Date : 20011128
Dossier : IMM-1043-01
Référence neutre :2001 CFPI 1310
Toronto (Ontario), le mercredi 28 novembre 2001
EN PRÉSENCE de Monsieur le juge Campbell
ENTRE :
LUCRETIA ANTHONY
demanderesse
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire qui vise la décision du 13 février 2001 par laquelle un agent d'immigration a rejeté la demande de dispense d'application présentée par la demanderesse en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration. L'agent d'immigration n'était pas convaincu qu'existaient des raisons d'ordre humanitaire suffisantes pour que soit justifiée la requête par la demanderesse d'une dispense de l'obligation de présenter à l'extérieur du Canada une demande de résidence permanente.
[2] En provenance de Sainte-Lucie, la demanderesse est venue au Canada comme visiteur en 1994. Elle a une enfant née au Canada, qui avait deux ans au moment où la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire a été présentée. Cette demande reposait sur l'allégation selon laquelle la demanderesse et sa fille subiraient un préjudice indu si elles devaient retourner à Sainte-Lucie.
[3] La principale question à trancher dans le cadre du présent contrôle judiciaire est celle de savoir si l'agent d'immigration a valablement pris en compte l'intérêt supérieur de l'enfant de la demanderesse lorsqu'il a conclu qu'il n'existait pas en l'espèce de raisons d'ordre humanitaire suffisantes.
[4] Depuis l'arrêt Baker c. Canada (M.C.I.), [1999] 2 R.C.S. 817, de la Cour suprême du Canada, il est bien établi qu'une décision en matière de raisons d'ordre humanitaire ne respecte pas la norme de la décision raisonnable si son auteur n'a pas pris en compte l'intérêt supérieur de l'enfant. Le juge L'Heureux-Dubé a déclaré qu'il fallait accorder à cet intérêt un poids considérable, et que l'agent d'immigration devait être « réceptif, attentif et sensible » à celui-ci. Dans Jack c. Canada (M.C.I.) (2000), 7 Imm. L.R. (3d) 35, la décision d'un agent d'immigration a été jugée déraisonnable parce qu'il n'était guère fait mention de l'enfant né au Canada dans les motifs et qu'aucune analyse ne venait étayer la conclusion de l'agent. Dans Legault c. Canada (M.C.I.), [2001] C.F.P.I. 315, le juge Nadon a en outre déclaré que, compte tenu de l'arrêt Baker de la Cour suprême, les agents d'immigration devaient comparer les soins de santé, le système d'éducation et la qualité de vie au Canada et dans le pays du renvoi.
[5] Or, l'argumentation de la demanderesse fait ressortir les inquiétudes suivantes au sujet de sa qualité de vie et de celle de sa fille à Sainte-Lucie :
[TRADUCTION]
Mme Anthony nous a informés qu'elle n'a nul endroit où retourner à Sainte-Lucie et qu'il lui serait difficile de se réinstaller avec sa fille née au Canada s'il lui fallait y retourner pour présenter une demande. Cela occasionnerait également d'importantes difficultés financières et psychologiques à elle-même et à sa fille.
Elle exprime également de l'inquiétude dans l'argumentation au sujet du niveau de vie qui existe à Sainte-Lucie, par comparaison avec le Canada, en ce qui concerne particulièrement le risque pour l'enfant de contracter des maladies en raison, notamment, des conditions hygiéniques et de la qualité de l'eau.
[6] Les notes de l'agent d'immigration renferment une analyse brève et restreinte sur l'intérêt supérieur de l'enfant née au Canada de la demanderesse :
[TRADUCTION]
J'ai également pris en compte le fait que Mme Anthony a une enfant née au Canada. Bien que Mme Anthony déclare qu'elle éprouverait des difficultés si elle devait s'établir de nouveau à Sainte-Lucie avec son enfant, il y a lieu de noter que cette dernière n'a que deux ans et qu'à un si jeune âge elle peut s'adapter au nouveau mode de vie dans ce pays. Mme Anthony a signalé en outre qu'elle est la seule pourvoyeuse de soins pour l'enfant, comme sa relation avec le père a pris fin quelques mois après la naissance et que celui-ci ne s'est pas mis en contact avec elles depuis qu'ils se sont quittés. Je ne suis pas convaincu par conséquent que Mme Anthony ou son enfant née au Canada subiraient un préjudice indu ou disproportionné si elles devaient quitter le Canada et demander un visa d'immigrant de la manière normale prévue par la loi.
[7] Ce passage des notes renferme donc deux conclusions, dont aucune n'a consisté à évaluer si, compte tenu des conditions prévalant à Sainte-Lucie, il était dans l'intérêt supérieur de l'enfant d'y vivre avec sa mère plutôt que de demeurer avec celle-ci au Canada.
[8] En outre, bien que la demanderesse ait déclaré qu'elle n'avait [TRADUCTION] « nul endroit où retourner » , l'agent d'immigration a noté dans ses motifs que, ce que la demanderesse avait déclaré, c'était qu'elle n'avait [TRADUCTION] « rien qui l'attendait » . Cette erreur consignée au dossier a eu pour effet de réduire la portée de la prétention de la demanderesse selon laquelle elle a coupé tout lien avec Sainte-Lucie. L'erreur a aussi permis à l'agent d'immigration de présumer que l'intérêt supérieur de l'enfant était moins en péril du fait de la présence de la mère et de deux frères ou soeurs de la demanderesse. Cette conclusion a été tirée sans analyse appropriée de ce que serait véritablement la situation de l'enfant à Sainte-Lucie et se fondait plutôt sur des hypothèses faites sur des faits non mentionnés au dossier.
[9] En concluant que l'enfant était suffisamment jeune pour s'adapter à un [TRADUCTION] « nouveau mode de vie » , je suis d'avis que l'agent d'immigration a fait erreur en faisant abstraction de la qualité de vie de l'enfant à Sainte-Lucie et des difficultés auxquelles elle risque d'y être confrontée. Je suis d'avis qu'en prenant sa décision, par conséquent, l'agent d'immigration n'était pas attentif ni sensible à l'intérêt de l'enfant née au Canada de la demanderesse.
[10] En me fondant sur les motifs mentionnés du refus, par conséquent, je conclus que l'agent d'immigration n'a pas procédé au type d'analyse requis et que sa décision était ainsi entachée d'une erreur révisable.
ORDONNANCE
1. Par conséquent, la décision de l'agent d'immigration est annulée et l'affaire est renvoyée à un autre agent d'immigration pour qu'il rende une nouvelle décision.
« Douglas R. Campbell »
Juge
Toronto (Ontario)
Le 28 novembre 2001
Traduction certifiée conforme
Jacques Deschênes
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
IMM-1043-00 |
INTITULÉ : |
LUCRETIA ANTHONY demanderesse
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION défendeur |
DATE DE L'AUDIENCE : |
LE MARDI 27 NOVEMBRE 2001 |
LIEU DE L'AUDIENCE : |
TORONTO (ONTARIO) |
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : |
LE JUGE CAMPBELL |
DATE DES MOTIFS ET DE L'ORDONNANCE : |
LE MERCREDI 28 NOVEMBRE 2001 |
COMPARUTIONS : |
|
Ishwar Sharma |
POUR LA DEMANDERESSE |
Ian Hicks |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER : |
|
Roop N. Sharma Avocat 942, rue Gerrard Est Toronto (Ontario) M4M 1Z2 |
POUR LA DEMANDERESSE |
M. Morris Rosenberg Sous-procureur général du Canada |
POUR LE DÉFENDEUR |
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
Date : 20011128
Dossier : IMM-1043-01
Entre :
LUCRETIA ANTHONY
demanderesse
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE