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Date : 20201019


Dossier : T‑122‑19

Référence : 2020 CF 981

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 octobre 2020

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

demanderesse

et

KILBACK STOCK FARM LTD.,

ALLEN BLAIR KILBACK et

DENISE ANNE KILBACK

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Il s’agit d’une procédure de requête écrite, au sens de l’article 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles], engagée pour le compte de la demanderesse, Sa Majesté la Reine du chef du Canada [la Couronne]. La demanderesse sollicite, en application du paragraphe 213(1) des Règles, une ordonnance accordant en sa faveur un jugement sommaire d’un montant de 595 046,62 $ en date du 10 mars 2020, plus les intérêts et les dépens connexes.

[2] L’action en question a trait à une créance envers la Couronne, sur le fondement d’une demande présentée par la personne morale défenderesse, Kilback Stock Farm Ltd. [Kilback Farm], ainsi qu’à un paiement anticipé fait sous le régime fédéral de la Loi sur les programmes de commercialisation agricole, LC (1997), c 20 [la LPCA] par la Manitoba Pork Credit Corporation [la MPCC] à Kilback Farm pour l’année de récolte 2008‑2009. En leur qualité d’actionnaires de Kilback Farm, les défendeurs Allen Blair Kilback et Denise Anne Kilback [les défendeurs individuels] ont garanti le remboursement du paiement anticipé.

[3] Le 2 juillet 2020, la demanderesse a déposé son dossier de requête. Ce dernier comprenait, à l’appui de la requête, l’affidavit de Mark De Luca, superviseur des agents de recouvrement, Bureau d’Ottawa, Agriculture et Agroalimentaire Canada [AAC], souscrit le 26 mai 2020 [l’affidavit de De Luca] ainsi que l’affidavit de Shelley Warner, parajuriste au ministère de la Justice, souscrit le 25 juin 2020 [l’affidavit de Warner]. La demanderesse a également déposé une réponse le 5 octobre 2020. Elle soutient que la Cour dispose de tous les éléments nécessaires pour établir l’obligation des défendeurs à l’égard de cette créance et qu’il n’y a pas de véritable question litigieuse.

[4] Le 25 septembre 2020, les défendeurs ont déposé leur dossier de requête, qui incluait l’affidavit d’Allen Kilback, en qualité de défendeur particulier et d’ancien chef de la direction de Kilback Farm, souscrit le 25 septembre 2020. Les défendeurs voudraient que la demande de la demanderesse à l’encontre des cautions soit rejetée pour cause d’expiration du délai de prescription applicable et que sa demande à l’encontre de Kilback Farm soit mise au rôle.

Le contexte factuel

[5] Le contexte factuel n’est généralement pas contesté et les documents justificatifs pertinents sont joints en tant que pièces à l’affidavit de De Luca.

[6] En avril 2008, Kilback Farm a présenté une Demande et accord de remboursement – Informations sur la personne morale / coopérative / société de personnes en vue d’obtenir un paiement anticipé sous le régime de la LPCA pour l’année de récolte 2008‑2009 [l’accord de paiement anticipé]. La demande comprenait une garantie conjointe et solidaire concernant le paiement anticipé et signée par chacun des défendeurs individuels le 18 avril 2008 [l’affidavit de De Luca, para 2 et 4, pièce A].

[7] Kilback Farm a reçu le paiement anticipé, d’un montant total de 400 000 $, le 30 avril 2008 et le 5 mai 2008, ou aux environs de ces dates [le paiement anticipé]. Le montant total à rembourser au 31 décembre 2018 s’élevait à 557 639,19 $ (affidavit de De Luca, para 3, pièces B et C).

[8] Le 6 avril 2009, Allen Kilback, en qualité de signataire autorisé, a signé un accusé de réception d’une lettre datée du 24 mars 2009 envoyée par la MPCC à Kilback Farm au sujet du Programme de paiements anticipés [le PPA]. Cette lettre indiquait que le ministre avait accordé un sursis à la mise en défaut pour les éleveurs de porc et de bétail, relativement aux avances de 2008‑2009 reçues dans le cadre du PPA et, en signant l’accusé de réception, les producteurs consentaient à rembourser leurs avances impayées pour 2008‑2009 conformément aux conditions énoncées dans la lettre (affidavit de De Luca, para 5, pièce D).

[9] Le 3 décembre 2010, la MPCC a envoyé à Kilback Farm une lettre indiquant que, au 1er octobre 2010, le ministre avait accordé un autre sursis à la mise en défaut pour les producteurs de porc ayant des paiements anticipés du PPA qui étaient en souffrance pour la période de production de 2008. Le nouveau sursis prorogerait le délai de remboursement au 31 mars 2013. La lettre demandait que chaque actionnaire passe en revue le document de reconnaissance qui y était joint et elle indiquait que si le producteur était une personne morale, seul le fondé de signature devait le signer. Le 24 janvier 2011, Allen Kilback a signé le document de reconnaissance, acceptant ainsi les conditions décrites du sursis à la mise en défaut (affidavit de De Luca, para 6 et 7, pièces E et F).

[10] Le 29 mars 2012, Allen Kilback, en qualité de chef de la direction, producteur et actionnaire de Kilback Farm, a signé une modification du PPA à la Demande et accord de remboursement [la modification à l’accord de paiement anticipé] qu’avaient conclue la MPCC et Kilback Farm pour le compte de cette entité (affidavit de De Luca, para 8, pièce G).

[11] Après la date de défaut du 31 mars 2013, la MPCC a envoyé des lettres datées du 3 mai 2013 et du 23 mai 2013 aux défendeurs, les avisant que le paiement anticipé qu’ils avaient reçu de la MPCC était maintenant en défaut, exigeant le remboursement du montant impayé plus les intérêts et les frais, et indiquant les options de paiement disponibles (affidavit de De Luca, para 9, pièces H et I). Le 16 août 2013, la MPCC a aussi envoyé un courriel aux défendeurs individuels au sujet de l’option de remboursement qu’ils souhaitaient choisir. Elle a envoyé un autre courriel daté du 16 octobre 2013, disant qu’étant donné qu’il n’y avait eu aucune communication depuis le 5 septembre 2013, le dossier serait transmis à AAC qui, à son tour, enverrait le dossier à son service de recouvrement (affidavit de De Luca, para 9, pièces J et K).

[12] Par une lettre datée du 18 février 2014, la Section des réclamations pour mise en défaut d’un paiement anticipé d’AAC a informé la MPCC que le ministre avait honoré la garantie, en application de l’article 5 de la LPCA pour le compte du producteur, Kilback Farm. Le ministre a versé à la MPCC un paiement de 446 058,03 $ (affidavit de De Luca, para 10, pièces L et M).

[13] AAC a envoyé à Kilback Farm des lettres datées du 21 mars 2014, du 10 septembre 2014, du 30 octobre 2014, du 27 novembre 2015, du 6 mai 2016, du 21 octobre 2016 et du 23 mai 2017, l’informant du solde impayé et demandant une réponse (affidavit de De Luca, para 11, pièce N).

[14] L’affidavit de De Luca indique qu’à la date du défaut, soit le 1er avril 2013, le solde impayé du paiement anticipé, de pair avec les intérêts calculés à compter de la date de versement du paiement, selon l’alinéa 6.2a) des conditions énoncées dans la Demande et accord de remboursement, s’élevait à 438 379,80 $ (affidavit de De Luca, para 12, pièce C). Après la date de défaut, selon l’alinéa 6.2b) des conditions énoncées dans la Demande et accord de remboursement, les intérêts s’accumulent sur le montant impayé au taux préférentiel plus 1,5 %, calculés quotidiennement et composés mensuellement, jusqu’à la date du paiement intégral (affidavit de De Luca, para 13, pièce C). De plus, la demanderesse avait tenté de percevoir des paiements auprès des défendeurs, mais ceux‑ci avaient omis ou négligé de payer la créance. Les défendeurs avaient donc contrevenu aux dispositions de l’accord de paiement anticipé (affidavit de De Luca, para 14).

[15] Une demande finale de paiement a été faite au moyen de lettres datées du 6 décembre 2017 et envoyées par le ministère de la Justice à Allen Kilback et à Denise Kilback (affidavit de Werner, para 3, pièces A et B).

[16] La demanderesse a engagé la présente action le 14 janvier 2019.

[17] L’affidavit de Warner présente un calcul des montants à payer, conformément à l’accord de paiement anticipé, ainsi que le calcul fait par la demanderesse des dépens et des débours qu’elle réclame.

[18] Dans leurs observations écrites, les défendeurs indiquent que les faits ne sont pas contestés, sauf pour ce qui est des points suivants :

  • a) Les cautions (les défendeurs individuels) n’ont pas souscrit à des prorogations de délai pour le remboursement ou à la modification de l’accord de prêt initial;

  • b) Les cautions n’ont reconnu la créance à aucun moment après le versement du paiement anticipé;

  • c) Ni la débitrice principale (KilbackFarm) ni les cautions n’ont convenu d’un délai autre que le délai de prescription provincial.

La question en litige

[19] Selon la demanderesse, l’unique question à trancher consiste à savoir s’il y a lieu de rendre un jugement sommaire en sa faveur, à l’encontre des défendeurs.

[20] Les défendeurs n’ont pas traité expressément de la question de savoir s’il y avait lieu de rendre un jugement sommaire, mais ils soulèvent un certain nombre de questions : quel est l’effet de la subrogation de la demande de la demanderesse, quel est le délai de prescription applicable, le délai de prescription a‑t‑il été modifié par contrat, quand le délai de prescription a‑t‑il commencé à courir, quel est l’effet de l’expiration du délai de prescription, quel est l’effet de la modification de l’accord de prêt, et la demanderesse est‑elle précluse de faire valoir sa réclamation?

[21] À mon avis, ce qui doit être tranché dans la présente requête est déterminé par le paragraphe 215(1) des Règles.

[22] Le paragraphe 215(1) des Règles indique que si, par suite d’une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense, elle rend un jugement sommaire. Aux termes de l’alinéa 215(2)b) des Règles, si la Cour est convaincue que la seule véritable question litigieuse est un point de droit, elle peut statuer sur celui‑ci et rendre un jugement sommaire.

[23] Dans l’arrêt Manitoba c Canada, 2015 CAF 57, la Cour d’appel fédérale a examiné l’article 215 des Règles et, citant l’arrêt Burns Bog Conservation Society c Canada, 2014 CAF 170, elle a décrété qu’il n’y a pas de véritable question litigieuse s’il n’y a pas de fondement juridique à la demande, compte tenu du droit ou de la preuve invoquée (para 15). La Cour a conclu que cela concordait avec l’arrêt Hryniak c Mauldin, 2014 CSC 7, où la Cour suprême du Canada a statué qu’il n’y a pas de véritable question litigieuse s’il n’y a pas de fondement juridique à la demande ou si le juge a la preuve requise pour trancher le litige de façon juste et équitable.

