Date : 19990127
IMM-4352-98
E n t r e :
HONG TAI HUANG,
demandeur,
- et -
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,
défendeur.
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE EVANS
[1] La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 [modifiée] par laquelle le demandeur demande à la Cour d'examiner et d'annuler une décision en date du 5 août 1998 par laquelle un agent des visas de Pékin a refusé de délivrer un visa d'étudiant au demandeur.
[2] Le demandeur, qui est citoyen de la République populaire de Chine, est un célibataire âgé de 22 ans. Il a terminé ses études secondaires en Chine en décembre 1995 et a été l'entraîneur d'une [TRADUCTION] " équipe de badminton du secondaire " pendant un an avant son entrevue avec l'agent des visas. Le demandeur se proposait d'étudier l'anglais au Canada en vue de s'inscrire éventuellement en éducation physique dans une université canadienne. Il a déclaré qu'il avait l'intention de retourner en Chine à la fin de ses études pour reprendre ses fonctions d'entraîneur de badminton en Chine.
[3] Il ressort des notes SITCI de l'agent des visas, qui ont été versées au dossier certifié du tribunal, que l'agent des visas a refusé de délivrer le visa parce qu'il n'était pas convaincu que le demandeur avait l'intention d'entrer au Canada à une fin temporaire. Il a fondé sa décision sur le fait que les intentions déclarées du demandeur d'entreprendre au Canada des études qui lui coûteraient cher n'étaient pas très logiques s'il allait reprendre le même emploi qu'il avait déjà exercé à son retour en Chine. Il a également fait remarquer que le demandeur [TRADUCTION] " ne s'est pas du tout établi en Chine ". En revanche, l'agent des visas s'est dit convaincu que le demandeur disposait de suffisamment d'argent pour payer ses études projetées au Canada.
[4] Le demandeur a déposé un affidavit à l'appui de sa demande. On y retrouve un présumé compte rendu textuel des questions que l'agent lui a posées lors de l'entrevue et des réponses du demandeur, ainsi qu'une déclaration attribuée à l'agent des visas, qui aurait déclaré : [TRADUCTION] " Les gens comme vous viennent au Canada et se servent de cette période d'études comme excuse pour pouvoir voyager et souvent ils ne reviennent jamais ". Dans son affidavit, le demandeur affirme également qu'à au moins deux reprises au cours de l'entrevue, l'agent des visas a empêché l'interprète de terminer la traduction des réponses données par le demandeur avant de passer à la question suivante.
[5] L'avocate du défendeur s'oppose à l'admission de l'affidavit en preuve au motif qu'il est entaché d'un vice de forme, étant donné qu'il n'a pas été fait sous serment devant un commissaire à l'assermentation et qu'il n'a pas été signé par un tel commissaire. Le demandeur a joint à son affidavit un certificat d'un notaire du bureau des notaires publics de Guangzhou, province de Guangdong (Canton), qui y déclare que le demandeur [TRADUCTION] " a apposé sa signature en ma présence au bas de l'affidavit ci-joint ".
[6] Le paragraphe 80(1) des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, exige que les affidavits soient rédigés à la première personne et qu'ils soient établis " selon la formule 80 ". La formule 80 exige que l'affidavit soit déclaré sous serment et signé au bas par le commissaire à l'assermentation. Or, l'affidavit du demandeur ne respecte pas les exigences du paragraphe 80(1) des Règles parce qu'il n'est pas signé par le commissaire dans l'espace réservé à cette fin au bas de la formule. Il est évidemment souhaitable que les affidavits soient soumis selon les formes prescrites par les Règles. Sinon, ils risquent de ne pas être admis en preuve dans les instances introduites devant notre Cour. En l'espèce toutefois, compte tenu du défaut du défendeur de s'opposer à l'admission de l'affidavit dans son mémoire des faits et du droit, et vu le caractère procédural du vice, j'ai décidé d'admettre l'affidavit en preuve.
[7] Le demandeur conteste en premier lieu la décision de l'agent des visas au motif qu'elle est fondée sur sa conclusion que le demandeur ne s'est pas du tout établi en Chine. Il affirme que l'agent des visas a rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait, le tout contrairement à l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale. L'avocate souligne que le demandeur est né en Chine, qu'il y a vécu toute sa vie et que ses parents, qui exerçaient leur carrière avec succès, y vivent aussi et que le demandeur y travaillait. L'avocate se demande bien comment l'agent des visas a pu conclure, à partir de ces faits, que le demandeur ne s'est pas établi en Chine.
[8] À mon avis, il n'y a rien qui permette de tirer une telle conclusion. Dans le contexte de cette décision, je suis convaincu que l'agent des visas voulait dire que le demandeur n'était pas stable sur le plan professionnel, ce qui permettait de penser qu'il reviendrait probablement au Canada après ses études. Il n'avait pas non plus l'intention d'entreprendre d'autres études après avoir terminé ses études en Chine. Le fait que, depuis qu'il a terminé ses études secondaires en décembre 1995, il n'a travaillé qu'une année comme entraîneur de badminton, un poste pour lequel le demandeur n'a fourni aucun autre détail, qu'il était célibataire et qu'il n'avait aucune personne à charge en Chine justifie amplement la conclusion de l'agent.
[9] L'avocate du demandeur appelle mon attention sur le jugement Totrova c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.F. 1re inst.); IMM-4132-97; 19 juin 1998), dans lequel le juge Pinard a annulé la décision par laquelle un agent des visas avait refusé de délivrer un visa d'étudiant à une requérante au motif que les liens de celles-ci avec la Russie n'étaient pas assez solides. Dans ce domaine, chaque cas est un cas d'espèce. Parmi les aspects importants qui permettent d'établir une distinction entre cette dernière affaire et la présente espèce, il y a lieu de mentionner le fait que Mme Totrova était une traductrice-interprète professionnelle (russe-anglais) qui avait un petit ami en Russie, où le père de son fils, de qui elle était divorcée, vivait également.
[10] L'avocate du demandeur soulève ensuite deux questions d'équité procédurale qu'elle fonde exclusivement sur l'affidavit du demandeur. Elle affirme d'abord que le demandeur s'est vu refuser le droit à une audition impartiale lorsque l'agent a interrompu l'interprète et est passé à la question suivante avant que l'interprète n'ait fini de traduire les réponses du demandeur à la question précédente. Toutefois, comme l'avocate n'a pas réussi à mettre le doigt sur les éléments d'information que le demandeur a ainsi été empêché de communiquer à l'agent, je conclus qu'il n'y a pas eu manquement au devoir d'agir avec équité sur le plan procédural.
[11] Finalement, l'avocate invoque l'assertion que, suivant ce que le demandeur soutient dans son affidavit, l'agent des visas aurait formulée, à savoir : [TRADUCTION] " Les gens comme vous viennent au Canada et se servent de cette période d'études comme excuse pour pouvoir voyager et souvent ils ne reviennent jamais ". Elle soutient que cette déclaration suscite une crainte raisonnable de partialité de la part de l'agent des visas, étant donné qu'il semble avoir fondé sa décision sur un stéréotype des Chinois, plutôt que sur une appréciation des faits portés à sa connaissance.
[12] Si l'agent a bel et bien fait la déclaration qu'on lui impute, cette déclaration était certes gratuite et déplacée. Toutefois, vu les faits qui ont été portés à ma connaissance, je ne suis pas convaincu que le demandeur a démontré qu'il existait une crainte raisonnable de partialité qui justifierait l'annulation de la décision de l'agent des visas.
[13] Tout d'abord, l'affidavit a été signé quelque six semaines après que le demandeur eut été reçu en entrevue par l'agent des visas. Comme le demandeur n'a pas déclaré qu'il avait consigné par écrit ses souvenirs de l'entrevue peu de temps après celle-ci, il y a lieu de s'interroger quelque peu sur l'exactitude des souvenirs du demandeur quant aux mots exacts employés par l'agent des visas. Je constate par ailleurs que, dans son affidavit, le demandeur semble s'être mépris sur la date de l'entrevue qui, selon lui, aurait eu lieu le 6 août 1998, alors que la lettre-décision de l'agent des visas porte la date du 5 août 1998.
[14] Ensuite, lorsqu'il parle des " gens comme vous ", l'agent pense peut-être aux jeunes gens qui ont terminé leurs études secondaires depuis un certain temps, mais qui ne sont pas encore solidement établis dans une carrière pour laquelle la poursuite d'études chères au Canada constitue une solution logique dans le cas d'une personne prévoyant retourner dans son pays d'origine.
[15] En résumé, je ne suis pas convaincu qu'il ressort de cette déclaration de l'agent que celui-ci n'a pas fait reposer sa décision sur les faits portés à sa connaissance " lesquels étaient certainement suffisants pour justifier sa conclusion " ou que des personnes raisonnables estimeraient qu'il a fait preuve de partialité.
[16] L'avocate du demandeur s'est également dite préoccupée par l'admission en preuve des notes de l'agent des visas sans que celui-ci ait souscrit un affidavit au sujet duquel il pourrait être contre-interrogé, étant donné que le fait pour la Cour de se fonder sur des éléments qui n'ont pas fait l'objet d'un contre-interrogatoire cause un préjudice au demandeur. L'avocate m'a demandé de certifier à cet égard une question en vertu du paragraphe 83(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 [modifiée], mais j'ai refusé de le faire. J'estime en effet que, comme l'avocate du demandeur n'a pas allégué qu'il était raisonnablement nécessaire de contre-interroger l'agent au sujet de ses notes pour pouvoir trancher équitablement la présente demande de contrôle judiciaire, la question ne se pose pas, vu les faits de la présente espèce.
[17] Par ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
" John M. Evans "
Juge
TORONTO (ONTARIO)
Le 27 janvier 1999
Traduction certifiée conforme
Laurier Parenteau, LL. L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
Avocats et procureurs inscrits au dossier
No DU GREFFE : IMM-4352-98
INTITULÉ DE LA CAUSE : HONG TAI HUANG |
et
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ |
ET DE L'IMMIGRATION
DATE DE L'AUDIENCE : LE MARDI 26 JANVIER 1999
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge Evans
le mercredi 27 janvier 1999 |
ONT COMPARU : M e Mary Lam
pour le demandeur
M e Geraldine MacDonald
pour le défendeur
PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER : Me Cecil L. Rotenberg, c.r.
avocats et procureurs
255, chemin Duncan Mill
bureau 808
Duncan Mills (Ontario)
M3B 3H9
pour le demandeur
M e Morris Rosenberg
Sous-procureur général
du Canada
pour le défendeur
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
Date : 19990127
IMM-4352-98
E n t r e :
HONG TAI HUANG
demandeur
- et -
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION |
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE