pouvait donc pas se fonder sur l'article 92 de la Loi.

[10]      En réponse, l'avocat de l'intimé a soutenu que la preuve montrerait que le SCRS avait agi d'une façon arbitraire et déraisonnable et avait été de mauvaise foi et que la PRE et l'exercice OIM avaient simplement été utilisés en vue de déguiser le licenciement, qui avait en réalité été effectué pour des raisons d'ordre disciplinaire.

[11]      L'arbitre a statué que la charge de démontrer qu'une mesure disciplinaire déguisée avait été prise incombait à l'intimé et que l'omission de le faire l'empêcherait d'assumer sa compétence en vertu de l'article 92 de la Loi.

[12]      L'arbitre a réservé la question de la compétence en vue d'entendre l'affaire au fond.

[13]      Trois témoins ont été entendus :

     1)      John Matthews, fonctionnaire s'estimant lésé et requérant en l'espèce;
     2)      Doug Outhwaite, directeur général, Services du personnel, depuis le 1er avril 1995; et
     3)      Michael Andrecheck, contrôleur, Direction de l'administration et des finances, depuis le mois de juin 1990.

[14]      Dans sa décision, l'arbitre a minutieusement examiné et analysé la preuve et énoncé les arguments du fonctionnaire s'estimant lésé et de l'employeur.

[15]      L'arbitre a conclu que la décision de mettre l'intimé en disponibilité n'avait pas été prise conformément aux politiques applicables au SCRS et que, compte tenu de la preuve dans son ensemble, le SCRS avait fait preuve de mauvaise foi en se débarrassant arbitrairement du fonctionnaire s'estimant lésé sous le prétexte d'une mise en disponibilité. L'arbitre a conclu qu'il avait compétence en vertu du paragraphe 92(1) de la Loi.

La question en litige

[16]      Il s'agit de savoir si l'arbitre a commis une erreur de droit en concluant qu'il avait compétence pour examiner les griefs conformément au paragraphe 92(1) de la Loi, qui se lit comme suit :

Arbitrage des griefs

Renvoi à l'arbitrage

     92. (1) Après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonctionnaire peut renvoyer à l'arbitrage tout grief portant sur :
     a) l'interprétation ou l'application, à son endroit, d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;
     b) une mesure disciplinaire entraînant le congédiement, la suspension ou une sanction pécuniaire.

Analyse

[17]      Étant donné que le SCRS est un employeur distinct, l'intimé est assujetti à l'alinéa 92(1)c) de la Loi.

[18]      L'arbitre a conclu qu'il avait compétence en vertu de l'alinéa 92(1)c) de la Loi.

[19]      Dans ses motifs, voici ce que l'arbitre a dit :

     La jurisprudence des arbitres de la présente Commission et de ses tribunaux de révision confirme la notion selon laquelle l'employeur ne peut pas, sous prétexte d'utiliser un moyen administratif comme un rejet en période de probation ou une mise en disponibilité, licencier un employé pour des motifs disciplinaires et, ainsi, priver un arbitre de compétence.
     C'est précisément ce que l'employeur a tenté de faire en l'espèce. Au début, il n'a pas imposé de mesures disciplinaires au fonctionnaire s'estimant lésé, bien qu'il semble qu'il aurait été justifié de le faire. Il a choisi de ne pas s'attaquer aux faiblesses du fonctionnaire s'estimant lésé. Lorsque, un peu plus tard, l'employeur s'est retrouvé devant la perspective de devoir réduire ses effectifs, il a procédé à ce que l'on pourrait uniquement qualifier d'un semblant d'exercice OIM, qui a abouti à ce que l'employeur a appelé une mise en disponibilité. En fait, la décision de licencier le fonctionnaire s'estimant lésé avait déjà été prise. En me fondant sur toute la preuve, je conclus que l'employeur a agi de mauvaise foi en se débarrassant de façon arbitraire du fonctionnaire s'estimant lésé, sous prétexte d'une mise en disponibilité. En fait, on a licencié le fonctionnaire s'estimant lésé pour des motifs disciplinaires.

[20]      L'arbitre a fondé sa décision sur les conclusions suivantes :
     1)      Il était agréable de voir avec quelle franchise M. Outhwaite décrivait les procédures qui auraient dû être suivies. Il a admis qu'une fois la décision prise d'éliminer un poste en vertu de la PRE, cette politique doit être appliquée. La politique à laquelle il faisait allusion dans la pièce G-1, onglet 50, article 4.4, est la même que le rappel au sujet des lignes directrices de l'OIM envoyé aux gestionnaires en juin 1995 (pièce E-5). Elle se lit comme il suit :
             4.4 Un rendement insatisfaisant est motif justifié de renvoi; l'employé dans une telle situation ne doit pas être déclaré excédentaire. Les mesures voulues doivent être prises avant qu'il y ait réaménagement des effectifs.
         Cela n'a pas été fait pour M. Matthews, même si M. Andrecheck a dit avoir noté cinq exemples de rendement insatisfaisant.
     2)      M. Outhwaite a admis que même au cours d'une période de réduction des effectifs, les superviseurs sont obligés de faire des évaluations de rendement, comme il est mentionné à la pièce G-1, onglet 54, articles 3.1.1 et 3.1.3. Elles n'ont pas été faites pour M. Matthews, ni pour d'autres employés.
     3)      Il a également admis qu'un rapport spécial ou un avis écrit de faiblesses devrait être rédigé si le rendement d'un employé a changé de façon remarquable, comme il est mentionné aux articles 3.3.1 et 3.3.2. Aucun rapport spécial ni aucun avis écrit de faiblesses n'ont été préparés pour M. Matthews.
         M. Outhwaite a également convenu que la norme de rendement requise par le SCRS est un rendement "entièrement satisfaisant", comme il est indiqué à la pièce G-1, onglet 54, article 5.2.1. Selon M. Andrecheck et certains chefs, le rendement de M. Matthews n'était pas entièrement satisfaisant après 1990 et, en fait, il était jugé insatisfaisant étant donné qu'il répondait à certains des critères énumérés à la pièce G-1, onglet 54, article 5.2.3.
         M. Andrecheck a admis que même s'il était d'accord que le rendement du fonctionnaire s'estimant lésé était insatisfaisant, M. Matthews n'avait jamais été informé par écrit de ses faiblesses. Si la bonne procédure avait été suivie, le fonctionnaire s'estimant lésé se serait peut-être vu imposer des mesures disciplinaires. Même Me Minnis en convenait. Comme l'employeur n'a pas documenté les cas de rendement insatisfaisant de la part du fonctionnaire s'estimant lésé, au fur et à mesure que s'écoulaient les mois et les années, il ne peut aujourd'hui utiliser tout à coup un autre moyen pour se débarrasser de lui. Les mesures disciplinaires qui débouchent sur le congédiement doivent être appliquées progressivement. En fait, les politiques et procédures du SCRS indiquent clairement que la mise en disponibilité ne constitue pas un moyen de régler des problèmes de discipline.
     4)      M. Outhwaite a également affirmé que les mutations internes ne devraient pas être utilisées comme mesures disciplinaires, même si cela s'est fait en l'espèce. Je suis d'accord avec lui. Cette façon de faire était un autre exemple d'un moyen d'éviter de s'attaquer directement aux lacunes du fonctionnaire s'estimant lésé.
     5)      En ce qui concerne l'exercice OIM, pièce G-1, onglet 52, la faible note de un était jugée par M. Outhwaite comme indiquant un rendement insatisfaisant, et pourtant aucune évaluation du rendement n'a jamais été faite pour documenter cet état de choses, et, aurait-on pu espérer, mieux gérer le fonctionnaire s'estimant lésé. M. Outhwaite ne savait pas comment le fonctionnaire s'estimant lésé aurait pu être déclaré excédentaire le 14 septembre 1995, avant l'exercice OIM qui a été fait le 19 septembre. Je ne le sais pas non plus.
     6)      Les chefs ont dit à M. Andrecheck qu'ils croyaient que le fonctionnaire s'estimant lésé serait jugé le candidat le moins qualifié même avant la réunion du 14 septembre 1995 avec M. Ross. Par conséquent, il avait été décidé à l'avance que le fonctionnaire s'estimant lésé serait fort probablement le candidat le moins qualifié. En fait, le nom du fonctionnaire s'estimant lésé a été rayé de la première version de l'organigramme en avril 1995 (pièce E-9). Je crois qu'au cours de 1994-1995, M. Matthews était perçu comme une source de discorde, alors la direction a décidé qu'il devait partir, et la PRE était la seule façon de le faire étant donné qu'il n'y avait rien sur papier qui pouvait être utilisé pour prouver un incident déterminant. Tout cela m'amène à conclure que l'exercice dans son entier avait pour objet de se débarrasser de lui en vertu de la PRE.
     7)      Je m'empresse d'ajouter que dans les réponses aux trois paliers de la procédure de règlement des griefs qui figurent à la pièce E-10, on mentionne que la décision de [traduction] "mettre le fonctionnaire s'estimant lésé en disponibilité" a été prise conformément aux politiques applicables du SCRS. Je ne suis pas d'accord pour les raisons que j'ai déjà décrites. Si l'on doit faire fi à ce point de politiques, procédures et lignes directrices établies, pourquoi alors se donner la peine de les mettre en place? Elles ne doivent pas être appliquées de façon sélective, mais de façon uniforme, autrement les relations employeur-employé seraient gérées d'une façon chaotique par crise.

[21]      L'avocat du requérant a soutenu que la preuve montrait uniquement que son client avait été informé le 14 septembre 1995 que s'il ne démissionnait pas, on procéderait à un exercice OIM et qu'il serait probablement le candidat le moins qualifié. Toutefois, M. Matthews a témoigné ne pas se rappeler qu'on ait utilisé le mot "probablement".

[22]      L'avocat du requérant a soutenu que la décision que le SCRS avait prise d'éliminer un poste de niveau 8, ainsi que cinq autres postes, au sein de la Direction de l'administration et des finances, faisait partie d'un processus global de réduction des effectifs que celui-ci avait entrepris en 1992. L'employeur a éliminé l'un des postes au moyen de l'exercice OIM et il a été jugé que l'intimé était l'employé dont le rendement était le plus mauvais.

Conclusion

[23]      Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Penner2, Monsieur le juge Marceau a fait des remarques au sujet de la décision que la Cour suprême du Canada avait rendue dans l'affaire Jacmain c. Procureur général (du Canada)3. Voici ce qu'il a dit :

     Il est clair que cinq des neuf juges ayant rendu le jugement dans l'affaire Jacmain ont exprimé l'opinion qu'un arbitre saisi d'un grief déposé par un employé renvoyé en cours de stage a le droit d'examiner les circonstances de l'affaire pour s'assurer qu'elle soit réellement ce qu'elle semble être. Cet examen serait effectué en application du principe selon lequel la forme ne devrait pas l'emporter sur le fond. L'on ne peut tolérer que, par l'effet d'un camouflage, une personne soit privée de la protection que lui accorde une loi.

[24]      L'arbitre a effectué pareille enquête en l'espèce.

[25]      À mon avis, compte tenu du dossier dont je dispose, l'arbitre n'a pas commis d'erreur de droit et il existait dans le dossier un nombre suffisant d'éléments de preuve pour étayer la conclusion qu'il a tirée.

[26]      Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                        John D. Richard

                                 Juge

Ottawa (Ontario)

le 8 décembre 1997


Traduction certifiée conforme


Laurier Parenteau, B.A., LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER



No DU GREFFE :      T-618-97


INTITULÉ DE LA CAUSE :      LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c.

     JOHN MATTHEWS


LIEU DE L'AUDIENCE :      OTTAWA (ONTARIO)


DATE DE L'AUDIENCE :      LE 2 DÉCEMBRE 1997


MOTIFS DE L'ORDONNANCE du juge Richard en date du 8 décembre 1997



ONT COMPARU :


GÉRARD NORMAND      POUR LE REQUÉRANT


SHAWN W. MINNIS      POUR L'INTIMÉ



PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :


GEORGE THOMSON      POUR LE REQUÉRANT

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA


PERLEY-ROBERTSON, PANET      POUR L'INTIMÉ

HILL & MCDOUGALL

OTTAWA (ONTARIO)

__________________

     1      L.R.C. (1985), ch. P-35.

     2      [1989] 3 C.F. 429, à la page 440 (C.A.).

     3      [1978] 2 R.C.S. 15.

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