Date : 20201112
Dossier : T-1327-20
Référence : 2020 CF 1053
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Toronto (Ontario), le 12 novembre 2020
En présence de monsieur le juge A.D. Little
ENTRE :
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EFRAIN OSWALDO FLORES MONSANTO
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA SANTÉ et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
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défendeurs
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ORDONNANCE ET MOTIFS
[1]
Le demandeur est un citoyen canadien qui est rentré au pays le lundi 2 novembre 2020, après avoir passé une journée aux États‑Unis pour son travail. Lorsqu’il est arrivé à la frontière, un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) a refusé de l’exempter de l’obligation de se mettre en quarantaine pendant 14 jours conformément à un décret d’urgence pris en vertu de la Loi sur la mise en quarantaine, LC 2005, c 20, en raison de la pandémie de la COVID‑19. Le demandeur est tenu de se mettre en quarantaine et de le rester jusqu’au 17 novembre 2020.
[2]
Le jeudi 5 novembre, le demandeur a déposé une demande de contrôle judiciaire à l’égard de la décision de l’agent de l’ASFC de ne pas l’exempter des exigences en matière de quarantaine.
[3]
Le vendredi 6 novembre, le demandeur a déposé devant la Cour fédérale une requête urgente en vue d’obtenir une suspension ou une injonction interlocutoire afin de mettre fin à l’application continue de l’ordre de mise en quarantaine qui lui avait été donné le 2 novembre. Le matin du lundi 9 novembre, les défendeurs ont déposé des observations écrites en réponse à la requête et la Cour fédérale a entendu les observations de vive voix l’après‑midi même.
[4]
Pour les motifs exposés ci‑dessous, la requête du demandeur en vue d’obtenir une suspension ou une injonction interlocutoire est rejetée.
I.
Contexte et événements à l’origine de la requête
A.
Les exigences en matière de quarantaine
[5]
La Loi sur la mise en quarantaine autorise le gouverneur en conseil (c.‑à‑d. le Cabinet fédéral) à prendre des décrets d’urgence. Selon l’article 58, le gouverneur en conseil peut, par décret, interdire ou assujettir à des conditions l’entrée au Canada de toute catégorie de personnes qui ont séjourné dans un pays étranger, s’il est d’avis :
a) que le pays du séjour est aux prises avec l’apparition d’une maladie transmissible;
b) que l’introduction ou la propagation de cette maladie présenterait un danger grave et imminent pour la santé publique au Canada;
c) que l’entrée au Canada de ces personnes favoriserait l’introduction ou la propagation de la maladie au Canada;
d) qu’il n’existe aucune autre solution raisonnable permettant de prévenir l’introduction ou la propagation de la maladie au Canada.
[6]
Depuis février 2020, le gouverneur en conseil a pris une série de décrets concernant l’éclosion de la maladie à coronavirus 2019 (la COVID‑19), dont la série de décrets intitulée Décret visant la réduction du risque d’exposition à la COVID‑19 au Canada (obligation de s’isoler).
[7]
Le gouverneur en conseil a pris le premier décret de cette série le 25 mars 2020. Le décret en est maintenant à sa septième version, qui remonte au 30 octobre 2020.
[8]
Voici le préambule du Décret no 7 visant la réduction du risque d’exposition à la COVID‑19 au Canada (obligation de s’isoler), CP 2020‑0840 (le décret) :
Attendu que la gouverneure en conseil est d’avis, compte tenu de la déclaration de pandémie de l’Organisation mondiale de la santé, que la majorité des pays étrangers est aux prises avec l’apparition d’une maladie transmissible, soit la maladie à coronavirus 2019 (COVID‑19);
Attendu que la gouverneure en conseil est d’avis que l’introduction ou la propagation de cette maladie présenterait un danger grave et imminent pour la santé publique au Canada;
Attendu que la gouverneure en conseil est d’avis que l’entrée au Canada de personnes qui ont récemment séjourné dans un pays étranger favoriserait l’introduction ou la propagation de la maladie au Canada;
Attendu que la gouverneure en conseil est d’avis qu’il n’existe aucune autre solution raisonnable permettant de prévenir l’introduction ou la propagation de la maladie au Canada,
À ces causes, sur recommandation de la ministre de la Santé et en vertu de l’article 58 de la Loi sur la mise en quarantaine, Son Excellence la Gouverneure générale en conseil prend le Décret no 7 visant la réduction du risque d’exposition à la COVID‑19 au Canada (obligation de s’isoler), ci‑après.
[9]
Le décret renferme les définitions suivantes :
quarantaine Mise à l’écart de personnes de manière à prévenir la propagation éventuelle de maladies.
signes et symptômes de la COVID‑19 S’entend notamment de la fièvre et de la toux ou de la fièvre et des difficultés respiratoires.
[10]
L’alinéa 3(1)a) du décret est ainsi libellé :
3 (1) Toute personne qui entre au Canada et qui ne présente pas de signes et de symptômes de la COVID‑19 est tenue, à la fois :
a) de se mettre en quarantaine sans délai conformément aux instructions de l’agent de contrôle ou de l’agent de quarantaine et demeurer en quarantaine jusqu’à l’expiration de la période de quatorze jours qui commence le jour de son entrée au Canada;
[11]
Le décret prévoit, à l’article 6, un certain nombre d’exceptions à l’obligation de se mettre en quarantaine énoncée à l’alinéa 3(1)a). Ainsi, les alinéas 6m) et 6n) prévoient que les personnes suivantes sont soustraites à l’application de l’alinéa 3(1)a) :
m) le résident habituel d’une collectivité intégrée existant des deux côtés de la frontière entre le Canada et les États‑Unis qui entre au Canada à l’intérieur des limites frontalières de cette collectivité, si l’entrée au Canada est nécessaire pour exécuter une activité de tous les jours au sein de celle-ci;
n) la personne qui entre au Canada pour revenir à son lieu de résidence habituel au Canada après avoir exécuté une activité de tous les jours qui, compte tenu des contraintes géographiques, nécessite l’entrée aux États‑Unis […]
[12]
Le gouverneur en conseil a ajouté ces deux exceptions à la même date, le 14 avril 2020, au moyen du CP 2020‑260 intitulé Décret no 2 visant la réduction du risque d’exposition à la COVID‑19 au Canada (obligation de s’isoler).
[13]
Selon une note explicative qu’a préparée l’Agence de la santé publique du Canada et qui accompagnait le décret, le nouveau décret en question prévoyait des exemptions de l’obligation de se mettre en quarantaine pour les personnes qui « doivent traverser la frontière pour accéder aux biens et services, compte tenu de la géographie de leur communauté transfrontalière »
: Gazette du Canada, Partie I, vol. 154, no 17 (25 avril 2020).
B.
Le voyage que le demandeur a fait aux États‑Unis les 1er et 2 novembre
[14]
Le demandeur travaille pour Rebel News Network Ltd., qui est un service de presse en ligne canadien. Depuis à peine peu un plus d’un mois, il est chef de la vidéo, mais travaille pour l’entreprise depuis trois ans et demi.
[15]
Dans l’affidavit qu’il a fait sous serment le 5 novembre 2020, le demandeur a expliqué que ses fonctions consistaient à gérer l’ensemble du contenu vidéo produit par Rebel News. Étant donné qu’il s’agit d’une plateforme d’information en ligne, son rôle relatif à la production du contenu vidéo est « important »
. Il a expliqué qu’il surveillait l’ensemble du contenu éditorial de l’entreprise présenté sur vidéo et sur le Web, ainsi que les services des médias sociaux, en plus de superviser directement la production et la postproduction du contenu vidéo pour le site Web et pour le canal YouTube de la société. Dans le cadre de son emploi, il doit accomplir une bonne partie de ses tâches sur place. Dans ce contexte, il a été appelé à se rendre aux États‑Unis, habituellement en compagnie d’un journaliste, lorsque des événements intéressants à couvrir s’y déroulaient. Dans son affidavit, il a expliqué que, dans le passé, il est allé aux États‑Unis environ une fois par année pour le compte de la société, mais n’y est pas allé entre mars 2020 et le 30 octobre 2020, pendant les restrictions frontalières découlant de la COVID‑19.
[16]
Une partie du travail du demandeur consistait à planifier et à produire des séquences vidéo concernant l’élection présidentielle qui a eu lieu aux États‑Unis le 3 novembre 2020, y compris les campagnes.
[17]
Le 1er novembre 2020, il s’est rendu avec un collègue journaliste à Traverse City, au Michigan, et a assisté avec lui à un événement de campagne pour l’élection américaine. En qualité de producteur vidéo, le demandeur devait s’occuper de l’enregistrement des séquences vidéo et du contrôle de l’équipement, tandis que son collègue recueillait l’information et était filmé.
[18]
Avant le voyage, son collègue et lui‑même ont sollicité un avis professionnel au sujet des restrictions qui s’appliqueraient à eux à leur retour au Canada. Bien que le demandeur n’ait pas dévoilé cet avis dans son affidavit, il croyait que leur déplacement était soustrait aux exigences en matière de quarantaine en raison de l’exemption désormais prévue à l’alinéa 6n) du Décret no 7 visant la réduction du risque d’exposition à la COVID‑19 au Canada (obligation de s’isoler).
[19]
Le lendemain soir, le 2 novembre, ils sont revenus au Canada en empruntant le pont Blue Water, afin de passer du Michigan à la ville de Sarnia, en Ontario.
[20]
Avant leur retour, le PDG de leur employeur leur a remis une copie d’une lettre signée (sur le papier à en‑tête de Rebel News) qui était datée du 2 novembre 2020 et qui expliquait l’objet de leur visite et le fait qu’ils étaient soustraits aux exigences en matière de quarantaine. Voici un extrait de cette lettre :
[traduction]
Veuillez noter que Rebel News a confié [au demandeur et à son collègue] la tâche de se rendre à Traverse City, au Michigan, afin d’assister à un événement de la campagne présidentielle américaine et de présenter un reportage à ce sujet. Ils sont entrés aux États‑Unis le soir du 1er novembre 2020, dans le cadre de leurs fonctions de travail et activités de tous les jours et dans le but précis d’assister à l’événement de campagne tenu ce soir‑là à l’aéroport Cherry Capital à 17 heures, HNE, puis de présenter un reportage à ce sujet. En conséquence, ils sont soustraits à l’obligation de se mettre en quarantaine conformément au décret no 18 (article 6).
[21]
Lorsqu’ils sont arrivés à la frontière, le demandeur et son collègue ont parlé à deux agents à tour de rôle. Ils ont informé le premier agent qu’ils n’étaient pas tenus de se mettre en quarantaine, parce qu’ils avaient traversé la frontière pour un court laps de temps dans le cadre de leurs activités de travail de tous les jours qui, dans ce cas‑ci, les obligeaient à se rendre aux États‑Unis. Ils ont présenté la lettre du PDG invoquant l’existence d’une exception. Le premier agent a répondu qu’aucune exemption ne s’appliquait.
[22]
Le demandeur et son collègue ont demandé à parler à une personne occupant un poste plus élevé. Ils ont parlé à un second agent et ont présenté à nouveau la lettre du PDG. Le second agent a confirmé que la période de quarantaine de 14 jours s’appliquait et que le demandeur et son collègue s’exposeraient à de lourdes pénalités s’ils refusaient de se mettre en quarantaine comme le décret l’exige.
[23]
Selon son témoignage, le demandeur a traversé la frontière et est rentré à son lieu de résidence au Canada. Depuis ce temps, il est demeuré en isolement et en quarantaine. Il croit que les agents ont eu tort de refuser d’appliquer à son endroit l’exception prévue à l’alinéa 6n). Il a décrit sa situation actuelle comme une forme d’assignation à résidence et souligné qu’il avait traversé la frontière le 1er novembre uniquement parce qu’il croyait qu’il ne serait pas tenu de se mettre en quarantaine, eu égard à l’exception prévue à l’alinéa 6n).
[24]
Le demandeur a ajouté qu’il ne peut exécuter efficacement son travail s’il reste à son domicile ou qu’il demeure en quarantaine. S’il doit demeurer en quarantaine pendant toute la période de 14 jours, il sera incapable de fournir des services sur place lors de quelques‑uns des événements et occasions de reportage les plus importants de l’année. Il a affirmé que cet obstacle aura [traduction] « une incidence très défavorable »
sur la programmation de son employeur et [traduction] « restreindra la capacité du personnel de couvrir l’élection américaine avec le professionnalisme et la précision généralement attendus aujourd’hui »
.
II.
L’instance devant la Cour fédérale
[25]
Dans sa demande de contrôle judiciaire datée du 5 novembre 2020, le demandeur a sollicité une ordonnance annulant [traduction] « une décision par laquelle un agent de l’[ASFC] dont l’identité n’a pas été révélée avait refusé de soustraire le demandeur, qui est citoyen canadien, à l’obligation de se mettre en quarantaine pendant 14 jours à son retour au Canada conformément à la Loi sur la mise en quarantaine et au décret applicable (CP numéro 2020‑0840, Décret no 7 visant la réduction du risque d’exposition à la COVID‑19 au Canada (obligation de s’isoler) »
. Dans sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur a également demandé que la question de l’application de l’exigence de mise en quarantaine à son endroit soit réexaminée par un décideur différent.
[26]
Le 6 novembre 2020, le demandeur a déposé la présente requête urgente en vue d’obtenir une [traduction] « ordonnance suspendant l’application continue de l’ordre de mise en quarantaine qui [lui] a été donné le 2 novembre 2020 »
. Dans ses observations écrites, déposées en même temps, le demandeur a précisé qu’il sollicitait une [traduction] « injonction ou une ordonnance de suspension »
mettant fin à la mise en quarantaine ordonnée à son endroit.
[27]
Le 9 novembre 2020, les défendeurs ont déposé des observations écrites en réponse. La Cour a tenu une audience de vive voix le même jour par vidéoconférence.
III.
La compétence de la Cour
[28]
Les défendeurs ont soutenu que la Cour fédérale n’a pas compétence pour rendre l’ordonnance que le demandeur sollicite. Ils font valoir que le demandeur ne peut obtenir la réparation qu’il sollicite au moyen d’une requête interlocutoire.
[29]
Le demandeur a déposé la présente requête à titre de mesure accessoire à sa demande de contrôle judiciaire. Il invoque les articles 18.2 et 44 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, qui autoriseraient notre Cour à accorder l’injonction ou la suspension demandée. L’article 18.2 permet à la Cour de prendre des mesures provisoires lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire :
18.2 La Cour fédérale peut, lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, prendre les mesures provisoires qu’elle estime indiquées avant de rendre sa décision définitive.
[30]
Le paragraphe 18(1) prévoit que la Cour fédérale a « compétence exclusive, en première instance, pour a) décerner […] un bref de certiorari […] contre tout office fédéral »
. Il n’a pas été contesté qu’une décision d’un agent de l’ASFC est une décision d’un « office fédéral »
au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les Cours fédérales.
[31]
L’article 44 de la Loi sur les Cours fédérales est ainsi libellé :
44 Indépendamment de toute autre forme de réparation qu’elle peut accorder, la Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale peut, dans tous les cas où il lui paraît juste ou opportun de le faire, décerner un mandamus, une injonction ou une ordonnance d’exécution intégrale, ou nommer un séquestre, soit sans condition, soit selon les modalités qu’elle juge équitables.
[32]
Le demandeur a également invoqué l’article 373 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, qui prévoit qu’un juge peut accorder une injonction interlocutoire sur requête.
[33]
À mon avis, étant donné que le demandeur a sollicité le contrôle judiciaire devant notre Cour, la disposition législative qui s’applique en l’espèce est l’article 18.2, non l’article 44, de la Loi sur les Cours fédérales.
[34]
La question soulevée par les défendeurs ne touche pas le critère appliqué à la suspension ou à l’injonction visée à l’article 18.2. Les deux parties conviennent que le critère est fondé sur l’analyse en trois étapes que la Cour suprême du Canada a décrite dans l’arrêt RJR‑MacDonald Inc. c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311.
[35]
Les défendeurs ont plutôt soutenu que la Cour n’a pas compétence pour accorder l’ordonnance provisoire demandée. En effet, ils affirment que, à la lumière d’une « lecture globale et pratique, sans s’attacher aux questions de forme »
, la nature essentielle de la requête du demandeur est une demande visant à obtenir une ordonnance de prohibition ou de certiorari, et invoquent à cet égard l’arrêt Canada (Revenu national) c JP Morgan Asset Management (Canada) Inc., 2013 CAF 250, [2014] 2 RCF 557, aux para 49‑50, 102 et 105. Les défendeurs font valoir qu’en réalité, le demandeur cherche à obtenir une ordonnance d’interdiction, parce que l’ordonnance demandée interdirait la poursuite de l’application de l’ordre de mise en quarantaine pendant que celui‑ci serait encore en vigueur. Subsidiairement, ils soutiennent que l’ordonnance sollicitée par le demandeur est de la nature d’un bref de prohibition ou de certiorari, parce que le fait de mettre fin à la mise en quarantaine n’est pas différent de celui d’annuler l’ordre de mise en quarantaine. Qu’il s’agisse d’un bref de prohibition ou de certiorari, les défendeurs affirment qu’aucune de ces deux mesures ne peut être obtenue au moyen d’une requête interlocutoire fondée sur l’article 18.1 ou 18.2, et citent à cet égard les décisions Kellapatha c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 739; Wasylynuk c Canada (Gendarmerie Royale du Canada), 2020 CF 962, aux para 66‑71; Clifton c Hartley Bay (Village), 2005 CF 1594.
[36]
Je ne souscris pas à la proposition selon laquelle la Cour fédérale n’a pas compétence pour accorder au demandeur la réparation demandée en réponse à la présente requête interlocutoire urgente.
[37]
D’abord, les décisions que les défendeurs ont citées ne s’appliquent pas directement à la présente affaire. La question en litige dans l’arrêt JP Morgan Asset Management n’était pas de savoir si une ordonnance interlocutoire pouvait être obtenue au titre de l’article 18.2, parce que la nature essentielle du recours était une demande d’ordonnance définitive dans le cadre d’un contrôle judiciaire présenté au titre du paragraphe 18(1). Le litige portait sur la nature essentielle de la demande de contrôle judiciaire du demandeur et sur la question de savoir si cette demande pouvait ou non être instruite en raison de l’obligation ou de la possibilité que le demandeur avait de contester la cotisation établie contre lui devant la Cour canadienne de l’impôt aux termes des dispositions législatives applicables. Le juge Stratas, de la Cour d’appel fédérale, a décidé en partie que, si la nature essentielle de la réparation sollicitée était une mesure que la Cour canadienne de l’impôt était autorisée à prendre (annulation de la cotisation), la demande de contrôle judiciaire devait être radiée (aux para 93, 111‑112).
[38]
Les autres décisions citées ne concernent pas le bref de prohibition ou de certiorari. Dans la décision Kellapatha, le juge Fothergill a conclu qu’un bref de mandamus ne pouvait être décerné sur présentation d’une requête interlocutoire (aux para 17, 20). Il a suivi la décision de la juge Tremblay‑Lamer, qui avait tiré la même conclusion dans la décision Clifton c Hartley Bay (Village). Dans la décision Wasylynuk, j’étais enclin à convenir qu’un bref de mandamus ne devrait pas être décerné à l’occasion d’une requête interlocutoire, tant pour des raisons de principe qu’au vu de la possibilité de contraindre une partie défenderesse à prendre des mesures positives au moyen d’une ordonnance contraignante de nature provisoire ou interlocutoire (au para 69). Je n’ai pas écarté la possibilité que, dans les cas opportuns, une ordonnance de mandamus soit rendue à titre provisoire si la nature du devoir public en cause était foncièrement « interlocutoire »
(au para 71).
[39]
La question qui se pose en l’espèce est de savoir si, dans la foulée du raisonnement suivi dans les décisions susmentionnées, la nature essentielle de la présente requête n’est pas une demande d’injonction ou de suspension, mais plutôt une demande interlocutoire visant à obtenir un bref de prohibition ou de certiorari, qui ne peut être décerné qu’à l’occasion d’une demande de contrôle judiciaire.
[40]
À mon avis, la présente requête ne vise pas à obtenir une ordonnance de la nature d’un bref de prohibition, car elle n’a pas pour but d’empêcher un décideur de prendre une mesure ou d’en terminer l’exécution. La décision de l’ASFC a été prise. L’agent n’a aucune autre mesure à prendre qui pourrait être interdite en application de l’alinéa 18(1)a) de la Loi sur les Cours fédérales.
[41]
L’argument que les défendeurs invoquent au sujet du bref de certiorari est plus solide. La présente requête interlocutoire vise effectivement à mettre un terme à l’effet de la décision de l’agent, ce qui s’apparente à un bref de certiorari provisoire qui ne pourrait par ailleurs être décerné que dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Les défendeurs soutiennent que la suspension ou l’injonction provisoire vise à maintenir le statu quo. Le juge Fothergill, alors qu’il traitait du bref de mandamus dans la décision Kellapatha, a souligné que la « requête interlocutoire vise à protéger ou à rétablir le statu quo, et non à accorder au demandeur la mesure recherchée »
(au para 20). De plus, comme le prévoit l’article 18.2 lui‑même, la Cour fédérale peut, lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, prendre des mesures provisoires « avant de rendre sa décision définitive »
. Dans la présente affaire, la décision de l’agent de l’ASFC oblige le demandeur à se mettre en quarantaine jusqu’à l’expiration d’une période de 14 jours le 17 novembre 2020, pourvu qu’il ne présente pas de signes et symptômes de la COVID‑19 (dans le cas contraire, la période de quarantaine se poursuivra). Si la requête visant à suspendre l’effet de la décision de l’agent est accueillie, cela signifiera, en pratique, que le demandeur ne sera plus tenu de demeurer en quarantaine chez lui. Bien entendu, sur le plan juridique, la décision de l’agent ne serait pas infirmée – son application demeurerait suspendue jusqu’à ce que la demande de contrôle judiciaire soit tranchée. Cependant, il est également indéniable que cette dernière demande ne serait pas instruite, parce que le demandeur aura déjà obtenu la réparation qu’il sollicite : être dégagé de l’obligation de se mettre en quarantaine. Une analyse similaire s’applique probablement si la requête est considérée comme une demande d’injonction restreignant l’application du décret, plus précisément l’application de la période de mise en quarantaine obligatoire imposée à toute personne qui entre au Canada et qui ne présente pas de signes et symptômes de la COVID‑19, comme le prévoit l’alinéa 3(1)a) du décret. L’octroi de l’injonction met fin à la quarantaine à toutes fins utiles, ce qui équivaut dans les faits à l’annulation de la décision de l’agent.
[42]
Cependant, ces préoccupations ne portent pas un coup fatal à la requête du demandeur en l’espèce. D’abord, un des objets importants de l’injonction interlocutoire est d’empêcher qu’un préjudice irréparable survienne entre la présentation de la requête et la date à laquelle l’affaire sera finalement jugée au fond : voir, p. ex., l’arrêt Google Inc. c Equustek Solutions Inc., 2017 CSC 34, [2017] 1 RCS 824 (juge Abella), aux para 24, 34 et 40‑41. Le demandeur soutient que ce préjudice se produit effectivement. Pour reprendre le propos de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt RJR‑MacDonald, il s’agit ici d’une situation où « le droit que le requérant cherche à protéger est un droit qui ne peut [et, en l’espèce, doit] être exercé qu’immédiatement ou pas du tout »
: à la page 338. Donner effet à l’argument des défendeurs risquerait de laisser les demandeurs qui ont de bonnes raisons de se sentir lésés sans recours sous forme de mesure provisoire ou interlocutoire au titre de l’article 18.2 pour une raison fondée sur une règle de droit ou sur un principe plutôt que sur la preuve et la justice. Si le demandeur peut démontrer à la Cour qu’il a fait l’objet d’une ordonnance ou décision illicite qui cause un préjudice irréparable rapidement ou pour une très courte période, pourquoi devrait‑il, en droit, être laissé sans recours? À mon avis, le demandeur dont le recours est méritoire ne devrait pas être laissé en plan.
[43]
En deuxième lieu, il n’est pas inhabituel qu’une injonction interlocutoire reflète le résultat final de l’instance sous‑jacente. Il arrive souvent qu’un futur défendeur agisse de façon à nuire ou à causer un préjudice irréparable à un futur demandeur, à moins d’être freiné par une ordonnance de la cour. La réparation que sollicite le demandeur en dernier recours est une injonction permanente, et parfois une indemnité sous forme de dommages‑intérêts, à la lumière de l’éventuelle détermination des droits respectifs des parties. Si le demandeur perd à l’issue de l’éventuel procès ou demande, le défendeur pourra aller de l’avant et faire ce qu’il lui avait été interdit de faire (et, dans certains cas, il recevra un dédommagement des pertes subies dans l’intervalle en raison de l’action en dommages‑intérêts du demandeur). La Cour fédérale statue « à bref délai et selon une procédure sommaire »
sur les demandes de contrôle judiciaire : paragraphe 18.4(1) de la Loi sur les Cours fédérales.
[44]
En troisième lieu, la Cour suprême du Canada a expressément reconnu, dans l’arrêt RJR‑MacDonald, que l’injonction interlocutoire peut équivaloir en fait au règlement final de l’action (à la p. 338). En pareil cas, la réparation ne consiste pas à affirmer que la Cour n’a pas compétence pour accorder l’injonction. La Cour doit plutôt « procéder à un examen plus approfondi du fond de l’affaire »
à la première étape de l’analyse en trois étapes (à la p. 339). L’injonction ne sera pas accordée en l’absence d’une plus grande certitude que le demandeur aura ultimement gain de cause.
[45]
En quatrième lieu, la Cour fédérale n’accorde pas une injonction interlocutoire ou une suspension à tout propos. La barre est haute, non seulement lorsque notre Cour examine le fond de l’affaire à la première étape de l’analyse décrite dans l’arrêt RJR‑MacDonald, mais également aux deuxième et troisième étapes. À la première étape, la Cour procède à un examen plus approfondi du fond de l’affaire, et le fait également lorsqu’un contrôle judiciaire est en cours, en appliquant les normes énoncées dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65. Dans la plupart des cas, la norme applicable est la norme déférente de la décision raisonnable, et non la norme de la décision correcte. À la deuxième étape, il est nécessaire de présenter une preuve claire et convaincante d’un préjudice irréparable, conformément aux exigences élevées énoncées par la Cour d’appel fédérale (et commentées ci‑dessous) à cet égard. À la troisième étape, le demandeur devra, dans bien des cas, établir que le préjudice qu’il subira excède le préjudice à l’intérêt public si souvent invoqué dans des requêtes en mesures provisoires présentées avant la décision définitive au sujet d’une demande de contrôle judiciaire présentée au titre de l’article 18.2. Il s’agit souvent d’une tâche ardue.
[46]
En dernier lieu, je suis confiant que le demandeur recherche en bonne et due forme une suspension ou une injonction et n’a pas « maquillé »
une cause d’action différente en demande de contrôle judiciaire ni n’a tenté de dissimuler une demande de contrôle judiciaire derrière une requête pour mesures provisoires. La requête en suspension ou injonction est légalement différente du contrôle judiciaire sous‑jacent.