[24] La partie requérante a le fardeau d’établir qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse, mais l’article 214 des Règles exige que la partie qui répond à une requête en jugement sommaire énonce des faits précis et produise des éléments de preuve qui démontrent l’existence d’une telle question. Cette partie est tenue de « présenter sa cause sous son meilleur jour » ou à « jouer atout ou risquer de perdre » (Source Enterprises ltd c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 966, au para 18). En d’autres termes, « bien que dans une requête en jugement sommaire, le fardeau ultime incombe à la partie requérante, la partie intimée est tenue de présenter des éléments de preuve établissant l’existence d’une véritable question litigieuse » (Cabral c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CAF 4 au para 23). Le critère consiste à déterminer si le succès de l’affaire est à ce point douteux que celle‑ci ne mérite pas d’être examinée davantage (Granville Shipping Co. c Pegasus Lines Ltd., [1996] 2 CF 853).

[25] Je suis persuadée que cette question peut être tranchée de manière sommaire. Le fait de savoir si les défendeurs ont, en l’espèce, une véritable question litigieuse dépend de celui de savoir quel délai de prescription s’applique, quand il a commencé à courir et, s’agissant des défendeurs individuels en qualité d’actionnaires/cautions, si les sursis à la mise en défaut et la modification à l’accord de paiement anticipé ont maintenu leurs obligations de garantie. Il n’y a pas de véritable question litigieuse parce que la preuve dont je dispose suffit pour trancher la question de manière juste et équitable (voir Leo Ocean S.A. c Westshore Terminals Limited Partnership, 2015 CAF 282). Et, même si cette question est assimilable à une question véritable, il s’agit d’un point de droit, que je suis en mesure de trancher et, cela étant, je puis régler l’affaire par voie de jugement sommaire.

Le régime législatif

[26] L’objet du PPA est décrit à l’article 4 de la LPCA : favoriser la commercialisation des produits agricoles des producteurs admissibles en garantissant le remboursement des avances qui leur sont octroyées afin d’augmenter leurs liquidités. La LPCA crée un régime dans le cadre duquel des organismes d’administration, appelés « agents d’exécution », qui prennent part à la commercialisation d’un produit agricole particulier – la MPCC en l’occurrence – versent des paiements anticipés à des producteurs agricoles. Ceux de ces derniers qui obtiennent un paiement anticipé sont tenus de rembourser l’avance, plus des intérêts, aux agents d’exécution. Les paiements anticipés que versent les agents d’exécution à des producteurs sont garantis par le ministre, au cas où ces producteurs feraient défaut d’effectuer leur remboursement.

[27] Un producteur particulier qui souhaite obtenir un paiement anticipé peut le faire en concluant un accord de remboursement avec l’agent d’exécution (LPCA, art 10(2)). Le paragraphe 10(1) de la LPCA énumère les conditions d’admissibilité d’un producteur à une avance garantie pendant une année de programme, dont la suivante :

(d) s’agissant d’une personne morale à plusieurs actionnaires, d’une société de personnes, d’une coopérative ou de toute autre association de personnes, il est satisfait aux exigences suivantes :

(ii) soit tous les actionnaires, associés ou membres, selon le cas, s’engagent solidairement par écrit envers l’agent d’exécution pour les sommes visées à l’article 22 et donnent en garantie du remboursement de l’avance les sûretés que peut exiger l’agent d’exécution, soit une caution visée par règlement s’engage par écrit pour de telles sommes et donne de telles sûretés;

[28] L’article 22 précise qu’un producteur défaillant est redevable à l’agent d’exécution du montant non remboursé de l’avance garantie, ainsi que des intérêts et des frais connexes. Aux termes de l’article 23 de la LPCA, si un producteur est en défaut relativement au remboursement d’une avance, l’agent d’exécution peut demander au ministre de rembourser le montant exigible, à la place du producteur. Dans un tel cas, le ministre est subrogé dans les droits de l’agent d’exécution à l’encontre du producteur, ainsi que des personnes qui sont solidairement responsables avec ce dernier :

23(1) Si le producteur est en défaut relativement à un accord de remboursement, le ministre doit, après réception d’une demande en ce sens de l’agent d’exécution ou du prêteur à qui, le cas échéant, la garantie a été donnée, lui remettre, conformément à l’accord de garantie d’avance et sous réserve des règlements pris en vertu des alinéas 40(1)g) ou g.1), la somme correspondant aux sommes mentionnées aux alinéas 22a) et c) et les intérêts — autres que ceux payés par le ministre en application du paragraphe 9(1) — sur la somme non remboursée de l’avance garantie calculée au taux prévu dans l’accord de garantie d’avance, courus à partir de la date du versement de l’avance.

(2) Le ministre est subrogé dans les droits de l’agent d’exécution contre le producteur défaillant et les personnes qui se sont engagées au titre des alinéas 10(1)c) et d), à concurrence du paiement qu’il fait en application des paragraphes (1) ou (1.1). Il peut notamment prendre action, au nom de l’agent d’exécution ou au nom de la Couronne, contre ce producteur et ces personnes.

(3) Le producteur est redevable au ministre des frais engagés par celui‑ci pour procéder au recouvrement en vertu du paragraphe (2), y compris les frais juridiques et les intérêts sur le montant des frais calculés conformément à l’accord de remboursement.

(4) Sous réserve des autres dispositions du présent article, toute poursuite visant le recouvrement par le ministre d’une créance relative au montant non remboursé de l’avance, aux intérêts ou aux frais se prescrit par six ans à compter de la date à laquelle il est subrogé dans les droits de l’agent d’exécution.

[29] Je signale que le passage cité ci‑dessus est tiré de la version de la LPCA qui était en vigueur à l’époque où les défendeurs ont présenté leur demande de paiement anticipé (L.C. 1997, c 20), et qui, dit la demanderesse, est la version applicable de la loi. En 2015, divers articles de la LPCA ont été modifiés (Loi sur la croissance dans le secteur agricole, LC (2015), c 2, art 136(2)), y compris l’article 23, où la disposition concernant le délai de prescription a été changée et où les paragraphes 23(6) à 23(9) ont été ajoutés. Le texte de l’article 23 est aujourd’hui le suivant :

(2) Le ministre est subrogé dans les droits de l’agent d’exécution contre le producteur défaillant et les personnes qui se sont engagées au titre des alinéas 10(1)c) et d), à concurrence du paiement qu’il fait en application des paragraphes (1) ou (1.1). Il peut notamment prendre action, au nom de l’agent d’exécution ou au nom de la Couronne, contre ce producteur et ces personnes.

(3) Le producteur est redevable au ministre des frais engagés par celui‑ci pour procéder au recouvrement en vertu du paragraphe (2), y compris les frais juridiques et les intérêts sur le montant des frais calculés conformément à l’accord de remboursement.

(4) Sous réserve des autres dispositions du présent article, toute poursuite visant le recouvrement par le ministre d’une créance relative au montant non remboursé de l’avance, aux intérêts ou aux frais se prescrit par six ans à compter de la date à laquelle il est subrogé dans les droits de l’agent d’exécution.

(5) Le recouvrement, par voie de compensation ou de déduction, du montant d’une telle créance peut être effectué en tout temps sur toute somme à payer par l’État à la personne ou à sa succession.

(6) Si une personne reconnaît, même après l’expiration du délai de prescription, qu’elle est responsable d’une telle créance, la période courue avant cette reconnaissance de responsabilité est exclue du calcul du délai de prescription et une poursuite en recouvrement peut être intentée dans les six ans suivant la date de la reconnaissance de responsabilité.

(7) Constituent une reconnaissance de responsabilité :

(a) la promesse écrite de payer la créance exigible, signée par la personne, son mandataire ou autre représentant;

(b) la reconnaissance écrite de l’exigibilité de la créance, signée par la personne, son mandataire ou autre représentant, que celle‑ci contienne ou non une promesse implicite de payer ou une déclaration de refus de paiement;

(c) le paiement, même partiel, de la créance exigible par la personne, son mandataire ou autre représentant;

(d) la reconnaissance par la personne, son mandataire, son représentant, le syndic ou l’administrateur de l’exigibilité de la créance, dans le cadre de mesures prises conformément à la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, à la Loi sur la médiation en matière d’endettement agricole ou à toute autre loi relative au paiement de dettes;

(e) l’exécution par la personne de toute obligation imposée par l’accord de remboursement mentionné au paragraphe (1).

(8) Toute période au cours de laquelle il est interdit d’intenter ou de continuer contre la personne des poursuites en recouvrement d’une créance exigible est exclue du calcul de tout délai prévu au présent article.

(9) Le présent article ne s’applique pas aux poursuites relatives à l’exécution, à la mise en œuvre ou au renouvellement d’une décision judiciaire.

[30] Les défendeurs ne font aucune observation précise à propos de la version de l’article 23 qui s’applique en l’espèce et, à mon avis, ce point n’a aucune incidence dans les présentes circonstances.

Le délai de prescription applicable

[31] Les défendeurs soutiennent que la LPCA ne fixe pas un délai de prescription distinct pour la créance principale et que celle‑ci est donc régie par le délai de prescription provincial. Ils ajoutent que le paragraphe 7.8 de l’accord de paiement anticipé indique que celui‑ci doit être interprété d’une manière conforme aux lois de la province de la Saskatchewan. La Limitations Act, SS 2004, c L‑16.1, de cette province prévoit, à l’article 5, un délai de prescription de deux ans. Selon les défendeurs, même si le paragraphe 23(4) de la LPCA change quelque peu le délai de prescription, il est subordonné au paragraphe 23(2). En outre, le paragraphe 23(4) confirme que la demande du ministre est de nature dérivée. De ce fait, tant que le ministre n’effectue pas le paiement de garantie qui déclenche le délai de prescription de six ans, c’est le délai de prescription de deux ans de la Saskatchewan qui s’applique. Dans le cas présent, le ministre a versé le paiement de garantie après l’expiration du délai de prescription de deux ans de la MPCC à l’égard de la créance principale, et le paiement de la garantie, par la Couronne, [traduction] « ne rétablit pas la capacité [du ministre] d’intervenir parce que la créance est encore une demande dérivée ». C’est‑à‑dire que la Couronne fédérale devrait se trouver dans la même situation que la MPCC pour ce qui est du délai de prescription.

[32] À mon avis, la position des défendeurs ne peut être retenue.

[33] Comme l’a signalé la demanderesse, la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, LRC (1985), c C‑50 dispose que les règles de droit provinciales en matière de prescription ne s’appliquent pas dans les cas où le législateur a prévu ses propres dispositions en matière de délai de prescription dans une loi fédérale :

32 Sauf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s’appliquent lors des poursuites auxquelles l’État est partie pour tout fait générateur survenu dans la province. Lorsque ce dernier survient ailleurs que dans une province, la procédure se prescrit par six ans.

[34] Dans le cas présent, c’est exactement ce que fait la loi fédérale applicable, la LPCA, par l’entremise du paragraphe 23(4), qui exige que le ministre engage une poursuite dans les six années suivant « la date à laquelle [il] est subrogé dans les droits de l’agent d’exécution ». Le fait que le paragraphe 7.8 de l’accord de paiement anticipé indique que celui‑ci doit être interprété d’une manière conforme aux lois de la Saskatchewan ne change pas le fait que le paragraphe 23(4) de la LPCA supplante le délai de prescription de la Saskatchewan qui pourrait s’appliquer par ailleurs au droit d’action du ministre.

[35] Notre Cour a récemment été saisie de requêtes en jugement sommaire en vue du recouvrement de paiements anticipés versés sous le régime de la LPCA dans les affaires suivantes : Canada c Klesse, 2020 CF 45 [décision Klesse], Canada c Moodie, 2020 CF 46 [décision Moodie], Canada c Harman, 2020 CF 47 [décision Harman], et Canada c McKinna, 2020 CF 48 [décision McKinna]. Dans chacune de ces actions, les défendeurs avaient fait défaut de rembourser les paiements anticipés, et le ministre avait pris action dans les six années suivant la date de sa subrogation dans les droits de l’agent d’exécution. Les défendeurs faisaient valoir que le ministre était lié par les délais de prescription provinciaux qui se seraient appliqués à l’accord de remboursement conclu entre les producteurs et les agents d’exécution respectifs.

[36] Le juge Pentney a tranché ces quatre requêtes et il a conclu que le droit d’action du ministre était distinct de celui de l’agent d’exécution et qu’il était régi par la LPCA. Dans la décision Klesse, le juge Pentney est arrivé à la conclusion suivante :

[28] Le droit d’action de la demanderesse en l’espèce découle de l’application de la LPCA; il s’agit d’une demande de recouvrement fondée sur la loi, et non sur un contrat. Les dispositions applicables de la loi, en particulier les droits de subrogation du ministre, sont reflétées dans les accords signés par le défendeur, mais cela n’a pas pour effet d’en modifier la nature essentielle. Je n’accepte pas l’allégation du défendeur selon laquelle les demandes de cette nature doivent être interprétées comme des réclamations contractuelles ou des réclamations en equity. J’examinerai l’argument de l’[traduction] « attitude irréprochable » plus loin.

[29] J’estime que les accords et la LPCA sont cohérents et clairs : le droit du ministre d’intenter une action en recouvrement d’une créance ne peut être exercé que lorsque certaines conditions sont remplies. Premièrement, le producteur doit être en défaut de paiement (article 22 de la LPCA). Deuxièmement, l’agent d’exécution doit avoir présenté au ministre une demande de paiement correspondant au montant prévu par la loi et le règlement (paragraphe 23(1) de la LPCA). Troisièmement, le ministre doit avoir effectué un paiement à l’agent d’exécution, conformément à la demande faite en ce sens (paragraphes 23(1) et (1.1) de la LPCA). Ce n’est qu’une fois ces conditions réunies que le ministre est subrogé dans les droits de l’agent d’exécution (paragraphe 23(2) de la LPCA). Le cas échéant, le producteur est redevable au ministre du montant imputé par subrogation (paragraphe 23(3) de la LPCA). C’est à ce moment‑là que le délai de prescription commence à courir, sous réserve des autres dispositions relatives aux délais prescrits aux paragraphes 23(6) à (9) de la LPCA.

[…]

[32] Par conséquent, je rejette l’argument selon lequel les accords et la LPCA doivent être interprétés et appliqués comme si le ministre et les agents d’exécution formaient [traduction] « une seule et même entité ». Ce rejet repose sur plusieurs conclusions.

[33] D’abord, les droits de subrogation du ministre n’ont pas pris naissance lorsque le défendeur s’est retrouvé en défaut relativement aux accords. Les modalités des accords étaient assujetties aux dispositions de la LPCA, qui énonce les conditions préalables en vertu desquelles les droits de subrogation du ministre prennent naissance. Toute interprétation voulant que ces droits prennent naissance dès lors qu’il y a manquement à une obligation envers l’agent d’exécution est incompatible avec les modalités des accords et le régime de la LPCA.

(Voir aussi la décision Moodie, aux para 25‑31 et 34, la décision Harman, aux para 26‑35, et la décision McKinna, aux para 24‑33.)

[37] Je conviens avec la demanderesse que le législateur, au moyen du paragraphe 23(4) de la LPCA, a fixé le délai de prescription qui s’applique au ministre quand celui‑ci exerce un recours juridique pour recouvrer des montants imputés par subrogation qui sont à payer sous le régime de la LPCA et, de plus, que le droit d’action du ministre est distinct de celui de l’agent d’exécution, la MPCC en l’occurrence. C’est donc dire que la Limitations Act de la Saskatchewan ne s’applique pas à l’action subrogatoire du ministre, qui découle du fait que la Couronne honore sa garantie envers la MPCC à la suite du défaut des défendeurs de rembourser le paiement anticipé.

[38] Les défendeurs soutiennent toutefois que le délai de prescription applicable à la cause d’action de la MPCC à leur encontre a expiré avant que le ministre soit subrogé dans les droits de cette entité et que, de ce fait, le paragraphe 23(4) ne peut pas faire renaître la créance. Comme il a été mentionné plus tôt, dans la décision Klesse les droits de subrogation du ministre n’ont pas pris naissance quand le défendeur s’est retrouvé en défaut relativement aux accords de paiement anticipé en question. En tout état de cause, comme le souligne la demanderesse, les défendeurs n’ont pas été en défaut avant le 31 mars 2013. L’important est donc que la MPCC n’avait pas de cause d’action avant cette date. De plus, le ministre a versé le paiement de garantie à la MPCC le 14 février 2014, soit moins de deux ans avant la date du défaut, le 1er avril 2013. La cause d’action de la MPCC n’était pas prescrite par la Limitations Act de la Saskatchewan à ce moment‑là, et c’est donc dire que le délai de prescription de deux ans de la MPCC n’avait pas expiré quand le ministre lui a versé le paiement de garantie. La demanderesse a intenté la présente action le 14 janvier 2019, moins de six ans après que le ministre est devenu subrogé dans les droits de la MPCC et à l’intérieur du délai de prescription de six ans indiqué au paragraphe 23(4) de la LPCA.

[39] En définitive, je conclus que le délai de prescription de six ans que prévoit le paragraphe 23(4) de la LPCA s’applique à l’action subrogatoire du ministre, laquelle découle du fait que ce dernier a honoré la garantie accordée à la MPCC et, de plus, que ce délai de six ans n’avait pas expiré quand la demanderesse a intenté son action. Le délai de prescription de deux ans, fixé entre la MPCC et les défendeurs, n’avait pas expiré lui non plus quand le ministre a honoré la garantie en versant le paiement à la MPCC.

[40] Il reste donc à trancher la question de l’obligation des défendeurs individuels, en qualité d’actionnaires et de cautions de la créance.

L’obligation des cautions

i. L’expiration du délai de prescription

[41] Les défendeurs font valoir que les défendeurs individuels ont signé personnellement la garantie conjointe et solidaire en 2008, mais que l’obligation connexe ne prenait pas naissance sur demande, mais plutôt en cas de défaut. Ils invoquent la décision Walters c Meiner et al, 2004 BCSC 393, aux para 21‑24 [décision Walters] et Continental Steel Ltd. c CTL Steel Ltd, 2015 BCSC 1672 [décision Continental Steel], conf. 2018 BCCA 82, à l’appui de leur argument selon lequel, dans ces deux affaires, même si les débiteurs principaux avaient agi de manière à faire proroger le délai de prescription auquel ils étaient soumis, les tribunaux ont conclu que les mesures qu’ils avaient prises ne liaient pas les cautions. Cela étant, le délai de prescription n’avait pas été prorogé à l’encontre des cautions, même si celles‑ci étaient les administrateurs des personnes morales qui constituaient les débiteurs principaux. Les défendeurs soutiennent que, en l’espèce, même si la personne morale qui constituait le débiteur principal, Kilback Farm, a reconnu la créance, ce qui a donc eu pour effet de proroger le délai de prescription à l’encontre du débiteur principal, les défendeurs individuels, en qualité de cautions, ne l’ont pas fait. C’est donc dire que le délai de prescription visant les défendeurs individuels en qualité de cautions a commencé à courir à la [traduction] « date de défaut initiale » prévue par l’accord de paiement anticipé, qui, disent les défendeurs, mais sans expliquer comment ils arrivent à cette date, était le 30 septembre 2009.

[42] Je signale que, contrairement à la présente espèce, dans l’affaire Walters la demanderesse a admis que ses demandes étaient postérieures au délai prescrit par la Limitation Act de la Colombie‑Britannique. Dans cette affaire, la question litigieuse consistait à savoir si un paiement fait à l’intérieur du délai de prescription par le défendeur, qui était également l’administrateur et l’unique actionnaire de la société défenderesse, constituait une confirmation de la cause d’action, ce qui avait pour effet de proroger le délai de prescription et, ainsi, de ne pas prescrire les demandes. De plus, si le paiement était une confirmation de la société défenderesse, s’agissait‑il aussi d’une confirmation de la caution individuelle, qui avait fourni des billets à ordre payables sur demande (décision Walters, aux para 4, 5 et 16)? La Cour a conclu que le paiement fait par la société débitrice était une confirmation de la cause d’action de la demanderesse à l’égard de la totalité des billets à ordre (para 19).

[43] Pour ce qui était de savoir si le paiement partiel fait par la société débitrice constituait lui aussi une confirmation de la caution, la Cour a jugé que le fait que la caution était également un administrateur et un dirigeant de la société débitrice ne créait pas la prétendue relation de mandataire qui aurait par ailleurs lié la caution à la confirmation, conformément aux dispositions de la Limitation Act. De plus, les conditions de la garantie ne comportaient aucune exigence que l’obligation du débiteur individuel ne pouvait être déclenchée que par une demande formelle. Étant donné que chaque billet à ordre était payable sur demande, la cause d’action contre la société débitrice principale et contre la caution avait pris naissance au moment de l’établissement du billet à ordre, ou, à tout le moins, au moment du défaut de la débitrice, quand celle‑ci n’avait pas effectué le premier paiement d’intérêt mensuel. La Cour suprême de la Colombie‑Britannique a conclu que, dans ces circonstances, le paiement partiel fait par la société qui était la débitrice principale n’étendait pas la durée du délai de prescription visant la caution, et qu’il n’y avait aucune confirmation de la cause d’action engagée contre cette dernière. De ce fait, l’action intentée contre la caution à titre personnel était hors délai et elle a été rejetée.

[44] Dans l’affaire Continental Steel, la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a analysé une question semblable et a déclaré que si le libellé d’une garantie indique lui‑même que l’obligation de la caution n’est déclenchée qu’à la suite d’une demande formelle du créancier, le délai de prescription visant l’exécution de la garantie ne commence pas à courir avant que cette demande soit faite. Cependant, en l’absence d’un tel libellé, le délai de prescription visant l’exécution d’une garantie commence à courir au même moment où prend naissance la cause d’action relative à la créance (para 149). De plus, une confirmation du débiteur peut proroger le délai de prescription qui s’applique à la cause d’action relative à la créance. Cependant le paragraphe 5(7) de la Limitation Act de la Colombie‑Britannique, qui constituait la disposition prédominante, prévoyait qu’une confirmation ne s’appliquait de façon générale qu’à la partie qui l’effectuait (c’est‑à‑dire le débiteur, et non la caution) (para 52). Même si l’existence d’une relation de mandataire entre la caution et le débiteur pouvait être suffisante pour faire en sorte que la confirmation refixe le délai de prescription de manière à ce qu’il s’applique également à la caution, de telles relations surviennent rarement. Et même si la caution est l’administrateur de la société débitrice, ce fait ne sera pas nécessairement suffisant pour créer une telle relation de mandataire (para 151).

[45] Dans l’affaire Continental Steel, la garantie individuelle ne prescrivait pas de délai de paiement et n’exigeait pas pour être payable qu’une demande formelle de paiement soit faite; elle était exigible sur‑le‑champ. La Cour suprême de la Colombie‑Britannique a décrété que lorsqu’une garantie n’exige pas qu’une demande formelle soit faite à la caution avant qu’un paiement relatif à la garantie soit exigé, le délai de prescription visant la caution commence à courir aussitôt après que la garantie est donnée. De ce fait, l’obligation et le délai de prescription ont commencé à courir quand la garantie a été donnée, et, dans cette affaire, le paiement partiel fait par la société débitrice n’a pas prorogé le délai de prescription visant la garantie individuelle. En appel, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a fait remarquer que les conclusions du juge du procès sur ce point n’avaient pas été contestées (para 47).

[46] À mon avis, ces décisions n’aident pas la cause des défendeurs individuels.

[47] Les défendeurs n’affirment pas que le délai de prescription a commencé à courir au moment où la garantie a été donnée, comme dans le cas des billets à ordre dans l’affaire Walters. Ils reconnaissent que la créance était à payer en cas de défaut. Ils soutiennent toutefois que le délai de prescription a commencé à courir à la date de défaut initiale qui s’appliquait aux prêts, laquelle, disent‑ils, était le 30 septembre 2009, et que ce délai était donc expiré quand la demanderesse a intenté son action. Bien que Kilback Farm, la personne morale débitrice principale, ait reconnu la créance, faisant ainsi proroger le délai de prescription la visant en qualité de débitrice principale, les défendeurs individuels, en qualité de cautions, ne l’ont pas fait. C’est donc dire qu’ils ne sont pas visés par la prorogation du délai de prescription.

[48] En l’espèce, l’accord de paiement anticipé est régi par la LPCA, et les circonstances qui constituent un défaut sont énoncées au paragraphe 21(1). Le paragraphe 21(2) autorise à surseoir à la mise en défaut :

(2) Sous réserve des règlements, lorsque la défaillance du producteur est imminente, le ministre peut, à la demande de l’agent d’exécution et selon les modalités qu’il peut fixer, surseoir à la mise en défaut pour une période déterminée.

[49] L’article 22 de la LPCA porte sur l’obligation du producteur en cas de défaut :

22 Le producteur défaillant relativement à l’accord de remboursement est redevable à l’agent d’exécution de ce qui suit :

a) le montant non remboursé de l’avance garantie;

b) les intérêts sur le montant non remboursé de l’avance garantie calculés au taux prévu dans l’accord de remboursement, courus à partir de la date du versement de l’avance;

c) les frais qui sont engagés par celui‑ci pour recouvrer les sommes non remboursées et les intérêts et qui sont approuvés par le ministre, y compris les frais juridiques, mais à l’exclusion des frais qui ont été recouvrés à titre de droits auprès du producteur en vertu du paragraphe 5(4);

d) toute autre somme non remboursée en vertu de l’accord de remboursement.

[50] Et, comme il a été indiqué plus tôt, aux termes de l’article 23 de la LPCA, en cas de défaut de la part d’un producteur, quand le ministre honore la garantie donnée à un agent d’exécution, il devient subrogé dans les droits de cet agent contre le producteur,

[51] Les dispositions de la LPCA se retrouvent dans l’accord de paiement anticipé, dont l’article 5 porte sur les cas de défaut :

[traduction]

5. Défaut

5.1 Le producteur est en défaut dans les cas suivants :

5.1. il ne s’est pas acquitté de la totalité des obligations que lui impose l’accord de remboursement avant la fin de la période de production;

5.1.b il dépose un avis d’intention de faire une proposition ou fait une proposition en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité […]

5.1.c il est par ailleurs déclaré en défaut par l’agent d’exécution, conformément à l’accord de remboursement.

[52] Le paragraphe 5.2 de l’accord indique que l’agent d’exécution déclarera que le producteur est en défaut et l’en informera sur‑le‑champ dans les circonstances prescrites, lesquelles comportent le fait qu’il ne s’est acquitté d’aucune des obligations que prévoit l’accord dans les 20 jours suivant l’envoi par la poste ou la livraison, par l’agent d’exécution, d’un avis indiquant qu’il ne s’est pas acquitté de ses obligations et lui demandant de le faire (al. 5.2.a). Et, en cas de défaut, le producteur est redevable envers l’agent d’exécution du montant en souffrance de l’avance garantie, des intérêts au taux précisé et des frais (para 5.3). De plus :

[traduction]

5.5 S’il est déclaré que le producteur est en défaut et si le ministre verse un paiement relativement à la garantie, le ministre est subrogé dans tous les droits de l’agent d’exécution à l’encontre du producteur défaillant et à l’encontre de toute autre personne redevable, relativement au présent accord de remboursement. En plus des montants mentionnés au paragraphe 5.3 des présentes, le producteur est redevable au ministre des intérêts, au taux précisé au paragraphe 6.2 des présentes, sur le montant de l’obligation du producteur qui est prévue au paragraphe 5.3 des présentes, ainsi que des frais engagés par le ministre en vue de recouvrer ce montant, y compris [illisible] et les frais.

(Non souligné dans l’original.)

[53] Dans la présente affaire, les exigences de remboursement initiales que prévoyait l’alinéa 3.1.b de l’accord de paiement anticipé étaient les suivantes : la moitié (50 %) du montant du paiement anticipé qui était en souffrance devait être payée dans les 15 jours suivant la période de 12 mois postérieure à la date du versement du paiement anticipé, et le solde était à verser dans les 45 jours suivant la période de 12 mois postérieure à la date du versement du paiement anticipé. Selon la preuve, les fonds constituant le paiement anticipé ont été versés à Kilback Farm le 30 avril 2008 et le 5 mai 2008. C’est donc dire que les dates de remboursement initiales auraient été le 15 mai 2009 et le 15 juin 2009, ou aux environs de ces deux dates.

[54] Comme il a été indiqué plus tôt, il ressort de la preuve que, le 24 mars 2009, le ministre a accordé un sursis à la mise en défaut jusqu’au 30 septembre 2010, ce qu’Allen Kilback, en qualité de signataire autorisé de Kilback Farm, a reconnu le 6 avril 2009. Le 3 décembre 2010, un autre sursis à la mise en défaut a été accordé jusqu’au 31 mars 2013, ce qu’Allen Kilback a reconnu le 24 janvier 2011. La MPCC a envoyé un avis de défaut à Kilback Farm le 3 mai 2013. Le 14 février 2014, le ministre a versé le paiement de garantie à la MPCC. Au vu de ces faits, le défaut n’est pas survenu avant le 31 mars 2013.

[55] Et, comme je l’ai conclu plus tôt, le ministre a versé le paiement de garantie dans les deux années suivant la date de mise en défaut, et la cause d’action de la MPCC à l’encontre des défendeurs n’était donc pas prescrite quand ce paiement a été versé. L’action du ministre a commencé le 14 janvier 2019, soit moins de six ans après que le ministre était devenu subrogé dans les droits de la MPCC et à l’intérieur du délai de prescription de six ans en vigueur, tel qu’indiqué au paragraphe 23(4) de la LPCA.

[56] En conséquence, au vu des éléments de preuve, je ne souscris pas à l’argument des défendeurs selon lequel le délai de prescription a commencé à courir à la [traduction] « date de défaut initiale » prévue par l’accord de paiement anticipé, qui, disent‑ils, était le 30 septembre 2009 et qui était donc expiré quand l’action de la demanderesse a commencé. Le défaut n’est pas survenu à cette date, encore qu’il aurait pu avoir lieu aux dates déclenchées par l’alinéa 3.1.b de l’accord de paiement anticipé si les sursis à la mise en défaut n’avaient pas été accordés et si les défendeurs n’avaient pas remboursé le paiement anticipé, comme ils le devaient.

[57] Il est important, dans le contexte de l’argument qu’invoquent les défendeurs, qu’il ne s’agit pas d’une situation dans laquelle Kilback Farm, la personne morale débitrice principale, a reconnu ou confirmé la créance avant ou après la fin du délai de prescription, prorogeant ainsi le délai de prescription la concernant. Il ne se pose donc pas la question de savoir si le délai de prescription à lui aussi été prorogé dans le cas des défendeurs individuels en qualité de cautions. En l’espèce, l’action en question a plutôt été engagée à l’intérieur du délai de prescription de six ans. Il n’y a pas eu de prorogation. À cause des sursis à la mise en défaut que permettait la LPCA et qui ont été reconnus au nom de Kilback Farm, le délai de prescription n’avait tout simplement pas commencé à courir avant la mise en défaut du 31 mars 2013.

[58] Un délai de prescription commence à courir à cause d’un fait ou d’une situation. C’est‑à‑dire qu’il commence à courir au moment où la demande peut être découverte, au moment où la cause d’action prend naissance ou de la manière dont la loi le définit. Par exemple, les défendeurs font référence à la Limitations Act de la Saskatchewan. Celle‑ci indique que, sous réserve d’une mention contraire dans cette loi, aucune poursuite ne peut être engagée à l’égard d’une demande après les deux ans qui suivent le jour où la demande peut être découverte. Une demande est découverte le jour où le demandeur a su pour la première fois – ou aurait dû savoir dans les circonstances – que le préjudice, la perte ou le dommage avait eu lieu ou, par ailleurs, de la manière précisée dans cette loi (Limitations Act, art 5, art 6(1)). Et, comme il est indiqué dans la décision Klesse, le délai de prescription que prévoit le paragraphe 23(4) de la LPCA commence à courir au moment où le ministre devient subrogé dans les droits de l’agent d’exécution (décision Klesse, au para 29). Dans la présente affaire, en raison des sursis à la mise en défaut, aucune cause d’action de la MPCC ou du ministre à l’encontre de l’un quelconque des défendeurs n’a pris naissance le 30 septembre 2009, soit la date qui, d’après les défendeurs, était la [traduction] « date de défaut initiale ». Aucun délai de prescription n’a commencé à courir à cette date. Ce n’est qu’à la date du défaut réel, le 1er avril 2013, que le délai de prescription existant entre la MPCC et les défendeurs a commencé à courir.

  1. L’effet de la modification des conditions

[59] Les défendeurs soutiennent de plus qu’il est établi en droit que lorsqu’un prêteur et un débiteur principal ont modifié les conditions de la créance principale, les cautions peuvent être libérées. À l’appui de cette thèse, ils invoquent l’arrêt Banque Manuvie du Canada c Conlin, [1996] 3 RCS 415 aux para 2‑4 [arrêt Manuvie], ainsi que l’arrêt Turfpro Investments Inc. c. Heinrichs, 2014 ONCA 502 [arrêt Turfpro] et l’arrêt GMAC Leaseco Corporation v Jaroszynski, 2013 ONCA 765 au para 76 [arrêt GMAC]. Ils ajoutent qu’étant donné que la créance principale existant entre Kilback Farm et la MPCC a été modifiée à trois reprises, mais sans que les cautions y aient souscrit, les défendeurs individuels, en qualité de cautions, sont libérés de leur obligation.

[60] La demanderesse soutient que la règle énoncée dans l’arrêt Manuvie – à savoir qu’une caution peut être libérée de son obligation vis‑à‑vis d’une garantie quand le créancier et le débiteur principal conviennent de modifier de façon importante des conditions de la créance contractuelle sans le consentement de la caution – est justifiée car la caution devrait être au courant de tout changement important touchant le risque auquel elle est exposée et avoir la possibilité d’y consentir. Cependant, la demanderesse soutient que, en l’espèce, les circonstances ne justifient pas l’application de cette règle. En outre, il est possible d’inférer ce consentement lorsqu’une personne joue plusieurs rôles, comme celui de signataire d’une entreprise et celui d’actionnaire/caution, et la connaissance qu’elle acquiert et le consentement qu’elle donne dans le cadre d’un de ses rôles doit être appliqué à tous ses autres rôles (Royal Bank v 338390 Alberta Ltd, [1997] 210 AR 148 (ABQB) aux para 34‑40 [décision Royal Bank]; Co‑operative Trust Company of Canada v Kirby and Thorpe, [1986] 6 WWR 90 (SKQB) [décision Co‑operative Trust]; Montreal Trust Co of Canada v Jaynell Inc, [1993] 111 Sask R 178 (SKQB) au para 44). Dans la présente affaire, il est possible d’inférer aussi que le consentement donné au nom de Kilback Farm est aussi celui des actionnaires/cautions, c’est‑à‑dire les défendeurs individuels.

[61] Comme point de départ, je signale que, dans l’arrêt Manuvie, la Cour suprême du Canada a décrété ceci :

2 Il est clair depuis longtemps que la caution est libérée de sa responsabilité en vertu du cautionnement lorsque le créancier et le débiteur principal conviennent d’apporter une modification importante aux conditions de la dette contractuelle sans son consentement. Ce principe est énoncé ainsi par le lord juge Cotton dans l’arrêt Holme c. Brunskill (1878), 3 Q.B.D. 495 (C.A.), aux pp. 505 et 506:

[traduction] La véritable règle est, à mon avis, la suivante: s’il y a une convention entre les parties principales quant au contrat cautionné, la caution doit être consultée et, si elle n’a pas consenti à la modification, même dans le cas où il est parfaitement évident que la modification n’est pas importante ou qu’elle ne peut que lui être profitable, la caution ne peut être libérée; cependant, s’il n’est pas évident en soi que la modification n’est pas importante ou qu’elle n’est pas susceptible de porter préjudice à la caution, la cour [. . .] statuera alors qu’il revient à la caution elle‑même de décider si elle consent à rester liée nonobstant la modification, et si elle ne donne pas ce consentement, elle sera libérée.

Cette règle a été adoptée dans un certain nombre de décisions canadiennes. Voir, par exemple, l’arrêt Banque de Montréal c. Wilder, [1986] 2 R.C.S. 551, à la p. 562.

3 La règle est fondée sur le raisonnement selon lequel toute modification importante du contrat principal a pour résultat de modifier les conditions auxquelles la responsabilité de la caution devait être engagée, ce qui a pour effet de modifier le risque auquel la caution est exposée. Ce raisonnement a été formulé par le professeur K. P. McGuinness dans The Law of Guarantee (2e éd. 1996), à la p. 534:

[traduction] Le fondement de la règle d’equity est certainement compatible avec le courant de pensée traditionnel, mais il est juste de se demander s’il est nécessaire d’invoquer de quelque façon l’equity pour conclure que, dans le cas où une modification importante est apportée au contrat principal sans le consentement de la caution, cette dernière ne verra pas sa responsabilité engagée en cas d’inexécution subséquente. Au fond, un cautionnement particulier ou distinct (par opposition à un cautionnement général) est un engagement par lequel la caution se porte garante des risques découlant d’un contrat particulier avec le débiteur principal. Si ce contrat est modifié de manière à changer la nature et l’ampleur des risques qui en découlent, la modification n’a pas tant pour effet d’annuler la responsabilité de la caution que de soustraire le créancier à la protection que le cautionnement accorde. Sous cet angle, la défense de la caution paraît reposer sur la common law plutôt que sur l’equity: ce n’est pas que la caution n’assume plus aucune responsabilité relativement au contrat initial, mais plutôt que le contrat initial pour lequel la caution a assumé une responsabilité ne s’applique plus. En modifiant le contrat principal sans le consentement de la caution, le créancier le fait à ses risques et périls, et si une malchance survient, elle survient uniquement aux dépens du créancier. Une façon d’aborder la défense sous l’angle de la common law est attrayante à certains égards, parce que cela fait passer le droit de la caution de se défendre, dans le cas où il y a eu modification importante, du domaine discrétionnaire et donc relativement incertain de l’equity au domaine plus absolu et certain de la common law. De toute manière, il est clair, très certainement en equity et fort probablement en common law aussi, que la modification importante du contrat principal effectuée sans le consentement de la caution (à moins qu’elle ne l’ait ratifiée ultérieurement) aura pour résultat de libérer la caution de sa responsabilité aux termes du cautionnement.

Il écrit ensuite, à la p. 541 :

[traduction] Si le risque auquel la caution est exposée est modifié, la libération totale de la caution se justifie facilement. Modifier le contrat principal, c’est modifier le motif pour lequel la caution a convenu d’être responsable. La responsabilité de la caution se limite au contrat pour lequel elle s’est portée garante. Si les conditions de ce contrat (et donc les conditions du risque auquel est exposée la caution) sont modifiées, alors le créancier ne devrait plus avoir le droit d’exiger de la caution l’exécution de son obligation en vertu du cautionnement. Dans un tel cas, exiger d’une caution qu’elle maintienne son cautionnement équivaudrait à permettre au créancier et au débiteur principal de forcer la caution à se porter garante d’une nouvelle opération. Un tel pouvoir de la part du créancier et du débiteur principal représenterait une dérogation radicale aux principes de consensus et d’acceptation volontaire d’obligations sur lesquels repose le droit des contrats.

[62] Quant au fait de savoir ce qui constitue une modification importante, dans l’arrêt Turfpro la Cour d’appel de l’Ontario a déclaré :

[TRADUCTION]

[14] Notre Cour a récemment examiné le critère de la modification importante dans l’arrêt GMAC Leaseco Corporation c Jaroszynski, 2013 ONCA 765, 118 O.R. (3d) 264, aux para 76‑77 :

Dans l’arrêt Manuvie, au paragraphe 10, le juge Cory souscrit à la formulation énoncée dans Blest c. Brown (1862), 4 De G.F. & J. 367, à la p 376 : sauf stipulation expresse contraire, si la modification porte sur une question qui ne peut pas « de toute évidence et indéniablement être considérée comme non importante ou nécessairement profitable à la caution » […], la caution, si elle n’a pas consenti à demeurer responsable en dépit de la modification, sera libérée […].

Ou, comme l’a dit notre Cour dans l’arrêt Royal Bank of Canada c Bruce Industrial Sales Limited (1998), 1998 CanLII 3050 (ON CA), 40 O.R. (3d) 307, à la p 320, en se fondant sur l’arrêt Manuvie : « les modifications apportées au contrat principal seront considérées comme importantes à moins qu’elles soient considérées comme non importantes ou qu’elles soient nécessairement profitables à la caution ».

[15] Le fondement de la règle relative aux modifications importantes découle de l’accord de la caution de garantir le risque résultant du contrat entre le créancier et le débiteur principal. L’équité prescrit que les parties à ce contrat ne peuvent pas modifier unilatéralement ce risque. Une caution sera donc libérée de son obligation, sauf si une exception s’applique.

[16] La jurisprudence applicable semble reconnaître quatre exceptions à la règle. Premièrement, la mesure de réparation sera refusée si la modification est manifestement peu importante. Deuxièmement, elle sera également refusée si la modification est nécessairement profitable à la caution; c’est‑à‑dire qu’elle ne peut pas être préjudiciable à cette dernière ou être autrement que profitable à celle‑ci.

[17] Dans l’ouvrage intitulé The Law of Guarantee, 3e éd. (Markham, Ont. : LexisNexis, 2013), au paragraphe 11.265, Kevin P. McGuinness donne un exemple d’une modification importante qui libère une caution de son obligation :

Une entente exécutoire qu’un créancier conclut avec le débiteur principal afin de donner à ce dernier du temps supplémentaire pour payer ou exécuter la créance ou l’obligation garantie libère la caution de son obligation si le délai ainsi accordé n’est pas négligeable. Ce principe de droit est très ancien. Il est possible d’invoquer deux justifications en faveur de la règle. La première est que toute entente exécutoire concernant une prorogation de délai est préjudiciable pour la caution, car une telle mesure a pour effet d’empêcher la caution de présenter une demande contre le débiteur principal, au cas où le créancier demanderait à la caution de payer ou d’exécuter la créance au moment initialement prévu. Si la caution était en mesure de faire une telle demande, cela aurait dans ce cas pour effet pratique d’annuler l’entente conclue entre le débiteur principal et le créancier, relativement à la prorogation de délai. Si, en revanche, la caution ne pouvait pas présenter une demande à l’encontre du débiteur principal en vertu de la prorogation de délai, le débiteur principal serait dans ce cas mieux placé que le créancier (ce qui serait incompatible avec le caractère secondaire de l’obligation de la caution). [Renvois omis.]

[18] Troisièmement, comme l’a signé le juge Cory dans l’arrêt Manuvie, au paragraphe 4, une caution peut renoncer par contrat à la protection que lui accorde la common law ou l’equity. Par exemple, de façon générale, la garantie type d’un prêteur institutionnel contiendra des dispositions qui prévoiront des prorogations de délai pour remboursement, renouvellement et abstention.

[19] Enfin, il est possible de remédier à la modification du risque qu’assume la caution en obtenant de celle‑ci qu’elle consente à la modification proposée ou réelle.

[63] À mon avis, dans les présentes circonstances, c’est le fait de savoir si les défendeurs individuels ont consenti aux sursis à la mise en défaut et à la modification apportée à l’accord de paiement anticipé qu’il faut examiner.

[64] Dans la décision Co‑operative Trust, la demanderesse poursuivait les défendeurs en qualité de cautions d’une créance d’entreprise, relativement à une hypothèque. Les défendeurs étaient les seuls actionnaires de la société et ses administrateurs. Ils faisaient valoir qu’un accord de prorogation d’hypothèque, conclu sans le consentement des cautions, modifiait les conditions de l’hypothèque garantie, de telle sorte que les cautions étaient libérées.

[65] La Cour a conclu que les changements apportés à l’hypothèque garantie par l’accord de prorogation d’hypothèque étaient de nature importante. Cependant, même si les défendeurs n’avaient pas souscrit expressément, de vive voix ou par écrit, aux changements en question, ils y avaient consenti. La Cour a décrété que [traduction] « [l]e consentement doit être déduit de leur conduite. Il n’est pas nécessaire qu’il ait été expressément donné : North Western National Bank of Portland c. Ferguson (1918), 1918 CanLII 11 (CSC), 57 R.C.S. 420, à la p 430 ». La Cour a conclu ce qui suit :

[TRADUCTION]

[11] Tant la lettre du 21 avril que l’accord de prorogation d’hypothèque du 13 juillet 1980 ont été signés par les défendeurs, bien qu’uniquement en qualité de dirigeants de la société, Twelfth Building Ltd., et non à titre personnel. Mais, à l’évidence, les défendeurs étaient parfaitement au fait des changements apportés à l’hypothèque garantie. En plus du fait de disposer de cette information, sans l’accord des défendeurs avec les changements et sans la signature des documents, les arrangements mêmes dont se plaignent les défendeurs n’auraient pas pu avoir lieu. Ils se trouvent dans une position fort semblable à celle qu’avaient les procureurs dans une décision anglaise datant de 1853 : Woodcock v. Oxford and Worcester Railway Co., 61 E.R. 551. Dans cette affaire, les procureurs étaient cautions d’un contrat. Ces personnes, en leur qualité de procureurs, avaient établi un certain nombre de documents dont les dirigeants s’étaient servis pour apporter des changements au contrat. Les procureurs étaient donc au courant des changements proposés et ils avaient aidé à les apporter au contrat en établissant les documents en question et, en fait, en agissant en qualité de procureurs des débiteurs principaux. Il n’y avait pas eu de consentement explicite, mais, néanmoins, le tribunal a décrété que les cautions n’étaient pas libérées puisqu’elles étaient parfaitement au courant de la situation et qu’elles avaient aidé à apporter les changements en question.

[12] En l’espèce, il est nécessaire de considérer que le geste manifeste des défendeurs, en signant les documents donnant lieu aux changements dont ils se plaignent, est un consentement implicite de leur part, en leur qualité de cautions, aux changements en question. Les défendeurs n’étaient pas assis passivement sur le côté, pendant que deux autres parties apportaient des changements à l’hypothèque garantie. Ils y ont participé activement.

(Non souligné dans l’original.)

[66] La décision Royal Bank avait trait à une demande de jugement sommaire de la demanderesse à l’encontre d’un défendeur individuel, une caution qui était également le dirigeant de la société défenderesse. Cette dernière avait obtenu une marge de crédit auprès de la plaignante. Le protonotaire de l’Alberta a conclu ce qui suit :

[TRADUCTION]

[31] Il existe une surabondance de décisions jurisprudentielles qui portent sur la question de savoir si une modification de l’accord de prêt peut libérer une caution. En fin de compte, chaque affaire dépend des conditions de la garantie et des faits qui lui sont propres.

[32] Dans la présente affaire, il existe trois faits limitatifs. Premièrement, l’emprunteur est une personne morale et non un particulier, comme c’était le cas dans Banque Manuvie du Canada c. Conlin (1996), 1996 CanLII 182 (CSC), 139 D.L.R. (4th) 426 (C.S.C.). Deuxièmement, la caution est le dirigeant de la société emprunteuse. Troisièmement, la garantie ne vise pas seulement une créance particulière, comme c’était le cas dans la décision Holland‑Canada Mortgage.

[33] Les deux premiers faits sont pertinents pour ce qui est de savoir si la caution a consenti à une hausse du taux d’intérêt. Si c’est le cas, cela clôt la présente affaire.

[34] Il n’est pas nécessaire que le consentement de la caution soit explicite. Il est possible de l’inférer des circonstances : North Western National Bank of Portland c. Ferguson (1918), 1918 CanLII 11 (CSC), 57 S.C.R. 420 (C.S.C.). Dans cet arrêt, le juge Anglin déclare ce qui suit, à la p 430 :

Il n’est pas nécessaire que le consentement de la caution à une prorogation soit contemporain ou explicite. Il peut découler implicitement de son propre contrat initial où elle prend en charge l’obligation. Il peut intervenir dans l’arrangement ou l’entente qu’ont conclu les dirigeants et que la caution s’est engagée à garantir – peut‑être sans un examen suffisant. Il doit toujours être question de l’intention des parties, soit exprimée soit, sinon, inférée des modalités par lesquelles ils ont formulé leur accord, et interprétées, si ces modalités ne sont « absolument pas ambiguës » à la lumière de leurs positions relatives et des circonstances de l’espèce : Coles v. Pack; Wood v. Priestner; si une prorogation sans réserve de droits, et servant de fondement à la libération de la caution, entrait ou non dans le cadre de la garantie. Il est certes injustifié de présumer que non si les modalités peuvent être interprétées de manière contraire, juste parce que cela n’est pas expressément prévu, quelle que soit la solidité du fondement permettant d’inférer que cela devait forcément être entendu.

[35] La même idée est reprise dans la décision Pioneer Trust Co. v. 220263 Alberta Ltd., (1989), 1989 CanLII 3044 (AB QB), 94 A.R. 86 (B.R. Alb.), conf (1991), 113 A.R. 377 (C.A. Alb.), autorisation de pourvoi refusée (1992), 125 A.R. 330 (note) (C.S.C.). Dans cette affaire, le juge du procès avait conclu que les cautions avaient implicitement consenti à la prorogation de la durée du prêt (la poursuite a été rejetée pour un autre motif).

[36] Ce qui avait été déclaré dans la décision North Western National Bank of Portland a été appliqué dans la décision Co‑operative Trust Co. of Canada c. Kirkby, 1986 CanLII 3325 (SK QB), [1986] 6 W.W.R. 90 (B.R. Sask.). Dans cette affaire, les cautions étaient les dirigeants de la société emprunteuse. Le juge du procès a déclaré, à la p 93 :

Si le changement s’était limité à une prorogation du délai, il aurait pu être acceptable à cause des droits de la caution, et contre celle‑ci, censément réservés par l’accord de prorogation d’hypothèque. Les autres changements importants, comme le changement de taux d’intérêt, exigent le consentement de la caution.

Les défendeurs n’ont pas expressément consenti aux changements, de vive voix ou par écrit, mais je conclus qu’ils l’ont fait. Le consentement doit être inféré de leur conduite. Il n’est pas nécessaire qu’il soit explicite : North West. Nat. Bank of Portland v. Ferguson (1918), 1918 CanLII 11 (CSC), 57 S.C.R. 420 à la p 430, 44 D.L.R. 464 [Ont.].

[37] Et, ajoute‑t‑il, à la p 94 :

En l’espèce, il est nécessaire de considérer que le geste manifeste des défendeurs, en signant les documents donnant lieu aux changements dont ils se plaignent, est un consentement implicite de leur part, en qualité de cautions, aux changements en question. Les défendeurs n’étaient pas assis passivement sur le côté, pendant que deux autres parties apportaient des changements à l’hypothèque garantie. Ils y ont participé activement.

[38] Quand la marge de crédit a été plafonnée à 50 000 $ et que le taux d’intérêt a été haussé, la caution a activement pris part à ces changements. Elle a signé le billet en qualité de dirigeant de la société. Elle ne peut guère séparer son esprit en deux compartiments étanches, l’un en qualité de signataire et l’autre en qualité de caution.

[39] Dans la décision Royal Bank c Lane (1991), (s/n ABC Color & Sound Ltd. v. Royal Bank) 1991 ABCA 196 (CanLII), 117 A.R. 271 (C.A. Alb.), la Cour a également reconnu la réalité de ce genre de situation, aux para 43‑44 :

Les cautions soutiennent que la banque a augmenté unilatéralement le taux d’intérêt applicable au prêt d’ABC. Elles disent qu’il s’agit d’un changement qui leur était préjudiciable, ce qui les a donc libérées.

Il est difficile de concevoir comment la banque a pu augmenter dans les faits le taux d’intérêt sans le consentement d’ABC. Et comme ABC a toujours agi par l’entremise des cautions, il est difficile de voir comment la banque aurait pu le faire sans leur consentement. Il est possible qu’on ait envisagé un taux supérieur pour l’avenir. Mais la seule preuve de son application est un billet à ordre signé par les cautions (en leur qualité de dirigeants d’ABC). On ne nous a pas dit dans quelles circonstances ce document a été signé, et le juge du procès n’a tiré aucune conclusion. Mais il ne fait aucun doute qu’elles l’ont signé en blanc quelque temps avant et que la banque l’a rempli plus tard. Si elles ont autorisé la banque à remplir le billet de cette façon, elles ne peuvent pas, en qualité de cautions, dire qu’elles n’y ont pas consenti. Voir Stony Plain District Savings & Credit Union Ltd. c Crosswinds Travel Ltd. and Wallace (1989), 978 A.R. 248, p 252‑253.

[40] La notion des « plusieurs rôles » a également été appliquée pour conclure au consentement d’une caution dans la décision Veteran Appliance Service Co. v. 109272 Developments Ltd. (1985), 1985 CanLII 1405 (AB QB), 67 A.R. 117 (B.R. Alb.) conf (1987), 1987 ABCA 30 (CanLII), 76 A.R. 340 (C.A. Alb.) autorisation de pourvoi refusée (1987), 79 A.R. 240n (C.S.C.). Dans cette affaire, le juge du procès dit, au paragraphe 53 :

Il se peut fort bien que la connaissance, et le consentement, du défendeur Brosseau étaient en sa qualité d’administrateur, d’actionnaire principal et de signataire de la société défenderesse. Je suis toutefois convaincu, et surtout dans une affaire telle que la présente, que lorsqu’une personne joue plusieurs rôles, comme le faisait le défendeur Brosseau, la connaissance qu’elle acquiert et les consentements qu’elle donne à un titre doivent être appliqués à elle, à chacun de ses titres. S’il était donc impossible pour la demanderesse de prouver la connaissance et un consentement explicite aux modifications apportées aux conditions de l’hypothèque par le défendeur Brosseau, en sa qualité de caution, elle les a clairement prouvées par déduction et que, si le consentement de celui‑ci est exigé, une telle preuve suffit dans les circonstances de l’espèce.

[41] Je suis convaincu que s’il était exigé que la caution consente à une hausse du taux d’intérêt, il y a eu consentement implicite.

[67] La demanderesse invoque également la décision Montreal Trust, où la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan a décrété :

[TRADUCTION]

[44] Pour reprendre les propos de mon confrère, le juge Armstrong, dans la décision Co‑operative Trust Company of Canada v. Kirkby and Thorpe (1986), 1986 CanLII 3325 (SK QB), 51 Sask.R. 298, à la p 300, dans la présente affaire, même si Williams et Fennell ont signé l’accord de prorogation d’hypothèque uniquement en qualité de dirigeants de Jaynell, ces deux défendeurs, en leurs propres noms ainsi qu’au nom de Jaymont and Fennell Holdings Ltd., étaient à l’évidence parfaitement au courant des changements apportés à l’hypothèque garantie. Par ailleurs, et, en plus de la possession de cette information, il est évident que, sans leur participation et leur consentement aux changements apportés à l’hypothèque initiale, sans leur signature sur l’accord de prorogation d’hypothèque, l’arrangement même dont les intimés‑défendeurs se plaignent au paragraphe 5 de leur défense n’aurait pas pu avoir lieu. Dans les circonstances, les actes manifestes de Williams et de Fennell (et, par leur entremise, de Jaymont and Fennell Holdings Ltd.), en signant l’accord de prorogation d’hypothèque, doivent être considérés comme ayant été accomplis en qualité de cautions des changements en question.

[68] Dans la présente affaire, les défendeurs ne mentionnent pas précisément les trois modifications à la créance principale qui, disent‑ils, ont été apportées sans leur accord et qui les libèrent donc de toute obligation par rapport à la créance.

[69] Il semble toutefois évident que ces modifications sont les suivantes :

  1. Le sursis à la mise en défaut du 24 mars 2009, valable jusqu’au 30 septembre 2010 et accordé par le ministre, qui exigeait que les producteurs signent la reconnaissance avec la MPCC pour indiquer qu’ils comprenaient et acceptaient les conditions du sursis. La reconnaissance qui y était jointe était signée par AllenKilback, en qualité de signataire autorisé de KilbackFarm, le 6 avril 2009;
  2. Le sursis à la mise en défaut supplémentaire du 3 décembre 2013 (entrant en vigueur le 1er octobre 2010), valable jusqu’au 31 mars 2013 et accordé par le ministre. Le document de reconnaissance a été signé pour le compte du producteur, KilbackFarm, par AllenKilbacket il confirme que ce dernier a reconnu, compris et accepté les conditions du sursis qui y sont décrites;
  3. La modification à l’accord de demande et de remboursement, indiquée comme ayant été ratifiée et confirmée par KilbackFarm, et signée par AllenKilback, en qualité de chef de la direction, le 29 mars 2012.

[70] Comme il a déjà été mentionné, l’accord de paiement anticipé est régi par la LPCA. L’une des conditions d’admissibilité à laquelle doit répondre le producteur, étant une personne morale à plusieurs actionnaires, est que chacun de ces derniers doit s’engager solidairement par écrit envers l’agent d’exécution pour les sommes visées à l’article 22 et donner en garantie du remboursement du paiement anticipé les sûretés que cet agent peut exiger (LPCA, art. 10(1)d)(ii)).

[71] La garantie conjointe et solidaire que chacun des défendeurs individuels a signée en qualité d’actionnaire de Kilback Farm indique ce qui suit :

[TRADUCTION]

Nous, à titre d’actionnaires, de membres ou d’associés, selon le cas, de la société, de la coopérative ou de la société de personnes susmentionnée, en contrepartie de l’avance qui nous est consentie par l’agent d’exécution pour l’année de programme 2008‑2009, au montant indiqué à la Partie 2 de la présente Demande d’avance originale, et du fait que le ministre d’Agriculture et Agroalimentaire Canada garantit le remboursement des avances et des intérêts y afférents, consentons à être conjointement et solidairement redevables envers l’agent d’exécution ou le ministre d’Agriculture et Agroalimentaire Canada de toute somme due par la société, la coopérative ou la société de personnes, conformément au PPA.

(Non souligné dans l’original.)

En signant le présent document, je comprends et j’accepte qu’une poursuite puisse être intentée contre moi personnellement afin de m’obliger à rembourser, conformément à l’article 5.0 des modalités de l’Accord de remboursement, la totalité du montant de toute avance en souffrance.

[72] L’article 17 de la Déclaration et attestation qu’Allen Kilback a signée en qualité de président et chef de la direction et de représentant autorisé de Kilback Farm, indique ceci :

[TRADUCTION]

17) Je, ou tous les associés/actionnaires/membres, selon le cas, souscris (ou souscrivons), conformément au paragraphe 23(4) de la LPCA, au délai de prescription de six (6) ans à compter de la date à laquelle le ministre est subrogé, conformément à l’article 6 des conditions de la demande et accord de remboursement, aux fins de prendre action pour recouvrer tout montant dû à la Couronne.

[73] Le dossier dont je dispose confirme qu’Allen Kilback et Denise Kilback détenaient chacun un intérêt de 50 % dans Kilback Farm quand la demande de paiement anticipé a été faite.

[74] Les défendeurs individuels étaient tous deux actionnaires de Kilback Farm, comme l’indique la garantie conjointe et solidaire par laquelle, en contrepartie d’une avance versée par la MPCC à Kilback Farm et d’une garantie, par le ministre, du remboursement de cette avance, ils ont convenu d’être redevables, conjointement et solidairement, envers la MPCC ou le ministre de tout montant dû par Kilback Farm en vertu de l’accord de paiement anticipé.

[75] La Demande et accord de remboursement – Déclaration et attestation exige, au paragraphe 3.2 intitulé [traduction] « Attestation du producteur », que le signataire autorisé de la personne morale, Kilback Farm, signe la déclaration à la page suivante. Cette page porte la signature d’Allen Kilback en qualité de président et chef de la direction et en tant que personne autorisée à signer ce document pour le compte de la société. Un Accord de cession – Bétail a été signé par Allen Kilback en qualité de président et chef de la direction, ainsi que par Denise Kilback en qualité de vice‑présidente et directrice financière de Kilback Farm.

[76] Il convient aussi de signaler que le sursis à la mise en défaut supplémentaire qui est daté du 3 décembre 2013 indique ceci :

[TRADUCTION]

Pour le moment, nous vous demandons, à vous ou à chacun des actionnaires/associés/membres, de lire le document de reconnaissance ci‑joint. Si le producteur est une société de personnes, tous les associés doivent signer ce document. Si le producteur est une personne morale, seule la signature du signataire autorisé est requise.

[77] Allen Kilback, en qualité de signataire autorisé de Kilback Farm, était au courant des sursis à la mise en défaut et des modifications apportées à l’accord de paiement anticipé et il y avait souscrit en signant ces documents. Il est difficile de voir comment Allen Kilback pourrait de ce fait prétendre que, en sa qualité d’actionnaire/caution, il n’était pas au courant des conditions des sursis à la mise en défaut et de la modification à l’accord de paiement anticipé, deux documents qu’il a signés en sa qualité de signataire autorisé de Kilback Farm.

[78] À mon avis, même si Allen Kilback n’a pas, en sa qualité de caution, souscrit expressément aux changements en question, il est possible, dans ces circonstances, d’inférer son consentement de sa conduite au motif qu’[traduction] « il est nécessaire de considérer que le geste manifeste des défendeurs, en signant les documents donnant lieu aux changements dont ils se plaignent, est un consentement implicite de leur part, en qualité de cautions, aux changements en question » (décision Co‑operative Trust, au para 12). En sa qualité de président, de chef de la direction et de signataire autorisé de Kilback Farm, Allen Kilback, n’était pas seulement au courant des changements; il y avait participé activement. Il n’est pas question ici d’une situation dans laquelle la caution est une tierce partie sans lien de dépendance (voir la décision Gabbs c Bouwhuis, 2007 BCSC 887 aux para 58‑70).

[79] La seule preuve qu’ont déposée les défendeurs en réponse à la présente requête en jugement sommaire est l’affidavit d’Allen Kilback, qui ne comporte aucune pièce documentaire. Cet affidavit indique que, en 2007, la Banque de Montréal, une créancière garantie de Kilback Farm, a désigné PricewaterhouseCooper [PWC] à titre de séquestre, parce que Kilback Farm se trouvait en défaut. Et [traduction] « [b]ien que je ne puisse pas m’en souvenir avec certitude, je crois que PWC a peut‑être insisté pour que je présente une demande d’avance », un fait que, affirme M. Kilback dans son affidavit, il a mis en doute à l’époque. L’affidavit indique aussi que M. Kilback s’est souvenu d’une conversation dans laquelle il avait fait part de son inquiétude au sujet de la demande de paiement anticipé à Ron Marchenski, qui travaillait pour la MPCC à l’époque, car que les prix de la moulée étaient d’environ 80 $ par animal alors qu’il n’était possible de les vendre qu’au prix d’environ 50 $ par animal. L’affidavit indique que M. Marchenski l’avait [traduction] « encouragé à demander l’avance, disant qu’elle serait probablement transformée en une subvention ou en un prêt à remboursement conditionnel, et il n’y avait donc rien à perdre ».

[80] Dans son affidavit, M. Kilback déclare aussi que quand la MPCC a envoyé ses accords de modification et de prorogation, elle n’a rien dit à propos d’une poursuite intentée contre lui ou contre Denise Kilback à titre personnel au sujet de leurs garanties. L’affidavit indique que la combinaison de ce que M. Marchenski avait déclaré à M. Kilback et du fait que la MPCC n’avait pas exigé sa propre signature personnelle ou celle de Denise Kilback, avait amené les défendeurs individuels à croire que la MPCC ne les poursuivrait pas pour leur garantie personnelle. Et, en 2013, n’ayant pas eu de nouvelles de la MPCC qui dénotaient que celle‑ci prenait action contre les cautions individuelles relativement à leurs garanties personnelles, ils ont commencé à se lancer dans de nouvelles entreprises en étant convaincus qu’il n’y avait pas d’autre obligation personnelle.

[81] À mon avis, dans son affidavit, M. Kilback explique simplement pourquoi Kilback Farm a conclu l’accord de paiement anticipé. La question de savoir s’il s’agissait d’une décision bonne ou mauvaise et pourquoi celle‑ci a été prise n’est pas pertinente dans le cas de la présente requête, en ce sens que l’accord de paiement anticipé a été signé et que sa validité n’est pas en cause. Dans le même ordre d’idées, la validité des garanties des actionnaires n’est pas contestée.

[82] La certitude de M. Kilback que la MPCC ne poursuivait pas les défendeurs individuels en lien avec leur garantie personnelle à cause de la conversation qu’il avait eue avec M. Marchenski avant de conclure l’accord de paiement anticipé, et parce que la MPCC n’avait pas exigé sa signature personnelle ou celle de Denise Kilback, ne concorde pas avec les documents relatifs au paiement anticipé.

[83] Les garanties des actionnaires étaient une condition d’admissibilité au paiement anticipé. Les actionnaires/cautions avaient donc déjà souscrit à leur obligation solidaire et conjointe en cas de défaut de Kilback Farm envers la MPCC ou envers le ministre si celui‑ci honorait la garantie en faveur de la MPCC. De plus, la modification à l’accord de paiement anticipé indique, à l’article 5, que l’accord modificateur doit être lu de pair avec la Demande et accord de remboursement (accord de paiement anticipé) et qu’il en fait partie. Toutes les conditions de cet accord et de toute modification apportée par la suite à ce dernier qui n’avaient pas été changées par la modification à l’accord de paiement anticipé ou aux conditions du sursis à la mise en défaut sont demeurées pleinement en vigueur. Cela inclurait l’exigence relative aux garanties d’actionnaire, qui avaient été données plus tôt. De plus, dans la Déclaration et attestation, tous les actionnaires de Kilback Farm ont convenu que, conformément au paragraphe 23(4) de la LPCA, le délai de prescription de six ans à compter de la date à laquelle le ministre était subrogé dans les intérêts de l’agent d’exécution s’appliquait dans le but de prendre action pour recouvrer toute créance envers la Couronne. Par ailleurs, comme le sursis à la mise en défaut supplémentaire a prorogé jusqu’au 31 mars 2013 la date de remboursement du paiement anticipé et qu’il n’y a pas eu de défaut avant cette date, la MPCC n’aurait eu aucune raison de communiquer avec les défendeurs individuels au sujet de la garantie d’actionnaire ou de prendre action contre ces derniers pour leur garantie, avant cette date.

[84] Fait important, il n’existe aucune preuve qu’à quelque moment que ce soit Allen Kilback ou Denise Kilback ont tenté d’obtenir de la MPCC une confirmation de leur certitude qu’ils ne seraient pas tenus responsables de la créance qu’ils avaient garantie en qualité d’actionnaires de Kilback Farm. Il n’existe non plus aucune preuve de la part d’Allen Kilback ou de Denise Kilback qu’Allen Kilback n’aurait pas signé les sursis à la mise en défaut et la modification à l’accord de paiement anticipé, pour le compte de Kilback Farm, s’ils avaient su qu’on exécuterait leur garantie d’actionnaire existante en cas de défaut de Kilback Farm par rapport à l’accord de paiement anticipé.

[85] Denise Kilback n’a pas produit d’affidavit ou de preuve en réponse à la présente requête, Bien que la défense indique que cette dernière n’était pas au courant des conditions dont était assortie la modification à l’accord de paiement anticipé, et qu’elle n’y a pas souscrit, il s’agit d’un acte de procédure, et non d’une preuve. Les parties qui répondent à une requête en jugement sommaire sont tenues de présenter leurs meilleurs arguments, au risque de perdre. À défaut d’une preuve contraire, le consentement de Denise Kilback en sa qualité d’actionnaire, de vice‑présidente et de directrice financière de Kilback Farm, aux sursis à la mise en défaut et à la modification à l’accord de paiement anticipé peut, dans ces circonstances, être inféré de la connaissance qu’elle en avait en sa qualité de dirigeante de société.

[86] En résumé, les sursis à la mise en défaut et la modification à l’accord de paiement anticipé ont bel et bien modifié certaines conditions de cet accord. Ils n’ont pas modifié l’obligation existante des cautions/actionnaires, mais il s’agissait de changements importants. Je conviens toutefois avec la demanderesse qu’il est possible, dans ces circonstances, d’inférer que les défendeurs individuels ont consenti à ces changements. En conséquence, Allen Kilback et Denise Kilback ne sont pas libérés de leur obligation en qualité de cautions/actionnaires en raison des changements apportés par les sursis à la mise en défaut et à la modification à l’accord de paiement anticipé.

La règle du manque de diligence

[87] Allen Kilback et Denise Kilback, en qualité de cautions, invoquent également la règle du manque de diligence comme moyen de défense en equity. Ils soutiennent qu’un défendeur qui invoque la règle affirme que le demandeur a tardé à faire valoir ses droits et que, à cause de ce délai, il ne peut plus présenter une demande en equity. Non seulement faut‑il qu’il y ait un délai, mais la conséquence de ce délai doit être telle qu’il serait inéquitable de la part du tribunal d’accorder une réparation, habituellement parce que le défendeur a changé de situation à cause du délai. D’après les défendeurs, le ministre se substitue à la MPCC et les actes de cette dernière les ont amenés à croire qu’on ne les poursuivrait pas à titre personnel. Aucune action en justice n’a été engagée avant qu’il s’écoule près de 10 ans après la [traduction] « date de défaut initiale », donc bien après que les défendeurs ont changé de situation (non précisée) et repris leur vie normale.

[88] Le ministre soutient que la règle du manque de diligence est un moyen de défense en equity dont on ne peut se prévaloir dans la présente affaire, qui est régie par un délai de prescription prévu par la loi. Et même si cette règle pouvait s’appliquer, les circonstances dont il est question en l’espèce ne le justifieraient pas. Les sursis à la mise en défaut, reconnus par Kilback Farm, réitéraient que le paiement anticipé devait être remboursé. Rien ne permet donc aux défendeurs d’alléguer que la conduite de la MPCC ou de la demanderesse leur a causé préjudice.

[89] À mon avis, la règle du manque de diligence ne s’applique aucunement en l’espèce. Dans l’arrêt M.(K.) c M.(H.), [1992] 3 RCS 6, aux p 77‑79, la Cour suprême du Canada a décrété :

La règle élaborée dans l’arrêt Lindsay est certainement informe, et ce peut‑être admirablement. Toutefois, la jurisprudence nous permet de dégager une certaine structure. On trouve une bonne analyse de cette règle et de la règle du manque de diligence dans Meagher, Gummow et Lehane, op. cit., aux pp. 755 à 765; les auteurs y résument ainsi la théorie, à la p. 755 :

[traduction] C’est un moyen de défense qui permet à un défendeur de s’opposer avec succès à une réclamation en equity (quoique non légale) faite contre lui s’il peut établir que le demandeur, en tardant à intenter des poursuites, a) a acquiescé à la conduite du défendeur ou b) a amené le défendeur à changer sa position parce qu’il croyait raisonnablement que le demandeur avait accepté le statu quo ou qu’il avait permis une situation qu’il serait injuste de changer.

En conséquence, la règle du manque de diligence comporte deux éléments distincts et l’un ou l’autre suffit comme moyen de défense à une réclamation en equity. Il ressort immédiatement de l’ensemble de la jurisprudence que le simple retard ne suffit pas à déclencher l’application de l’un ou l’autre des éléments de la règle du manque de diligence. Il s’agit plutôt de déterminer si le retard du demandeur constitue un acquiescement ou crée des circonstances qui rendent déraisonnables les poursuites. En fin de compte, le manque de diligence doit être réglé comme une question de justice entre les parties, comme c’est le cas de toute règle d’equity.

[90] Comme la demanderesse l’a fait remarquer, il ressort de la jurisprudence que la règle du manque de diligence ne s’applique pas à une situation de créance ou de prêt. Dans la décision Walters c Talop Estates Ltd, 2004 BCSC 879, au para 29, la Cour a indiqué qu’étant donné que les demandeurs dans cette affaire avaient intenté une poursuite en vue du remboursement d’une créance – un droit juridique – le principe de la règle d’equity dite du manque de diligence ne s’appliquait pas. Dans la décision Power, Re [2006] 18 CBR (5th) 265 (C.S. Ont.), au para 14, la Cour a décrété qu’étant donné qu’une créance est une obligation contractuelle, un manque de diligence de la part du créancier n’était pas une raison pour écarter la créance. Dans l’arrêt Attorney General of Nova Scotia c City of Halifax [1968] 2 DLR (3d) 576 (NSCA), aux p 586‑587, le procureur général avait poursuivi la ville pour une créance imposée par la loi. La Cour a décrété qu’il s’agissait d’une cause d’action légale et non d’une demande en equity et qu’elle ne justifiait donc pas le moyen de défense en equity fondé sur le manque de diligence.

[91] En l’espèce, le paiement anticipé a été versé conformément à la LPCA. À ce moment, la créance était due par la défenderesse à la MPCC et, s’agissant de ces deux parties, la créance était régie par un accord, établi dans le cadre du régime créé en vertu de la LPCA. De ce fait, comme il s’agit d’une créance contractuelle, la règle du manque de diligence ne s’applique pas.

[92] En outre, et conformément aussi à la LPCA, quand les défendeurs ont fait défaut et que le ministre a honoré la garantie envers la MPCC, le ministre est devenu subrogé dans les droits de cette dernière. Notre Cour a déjà décrété que, dans ces circonstances, la demande du ministre est fondée sur une loi; il ne s’agit pas d’une demande contractuelle ou en equity (décision Klesse, au para 28).

[93] Enfin, je signale que notre Cour a aussi décrété antérieurement que la règle du manque de diligence, qui est fondée sur la notion d’un délai déraisonnable, ne s’applique pas dans les cas où il existe un délai de prescription légal et où une personne fait valoir son droit à l’intérieur de ce délai (Remo Imports Ltd. c Jaguar Cars Ltd., 2005 CF 870, au para 51).

[94] En définitive, les défendeurs ne peuvent invoquer le manque de diligence, à titre de règle d’equity.

Conclusion

[95] L’argument des défendeurs est, essentiellement, que le délai de prescription applicable aux défendeurs individuels en qualité de cautions a commencé à courir le 30 septembre 2009, soit la [traduction] « date de mise en défaut initiale », et qu’il a expiré le 30 septembre 2011. Le paiement que le ministre a versé à la MPCC après cette date ne pouvait donc pas rétablir la demande expirée.

[96] Pour les motifs énoncés plus tôt, cette position ne peut être retenue. Le second sursis à la mise en défaut, auquel les cautions ont implicitement consenti, a prorogé la date de mise en défaut jusqu’au 31 mars 2013. Le délai de prescription n’a pas commencé à courir avant le 31 mars 2013, la date de mise en défaut réelle étant le 1er avril 2013 ou aux environs de cette date. Le ministre a versé le paiement de garantie le 14 février 2014, soit dans les deux ans suivant la date de mise en défaut. C’est donc dire que la cause d’action de la MPCC à l’encontre des défendeurs n’était pas prescrite quand le ministre a versé le paiement. L’action du ministre a commencé le 14 janvier 2019, moins de six ans après que ce dernier devienne subrogé dans les droits de la MPCC et à l’intérieur du délai de prescription de six ans que prévoit le paragraphe 23(4) de la LPCA.

[97] Je suis convaincue, au vu des éléments de preuve et de la loi, que le moyen de défense que les défendeurs invoquent ne soulève aucune véritable question litigieuse et qu’il convient en l’espèce de rendre un jugement sommaire.

[98] Les défendeurs ne contestent pas le montant de la créance, qui est détaillé comme suit dans l’affidavit de Warner :

[TRADUCTION]

Le montant du jugement, en date du 10 mars 2020, est calculé comme suit :

Principal et intérêts impayés à la date du défaut, conformément à l’annexe B de la déclaration

438 379,80 $

Moins tout paiement / compensation à compter de la date du défaut (1er avril 2013)

(4 978,78 $)

Intérêts accumulés à compter de la date du défaut jusqu’au 10 mars 2020, au taux préférentiel +1,5 % et composés mensuellement

161 645,60 $

TOTAL

595 046,62 $

[99] Le taux journalier de 88,85 $ représente les intérêts courus sur le montant du jugement au 10 mars 2020, calculés au taux préférentiel plus un et demi pour cent (1,5 %).

[100] La demanderesse demande que la Cour fixe des dépens de 1 681,33 $ en application du paragraphe 400(4) des Règles, conformément au tarif B. Plus précisément :

Débours

Honoraires

Dépôt de déclarations

150 $

Dépôt de la requête en jugement sommaire

300 $

Messageries/Poste

31,33 $

Pour tous les services nécessaires à la préparation :

Déclaration, signification de cette dernière (colonne III 4 unités)

600 $

Requête en jugement sommaire (colonne III 4 unités)

600 $

TOTAL DES DÉPENS

1 681,33 $

[101] La demanderesse demande que les intérêts après jugement soient fixés à un taux annuel de 5 % par année, conformément à la Loi sur l’intérêt, LRC (1985), c I‑15, art 3, à compter de la date du jugement.


JUGEMENT dans le dossier T‑122‑19

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête en jugement sommaire est rendue en faveur de la demanderesse.

  2. Les défendeurs paieront à la demanderesse la somme de 595 046,62 $.

  3. Les défendeurs paieront des intérêts avant jugement calculés à compter du 10 mars 2020, et jusqu’à la date du présent jugement, au taux de 88,85 $ par jour.

  4. Les défendeurs paieront les dépens et débours de la demanderesse, d’un montant de 1 681,33 $.

  5. Les intérêts après jugement sont accordés au taux de cinq (5) pour cent par année, conformément à la Loi sur l’intérêt.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

T‑122‑19

 

INTITULÉ :

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA c KILBACK STOCK FARM LTD., ALLEN BLAIR KILBACK ET DENISE ANNE KILBACK

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

requête écrite examinée à OTTAWA (ONTARIO) en vertu de l’article 369 des règles des cours fédérales

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

la juge STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

le 19 octobre 2020

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Don Klaassen

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Yens Pedersen

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Saskatoon (Saskatchewan)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Pedersen Law Professional Corporation

Regina (Saskatchewan)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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