Ottawa (Ontario), le 28 octobre 2005
EN PRÉSENCE DE MADAME LA PROTONOTAIRE ARONOVITCH
ACTION RÉELLE EN MATIÈRE D'AMIRAUTÉ
ENTRE :
DEEP SHORE MARINE CONTRACTING INC.
(défenderesse reconventionnelle)
et
LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES
AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE M.V. « POLISH PRINCESS »
(demandeurs reconventionnels)
MOTIFS DU JUGEMENT
[1] À la fin de juin 2003, M. Laflamme, propriétaire du « Polish Princess » , une caravane flottante Georgian Steel de 43 pieds, a pris possession de son bateau après des réparations et une remise à neuf faites par la demanderesse, Deep Shore Marine Contracting Inc. (Deep Shore). Les réparations ont été effectuées dans les installations de Deep Shore à la marina de Long Island, à Kars (Ontario). Le bateau a ensuite été retourné à la marina de Pirate Cove, sur la rivière Rideau, où son propriétaire le gardait amarré depuis dix ans.
[2] Le défendeur, M. Laflamme, soutient que, dès qu'il a pris possession du bateau en juin, il a constaté plusieurs problèmes dans les travaux effectués par Deep Shore, notamment des dommages causés par des infiltrations d'eau à l'intérieur du bateau. Dans l'intervalle, M. Nicholas Nantsios, président de Deep Shore, avait présenté à M. Laflamme une facture pour des services que M. Laflamme avait refusé de payer. Comme il fallait s'y attendre, la demanderesse a intenté, à l'égard des travaux qu'elle avait effectués sur le Polish Princess, une action en recouvrement pour les services et matériaux qui étaient impayés au moment de l'instruction, et le défendeur a déposé sa propre demande reconventionnelle fondée sur le retard et les dommages que la demanderesse aurait causés au bateau par sa faute.
[3] Les services fournis par Deep Shore étaient essentiellement des réparations à la coque du bateau, qu'il a fallu entièrement reconstruire, et par la suite, à la demande de M. Laflamme, la peinture du bateau et l'installation d'un revêtement d'aluminium sur le toit arrière, ou cabine arrière, du bateau. Ce revêtement d'aluminium est également appelé « tôle à losanges » ou « tôle gaufrée » .
[4] Deep Shore a présenté deux factures pour les services exécutés. La première facture, datée du 10 février 2003, s'élevait à 21 348,64 $ et concernait le remplacement et la reconstruction de la coque du bateau. Au moment de l'audience, M. Laflamme avait payé 20 000 $ en plusieurs versements relativement à cette facture. Seule la TPS, soit 1 396,64 $, demeurait exigible. La deuxième facture, datée du 8 juin 2003, s'élevait à 11 379,56 $ et concernait les travaux additionnels commandés par M. Laflamme. C'est cette seconde facture qui est à l'origine du différend entre les parties et qui constitue la principale question en litige en l'espèce.
[5] Dans sa défense à l'action de la demanderesse, le défendeur a allégué que Deep Shore lui avait donné de fausses indications sur le coût des réparations, qu'elle avait été négligente en omettant de couvrir et de protéger correctement le bateau contre les intempéries jusqu'à ce qu'il soit transporté à l'intérieur pour être réparé et qu'elle avait tardé à effectuer les réparations, faisant ainsi perdre à M. Laflamme l'occasion de vendre le bateau, soit la raison pour laquelle il avait commandé les réparations. Le défendeur, demandeur reconventionnel, réclame donc la somme de 8 166,50 $ pour déclarations inexactes et inexécution du contrat, soit la somme correspondant au coût estimatif des travaux à effectuer pour réparer les dommages qui auraient été causés par Deep Shore. M. Laflamme réclame également le remboursement des 20 000 $ qu'il a versés à ce jour pour les réparations à la coque ainsi que des frais d'entreposage de 1 200 $.
[6] Les questions à trancher, telles qu'elles ont été définies dans l'ordonnance préparatoire de la Cour, sont les suivantes : Les services visés dans la facture de juin 2003 ont-ils été commandés et exécutés et quel montant la demanderesse est-elle en droit d'exiger, le cas échéant, pour ces travaux? La demanderesse a-t-elle causé des dommages au bateau en y effectuant des travaux et, le cas échéant, à combien ces dommages s'élèvent-ils? Les travaux ont-ils été exécutés en retard et, le cas échéant, à combien les dommages liés à ce retard s'élèvent-ils?
La preuve présentée à l'audience
[7] Même si la preuve n'est pas très détaillée à cet égard, voici la suite des événements, tels que je les ai compris, entre le moment où le bateau est arrivé à Pirate Cove, en juin 2003, et le moment où il a été remis à la marina de Rideau Ferry Harbour (Rideau Ferry) pour que des réparations soient effectuées sur le toit et les cloisons qui soutiennent la cabine arrière lesquels, selon le défendeur, auraient été endommagés par Deep Shore. M. John Godwin, un employé de Ferry Harbour qui, à la date de l'instruction, continuait de réparer les dommages qui auraient été causés par la demanderesse, est également l'auteur du rapport d'expert déposé au nom du défendeur.
[8] À une date indéterminée mais après le retour du bateau à Pirate Cove, fin juin 2003, l'un des ouvriers de M. Nantsios, puis M. Nantsios lui-même, ont été appelés à se rendre sur le bateau pour réparer un climatiseur qui fuyait. Ces appels de service ont été facturés à M. Laflamme dans la deuxième facture. En juillet 2003, le bateau a été saisi pour non-paiement des réparations. Le bateau est alors resté à l'eau, à Pirate Cove, jusqu'à la fin du mois d'octobre. Il a ensuite été mis en cale sèche et placé dans un emballage moulant pour être entreposé pendant les mois d'hiver. L'emballage a été enlevé au milieu de l'été 2004. Plus tard cette année-là, soit le 9 novembre 2004, le défendeur a consigné à la Cour le montant exigé pour obtenir la mainlevée de la saisie du bateau. Le 11 novembre 2004, le bateau a été envoyé à Rideau Ferry pour réparation. M. Godwin a commencé les travaux de réparation en février 2005. Comme je l'ai dit, à la date de l'instruction, les travaux de réparation sur le bateau et, plus particulièrement, sur la cabine arrière, étaient en cours.
[9] M. Nantsios affirme que c'est le 18 décembre 2002 qu'il a rencontré pour la première fois M. Laflamme pour discuter des réparations à effectuer sur le bateau. Lors de cette rencontre, il a dit que sa société prévoyait commencer les travaux sur la coque du bateau la semaine suivante et il a passé en revue avec M. Laflamme les travaux qui seraient effectués. M. Nantsios déclare avoir exigé un paiement en plusieurs versements pour couvrir au fur et à mesure le coût de la main-d'oeuvre et des matériaux. Selon M. Nantsios, M. Laflamme a accepté de payer par versements, mais il a indiqué qu'il préférait ne pas immobiliser son capital pendant l'hiver et qu'il voulait attendre au printemps, lorsque les conditions du marché seraient plus favorables, pour faire visiter et vendre le bateau. Selon M. Nantsios, c'est pour cette raison que les travaux sur le bateau n'ont pas commencé avant le 7 février 2003.
[10] Lorsque le bateau a été transporté de Pirate Cove aux installations de la demanderesse à la marina de Long Island, il est devenu clair pour M. Nantsios que le bateau était en mauvais état et qu'il avait été endommagé par l'eau et l'exposition aux intempéries. Il a remarqué qu'une quantité « excessive » d'eau s'écoulait du bateau. Lorsque la coque en acier du bateau a été découpée, il a d'abord fallu la percer de trous pour permettre à l'eau de s'écouler; selon M. Nantsios, cette eau provenait du toit.
[11] Le 29 avril 2003, les travaux sur la coque étaient achevés, à l'exception du sablage et de la peinture, pour lesquels il fallait attendre des conditions climatiques plus favorables. Selon M. Nantsios, M. Laflamme s'était rendu fréquemment et régulièrement au chantier, mais il n'a jamais mentionné qu'il n'était pas satisfait des travaux en cours. Au contraire, il avait commandé des travaux additionnels. Aux dires de M. Nantsios, M. Laflamme ne lui a jamais signalé que les fenêtres étaient restées ouvertes et que l'eau pénétrait à l'intérieur du navire, et il ne s'est jamais plaint de ce fait au cours de ses visites au chantier.
[12] Les travaux de sablage ont commencé à la fin du mois de mai et ont été suivis de la peinture. C'est au cours de cette période que M. Laflamme s'est présenté pour inspecter les travaux en cours et qu'il a demandé que la tôle d'aluminium qu'il avait achetée et fournie à Deep Shore soit installée sur le toit de la cabine arrière. M. Nantsios considérait que cette tôle avait une fonction essentiellement « esthétique » et qu'elle visait à améliorer l'apparence du bateau en vue de sa vente. Il a expliqué que la tôle n'avait pas pour objectif de rendre le toit étanche. M. Nantsios aurait proposé d'effectuer ces travaux pour une somme comprise entre 12 000 $ et 14 000 $. M. Nantsios a affirmé que son travail consistait seulement à rendre la coque étanche. En ce qui concerne l'utilisation d'un scellant dans l'installation de la tôle à losanges, il a déclaré M. Nantsios lors de son témoignage que ce produit a été utilisé sur tous les joints et boulons.
[13] Invité à expliquer les réparations qu'il avait été appelé à faire sur le climatiseur une fois le bateau rendu au défendeur, M. Nantsios a répondu qu'il n'avait pas enlevé le climatiseur lors des travaux de réparation et qu'il l'avait contourné en installant la tôle gaufrée. M. Nantsios avait fait ce qu'on lui avait demandé de faire lorsqu'il est allé sur le bateau pour réparer le climatiseur parce que M. Laflamme refusait de payer la facture en souffrance et [traduction] « retenait son argent comme garantie » .
[14] M. Sheppard a été le deuxième témoin de la demanderesse. Employé de Deep Shore, il a participé à tous les aspects des travaux de réparation. Il a témoigné sur l'état du bateau lorsqu'il a travaillé à le réparer. L'acier de la coque était tellement rouillé qu'on aurait pu simplement l'arracher de la carène du bateau. Au-dessus de la ligne de flottaison, la structure du bateau était [traduction] « faible » , selon M. Sheppard. Il a dit que rien n'était en bon état sur le bateau; toutes les surfaces, des cloisons aux planchers, étaient ondulées et couvertes de bulles. Cela s'expliquait, selon lui, par le fait que le bateau était resté 30 ans dans l'eau.
[15] Dans son témoignage, M. Curtis, un ouvrier qualifié qui a surtout travaillé à la peinture du bateau, a déclaré qu'à son avis, l'installation de la tôle gaufrée était une [traduction] « solution de fortune » pour donner une bonne apparence au bateau afin d'en faciliter la vente. En ce qui concerne l'état du bateau, il a raconté qu'à un moment donné, il était en train d'installer un revêtement en aluminium entre le pont et la cloison et qu'il n'arrivait pas à fixer les boulons au mur parce qu'il n'y avait [Traduction] « plus rien à cet endroit » . Il n'y avait plus de [Traduction] « matériau » dans la structure en bois pour permettre de fixer un boulon. M. Curtis supposait que l'intérieur de la cloison était pourri et que le revêtement était installé pour égaliser le mur, dont la surface était ondulée en raison de l'âge et de l'usure.
[16] M. Turner, le dernier témoin de la demanderesse, a également été rappelé plus tard par la demanderesse comme témoin expert en contre-preuve. Il avait commencé à travailler à la marina de Pirate Cove en 1994. Le Polish Princess était arrivé vers la fin de cette année-là ou au courant de l'été 1995.
[17] M. Turner avait effectué toutes sortes de travaux à la marina. Son travail consistait principalement à mettre les bateaux à l'eau, à les préparer pour l'hiver, à faire de menus travaux de mécanique et à aider le mécanicien à effectuer diverses réparations sur les bateaux de la marina. M. Turner était le capitaine de port et il portait toujours ce titre, en 2004, lorsqu'il est devenu directeur adjoint à Pirate Cove. Il connaissait bien le bateau Georgian Steel de M. Laflamme. Au cours d'une période de dix ans environ, M. Turner avait aidé une vingtaine de fois environ à préparer le bateau de M. Laflamme pour le début et la fin de l'hiver. Il s'agissait de couvrir le bateau d'une toile pour le protéger et d'enlever la toile au printemps ou au début de l'été, lorsque le bateau était prêt pour sa remise à l'eau. M. Turner avait personnellement appliqué un produit de calfeutrage sur le bateau lorsqu'il y avait eu des fuites et il était présent lorsque Pirate Cove a effectué des réparations plus importantes sur le bateau.
[18] C'est M. Turner qui avait aidé M. Laflamme à ramener le bateau de Kars à la marina de Pirate Cove. Il se rappelait qu'à l'époque, M. Laflamme lui avait dit que Deep Shore avait fait un excellent travail. M. Turner a reconnu qu'à l'exception de deux saisons où le bateau n'avait pas été correctement couvert, M. Laflamme avait pris bien soin de son bateau la plupart du temps. M. Turner était au courant des travaux effectués au printemps 1997 pour rénover le bateau et y installer de nouvelles armoires de cuisine, du tapis et un couvre-plancher, et il avait vus ces travaux. Selon lui, les rénovations intérieures étaient [Traduction] « du beau travail » . M. Turner a toutefois déclaré que si l'intérieur avait été réaménagé, c'était parce qu'il avait été endommagé par l'eau. Les murs étaient tachés et les planchers pourris. En procédant aux rénovations, M. Laflamme avait réglé le problème à l'intérieur du bateau mais, selon M. Turner, il n'avait rien fait pour corriger le problème du toit, qui était en mauvais état et devait être remplacé.
[19] D'après M. Turner, M. Laflamme savait que le toit devait être remplacé. M. Turner avait compris, après avoir discuté avec le directeur de Pirate Cove, que M. Laflamme lui avait demandé un devis pour le remplacement du toit en 1999 ou en 2000. Cependant, il n'a pas fait exécuter les travaux à Pirate Cove (apparemment, il n'y avait pas de place dans leurs installations). M. Laflamme a plutôt transféré le bateau dans les installations de son entreprise afin que ses propres ouvriers procèdent au calfeutrage du revêtement en fibre de verre qui couvrait le toit du bateau.
[20] L'essentiel du témoignage de M. Turner était que l'intérieur du bateau de M. Laflamme, vieux de 28 ans, avait déjà subi des dommages avant que le bateau soit remis à Deep Shore. Selon M. Turner, M. Laflamme avait toujours des problèmes de fuites et il savait que le bateau avait des fuites. M. Turner a rappelé, par exemple, les problèmes chroniques d'humidité dans l'armoire de M. et Mme Laflamme, située dans la cabine arrière. La fenêtre de la salle de bain laissait apparemment entrer l'eau à l'intérieur des murs et l'armoire avait commencé à pourrir. Le problème était assez grave pour que les Laflamme soient obligés de jeter certains des vêtements entreposés. M. Turner a déclaré que ces dommages étaient survenus après les travaux de rénovation de 1997.
[21] M. Turner a ensuite énuméré les autres réparations qui, à sa connaissance, avaient été faites sur le Polish Princess, en plus des travaux de calfeutrage qu'il avait lui-même effectués. Le poste de commandement, une structure à trois parois en contreplaqué, couverte par un taud, qui reposait sur la « passerelle haute » et faisait office de toit sur la cabine avant, était désormais pourri et avait dû être remplacé. La fenêtre entre la cabine avant et la cabine arrière était pourrie et avait dû être remplacée. Comme il a été mentionné, le revêtement en fibre de verre sur la cabine arrière était craquelé et avait dû être réparé.
[22] M. Turner a reconnu que la plupart des bateaux ont des fuites. C'est pourquoi, il a affirmé que l'inspection réalisée en 2001, au cours de laquelle l'inspecteur n'avait signalé aucun problème avec l'intérieur du bateau, ne prouvait rien. Selon lui, l'inspecteur ne se serait pas inquiété à la vue de taches d'humidité. M. Turner a souligné que le rapport ne disait rien au sujet de l'état de l'intérieur du bateau et que l'inspecteur n'aurait pas été en mesure d'observer l'intérieur des murs ou de se prononcer sur l'état de l'intérieur des murs qui supportaient la structure de la cabine arrière.
La preuve du défendeur
[23] M. Laflamme ne conteste pas les sommes dues selon la première facture pour les réparations à la coque, qu'il a effectivement payées, et il reconnaît avoir reçu la commande, ou la première facture, en février. Il a reconnu en outre que les travaux ont été effectués avec compétence et que le solde de 1 396,84 $, correspondant à la TPS, est toujours impayé et dû à Deep Shore.
[24] Toutefois, selonM. Laflamme, contrairement à ce que prétend la demanderesse, Deep Shore avait accepté d'être payée sur le produit de la vente du bateau, qui devait avoir lieu dans les 45 jours suivant l'achèvement des travaux. M. Laflamme a dit que, malgré cette entente, il avait commencé à faire des versements à partir du 8 mars 2003 et ce, seulement parce que la demanderesse n'avait pas les fonds nécessaires pour acheter les matériaux. En mai, M. Laflamme a annoncé la mise en vente du bateau. Comme M. Nantsios n'avait plus d'argent et que le projet prenait du retard, M. Laflamme n'a donc eu d'autre choix que d'effectuer un autre versement à cette date. En raison de ce retard, il a cependant perdu les acheteurs potentiels qu'il avait en vue pour la vente du bateau.
[25] Quant aux travaux additionnels, M. Laflamme a déclaré qu'il avait donné pour instruction à la demanderesse de peindre le bateau et d'installer la tôle à losanges à la suite d'une entente verbale selon laquelle le coût des travaux serait de 3 500 $. Le bateau avait besoin d'une nouvelle peinture et [traduction] « pour prévenir toute nouvelle fuite » , M. Laflamme voulait faire installer la tôle à losanges sur le toit du bateau ainsi que des solins sur les côtés. Au départ, les travaux devaient être effectués à la marina de Pirate Cove mais, selon M. Laflamme, il était impossible de retourner le bateau à la marina dans l'état où il était en raison du retard de la demanderesse et il a donc été obligé de faire exécuter les travaux dans les installations de Deep Shore.
[26] En ce qui concerne les dommages causés par l'eau sur son bateau, M. Laflamme affirme qu'à plusieurs reprises, lorsqu'il est allé aux installations de la demanderesse, il a signalé le fait que le bateau n'était pas couvert et que les fenêtres étaient ouvertes. La demanderesse lui a répondu que cette situation n'était que temporaire.
[27] Lorsqu'il a récupéré son bateau, M. Laflamme a constaté de nombreux problèmes dans la qualité des travaux effectués par la demanderesse ainsi que des dégâts d'eau [Traduction] « évidents » . Il pensait que ces dégâts ne pouvaient être que le résultat de l'omission de couvrir correctement le bateau et de fermer les fenêtres pendant les réparations, ainsi que de la mauvaise installation de la nouvelle tôle autour du climatiseur. Il a toujours estimé qu'il n'avait pas d'autre choix que d'accepter la livraison du bateau.
[28] M. Laflamme a déclaré qu'après qu'il eut pris livraison du bateau, l'eau a provoqué d'autres dégâts au cours d'une tempête de pluie, que l'eau s'était infiltrée dans le bateau par les interstices, là où la demanderesse avait installé la tôle à losanges et autour du climatiseur que, selon le défendeur la demanderesse avait enlevé au cours des réparations et réinstallé sans y appliquer le scellant nécessaire. Après la tempête, le propriétaire a appelé M. Nantsios pour obtenir de l'aide. La fuite a été réparée par l'installation d'un joint d'étanchéité.
[29] M. Laflamme a joint à son affidavit du 31 mars 2005 des photos qu'il a prises à la mi-juin des dégâts qui auraient été causés par l'eau. Les photos sont déposées en preuve au soutien des allégations voulant que la tôle gaufrée ait été mal installée, que les comptoirs et les armoires de cuisine aient été endommagés par l'eau de même que les murs de la chambre à coucher et le matelas. Le défendeur affirme dans son affidavit avoir obtenu un devis de 13 081,18 $ pour la réparation des dommages.
[30] Lors de son témoignage, M. Laflamme a dit que le bateau était en bon état lorsqu'il est arrivé aux installations de Deep Shore et que seuls des travaux d'entretien avaient été effectués sur le bateau. Contre-interrogé sur les raisons pour lesquelles il avait fait poser la tôle à losanges, il a répondu que quelqu'un lui avait conseillé de faire installer de la tôle au lieu de peindre le bateau car ainsi, il [traduction] « ne serait plus jamais obligé de le repeindre » . Il a également pensé à une autre amélioration, soit faire installer des solins autour du bateau pour permettre à l'eau de s'écouler en cas de pluie - comme des gouttières sur une maison. Il a maintenu tout au long de son témoignage que le bateau n'avait jamais été endommagé par l'eau et qu'il n'avait jamais eu de problème d'infiltration d'eau avant l'installation de la tôle gaufrée.
[31] Mme Laflamme a ensuite témoigné. Selon son témoignage principal, les travaux sur le bateau devaient prendre fin le 10 février 2003 alors qu'ils étaient loin d'être terminés au début de mai 2003. Dans son affidavit, elle affirme avoir remarqué que [traduction] « le bateau avait été gravement endommagé lorsqu'il était sous la garde de Deep Shore » . Elle était allée au site des travaux en avril 2003 et avait remarqué que les fenêtres ainsi que les portes coulissantes au fond de la cabine arrière, juste à côté du lit, étaient restées ouvertes.
[32] Quant à l'état du bateau lorsqu'il est arrivé à la marina de Pirate Cove, Mme Laflamme n'était pas entrée à l'intérieur du bateau pour le constater par elle-même. Apparemment, M. Laflamme avait insisté pour que le bateau soit nettoyé avant qu'elle le voie. La femme de ménage qui a effectué le travail a fourni un affidavit dans lequel elle a affirmé qu'il y avait une odeur de moisi dans la cabine et des taches d'eau apparentes sur le matelas.
[33] Mme Laflamme a fait allusion à une forte pluie cet été-là. L'eau était effectivement [Traduction] « entrée à flots » à l'intérieur du bateau et il avait fallu placer des seaux sur le comptoir. Selon Mme Laflamme, [Traduction] « l'eau provenait apparemment du climatiseur » .
[34] Comme je l'ai dit, John Godwin est l'auteur du rapport d'expert préparé pour le compte du défendeur. La demanderesse ne conteste pas la qualité d'expert de M. Godwin. Elle invite toutefois la Cour à déterminer la valeur qu'elle doit accorder aux déclarations de ce témoin, compte tenu de l'intérêt financier évident de Rideau Ferry dans les réparations effectuées sur le bateau par M. Godwin, qui est un employé de Rideau Ferry.
[35] Le rapport de M. Godwin, en date du 23 février 2005, est reproduit ci-dessous :
[Traduction] Tout bien pesé, je suis d'avis que l'ensemble de la structure de la cabine arrière, y compris le toit, les murs, l'aménagement de la cabine, les cloisons murales et les meubles, ont subi des dégâts importants causés par l'eau et la moisissure, dégâts qui sont directement attribuables à une mauvaise installation de la « tôle gaufrée » et des moulures en aluminium sur le toit de la cabine.
Les panneaux et les moulures semblent avoir été installés sans l'utilisation appropriée de matériaux d'étanchéité pour bateaux, laissant ainsi l'eau s'infiltrer derrière les panneaux de « tôle gaufrée » . Vu que le toit d'origine était conçu et incurvé de manière à laisser l'eau s'écouler à la surface, l'eau qui a pénétré dans les panneaux s'écoulait vers l'extérieur, avant de pénétrer sous les moulures d'aluminium non étanches, s'infiltrant ainsi dans la structure du mur extérieur en contreplaqué, laquelle est aujourd'hui pourrie à un point tel qu'environ 80 % du contreplaqué doit être enlevé et remplacé. (non souligné dans l'original)
En outre, d'autres dommages à la structure du toit et à l'intérieur du bateau découlent d'une mauvaise installation de vis en acier inoxydable, posées sans couvre-joint pour fixer les panneaux de « tôle gaufrée » . La longueur totale de la claie dépassait la sous-toiture existante, en contreplaqué de 5/8 po. enduit de fibre de verre. Aucune trace de produit d'étanchéité n'ayant été décelée à ces endroits, l'eau s'est infiltrée, causant de nouveaux dommages à la structure du toit et aux composantes internes.
Après avoir examiné l'ensemble, j'ai pu constater que le toit de la cabine arrière et la structure du mur étaient dans un tel état de détérioration qu'il y avait un risque élevé d'effondrement, au point où seules les moulures d'aluminium de la fenêtre de la cabine les soutenaient encore.
Des photos numériques et sur support traditionnel ont été prises lors de l'inspection, à votre attention. J'estime que les frais de rénovation du bateau en vue de le remettre dans un état sécuritaire, au niveau de la structure et de l'étanchéité, s'élèvent à treize mille quatre-vingt-un dollars et dix-huit sous (13 081,18 $).
[36] Selon M. Godwin, il est courant d'utiliser de la tôle à losanges sur le toit de ce type de bateaux et si elle avait été correctement installée, la tôle aurait formé un écran contre l'eau. Il a dit, en ce qui concerne les dégâts qu'il a constatés sur les murs et le toit de la cabine arrière, qu'il n'avait jamais vu des dommages aussi [traduction] « catastrophiques » sur un bateau.
[37] S'appuyant sur les photos prises au fur et à mesure des travaux de réparation, il a expliqué que les panneaux centraux du toit n'étaient pas en très mauvais état, l'eau s'étant écoulée du centre vers les côtés. Toutefois, les chevrons en contreplaqué de 35mm le long des bordures extérieures du toit étaient entièrement pourris. Le contreplaqué à l'intérieur des murs et les panneaux qui supportaient le toit était saturé d'eau ou pourri. Les pires dégâts se situaient à l'arrière de la cabine. Selon M. Godwin, l'eau s'était accumulée et était restée prisonnière à cet endroit puisque l'arrière du bateau, qui accueille le moteur, repose plus profondément dans l'eau.
[38] D'après M. Godwin, la tôle gaufrée n'a pas été installée jusqu'à la bordure extérieure et a été posée avec un produit d'étanchéité inapproprié ou insuffisant. À son avis, l'eau s'était infiltrée sous les panneaux, en dessous des moulures non étanchéifiées, pour descendre sous l'assemblage de panneaux et à l'intérieur de la structure des murs, où elle est demeurée prisonnière. Il a constaté que les moulures d'aluminium n'étaient pas du tout étanchéifiées. M. Godwin a également décrit la méthode qu'il aurait fallu utiliser pour fixer les vis à la paroi en fibre de verre et qui, de toute évidence, n'avait pas été suivie, ce qui avait aussi contribué à l'infiltration de l'eau. Lorsqu'on lui a demandé combien de temps il faudrait pour remarquer que l'eau suinte derrière les panneaux de tôle, il a répondu que si le temps était très mauvais, ça se verrait tout de suite et qu'on pourrait alors entendre le bruit de l'eau.
[39] Selon M. Godwin, le problème n'était pas l'âge du navire puisque le toit de la cabine avant, qui, d'après lui, avait été construit avec les mêmes matériaux que le toit de la cabine arrière, avait conservé sa structure d'origine et ne montrait aucun signe de détérioration nécessitant des réparations, pas plus que les cloisons extérieures de la cabine avant. Les quelques dommages qu'il avait observés dans la cabine avant étaient essentiellement des dégâts localisés causés par l'humidité autour des tranches du hublot, ce qui est courant. Comme le toit est construit en contreplaqué enduit de fibre de verre, il a reconnu que des fissures pouvaient se former dans le revêtement en fibre de verre en raison de l'expansion et de la contraction du contreplaqué, surtout aux extrémités. Toutefois, selon M. Godwin, s'ils avaient été causés par le seul suintement de l'eau, les dégâts auraient été localisés et ne se seraient pas étendus comme ce fut clairement le cas, en l'espèce. M Godwin a également reconnu qu'avec le temps, l'eau peut finir par s'infiltrer au pied des rambardes situées autour du périmètre extérieur du toit de la cabine arrière. Là encore, il estimait que de tels dommages seraient localisés.
[40] La demanderesse a répondu au rapport de M. Godwin en déposant le rapport de M. Turner, en date du 4 avril 2005. L'avocat du défendeur a contesté la qualité d'expert de M. Turner, puisqu'il ne possédait aucune expérience dans les travaux et la construction des navires. L'avocat de la demanderesse a fait valoir qu'il n'est pas toujours nécessaire qu'un témoin expert possède des diplômes et des titres de compétence officiels et qu'une personne peut témoigner à titre d'expert si elle possède des compétences ou une expérience spéciales qui dépassent celles de la moyenne des gens.
[41] Soulignant que M. Turner avait une connaissance et une expérience personnelle de l'entretien du Polish Princess et une bonne connaissance des navires en général, et de ce type de bateau en particulier, l'avocat de la demanderesse a maintenu que M. Turner avait les connaissances et l'expérience nécessaires dans la présente instance et qu'il devait être entendu à titre de témoin en contre-preuve pour commenter le rapport de M. Godwin.
[42] Le rapport de M. Turner a été accepté en preuve, sous réserve des objections soulevées par l'avocate du défendeur. La Cour a décidé qu'elle se prononcerait sur l'objection et sur la valeur à accorder au témoignage de M. Turner après le dépôt en preuve de ce rapport.
[43] Dans son témoignage en contre-preuve, M. Turner commence par confirmer qu'il est parfaitement au courant des problèmes qu'a eus le bateau depuis son arrivée à Pirate Cove; il poursuit comme suit, répétant souvent plusieurs parties de son premier témoignage lors du contre-interrogatoire :
[Traduction] ... J'ai eu quinze bateaux au cours des trente dernières années et j'ai une excellente connaissance de l'industrie navale. J'ai vu toutes les formes imaginables de réparations mécaniques ainsi que des réparations aux revêtements en fibre de verre. Je m'intéresse plus particulièrement aux bateaux Georgian Steel car j'ai moi-même possédé un Georgian Steel de 38 pieds qui, comme le bateau de M. Laflamme, a eu des problèmes d'infiltration d'eau autour de l'accastillage et des rambardes sur le toit. Lorsque j'ai vendu mon bateau il y a trois ans, j'ai informé les nouveaux propriétaires que, après vingt-cinq ans, le toit avait besoin de réparations.
Le toit du bateau de M. Laflamme a aujourd'hui 28 ans environ. Il a fallu remplacer sa passerelle haute à la fin des années 1990 parce qu'elle était pourrie. En outre, le bois autour du hublot arrière, situé sous le toit en cause, a également été remplacé à l'époque pour la même raison. La structure principale du toit n'a jamais été réparée ou remplacée. Pirate Cove a préparé un devis pour la réparation du toit car certaines parties de celui-ci commençaient à laisser l'eau s'infiltrer à l'intérieur, qui venait d'être réaménagé. M. Laflamme a décidé de réparer le toit lui-même en raison du coût élevé du devis fourni par Pirate Cove. Environ un an plus tard, M. Laflamme a fait transporter le bateau à l'établissement de son entreprise, situé sur la route 31, et c'est là que lui et ses employés ont effectué les réparations. Ces réparations n'ont pas porté sur la structure, elles étaient seulement esthétiques. Le toit n'a jamais été refait entièrement et l'eau a continué de s'infiltrer.
Avec le temps, le bateau a commencé à montrer des signes de détérioration à l'intérieur due à l'eau, en raison de son âge. C'était avant que M. Laflamme envoie le bateau à Deepshore Marine pour y faire remplacer toute la coque, qui montrait elle aussi des signes de vieillissement.
Si rien ne clochait avec le toit, pourquoi M. Laflamme aurait-il demandé à Deepshore Marine de le recouvrir avec de la tôle d'aluminium gaufrée? Je n'ai jamais vu quelqu'un utiliser ce type de matériau sur un bateau.
Je ne suis pas d'accord avec le rapport fourni par John Godwin de la marina Rideau Ferry parce qu'il est impossible de faire une distinction entre les dommages causés par l'eau avant l'exécution des travaux par Deepshore Marine et ceux qui se sont produits après ces travaux.
[44] M. Turner a exprimé l'opinion suivante, quant à l'origine des dommages qui apparaissent dans les photos versées en preuve par M. Godwin. Cela faisait 28 ans que, chaque année, le bateau était placé sous un emballage moulant et que les gens s'appuyaient sur les rambardes, alors les boulons qui fixent l'accastillage et les rambardes sur le toit ont fini par se desserrer, laissant ainsi l'eau passer et s'infiltrer dans les murs. Cette explication, selon M. Turner, cadre avec le fait qu'aucun dommage n'a été constaté au centre du pont, ou du toit, tous les dégâts étant localisés en dehors de la périphérie du toit et à l'intérieur des murs au-dessus desquels sont situées les rambardes. Il a ajouté que, d'après son expérience, l'installation de tôle gaufrée n'était pas la norme et que, personnellement, il n'en avait jamais vu sur un bateau. Selon lui, il n'aurait jamais fallu utiliser de la tôle gaufrée sur ce bateau. M. Turner estimait que rien ne justifierait d'installer de la tôle gaufrée sur un toit enduit de fibre de verre en bon état et que si quelqu'un faisait une chose pareille, ce serait uniquement pour cacher des défauts visibles sur le toit.
[45] M. Turner a reconnu qu'une [traduction] « toute petite quantité d'eau » avait pénétré à travers et sous la tôle gaufrée installée par Deep Shore. Selon lui, cependant, il était impossible que les infiltrations d'eau sous la tôle aient causé en un laps de temps aussi court le type de dommages que l'on peut voir sur les photographies prises par M. Godwin. Selon M. Turner, les infiltrations d'eau en provenance de la tôle auraient peut-être taché le bois des murs extérieurs, mais elles n'auraient jamais provoqué son noircissement par pourriture. D'après M. Turner, ce que l'on peut voir dans les photographies, c'est du bois qui a pourri avec le temps.
ANALYSE ET CONCLUSIONS
L'action de la demanderesse
[46] De l'aveu même du défendeur, les travaux sur la coque qui font l'objet de la première facture ont été exécutés avec compétence et le solde de 1 396,64 $, correspondant à la TPS, est toujours impayé et dû à Deep Shore.
[47] Quant à la deuxième facture, je suis convaincue, compte tenu des témoignages de MM. Nantsios, Sheppard et Curtis sur cette question, que la main-d'oeuvre et les services liés à la peinture du bateau ainsi qu'à l'installation de la tôle gaufrée et des boiseries ont été effectivement fournis, tels que demandés, et que les frais exigés pour cette main-d'oeuvre et les matériaux, tels que facturés, sont dus à Deep Shore.
[48] J'en viens à la même conclusion en ce qui concerne les frais de réparation du climatiseur. Il est allégué que Deep Shore a enlevé le climatiseur lorsqu'elle a effectué les travaux et qu'elle ne l'a pas remis en place correctement en omettant d'appliquer assez de scellant. Le témoignage de M. Nantsios sur ce point est clair et direct. Compte tenu de l'âge de l'appareil, il ne l'a pas enlevé, il a plutôt installé la tôle tout autour. Il n'a enlevé et replacé le climatiseur que lorsqu'il s'est rendu sur le bateau, à la demande de M. Laflamme, pour réparer une fuite de l'appareil. Ce témoignage est étayé par M. Turner qui a déclaré que le climatiseur fuyait avant que Deep Shore n'effectue les réparations.
[49] Selon le témoignage de M. Laflamme, la fuite a été réparée lorsque M. Nantsios a remplacé un joint. J'accepte la preuve voulant que le climatiseur n'a pas été enlevé et remis en place lors des travaux de réparation effectués par Deep Shore; en outre, m'appuyant sur le propre témoignage de M. Laflamme, j'estime que l'allégation du défendeur voulant que le climatiseur a continué de couler par la suite ou que la mauvaise installation de la tôle gaufrée a entraîné des fuites, peu importe la quantité de scellant utilisée, n'est pas fondée.
[50] Dans son témoignage, M. Laflamme a prétendu que certaines sommes ont été facturées en trop dans la deuxième facture. Je ne vois rien dans la preuve qui permet de conclure que le paiement des frais de sablage ou d'entreposage a été exigé dans la première facture. Je conclus que ces frais sont également dus à la demanderesse.
[51] En résumé, je suis convaincue que les services et les matériaux facturés dans la deuxième facture ont été fournis relativement au bateau et que la somme totale indiquée sur la facture, soit 11 379,56 $, est due à la demanderesse. Cela dit, il est également évident que M. Laflamme n'a pas pris connaissance de la deuxième facture avant que les travaux n'aient été achevés ou quasiment achevés. On ne peut pas dire que les parties étaient d'accord quant aux modalités d'exécution des travaux, aux tarifs auxquels ils seraient facturés ni quant aux autres conditions de cette facture tardive. En ce sens, la deuxième facture n'a aucun effet contractuel. En conséquence, le taux d'intérêt indiqué dans cette facture pour les montants en souffrance n'est pas opposable au défendeur.
La demande reconventionnelle
[52] Pour ce qui est de la demande reconventionnelle de M. Laflamme, j'examinerai en premier lieu si le retard de Deep Shore, dans l'exécution des réparations à la coque, a causé un préjudice à M. Laflamme, c'est-à-dire qu'en raison de ce retard, il a été incapable de vendre son bateau.
[53] Je suis convaincue par le témoignage de M. Laflamme, tel qu'il a été confirmé par tous les témoins, que l'objet des réparations, y compris l'installation de la tôle en aluminium, était de préparer le bateau en vue de sa vente. Toutefois, rien ne permet de conclure que Deep Shore a tardé dans l'exécution des travaux ou que M. Laflamme a été incapable de vendre le Polish Princess en raison de ce retard.
[54] Le calendrier des travaux et le délai de livraison du bateau dépendaient de toute évidence du rythme auquel M. Laflamme pouvait payer les travaux et le coût des matériaux livrés pour le bateau.
[55] Les dates auxquelles M. Laflamme a effectué des paiements, non sans réticence, coïncident à peu près avec les dates auxquelles ces sommes étaient exigibles, en vertu de la commande (la première facture), que M. Laflamme reconnaît avoir reçue dès le départ. De fait, l'évolution des travaux et le rythme des paiements effectués pour ces travaux confirment la version de M. Nantsios sur ce que les parties avaient convenu. C'est donc le défendeur qui, à mon avis, est entièrement responsable du rythme auquel les travaux ont été exécutés. En outre, le défendeur n'a déposé aucun élément de preuve démontrant l'existence d'un quelconque acheteur intéressé ou de la perte d'une occasion de vendre le bateau.
[56] En ce qui concerne la principale réclamation ayant trait aux dégâts d'eau qui auraient été causés par Deep Shore, il incombe au défendeur, demandeur reconventionnel, de prouver que le bateau a subi des dommages, d'établir l'étendue de ces dommages et de prouver que ces dommages découlaient directement des travaux effectués par Deep Shore. À mon avis, le propriétaire du bateau ne s'est pas acquitté du fardeau de preuve qui lui incombait.
[57] Dans la défense et demande reconventionnelle, la principale allégation du défendeur est que les dommages ont découlé du fait que le bateau avait été laissé sans protection, avec les fenêtres ouvertes, pendant qu'il était sous la garde de Deep Shore.
[58] M. Laflamme a déclaré s'être plaint de ce fait à plusieurs reprises lorsqu'il a visité le chantier où étaient exécutés les travaux. M. Nantsios a nié que M. Laflamme ait jamais fait de telles remarques ou soulevé de telles inquiétudes. Les ouvriers de M. Nantsios se souviennent seulement de commentaires démontrant la satisfaction du défendeur. Aucune remarque sur l'état de l'intérieur du bateau n'a été faite à M. Turner lorsque ce dernier, accompagné de M. Laflamme, est allé chercher le bateau pour le ramener à Pirate Cove.
[59] Mme Laflamme, qui a visité le chantier et qui a déclaré qu'elle aussi était préoccupée, a reconnu en contre-interrogatoire qu'elle n'avait jamais vu elle-même l'intérieur du bateau lorsqu'il était en cale sèche pendant les réparations; elle n'a pas vu non plus l'état dans lequel il était lorsqu'il a été retourné à Pirate Cove, la première fois. Le défendeur a déposé en preuve le témoignage non contesté de la femme de ménage qui aurait nettoyé l'intérieur du bateau, à son retour à Pirate Cove, et qui a déposé un court affidavit dans lequel elle indiquait qu'il y avait une odeur de moisi dans la cabine et des taches d'humidité sur le matelas. Il s'agit du matelas installé près de la porte-fenêtre, tout au fond de la cabine arrière, porte qui, selon la preuve, est souvent laissée ouverte, y compris par les Laflamme.
[60] Après avoir examiné la preuve dans son ensemble, je n'y trouve aucun élément me convainquant que les dégâts d'eau ont été causés pendant que le bateau était sous la garde de Deep Shore. Plus important encore, l'expert du défendeur a lui-même nié que les dégâts d'eau à l'intérieur du bateau avaient pu découler du fait que les fenêtres étaient restées ouvertes pendant qu'il était au chantier de Deep Shore. M. Godwin affirme catégoriquement que, selon lui, les dommages qu'il a observés, et qu'il confirme dans son rapport, sont entièrement dus à une mauvaise installation de la tôle gaufrée.
[61] Soulignons que le défendeur n'a jamais plaidé que l'installation de la tôle gaufrée était à l'origine ou était la cause des dégâts d'eau sur le bateau et qu'il s'agit là d'une thèse nouvelle. Plusieurs affidavits ont été déposés à titre de preuve principale de M. Laflamme. Le premier, souscrit le 11 juin 2004, est conforme aux actes de procédure; il fait état de la conviction du défendeur que les dégâts d'eau et les cernes d'humidité qu'il a observés lorsque le bateau a été ramené à Pirate Cove ont été causés par l'omission de la demanderesse de couvrir le bateau et de fermer les fenêtres. Ces actes de procédure n'ont pas été modifiés par la suite.
[62] De plus, dans sa demande reconventionnelle, le défendeur n'a pas demandé une évaluation des dommages; il a simplement fixé le montant des dommages-intérêts à 8 166,50 $. Comme il n'a pas modifié sa réclamation, le demandeur reconventionnel n'a pas le droit, en tout état de cause, d'obtenir une somme supérieure à celle qu'il a alléguée et réclamée.
[63] Je vais maintenant examiner l'opinion de M. Godwin concernant la cause des dommages provoqués par l'eau sur la structure de la cabine arrière. Sur cette question, je déterminerai en premier lieu si M. Turner a la qualité nécessaire pour agir à titre de témoin expert en contre-preuve.
[64] Comme le fait valoir l'avocat de la demanderesse, il n'est pas nécessaire qu'un témoin expert possède des titres de compétence précis pour avoir la qualité d'expert. Il suffit qu'il « possède des connaissances et une expérience spéciales qui dépassent celles du juge des faits » . R. c. Marquard, [1993] 4 R.C.S. 223, au paragraphe 35, citant R. c. Beland, [1987] 2 R.C.S. 398, au paragraphe 16. Sopinka, Lederman et Bryant abondent dans le même sens, dans The Law of Evidence in Canada (1992), aux pages 536 et 537 :
[Traduction] L'admissibilité du témoignage [d'expert] ne dépend pas des moyens grâce auxquels cette compétence a été acquise. Tant qu'elle est convaincue que le témoin possède une expérience suffisante dans le domaine en question, la cour ne se demandera pas si cette compétence a été acquise à l'aide d'études spécifiques ou d'une formation pratique, bien que cela puisse avoir un effet sur le poids à accorder au témoignage.
[65] Même s'il n'est pas un expert dans la construction navale ou les réparations de navires, M. Turner a néanmoins une vaste expérience des bateaux. Cela dit, j'ai accepté son témoignage et lui ai accordé un certain poids dans la mesure seulement où il est personnellement au courant de ce qui est arrivé au Polish Princess au cours des dix dernières années. Le témoignage de M. Turner a fourni des renseignements utiles en fonction desquels il est possible d'évaluer le témoignage de M. Godwin.
[66] Ainsi, je n'ai accordé aucun poids aux déclarations de M. Turner en ce qui concerne son expérience avec son propre Georgian Steel, cette partie de son témoignage ayant une simple valeur anecdotique et n'étant donc pas pertinente. J'ai accordé le même traitement aux souvenirs de M. Turner fondés sur du ouï-dire, selon lesquels M. Laflamme aurait demandé un devis pour faire refaire le toit de la cabine arrière.
[67] Le témoignage de M. Turner concernant ce qu'il savait de l'histoire du bateau était clair et cohérent. Pour sa part, M. Laflamme n'a produit aucun élément de preuve quant à l'historique des réparations effectuées sur le bateau. Il a nié que les employés de Pirate Cove, y compris M. Turner, sont montés à bord pour réparer une fuite ou appliquer du calfeutrage et il n'a aucun souvenir de telles interventions. Il a reconnu à contrecoeur que le poste de commandement fait de contreplaqué était pourri et qu'il avait fallu le remplacer. (C'était M. Godwin lui-même qui avait effectué ce travail quand il travaillait à Pirate Cove). Ni M. Laflamme, ni Mme Laflamme ne se rappelaient que la fenêtre située à l'arrière de la cabine avant, inclinée vers la cabine arrière, était pourrie et avait dû être remplacée. Par ailleurs, les Laflamme n'ont pas nié que leur armoire à vêtements a subi des fuites et des dégâts d'eau, même après les travaux de réaménagement à l'intérieur. Mme Laflamme a simplement affirmé que les dommages n'étaient pas assez graves pour l'obliger à jeter ses vêtements. M. Laflamme a confirmé, mais seulement après qu'on lui eut posé la question, qu'il avait fait réparer le revêtement en fibre de verre du toit de la cabine arrière, dans son propre atelier et par ses propres ouvriers; l'étendue des réparations effectuées n'a cependant pas été dévoilée.
[68] Quant à M. Godwin, il a déclaré que près de 80 % du contreplaqué formant les murs qui soutiennent la structure de la cabine arrière de même que les chevrons en contreplaqué de 35mm à l'extérieur du périmètre du toit étaient pourris et avaient dû être remplacés. Tous ces dommages, causés en un laps de temps relativement court, seraient entièrement attribuables à l'installation de la tôle gaufrée.
[69] L'une des photographies qui illustrent bien dans quel l'état se trouvait l'intérieur des murs est la photo n ° 6, prise à bâbord. Elle montre les murs en contreplaqué de la cabine arrière laissés à nu. À certains endroits, on voit seulement des taches causées par l'eau sur le contreplaqué. Ailleurs, la photo montre une concentration de bois presque entièrement noirci, pourri et désintégré. Les surfaces noircies et pourries sont surtout concentrées sous la fenêtre inclinée, au fond de la cabine avant, tout autour des fenêtres à bâbord et tout le long de la presque totalité de la partie arrière du mur, derrière la cabine arrière.
[70] La concentration de bois en décomposition indique une importante accumulation de moisissure aux endroits qui, d'après les éléments de preuve, sont exposés aux dommages habituellement causés par l'eau en raison de l'âge du bateau, de son état et de son histoire.
[71] Dans son témoignage, M. Godwin reconnaît lui-même que les dommages [traduction] « catastrophiques » sont probablement survenus avec le temps. Il a déclaré qu'avec l'usage, on doit s'attendre à ce que l'eau provoque des dommages autour de la fenêtre, que l'eau s'infiltre à la base de l'accastillage ou des rambardes à l'extérieur du périmètre du toit ou du pont de la cabine arrière et que l'eau pénètre à travers les fissures du revêtement en fibre de verre, qui se forment inévitablement avec le temps. Toutefois, tous ces dommages seraient localisés, selon lui. La preuve photographique démontre que le bois en cours de décomposition ou pourri est effectivement localisé à ces endroits, même s'il ne se limite pas au point de pénétration. Surtout au fond de la cabine arrière, là où l'eau se dirige et s'accumule du fait que l'arrière du bateau s'incline vers le bas, lorsque le bateau est dans l'eau. C'est également au fond de la cabine arrière que se trouvent la porte-fenêtre et la salle de bain, là où l'eau s'est infiltrée dans l'armoire à vêtements et où les propriétaires ont eu des problèmes chroniques.
[72] J'ai examiné le compte rendu fait par M. Turner des problèmes d'infiltration d'eau qu'a eus le bateau dans le passé, le témoignage des ouvriers de Deep Shore concernant l'état général du bateau à son arrivée à Deep Shore, et le témoignage de M. Curtis, en particulier sur le fait qu'à certains endroits, il était incapable de trouver suffisamment de matériau dans les murs pour y fixer un boulon. Prise dans son ensemble, la preuve indique, selon moi, que l'eau s'est infiltrée dans le bateau au fil du temps, suffisamment pour faire pourrir le bois aux endroits précis où l'on peut s'attendre que l'eau se soit infiltrée et accumulée pendant les 28 années du Polish Princess dans l'eau.
[73] En ce qui concerne les défauts dans la tôle gaufrée, je suis convaincue par le témoignage de M. Godwin, selon lequel la tôle n'était pas étanche et aurait laissé l'eau s'infiltrer et pénétrer entre les joints ou les raccords de la tôle. M. Turner reconnaît ce fait. Cela dit, on ne peut voir aucun trou ni aucun vide dans la tôle. Dans les circonstances, on ne sait pas clairement quelle quantité d'eau a pu pénétrer sous la tôle. Très peu, selon M. Turner.
[74] De plus, le bateau n'a pas été exposé aux intempéries puisqu'il est resté sous une toile moulante pendant une bonne partie de la période visée. En outre, aucune preuve de température extrême n'a été déposée, hormis une seule chute de pluie. Aucune preuve n'a été fournie pour démontrer l'existence des masses d'eau qui, selon M. Godwin, auraient pu causer de tels dommages en un si court laps de temps.
[75] Non seulement la preuve n'établit pas quelles quantités d'eau se sont effectivement infiltrées à travers la tôle mais, en outre, on doit s'en remettre aux seules conjectures pour départager les dommages, s'il en est, qui auraient été causés par les infiltrations d'eau sous la tôle et les dommages qu'avait déjà subis le bateau auparavant.
[76] De toute façon, le propriétaire du bateau avait l'obligation de corriger ou de limiter les dommages que l'infiltration d'eau à travers la tôle a pu provoquer. Selon leurs témoignages, M. et Mme Laflamme étaient au courant en juin 2003 des dommages causés par l'eau. M. Laflamme a pris à cette époque les photos qu'il a jointes à son affidavit. S'il y avait eu de l'eau sous leurs pieds lorsqu'ils marchaient sur la tôle gaufrée, ils l'auraient entendue. Le propriétaire avait l'obligation, dès ce moment, de prendre des mesures pour corriger la situation.
[77] Le propriétaire n'était pas non plus dispensé d'agir pour protéger le bateau contre les dommages parce qu'il avait été saisi. La possession et la responsabilité du bateau saisi ne sont pas modifiées du fait de la saisie. International Marine Banking Co. c. « Dora » (Le), [1977] 1 C.F. 282, 1re inst. Suivant le paragraphe 483(1) des Règles des Cours fédérales (les Règles), la possession et la responsabilité des biens saisis en vertu des Règles ne reviennent pas au shérif mais à la personne qui était en possession des biens immédiatement avant la saisie.
[78] Dans les circonstances, le demandeur reconventionnel n'ayant prouvé ni les dégâts d'eau causés au bateau en raison des travaux de Deep Shore, ni les coûts, le cas échéant, des éventuelles mesures prises pour limiter les dommages, il n'a pas droit aux dommages-intérêts réclamés dans sa demande reconventionnelle.
[79] Quant au montant des intérêts auxquels la demanderesse a droit sur la deuxième facture, le taux d'intérêt réclamé par la demanderesse dans sa déclaration est de un et demi pour cent (1,5 %) par mois jusqu'à la date de paiement, ce qui correspond au taux d'intérêt applicable aux sommes en souffrance indiqué dans la deuxième facture. Pour les motifs exposés plus haut, ce taux d'intérêt n'est pas opposable au propriétaire. Puisque la demanderesse n'a déposé aucune preuve quant aux frais d'emprunt ou aux coûts résultant de la perte d'usage des sommes en cause, j'ai fixé le taux d'intérêt avant jugement au taux en vigueur sur les sommes consignées à la Cour, calculé de la même manière que pour les sommes consignées à la Cour.
[80] En résumé, je conclus que la demanderesse a droit à la somme de 12 776,20 $, avec les intérêts avant jugement au taux en vigueur sur les sommes consignées à la Cour, à compter du 8 juin 2003, date de la facture, jusqu'à la date du jugement, ainsi que les intérêts après jugement jusqu'au paiement final.
[81] La demande reconventionnelle du défendeur, demandeur reconventionnel, sera rejetée dans sa totalité.
[82] Les dépens de l'action et de la demande reconventionnelle sont adjugés à la demanderesse.
[83] L'avocat de la demanderesse devra rédiger un projet de jugement donnant effet aux présentes conclusions, ce projet devant être approuvé quant à la forme par le défendeur, comme le prévoit l'article 394 des Règles.
« Roza Aronovitch »
Protonotaire
Traduction certifiée conforme
Suzanne Bolduc, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-1271-03
INTITULÉ : DEEP SHORE MARINE
CONTRACTING INC. c. LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE M.V. « POLISH PRINCESS »
LIEU DE L'AUDIENCE : OTTAWA (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LES 11 ET 12 AVRIL 2005
MOTIFS DU JUGEMENT : LA PROTONOTAIRE ARONOVITCH
DATE DES MOTIFS : LE 18 NOVEMBRE 2005
COMPARUTIONS:
NICHOLAS KATSEPONTES POUR LA DEMANDERESSE
WENDY PARKES POUR LES DÉFENDEURS
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:
BURTON GREGOROPOULOS KATSEPONTES POUR LA DEMANDERESSE
OTTAWA (ONTARIO)
MCFARLANE LEPSOE POUR LES DÉFENDEURS
OTTAWA (ONTARIO)