[47]
Pour les motifs exposés plus haut, je suis convaincu que rien n’empêche la Cour d’accorder la réparation demandée dans les circonstances précises et urgentes de la présente affaire. La Cour a compétence pour accorder une injonction ou une suspension en l’espèce en vertu de l’article 18.2 de la Loi sur les Cours fédérales.
IV.
La requête en vue d’obtenir une injonction interlocutoire ou une suspension
[48]
Lorsqu’elle est saisie d’une demande d’injonction interlocutoire, la Cour fédérale applique un cadre d’analyse en trois étapes pour établir s’il est juste et équitable d’accorder l’injonction. La Cour suprême du Canada a décrit l’approche habituelle dans l’arrêt RJR‑MacDonald. La Cour se demande : (i) s’il y a, à la suite d’un examen préliminaire du bien‑fondé de l’affaire, une question sérieuse à juger (c’est‑à‑dire que la demande du demandeur n’est ni futile ni vexatoire; (ii) si le demandeur subira un préjudice irréparable si l’injonction lui est refusée et (iii) si la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi ou le refus de l’injonction, en fonction de l’appréciation de la question de savoir quelle partie subirait le plus grand préjudice en attendant qu’une décision soit rendue sur le fond. Il s’agit essentiellement de savoir si l’octroi d’une injonction est « juste et équitable eu égard à l’ensemble des circonstances »
: voir les arrêts Google, au para 25; RJR‑MacDonald, à la page 334; R c Société Radio‑Canada., 2018 CSC 5, [2018] 1 RCS 196, au para 15; Droits des voyageurs c Canada (Office des transports), 2020 CAF 92 (juge Mactavish), aux para 13‑14.
[49]
Le cadre d’analyse de l’arrêt RJR‑MacDonald s’applique également aux suspensions : Arctic Cat Inc. c Bombardier Recreational Products Inc., 2020 CAF 116 (juge Rivoalen), au para 10; Newbould c Canada (Procureur général), 2017 CAF 106, [2018] 1 RCF 590 (juge Pelletier), aux para 14 et 20; Toronto Real Estate Board c Commissaire de la concurrence, 2016 CAF 204 (juge Gleason), au para 11; United States Steel Corporation c Canada (Procureur général), 2010 CAF 200 (juge Layden‑Stevenson), au para 4; Unilin Beheer B.V. c Triforest Inc., 2017 CF 76 (juge Gascon), au para 101.
[50]
Le cadre d’analyse à trois volets de l’arrêt RJR‑MacDonald est conjonctif, ce qui signifie que le demandeur doit satisfaire aux trois volets du critère pour avoir droit à la réparation : Droits des voyageurs, au para 15. Les volets sont également souples et liés entre eux. Ils ne constituent pas des compartiments étanches. Chacun est lié aux autres et chacun guide la cour vers les facteurs à prendre en compte dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire dans un cas donné. À titre d’exemple, la solidité de la preuve présentée sur le bien-fondé à la première étape peut toucher l’examen que fait la cour du préjudice irréparable et de la prépondérance des inconvénients : voir les décisions RJR‑MacDonald, à la page 339; Colombie‑Britannique (Procureur général) c Alberta (Procureur général), 2019 CF 1195 (juge Grammond), aux para 97 et 173‑179; Toronto (City) c A.G. Ontario, 2018 ONCA 761, au para 10; Livent Inc. c Deloitte & Touche, 2016 ONCA 395 (JCO Strathy), au para 5; Unilin Beheer B.V., au para 102 et les décisions qui y sont citées; British Columbia (Attorney General) c Wale (1986), 9 BCLR (2d) 333 (CA), par la juge McLachlin, aux pages 346‑47, conf par [1991] 1 RCS 62.
A.
La première étape : évaluation du bien‑fondé
[51]
La première étape du cadre d’analyse de l’arrêt RJR‑MacDonald consiste en une évaluation préliminaire du bien‑fondé des allégations du demandeur.
[52]
Au moins trois normes ont été appliquées au fil des années aux fins de l’évaluation du bien‑fondé de l’affaire, lesquelles normes varient selon les circonstances. Habituellement, la norme est peu élevée : elle nécessite l’établissement d’une question sérieuse à juger, au sens où la demande ne doit pas être futile ou vexatoire : RJR‑MacDonald, à la page 337.
[53]
Une norme différente, plus exigeante, s’applique lorsqu’une injonction interlocutoire mandatoire est sollicitée. Le demandeur doit alors établir une forte apparence de droit : Société Radio‑Canda, aux para 13‑15; Droits des voyageurs, au para 19.
[54]
De plus, les Cours fédérales ont appliqué une norme « élevée »
dans certaines circonstances : voir, par exemple, Baron c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81, [2010] 2 RCF 311 (juge Nadon), aux para 66‑67; Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 3 CF 682 (CF 1re inst) (juge Pelletier), au para 11; Okojie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 880 (juge Gascon), aux para 66, 79 et 80).
[55]
La Cour suprême du Canada a reconnu elle‑même, dans l’arrêt RJR‑MacDonald, des exceptions à la norme habituelle de la « question sérieuse à juger »
. Une de ces exceptions est le cas où le résultat de la demande interlocutoire équivaudrait en fait au règlement final de l’instance sous‑jacente dans le cadre de laquelle la demande d’injonction est introduite : voir les pages 338‑39. En pareil cas, « un examen plus approfondi du fond de l’affaire »
est nécessaire. Cependant, comme l’a souligné le juge Gascon dans la décision Okojie, la Cour suprême du Canada n’a pas articulé la norme juridique à appliquer dans le cadre de cet examen plus approfondi (aux para 77‑87).
[56]
À mon avis, il est évident que si l’examen de la requête en injonction interlocutoire équivaut en fait, comme c’est le cas en l’espèce, à trancher la demande de contrôle judiciaire sous‑jacente, la Cour doit étudier attentivement le fond de l’affaire et être convaincue, à tout le moins, que le demandeur est susceptible d’avoir gain de cause. Dans certains cas, les tribunaux canadiens ont appliqué une norme plus élevée, soit l’existence d’une [traduction] « probabilité solide que l’appel réussisse »
: voir Toronto (City) c A.G. Ontario, 2018 ONCA 761, au para 10) ou l’existence d’une forte apparence de droit (Awashish c Conseil des Atikamekw d’Opitciwan, 2019 CF 1131 (juge Grammond), aux para 18‑20; Orpheus Medica c Deep Biologics Inc., 2020 ONSC 4974 (juge Papageorgiou), au para 17. Dans d’autres décisions récentes, les tribunaux ont articulé une norme plus élevée à l’aide de termes différents, par exemple, le fait que l’instance sous‑jacente a [traduction] « de bonnes chances d’être accueillie »
(Black et al c City of Toronto, 2020 ONSC 6398 (juge Schabas), au para 41, l’assimilant à une « forte apparence de droit »
) ou d’une [traduction] « cause solide et défendable »
(Taseko Mines Limited c Tsilhqot’in National Government, 2019 BCSC 1507 (juge Matthews), aux para 5‑6, 32‑33).
[57]
Comme l’indiqueront clairement les motifs qui suivent, il n’est pas nécessaire que je tranche la question de savoir si la norme juridique à appliquer dans la présente requête est celle de l’établissement du fait que le demandeur est susceptible d’avoir gain de cause (norme élevée) ou de l’existence d’une forte apparence de droit quant au fond de l’affaire. Dans un cas comme dans l’autre, une évaluation de la solidité du bien‑fondé doit être un facteur important dans le résultat de la présente requête. Comme je l’expliquerai plus loin, j’en arrive à la conclusion que le demandeur n’a pas établi qu’il est susceptible d’avoir gain de cause lors du contrôle judiciaire de la décision de l’agent de l’ASFC.
[58]
Lorsque la demande sous‑jacente est une demande de contrôle judiciaire, la Cour doit examiner le bien‑fondé de cette demande elle‑même. En d’autres termes, la Cour évalue la solidité de la cause du demandeur dans la demande de contrôle judiciaire en cours en appliquant la norme de la décision raisonnable énoncée dans l’arrêt Vavilov. Voir les décisions Corona c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CF 269 (juge Pentney), aux para 15, 25‑29; Martell c Canada (Procureur général), 2019 CF 737 (juge Roussel), aux para 27‑40, 35; Robinson c Canada (Procureur général), 2019 CF 876 (juge Gascon), aux para 62 et 69‑76.
[59]
Dans la présente requête, le demandeur soutient que l’agent de l’ASFC a eu tort de conclure qu’il n’était pas visé par l’exemption prévue à l’alinéa 6n). Il a fait valoir que l’exception s’appliquait à sa situation lorsqu’il était rentré au Canada le 2 novembre 2020. Il est retourné à sa résidence au Canada après avoir exécuté une activité de tous les jours dans le cadre de son travail de vidéojournaliste, qui l’obligeait à aller aux États‑Unis en raison de l’emplacement et de la nature du sujet de reportage. Il a apporté la lettre du 2 novembre 2020 dans laquelle son employeur donnait cette information et a expliqué les mêmes raisons de son déplacement à l’agent, mais a néanmoins été tenu de se mettre en quarantaine.
[60]
Le demandeur a également soutenu que l’exception prévue à l’alinéa 6n) n’était pas facultative. Interprétée correctement, elle signifie que les personnes qui rentrent au Canada et qui sont visées par une exception prévue à l’article 6 ne sont pas assujetties à l’obligation de mise en quarantaine énoncée à l’alinéa 3(1)a). Selon le demandeur, l’agent a commis une erreur de droit en interprétant et en appliquant comme il l’a fait l’exception à son endroit et l’agent était tenu d’interpréter le texte législatif correctement. Cette erreur de droit constitue le principal motif invoqué dans la demande de contrôle judiciaire sous‑jacente.
[61]
Dans ses observations écrites, le demandeur va plus loin et fait valoir que [traduction] « toute interprétation ayant eu pour effet de refuser d’appliquer l’exemption »
au demandeur constituait [traduction] « une erreur de droit ou une application erronée et imprécise »
du décret à sa situation.
[62]
De l’avis du demandeur, l’exception prévue à l’alinéa 6n) comporte trois exigences : (i) le voyageur doit être une personne qui entre au Canada pour revenir à son lieu de résidence habituel; (ii) le voyageur doit rentrer au Canada après avoir exécuté une activité de tous les jours aux États‑Unis et (iii) l’activité de tous les jours doit nécessiter l’entrée aux États‑Unis, « compte tenu des contraintes géographiques »
.
[63]
Les défendeurs répondent que le demandeur n’a soulevé aucune question sérieuse à juger. À leur avis, le demandeur n’a pas réussi à prouver qu’il y a quoi que ce soit de déraisonnable dans le fait de devoir se mettre en quarantaine pendant 14 jours après être allé aux États‑Unis. Le demandeur n’a pas fourni à l’agent le moindre renseignement qui aurait raisonnablement incité celui‑ci à conclure que le demandeur exécutait une activité de tous les jours qui, compte tenu des contraintes géographiques, nécessitait l’entrée aux États‑Unis.
[64]
Plus précisément, les défendeurs font valoir que le demandeur n’a nullement laissé entendre qu’il est une personne devant traverser la frontière pour accéder aux biens et services compte tenu de la géographie de sa communauté transfrontalière. De l’avis des défendeurs, c’est là l’explication donnée à l’égard de l’alinéa 6n) (et de l’alinéa 6m)) dans la note explicative qui était jointe au texte des deux exceptions mentionnées plus haut. Le demandeur a déclaré qu’il vit à Mississauga. En conséquence, l’exception prévue à l’alinéa 6n) du décret ne s’applique pas.
[65]
Pour les motifs exposés ci‑dessous, je souscris pour l’essentiel aux arguments des défendeurs.
[66]
D’abord, il convient de formuler quelques brèves remarques au sujet de l’application de la norme de la décision raisonnable exposée dans l’arrêt Vavilov. Les caractéristiques d’une décision raisonnable sont la justification, la transparence et l’intelligibilité. Le contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable s’intéresse à la décision effectivement rendue par le décideur, y compris le processus décisionnel (c.‑à‑d. la justification de la décision) qui a mené à la décision et le résultat : Vavilov, aux para 83, 86. Cependant, les cours de révision « ne devraient pas se demander comment elles auraient elles‑mêmes tranché une question, et devraient se concentrer sur la question de savoir si la partie demanderesse a démontré le caractère déraisonnable de la décision »
: Vavilov, aux para 75 et 83. Une décision raisonnable est une décision qui a) est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et b) est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, au para 85.
[67]
Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a donné des indications aux cours de révision au sujet de la façon d’interpréter le régime législatif applicable (aux para 108‑114) ainsi qu’au sujet des principes d’interprétation législative (aux para 115‑124). Les questions d’interprétation législative sont évaluées au regard de la norme de la décision raisonnable (au para 115).
[68]
Dans la présente affaire, l’agent n’a fourni aucun motif à l’appui de sa décision. La Cour suprême du Canada a traité de cette situation aux paragraphes 136 à 138 de l’arrêt Vavilov et a conclu que l’analyse sera habituellement centrée sur le résultat plutôt que sur le raisonnement du décideur.
[69]
En deuxième lieu, les principes modernes d’interprétation des lois (décrits dans l’arrêt Vavilov, aux para 117‑118) s’appliquent à l’interprétation des décrets : Amaratunga c Organisation des pêches de l’Atlantique Nord‑Ouest, 2013 CSC 66, [2013] 3 RCS 866, au para 36.
[70]
En troisième lieu, il peut être utile de consulter les explications publiées, comme les études d’impact de la réglementation accompagnant les règlements, ou les notes explicatives publiées avec des décrets, pour comprendre le règlement ou le décret en question : voir, par exemple, les arrêts Merck Frosst Canada & Co c Apotex Inc. 2011 CAF 329, au para 45; Bigstone Cree Nation c Nova Gas Transmission Ltd., 2018 CAF 89, aux para 20, 67‑68.
[71]
Pour plus de commodité, je reproduis à nouveau ci‑dessous les exceptions énoncées aux alinéas 6m) et 6n). Selon ces dispositions, l’alinéa 3(1)a) ne s’applique pas aux personnes suivantes :
m) le résident habituel d’une collectivité intégrée existant des deux côtés de la frontière entre le Canada et les États‑Unis qui entre au Canada à l’intérieur des limites frontalières de cette collectivité, si l’entrée au Canada est nécessaire pour exécuter une activité de tous les jours au sein de celle-ci;
n) la personne qui entre au Canada pour revenir à son lieu de résidence habituel au Canada après avoir exécuté une activité de tous les jours qui, compte tenu des contraintes géographiques, nécessite l’entrée aux États‑Unis […]
[72]
Lorsque j’applique les normes et les principes juridiques exposés plus haut dans la présente affaire, je ne suis pas convaincu que le demandeur est susceptible d’avoir gain de cause dans sa tentative de démontrer que la décision de l’agent était déraisonnable lors du contrôle judiciaire. Je ne puis conclure que le demandeur a des chances de parvenir à convaincre la Cour que l’interprétation juridique de l’alinéa 6n) imputée à l’agent est déraisonnable, ou que le résultat est déraisonnable au vu des faits du dossier.
[73]
Eu égard aux directives données par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov, à l’absence de motifs au soutien de la décision du décideur en l’espèce et à l’urgence avec laquelle la présente requête a été débattue et examinée, je ne présenterai pas d’interprétation définitive de l’exception prévue à l’alinéa 6n). Néanmoins, je dois fournir des motifs pour étayer ma conclusion selon laquelle la demande de contrôle judiciaire du demandeur n’est pas susceptible d’être accueillie et, ce faisant, commenter l’interprétation de l’alinéa 6n).
[74]
Les parties conviennent que l’alinéa 3(1)a) s’appliquait au demandeur, qui rentrait au Canada le 2 novembre après un séjour aux États‑Unis sans présenter de signes et symptômes de la COVID‑19. Cette partie de la décision de l’agent n’est pas contestée. Les véritables questions en litige concernent l’interprétation de l’exception prévue à l’alinéa 6n) et son application au demandeur. Je souligne que la décision de l’agent sur ce dernier aspect est une question mixte de fait et de droit à l’égard de laquelle la Cour fédérale doit faire montre de retenue.
[75]
À première vue, l’alinéa 6n) concerne une personne qui revient au Canada après avoir exécuté une activité de tous les jours qui, compte tenu des contraintes géographiques, nécessite l’entrée aux États‑Unis [non souligné dans l’original]. Dans la note explicative qu’elle a préparée et qui accompagne le décret, l’Agence de la santé publique du Canada a décrit les exceptions ajoutées, qui renvoient sans doute aux alinéas 6m) et 6n), comme des exceptions qui s’appliquent aux personnes qui « doivent traverser la frontière pour accéder aux biens et services compte tenu de la géographie de leur communauté transfrontalière »
. La situation du demandeur n’est manifestement pas visée par cette description.
[76]
Le demandeur soutient qu’il est visé par l’exception prévue à l’alinéa 6n), parce que la captation et la production de vidéos d’événements font partie des activités de tous les jours qu’il doit exécuter dans le cadre de son travail. C’est son employeur qui a décidé de l’envoyer de l’autre côté de la frontière dans le cadre de ses activités de tous les jours comme producteur vidéo. L’événement se déroulait au Michigan, ce qui nécessitait un déplacement aux États‑Unis.
[77]
Cependant, l’article 6 du décret prévoit expressément d’autres exceptions qui concernent des personnes ou catégories de personnes dont les activités de travail les obligent à traverser la frontière canado‑américaine : voir les alinéas 6a) (membre d’équipage); 6e) (personne qui, individuellement ou au titre de son appartenance à une catégorie de personnes, selon ce que conclut l’administrateur en chef de la santé publique, fournira un service essentiel); 6g) (personne qui peut travailler au Canada afin d’offrir des services d’urgence); 6h) (personne qui entre au Canada afin de fournir des soins médicaux ou de transporter de l’équipement médical essentiel); 6k) (professionnel de la santé titulaire d’une licence ou d’un permis d’exercice qui détient une preuve d’emploi au Canada) et 6l) (capitaine, matelot de pont ou autre personne appuyant des activités liées à la pêche commerciale ou à la recherche en matière de pêche). Le demandeur n’a pu soulever aucune de ces exceptions dans le cadre de la présente requête ou auprès de l’agent de l’ASFC le 2 novembre.
[78]
Le texte de l’exception prévue à l’alinéa 6n) n’indique pas, à première vue, que celle‑ci s’applique aux activités de tous les jours des résidents du Canada dans le cadre de leur emploi. Compte tenu des autres exceptions explicites énoncées à l’article 6 et de la façon dont leur application est déterminée (c.‑à‑d. par des agents de la santé publique), si le gouverneur en conseil avait voulu adopter une exception générale à la période de quarantaine de 14 jours applicable à toutes les fonctions d’emploi habituellement exercées par l’ensemble des Canadiens, indépendamment de leur lieu de résidence habituel au Canada, elle aurait sans doute exprimé cette intention d’une façon plus claire.
[79]
Dans le cas précis qui nous occupe, la production de vidéos aux États‑Unis ne faisait pas partie des activités de tous les jours du demandeur. C’est la première fois qu’il traversait la frontière dans le cadre de son emploi depuis mars 2020. Dans l’affidavit qu’il a produit au soutien de la présente requête, le demandeur a affirmé qu’il n’était allé aux États‑Unis pour y travailler qu’environ une fois par année depuis le début de son emploi. Bien que la preuve n’indique pas clairement si ces faits avaient été portés à la connaissance de l’agent de l’ASFC, ils sont énoncés dans l’affidavit du demandeur et vont de pair avec une décision raisonnable de l’agent. En fait, la décision de traverser la frontière canado‑américaine aux fins de cet événement semble découler d’un choix d’entreprise plutôt que d’une nécessité, et que le demandeur n’a pris qu’une seule fois en cette période de pandémie. Même si le demandeur a mentionné dans son affidavit que d’autres employés avaient traversé la frontière et étaient ensuite rentrés au Canada sans se mettre en quarantaine pendant 14 jours, il n’a pas fourni de détails. À mon avis, cette information n’est pas importante aux fins de l’analyse.
[80]
J’ajouterai que l’interprétation que le demandeur propose de l’alinéa 6n) semble injecter un élément de subjectivité ou de pouvoir discrétionnaire individuel dans la détermination des personnes qui doivent se mettre en quarantaine. Le demandeur serait disposé à interpréter l’exception de façon à permettre à toute personne dont le lieu de résidence habituel se trouve au Canada de traverser la frontière canado‑américaine pour exécuter toute activité « de tous les jours »
et de rentrer au Canada sans être tenue de se mettre en quarantaine pendant 14 jours, tant et aussi longtemps que la personne ou son employeur estime que ce déplacement aux États‑Unis est nécessaire pour l’exécution de cette activité ordinaire de tous les jours.
[81]
Dans le contexte d’un décret d’urgence pris en vertu de la Loi sur la mise en quarantaine, il est difficile d’admettre que le gouverneur en conseil avait l’intention de permettre à toute personne dont le lieu de résidence habituel se trouve au Canada de traverser la frontière et de rentrer au pays sans se mettre en quarantaine parce que cette personne ou son employeur croit que ce déplacement est nécessaire. Prenons un exemple extrême : le magasinage est une activité ordinaire de tous les jours pour de nombreux Canadiens. L’interprétation du demandeur semble permettre à un résident habituel de Mississauga qui ne peut trouver une veste d’hiver en particulier ou une marque précise de sauce barbecue qu’elle souhaite acheter dans un magasin du Canada de traverser la frontière pour en faire l’achat à Buffalo (New York), puis de rentrer au Canada sans se mettre en quarantaine. Il est peu probable que ce scénario constitue une exception aux exigences de mise en quarantaine obligatoire dans un décret d’urgence pris en vertu de la Loi sur la mise en quarantaine.
[82]
Dans la même veine, il est difficile d’admettre que la décision discrétionnaire d’un employeur selon laquelle il est nécessaire d’envoyer un employé aux États‑Unis (dans ce cas‑ci, une seule fois) dans le cadre de ses fonctions d’emploi de tous les jours peut être un facteur déterminant pour l’application de l’exception énoncée à l’alinéa 6n) quant à l’obligation pour une personne de se mettre ou non en quarantaine.
[83]
En résumé, à la lumière des observations et de la preuve présentées à l’égard de la présente requête, je conclus que le demandeur n’est pas susceptible de parvenir à convaincre la Cour, dans le cadre du contrôle judiciaire, que la décision de l’agent était déraisonnable.
B.
La deuxième étape : préjudice irréparable pour le demandeur
[84]
Le succès d’une demande d’injonction interlocutoire repose essentiellement sur la preuve d’un préjudice irréparable. Comme l’a souligné la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Google, « une injonction interlocutoire n’offrant aucune possibilité réaliste d’empêcher le préjudice irréparable ne constitue pas une réparation en
equity
»
(au para 41). Sur ce point, le demandeur doit « convaincre la cour »
: Société Radio‑Canada (au para 12).
[85]
Un préjudice « irréparable »
est un préjudice qui ne peut être réparé par des dommages‑intérêts, ou auquel il ne peut être remédié d’une autre façon, par exemple parce qu’une partie ne peut être dédommagée par l’autre : RJR‑MacDonald, à la page 341. C’est la nature ou la qualité du préjudice – et non son étendue – qui doit être « irréparable »
à la deuxième étape de l’analyse.
[86]
La Cour d’appel fédérale exige que le demandeur établisse le préjudice irréparable au moyen d’« éléments de preuve clairs et non conjecturaux »
: voir, par exemple, l’arrêt Droits des voyageurs, au paragraphe 28. Dans l’arrêt Janssen Inc. c Abbvie Corporation, 2014 CAF 112, le juge Stratas a souligné, au paragraphe 24, que « […] le requérant doit établir de manière détaillée et concrète qu’il subira un préjudice réel, certain et inévitable – et non pas hypothétique et conjectural – qui ne pourra être redressé plus tard »
. Voir également les arrêts Canada (Procureur général) c Oshkosh Defense Canada Inc., 2018 CAF 102, au para 25; Western Oilfield Equipment Rentals Ltd. c M‑I LLC, 2020 CAF 3 (juge Nadon), aux para 11‑12; Tearlab Corporation c I‑Med Pharma Inc., 2017 CAF 8, au para 4 (juge A.F. Scott); Gateway City Church c Canada (Revenu national), 2013 CAF 126, aux para 14‑16 (juge Stratas); Glooscap Heritage Society c Canada (Revenu national), 2012 CAF 255, au para 31 (juge Stratas); et, de façon générale, F.H. c McDougall, 2008 CSC 53, [2008] 3 RCS 41, au para 45.
[87]
La Cour d’appel fédérale a également décidé que le demandeur doit établir que le préjudice irréparable invoqué sera subi ‑ et non qu’il peut ou même, dans certaines décisions, qu’il « pourrait »
se produire : United States Steel Corporation c Canada (Procureur général), 2010 CAF 200, au para 7 (juge Layden‑Stevenson); Glooscap, au para 31; Arctic Cat, au para 20.
[88]
Le demandeur invoque deux types de préjudice irréparable. Le premier concerne l’atteinte à sa liberté. Tel qu’il est mentionné plus haut, il a soutenu qu’il était à son domicile, [traduction] « dans des conditions semblables à une assignation à résidence »
, en raison de la décision apparemment illicite de l’agent de l’ASFC. Le confinement qui, soutient‑il, lui a été imposé par suite d’une interprétation erronée des règles de droit, ne peut être réparé et constitue donc un préjudice irréparable.
[89]
Les défendeurs ont répondu que le préjudice en question n’est pas irréparable, parce qu’il aurait pu être évité. Le demandeur aurait pu obtenir un avis des autorités de la santé publique au sujet de l’application de l’exception prévue à l’alinéa 6n) à sa situation. Le demandeur a répondu qu’il avait sollicité un avis professionnel avant d’entrer aux États‑Unis et qu’il croyait qu’il pourrait revenir au Canada sans devoir se mettre en quarantaine.
[90]
La question de savoir si le préjudice pouvait être évité est, à tout le moins, sujette à discussion. La décision Wasylynuk comporte, aux paragraphes 152-164, une analyse de la question du préjudice évitable ainsi que de la jurisprudence à ce sujet. Cependant, compte tenu de mes conclusions sur les première et troisième étapes, il n’est pas nécessaire que j’analyse cette question en l’espèce. Aux fins de la présente requête, je présumerai que l’atteinte à la liberté pendant la période de quarantaine constitue un préjudice de nature irréparable qui se poursuivra jusqu’à la fin de cette quarantaine (en supposant qu’elle se termine le 17 novembre et que le demandeur ne présente pas de symptômes de la COVID‑19 pendant cette période‑là).
[91]
La deuxième forme de préjudice irréparable qu’invoque le demandeur concerne son employeur qui, de l’avis du demandeur, subira un préjudice économique par suite de la mise en quarantaine à laquelle il est astreint. Les fonctions de son poste nécessitaient en effet sa présence physique tant aux bureaux de l’entreprise, situés à Toronto, qu’aux emplacements de production vidéo où il devait fréquemment se rendre. Selon le demandeur, il ne peut exécuter les tâches essentielles de son emploi pendant qu’il est en quarantaine. La perte de ses compétences en matière d’organisation et de production réduira la quantité et la qualité des reportages vidéo que son employeur pourra produire.
[92]
En droit, à la deuxième étape du cadre d’analyse de l’arrêt RJR‑MacDonald, le préjudice irréparable soit être subi par le demandeur. La partie requérante ne peut invoquer un préjudice irréparable causé à une tierce partie : RJR‑MacDonald, à la page 341b (renvoyant à « l’intérêt du requérant »
); Chinese Business Chamber of Canada c Canada, 2006 CAF 178, aux para 6‑7; Glooscap Heritage Society c Canada (Revenu national), 2012 CAF 255, aux para 29, 33‑34; Arctic Cat c Bombardier Recreational Products Inc., 2020 CAF 116, au para 32; Droits des voyageurs c Canada (Office des transports), 2020 CAF 92, au para 30. La seule exception reconnue par la Cour d’appel fédérale concerne les organismes de bienfaisance et ne s’applique pas en l’espèce : Arctic Cat, au para 32.
[93]
Cependant, les considérations liées à un risque de préjudice pour des tiers peuvent être prises en compte à juste titre dans le cadre du troisième volet du critère : Chinese Business Chamber, aux paragraphes 6‑7; Glooscap, au paragraphe 29. J’examinerai donc ces considérations ci‑dessous.
[94]
J’en arrive maintenant à la troisième étape de l’analyse.
C.
La troisième étape : prépondérance des inconvénients
[95]
La troisième étape du cadre d’analyse de l’arrêt RJR‑MacDonald consiste à évaluer quelle partie subira le plus grand préjudice selon que la cour accorde ou refuse une injonction interlocutoire en attendant la décision sur le fond.
[96]
Dans la présente affaire, les préjudices et intérêts opposés à mettre en balance peuvent être évalués sous trois catégories : (i) le préjudice pour le demandeur et son employeur; (ii) le fardeau additionnel qui serait imposé aux défendeurs si l’ordonnance demandée était rendue; (iii) le préjudice à l’intérêt public, notamment les risques pour la sécurité publique. Au cours de l’évaluation du troisième élément, je reviendrai sur la solidité du bien‑fondé de la cause du demandeur.
[97]
Je commenterai chacune de ces trois catégories à tour de rôle.
a)
Préjudice pour le demandeur et son employeur
[98]
Le droit à la liberté du demandeur, auquel le maintien de la quarantaine à son égard porterait atteinte, est un droit important. Bien que le demandeur n’ait présenté aucun argument au sujet d’une atteinte au droit à la liberté garanti par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, je conviens qu’une privation de liberté, même pour une courte période, est un facteur très important dans l’évaluation de la prépondérance des inconvénients.
[99]
C’est à cette étape que nous pouvons tenir compte du préjudice qui serait causé à l’employeur du demandeur. La preuve relative à cette question a été résumée plus haut. Le demandeur a décrit le préjudice comme un préjudice économique, mais il s’agit également de la qualité de la programmation mise à la disposition du public. Le demandeur a ajouté que ce préjudice est aggravé ces temps‑ci par l’importance pour Rebel News de sa couverture de la récente élection américaine et de ses retombées.
[100]
À mon avis, la preuve présentée au sujet de ce facteur n’est pas claire et convaincante. Hormis les affirmations du demandeur, la preuve ne permet pas de savoir jusqu’à quel point et de quelle façon son absence jusqu’au 17 novembre diminuera la capacité de son employeur d’offrir une programmation de qualité au public. Le demandeur n’affirme pas non plus dans son affidavit que personne d’autre ne peut faire son travail sur une base temporaire. Il n’a pas expliqué en détail pourquoi il ne pourrait exécuter au moins une partie de ses tâches depuis son domicile. Au vu de la preuve au dossier, je ne suis pas convaincu que le préjudice occasionné par l’absence temporaire du demandeur en qualité de producteur vidéo sur les sites de tournage, ou son absence temporaire comme chef de la vidéo au studio ou comme dirigeant d’autres personnes constitue un préjudice important pour son employeur aux fins de la détermination de la prépondérance des inconvénients en l’espèce.
[101]
Je souligne qu’aucune des parties n’a présenté d’observations ou d’éléments de preuve au sujet du rôle des médias d’information ou du site Web de cet employeur en particulier au Canada, ou au sujet du préjudice que les médias peuvent subir en raison de l’absence d’un journaliste ou d’un membre du personnel de production qui est en mesure de couvrir des événements sur place.
b)
Le fardeau supplémentaire pour les défendeurs
[102]
Le demandeur soutient que l’ordonnance proposée n’impose aucun fardeau supplémentaire aux défendeurs, au sens où elle ne les obligerait pas à prendre des mesures positives. L’injonction ou la suspension exigerait simplement que les défendeurs cessent d’appliquer l’alinéa 3(1)a) du décret, au motif que le demandeur est visé par l’exception prévue à l’alinéa 6n).
[103]
Les défendeurs n’ont pas contesté ce point précis. Les défendeurs seraient peut‑être tenus de prendre des mesures pour retirer le demandeur d’une liste de personnes assujetties à l’obligation de quarantaine aux termes de l’alinéa 3(1)a) du décret, mais je conviens que, à la lumière de la preuve présentée en l’espèce, la suspension ou l’injonction proposée n’impose pas un fardeau supplémentaire important aux défendeurs, que ce soit sur le plan monétaire ou autrement.
c)
Le préjudice à l’intérêt public, y compris le risque pour la sécurité publique
[104]
Le demandeur reconnaît que les défendeurs souhaitent tous les deux protéger le public en adoptant des mesures d’urgence afin d’empêcher la propagation de la COVID‑19. Cependant, il soutient qu’une injonction ou une suspension ne causerait pour ainsi dire aucun préjudice à l’intérêt public, parce que le demandeur continuerait à surveiller l’apparition de symptômes, à maintenir la distanciation sociale et à porter du matériel de protection dans les endroits publics (conformément aux directives que les agents lui ont données à la frontière sous forme de documents imprimés). En conséquence, le demandeur affirme qu’il ne représente pas un risque supplémentaire important pour la santé publique s’il est autorisé à mettre fin à sa mise en quarantaine tout en continuant à respecter toutes les autres mesures.
[105]
Le demandeur ajoute que l’application correcte et conforme à la loi des exceptions prévues dans le décret favorise en fait l’intérêt public. Dans ce contexte, l’octroi de la présente requête protégera l’intérêt public en évitant des ordres de mise en quarantaine trop larges, onéreux et inefficaces. Selon le demandeur, une bonne interprétation et une bonne application du décret favorisent l’intérêt public.
[106]
Les défendeurs répondent qu’il incombe au demandeur de prouver qu’aucun préjudice ne sera causé à l’intérêt public. Ils affirment que ce n’est que dans les cas exceptionnels que l’intérêt de l’individu qui, d’après la preuve, est susceptible de subir un préjudice irréparable, l’emporte sur l’intérêt public, et citent à cet égard la décision Dugonitsh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF no 320, au para 15 (juge Mackay). L’individu ne se déchargera habituellement pas du fardeau qui lui incombe lorsqu’une autorité publique a le devoir de favoriser ou de protéger l’intérêt public et que c’est dans cette sphère de responsabilité que se situe l’action contestée : Première Nation de Ahousaht c Canada (Pêches, Océans et Garde côtière), 2019 CF 1116 (juge Gascon), aux para 124‑127.
[107]
Les défendeurs ne croient pas qu’il suffit pour le demandeur de continuer à prendre des précautions contre la propagation du virus, notamment en surveillant l’apparition des symptômes, en maintenant la distanciation sociale et en portant du matériel de protection dans les endroits publics. Ils soutiennent que, si ces précautions étaient suffisantes pour protéger les Canadiens contre les risques que présentent les personnes qui sont récemment allées aux États‑Unis et sont rentrées au Canada, il ne serait pas nécessaire que qui que ce soit se mette en quarantaine pendant 14 jours à son retour d’un séjour aux États‑Unis. Dans le contexte d’une pandémie mondiale, le préjudice que pourrait causer au demandeur l’obligation de se mettre en quarantaine jusqu’au 17 novembre ne l’emporte pas sur le préjudice pouvant être causé à l’ensemble des Canadiens.
[108]
Pour les motifs exposés ci‑dessous, je souscris pour l’essentiel à la position des défendeurs sur ce point. À mon avis, cette considération milite fortement contre l’octroi de la suspension ou de l’injonction demandée.
[109]
Il est important de ne pas perdre de vue la nature de l’intérêt public en jeu dans la présente requête. Le gouverneur en conseil a formulé une déclaration claire et sans équivoque de l’intérêt public en invoquant la Loi sur la mise en quarantaine et en prenant le décret intitulé Décret no 7 visant la réduction du risque d’exposition à la COVID 19 au Canada (obligation de s’isoler). Le gouverneur en conseil a décidé qu’un décret d’urgence devait être pris en vertu de la Loi sur la mise en quarantaine en raison de la pandémie déclarée par l’Organisation mondiale de la santé. Pour en arriver à cette décision, le gouverneur en conseil a exprimé l’avis que les conditions de l’article 58 de la Loi sur la mise en quarantaine existaient. Comme je l’ai souligné au début des présents motifs, ces conditions comprennent l’apparition d’une maladie transmissible, l’existence d’un « danger grave et imminent pour la santé publique au Canada »
, la reconnaissance du fait que l’entrée au Canada de personnes qui ont récemment séjourné dans un pays étranger favoriserait l’introduction ou la propagation de la maladie au Canada et le fait qu’il n’existe aucune autre solution raisonnable permettant de prévenir l’introduction ou la propagation de la maladie. Comme le montre le texte du préambule, le gouverneur en conseil en est arrivé à chacune de ces conclusions et l’a d’ailleurs fait à sept occasions distinctes entre le mois de février et le 30 octobre 2020, en adoptant la série de décrets qui imposent des restrictions aux personnes voyageant à l’étranger et qui sont directement pertinents quant à la présente requête.
[110]
Le contenu du décret est également important aux fins de l’évaluation de l’intérêt public. Le décret fait la distinction entre les exigences imposées aux personnes sans symptômes et celles qui présentent des signes et des symptômes de la COVID‑19, ou ont des motifs raisonnables de soupçonner qu’elles présentent de tels symptômes : voir les paragraphes 3(1) et 3(2). Les personnes sans symptômes ne sont pas simplement tenues de porter le masque, de respecter la distanciation sociale et de prendre les autres précautions que propose le demandeur s’il obtient une suspension ou une injonction. Même les personnes qui ne présentent pas de symptômes doivent se mettre en quarantaine pendant 14 jours, comme le prévoit l’alinéa 3(1)a). Cette exigence est un signal important de la nature et de la gravité du danger que représente la propagation de la COVID‑19 pour la santé publique. De plus, les personnes qui doivent se mettre en quarantaine conformément à l’alinéa 3(1)a) et ne peuvent le faire sans entrer en contact avec des « personnes vulnérables »
au sens du décret seront peut‑être tenues de se rendre à une installation de quarantaine séparée jusqu’à l’expiration de la période de 14 jours : voir l’article 4.
[111]
L’obligation de mise en quarantaine qui est prévue à l’alinéa 3(1)a) n’est pas absolue. En plus des exceptions énoncées à l’article 6, le décret prévoit d’autres circonstances dans lesquelles l’alinéa 3(1)a) ne s’applique pas, notamment les cas d’urgence médicale (article 7) et les cas où des motifs d’ordre humanitaire peuvent être invoqués (comme le prévoit l’article 7.1). L’existence d’exceptions à l’application de l’alinéa 3(1)a) n’atténue pas pour autant l’intérêt public clair et démontrable que comporte une mise en quarantaine efficace pour empêcher la propagation de la COVID‑19 au Canada.
[112]
Au moment d’évaluer la prépondérance des inconvénients et le préjudice pour l’intérêt public, la Cour doit tenir compte du fait que le gouverneur en conseil a établi, à l’alinéa 3(1)a), une règle obligeant les personnes sans symptômes qui entrent au Canada à se mettre en quarantaine pendant 14 jours. Comme l’indique la définition du mot « quarantaine »
, le gouverneur en conseil a décidé que les personnes qui entrent au Canada doivent être mises à l’écart « de manière à prévenir la propagation éventuelle de maladies »
[non souligné dans l’original].
[113]
Dans ce contexte, j’estime que le préjudice pouvant être causé à l’intérêt public ne doit pas être évalué principalement en fonction de l’ampleur du risque que le demandeur contamine une autre personne, eu égard à son témoignage selon lequel il est prudent et a toujours pris des précautions pour se protéger et pour protéger les autres contre la COVID‑19. Le préjudice doit plutôt être évalué en fonction de l’intérêt public général en jeu, au nom duquel le gouverneur en conseil a décidé que tous les Canadiens qui traversent la frontière canado‑américaine doivent se soumettre à une quarantaine obligatoire de 14 jours, même s’ils ne présentent pas de symptômes, à l’exception de certaines personnes ou catégories de personnes spécifiées qui (en général) jouent un rôle essentiel dans la réponse à la pandémie ou dans le fonctionnement continu du pays, ou qui n’ont d’autre choix que de traverser la frontière en raison de leur emplacement.
[114]
Cela étant dit, même si ce facteur devait dépendre du risque personnel de préjudice que le demandeur pourrait représenter pour autrui, la preuve que le demandeur a présentée à ce sujet dans le dossier est insuffisante. Le demandeur a expressément soutenu qu’il ne créerait [traduction] « aucun risque supplémentaire important pour la santé publique s’il était autorisé à mettre fin à sa mise en quarantaine tout en continuant de prendre toutes les autres mesures de précaution »
. Cependant, le dossier ne renferme aucun élément de preuve médicale (dans un sens ou dans l’autre) sur la question de savoir si le demandeur est atteint de la COVID‑19, s’il ne présente aucun symptôme, mais est porteur du virus ou s’il a été déclaré positif à la maladie. De plus, il n’y a aucun élément de preuve concernant la nature des expositions possibles du demandeur au virus pendant son séjour aux États‑Unis. Son affidavit ne comporte aucune description de l’événement électoral auquel il a assisté et des tâches qu’il a accomplies pendant l’événement, de sa proximité avec d’autres personnes, ou encore des précautions prises par les autres personnes présentes, notamment en matière de distanciation sociale, pour prévenir la propagation du virus. Le demandeur n’a pas mentionné non plus les autres endroits où il est allé pendant qu’il se trouvait au Michigan et qui pouvaient présenter des risques, comme des restaurants ou d’autres lieux publics. À mon avis, les affirmations du demandeur selon lesquelles il prend des précautions appropriées ne sont pas suffisantes dans ce contexte pour démontrer qu’il ne risque pas de propager le virus au retour de son voyage avec nuitée aux États‑Unis.
[115]
C’est à ce moment‑ci que je reviens à la solidité du bien‑fondé de la cause du demandeur. J’ai déjà souligné que la demande de contrôle judiciaire du demandeur est peu susceptible d’être accueillie, si elle devait être instruite par la Cour. Cette décision, ainsi que les facteurs exposés dans cette section des présents motifs, m’incitent à conclure que le préjudice pouvant être causé à l’intérêt public est un élément qui milite fortement contre l’octroi de l’ordonnance sollicitée par le demandeur.
[116]
En guise de dernier commentaire dans cette section de mes motifs, je souligne que les défendeurs ont fourni, dans leurs observations écrites, un lien vers une vidéo présentée sur le site Web de Rebel News. La vidéo présente apparemment l’événement de l’élection présidentielle auquel le demandeur et son collègue ont assisté au Michigan. Le lien n’était pas fourni dans un affidavit, bien que le demandeur n’ait pas contesté son authenticité. Surtout, aucune des deux parties n’a présenté d’éléments de preuve visant à expliquer ou à commenter le contenu de la bande vidéo, ni n’a demandé l’autorisation de la montrer à l’audience afin de permettre la formulation d’observations de part et d’autre. En l’absence de cette preuve ou d’observations spécifiques des deux parties au sujet du contenu de la bande vidéo, je n’ai pas visionné celle‑ci.
[117]
Pour les motifs exposés plus haut, et après avoir soupesé chacun des facteurs susmentionnés, je conclus que la prépondérance des probabilités favorise nettement la position des défendeurs.
D.
Réparation juste et équitable dans les circonstances?
[118]
En prenant du recul et en examinant l’ensemble des circonstances, y compris le fait que la demande de contrôle judiciaire du demandeur n’est pas susceptible d’être accueillie, l’atteinte à son droit à la liberté et les différents facteurs évalués plus haut dans le cadre de l’analyse de la prépondérance des inconvénients, je conclus qu’il est juste et équitable, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour, de ne pas accorder d’ordonnance de suspension ou d’injonction interlocutoire, au vu de la preuve et des observations présentées en l’espèce.
V.
Dispositif
[119]
La requête du demandeur est rejetée. Les défendeurs n’ont pas sollicité de dépens et aucuns ne sont adjugés.
[120]
En dernier lieu, je remercie les avocats des parties dans la présente requête, et le personnel de leurs cabinets respectifs, et je les félicite pour la qualité de leurs observations écrites et verbales et pour la rapidité avec laquelle ils les ont présentées dans le cadre d’une requête aussi urgente.
ORDONNANCE dans le dossier T-1327-20
LA COUR ORDONNE :
La requête du demandeur en vue d’obtenir une suspension ou une injonction interlocutoire est rejetée.
Aucuns dépens ne sont adjugés.
« Andrew D. Little »
Juge
Traduction certifiée conforme
M. Deslippes
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T‑1327‑20
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INTITULÉ :
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EFRAIN OSWALDO FLORES MONSANTO c LE MINISTRE DE LA SANTÉ et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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TORONTO (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 9 novembre 2020
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Jugement et MOTIFS :
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Le juge A.D. LITTLE
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DATE DES MOTIFS :
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Le 12 novembre 2020
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COMPARUTIONS :
Rylee Raeburn‑Gibson
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POUR LE DEMANDEUR
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Gregory George
Leila Jawando
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POUR LES DÉFENDEURS
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Rylee Raeburn‑Gibson
Mamann, Sandaluk & Kingwell, LLP
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POUR LE DEMANDEUR
|
|
Gregory George
Leila Jawando
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POUR LES DÉFENDEURS
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Procureur général du Canada