Dossier : IMM‑279‑20
Référence : 2020 CF 1072
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 20 novembre 2020
En présence de madame la juge St‑Louis
Muritala Niyi EYITAYO
Bintu Folashade EYITAYO
Iman Ajoke EYITAYO
Isamat Gbonjubola EYITAYO
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demandeurs
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Introduction
[1]
M. Muritala Niyi Eyitayo, le demandeur principal, sa femme, Mme Bintu Folashade Eyitayo, et leurs deux filles mineures [collectivement, les demandeurs] sollicitent le contrôle judiciaire de la décision du 24 décembre 2019, par laquelle la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [la SAR] a rejeté leur appel.
[2]
La SAR a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] rendue le 10 décembre 2018 et a conclu que les demandeurs n’avaient ni la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger, aux termes de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LC 2001, c 27).
[3]
Pour les motifs exposés ci‑dessous, la demande de contrôle judiciaire [la demande] sera rejetée.
II.
Le contexte factuel pertinent
[4]
Les demandeurs sont des citoyens du Nigéria. En janvier 2017, ils ont quitté le Nigéria pour se rendre aux États‑Unis, tous titulaires d’un visa de visiteur valide de ce pays.
[5]
En octobre 2017, ils sont entrés au Canada et ont demandé l’asile. Leur demande d’asile est exprimée dans l’exposé circonstancié de M. Eyitayo, inclus dans son formulaire Fondement de la demande d’asile, et est fondée sur la crainte que les filles mineures soient soumises à la mutilation génitale féminine [la MGF] au Nigéria. M. Eyitayo a souligné que, bien que Mme Eyitayo et lui s’opposent tous deux à cette pratique sur leurs filles, ils ne peuvent pas les protéger parce que, selon eux, le père de l’enfant [traduction] « n’a aucun droit sur la fille. Le droit sera automatiquement transféré à un membre âgé de la famille qui participe au rite traditionnel afin qu’il effectue tous les rituels, et la dot de la fille sera donnée à l’aîné qui a l’autorité sur la fille. Le père n’a de droit que sur le fils »
(dossier certifié du tribunal à la page 88).
[6]
La SPR avait conclu que les demandeurs n’avaient pas établi l’existence d’une crainte fondée de persécution au sens de la Convention ni, selon la prépondérance des probabilités, l’existence d’un risque personnel, d’une menace à leur vie ou d’un risque de subir des traitements ou peines inusités à leur retour au Nigéria. La SPR avait conclu que le demandeur principal n’était pas un témoin crédible, car son témoignage et ses documents comportaient de nombreuses contradictions, omissions et incohérences se rapportant à l’essence même de sa demande d’asile, et son comportement, selon la prépondérance des probabilités, était incompatible avec celui d’une personne qui craint la persécution ou la menace à l’égard de ses deux filles au Nigéria. La SPR avait également fait remarquer que les demandeurs étaient restés aux États‑Unis pendant plus de huit mois sans demander l’asile, ce qui, bien que non déterminant, a été jugé incompatible avec le comportement d’une personne qui craint la persécution dans son pays de nationalité.
[7]
Comme elle l’avait mentionné au demandeur principal lors de l’audience, la SPR avait fait remarquer que les renseignements accessibles dans le cartable national de documentation pour le Nigéria [le CND] (document 3, onglet 5.11) confirmaient que les parents étaient responsables de leurs enfants et pouvaient refuser que leurs filles subissent la MGF. La SPR avait signalé que le demandeur principal n’avait pas répondu aux renseignements accessibles dans le CND, alors qu’il lui incombait de démontrer le contraire.
III.
La décision de la SAR
[8]
Les demandeurs ont interjeté appel de la décision de la SPR devant la SAR.
[9]
Dans sa décision, la SAR a apprécié la preuve de façon indépendante afin de déterminer si la SPR avait commis chacune des erreurs alléguées — de fait, de droit ou mixtes de fait et de droit.
[10]
D’après son analyse, la SAR a jugé (1) que la SPR avait eu tort de conclure que les demandeurs n’avaient pas établi l’existence de l’oncle de M. Eyitayo; (2) que la SPR avait eu raison de conclure que l’affirmation des demandeurs, selon laquelle les aînés, plutôt que le père, détenaient les droits sur une fille, n’était pas crédible; (3) que la SPR avait finalement eu raison de conclure que le rapport médical ne corroborait pas l’allégation des demandeurs; (4) que les conclusions de la SPR quant à la crédibilité qui n’avaient pas été contestées étaient exactes.
[11]
En ce qui concerne l’affirmation des demandeurs selon laquelle les aînés détenaient les droits sur une fille, la SAR a essentiellement (1) examiné l’échange qu’avait eu le commissaire de la SPR avec M. Eyitayo lors de l’audience; (2) confirmé que le document que la SPR avait eu l’intention de citer était celui de l’onglet 5.12 du cartable national de documentation concernant le refus parental de la MGF, mais que, indépendamment de cette erreur, la SAR pouvait recevoir et apprécier des éléments de preuve et corriger toute erreur de citation possible; (3) noté que le conseil avait choisi de ne pas fournir des observations de fond à la SAR sur les conclusions de la SPR concernant l’autorité parentale exercée sur leurs enfants ou le pouvoir de refuser la MGF; (4) examiné la réponse à une demande d’information [la RDI] de 2012 ainsi que la version à jour sur le sujet, et a conclu qu’aucune des contraintes citées au sujet de l’autorité parentale ne s’appliquait en l’espèce; (5) souligné que la RDI indiquait que la décision de soumettre une fille à la MGF au Nigéria incombait aux parents; (6) examiné quatre articles qu’avaient déposés les demandeurs devant la SPR concernant la MGF au Nigéria, et a conclu que deux d’entre eux n’abordaient pas la possibilité ou les conséquences d’un refus parental, tandis que les deux autres présentaient des problèmes justifiant la décision de la SPR de ne leur accorder aucune valeur probante.
[12]
La SAR a finalement conclu que la SPR avait eu raison de statuer que les allégations des demandeurs n’avaient pas été crédibles et que cela permettait de trancher l’appel. La SAR a également fait remarquer qu’il n’y avait essentiellement aucune allégation selon laquelle M. et Mme Eyitayo s’exposaient à un risque s’ils retournaient au Nigéria, et qu’ils n’avaient fait aucune mention d’un tel risque dans leur témoignage.
[13]
La SAR a rejeté l’appel et a confirmé la décision de la SPR.
IV.
Les questions soumises à la Cour
[14]
Les demandeurs contestent l’appréciation de la preuve par la SAR. Ils soutiennent que la SAR a commis des erreurs (1) en procédant à une analyse microscopique de deux articles de presse sur la MGF présentés par les demandeurs et, par conséquent, en n’y accordant aucun poids; (2) en faisant abstraction d’éléments de preuve contradictoires contenus dans le cartable national de documentation, en ne tenant pas compte des documents qui figuraient à l’onglet 5.28.
V.
La norme de contrôle
[15]
Le cadre d’analyse relatif au contrôle judiciaire d’une décision administrative repose sur une présomption voulant que la norme de la décision raisonnable s’applique (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]). Le respect de la primauté du droit exige que les cours de justice appliquent la norme de la décision correcte à l’égard de certains types de questions de droit : les questions constitutionnelles, les questions de droit générales d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble, et les questions liées aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs (Vavilov au para 53). Ces questions de droit n’entrent pas en jeu en l’espèce.
[16]
Lorsque la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, le rôle d’une cour de révision est d’examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et de déterminer si la décision est fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle »
et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti »
(Vavilov au para 85).
VI.
Analyse
A.
La SAR n’a pas procédé à une analyse microscopique de deux articles de presse sur la MGF présentés par les demandeurs
[17]
En ce qui concerne la première question, les demandeurs font valoir que le commissaire de la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle en procédant à une [traduction] « analyse microscopique »
de deux articles de presse (citant Hamdar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 382, et Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 510), et en les écartant essentiellement en fonction de leurs sources. Les demandeurs soutiennent fondamentalement que le commissaire a conclu de façon déraisonnable que les sources n’étaient pas crédibles parce que les journalistes au Nigéria acceptaient parfois des pots‑de‑vin. Ils soulignent que des articles provenant de ces organes de presse figurent dans le CND et que cela en fait des sources crédibles. Le défendeur soutient que la SAR a adéquatement apprécié la preuve et que l’inclusion d’articles particuliers dans le CND ne représente pas une approbation plus large des pratiques journalistiques d’un organe.
[18]
Les demandeurs ne m’ont pas convaincue que la SAR avait mal soupesé la preuve dont elle disposait — un rôle qui relève naturellement de sa compétence.
[19]
Au contraire, malgré le fait que les demandeurs n’avaient présenté aucun argument pour étayer leur position lors de l’appel devant la SAR, cette dernière a apprécié la fiabilité des articles. Elle a fait référence aux sources de l’information et aux questions de savoir si les auteurs avaient été les témoins directs des événements allégués, s’ils avaient cherché à corroborer totalement ou partiellement les récits en question ou si les publications avaient mené leurs propres enquêtes afin de vérifier l’exactitude ou la crédibilité des récits publiés. La SAR a aussi tenu compte des éléments de preuve documentaire décrivant qu’il n’était pas rare de voir des citoyens ordinaires soudoyer des journalistes, un journalisme dit [traduction] « à enveloppes brunes »
. La SAR ne s’est pas appuyée sur la source des articles dans sa décision de ne leur accorder aucun poids.
[20]
Les demandeurs ne m’ont pas convaincue que les facteurs sur lesquels la SAR s’était fondée pour apprécier la fiabilité des articles étaient inappropriés ou que la SAR avait commis une erreur en ne leur accordant aucun poids.
[21]
La Cour suprême du Canada a déclaré dans l’arrêt Vavilov : « Il est acquis que le décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et qu’à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait. Les cours de révision doivent également s’abstenir “d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur” […] D’ailleurs, bon nombre des mêmes raisons qui justifient la déférence d’une cour d’appel à l’égard des conclusions de fait tirées par une juridiction inférieure, dont la nécessité d’assurer l’efficacité judiciaire, l’importance de préserver la certitude et la confiance du public et la position avantageuse qu’occupe le décideur de première instance, s’appliquent également dans le contexte du contrôle judiciaire […] »
(au para 125 [renvois omis]).
[22]
L’appréciation d’éléments de preuve contradictoires est au cœur de la compétence de la SAR, et il n’entre pas dans les attributions de la cour de révision de soupeser à nouveau les éléments de preuve (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 aux para 60‑61).
[23]
La Cour est convaincue qu’aucune circonstance exceptionnelle n’a été soulevée en l’espèce et que la SAR a justifié de façon claire et intelligible sa décision de n’accorder aucun poids à ces sources. La conclusion de la SAR est donc raisonnable, et l’intervention de la Cour n’est pas justifiée.
B.
La SAR n’a pas fait abstraction d’éléments de preuve contradictoires concernant la MGF
[24]
Les demandeurs soutiennent que la SAR a omis de tenir compte d’éléments de preuve clés qui contredisaient sa conclusion, et renvoient plus particulièrement à l’onglet 5.28 du CND.
[25]
Toutefois, devant la SAR, les demandeurs n’ont pas renvoyé à l’onglet 5.28 ni fait valoir les droits des aînés sur leurs filles, les relations entre les groupes ou les conséquences éventuelles que pourraient subir les parents. Ils n’ont présenté aucun argument ou élément de preuve à cet égard.
[26]
Les demandeurs conviennent que la SAR n’est pas obligée « de passer au peigne fin tous les documents énumérés dans le Cartable national de documentation dans l’espoir de trouver des passages susceptibles d’appuyer la demande d[es] demandeur[s] et de préciser pourquoi ils n’appuient en fait pas le[s] demandeur[s] »
(Jean‑Baptiste c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 285 au para 19). Cependant, ils affirment que cet élément de preuve est pertinent, car il concerne la pratique très courante de la MGF à Lagos, la pertinence des [traduction] « relations entre les groupes »
et les conséquences ou les préjudices possibles pour les parents. Ils soutiennent donc que la SAR aurait dû prendre en compte cet élément de preuve.
[27]
Je ne suis pas d’accord. Les demandeurs n’ont pas soulevé ces questions devant la SAR, ainsi, dans de telles circonstances, leur argument selon lequel la SAR n’a pas examiné des éléments de preuve précis, à présent soulevé devant la Cour, doit être rejeté (Akintola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 971 aux para 29‑32).
[28]
Je suis convaincue que la décision de la SAR est raisonnable au regard du dossier de la SAR et du droit. Pour ces motifs, la demande sera rejetée.
JUGEMENT dans le dossier IMM‑279‑20
LA COUR STATUE :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée;
Aucune question n’est certifiée;
Aucuns dépens ne sont adjugés.
« Martine St‑Louis »
Juge
Traduction certifiée conforme
Christian Laroche, LL.B., juriste‑traducteur
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
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DoSSIER :
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IMM‑279‑20
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INTITULÉ :
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Muritala Niyi EYITAYO, Bintu Folashade EYITAYO, Iman Ajoke EYITAYO et Isamat Gbonjubola EYITAYO c Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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MONTRÉAL (QUÉBEC) (PAR VIDÉOCONFÉRENCE)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 12 NOVEMBRE 2020
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JUDGMENT ET MOTIFS :
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LA JUGE ST‑LOUIS
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DATE DU JUGEMENT
ET DES MOTIFS :
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LE 20 NOVEMBRE 2020
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COMPARUTIONS :
Jonathan Grusczcynski
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PoUr LES DEMANDEURS
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Evan Liosis
André Capretti
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PoUr LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Jonathan Grusczcynski
Montréal (Québec)
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POUR LES DEMANDEURS
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Procureur général du Canada
Montréal (Québec)
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POUR LE DÉFENDEUR
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