Date : 20010108
Dossier : IMM-2322-00
ENTRE :
STÉPHAN ABRASSART
Demandeur
ET:
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
Défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE NADON
[1] Le demandeur attaque une décision de l'agent des visas, Amitys Sala, rendue le 24 mars 2000.
[2] L'agent des visas a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur au motif que ce dernier appartenait à une catégorie de personnes non admissibles au Canada, à savoir celle décrite au sous-alinéa 19(2)(a.1)(ii) de la Loi sur l'immigration (la "Loi").
[3] Le demandeur est un citoyen de la Belgique. Le 23 décembre 1997, il a été condamné dans son pays par le Tribunal de Police de Mons, première chambre, pour avoir conduit un véhicule dans un lieu public le 25 juillet 1997 alors qu'il était dans un état d'intoxication alcoolique, à savoir que l'analyse sanguine avait révélé une concentration d'alcool par litre de sang d'au moins 0,8 grammes par litre de sang.
[4] L'agent des visas a conclu, à la lumière de la condamnation rendue par le tribunal belge, que le demandeur avait commis une infraction, qui, si elle était commise au Canada, pouvait être punissable d'un an d'emprisonnement maximal de moins de dix ans selon les articles 253b) et 255 du Code criminel.
[5] Par conséquent, l'agent des visas a conclu, vu le sous-alinéa 19(2)(a.1)(ii) de la Loi, que le demandeur était une personne inadmissible au Canada. Il est à noter que l'exclusion du demandeur résulte plutôt du sous-alinéa 19(2)(a.1)(i). Les dispositions pertinentes de la Loi et du Code criminel se lisent comme suit:
19(2) Appartiennent à une catégorie non admissible les immigrants et, sous réserve du paragraphe (3), les visiteurs qui: |
[...] |
a.1) sont des personnes dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elles ont, à l'étranger |
(i) soit été déclarées coupables d'une infraction qui, si elle était commise au Canada, constituerait une infraction qui pourrait être punissable, aux termes d'une loi fédérale, par mise en accusation, d'un emprisonnement maximal de moins de dix ans, sauf si elles peuvent justifier auprès du ministre de leur réadaptation et du fait qu'au moins cinq ans se sont écoulés depuis l'expiration de toute peine leur ayant été infligée pour l'infraction, |
(ii) soit commis un fait - acte ou omission - qui constitue une infraction dans le pays où il a été commis et qui, s'il était commis au Canada, constituerait une infraction qui pourrait être punissable, aux termes d'une loi fédérale, par mise en accusation, d'un emprisonnement maximal de moins de dix ans, sauf si elles peuvent justifier auprès du ministre de leur réadaptation et du fait qu'au moins cinq ans se sont écoulés depuis la commission du fait; |
253. Commet une infraction quiconque conduit un véhicule à moteur ... |
b) lorsqu'il a consommé une quantité d'alcool telle que son alcoolémie dépasse quatre-vingts milligrammes d'alcool par cent millilitres de sang. |
255. (1) Quiconque commet une infraction prévue à l'article 253 ou 254 est coupable d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire ou par mise en accusation et est passible: a) que l'infraction soit poursuivie par mise en accusation ou par procédure sommaire, des peines minimales suivantes: |
(i) pour la première infraction, une amende minimale de six cents dollars, (ii) pour la seconde infraction, un emprisonnement minimal de quatorze jours, (iii) pour chaque infraction subséquente, un emprisonnement minimal de quatre-vingt-dix jours; |
b) si l'infraction est poursuivie par mise en accusation, d'un emprisonnement maximal de cinq ans; c) si l'infraction est poursuivie par procédure sommaire, d'un emprisonnement maximal de six mois. |
[6] Le demandeur admet que l'infraction d'alcoolémie pour laquelle il a été condamné en Belgique est équivalente à celle énoncée au paragraphe 253b) du Code criminel et que la sentence relative à cette infraction est celle décrite à l'article 255 du Code criminel.
[7] La position du demandeur est fort simple. Il prétend que malgré le fait que l'infraction qu'il a commise est équivalente à l'infraction de conduite avec facultés affaiblies décrites au paragraphe 253b) du Code criminel, cette infraction ne peut être considérée comme une infraction qui, "si elle était commise au Canada, constituerait une infraction qui pourrait être punissable, aux termes d'une loi fédérale, par mise en accusation, d'un an d'emprisonnement maximal de moins de dix ans".
[8] Le demandeur soumet que puisqu'aucune circonstance aggravante n'apparaît au jugement du tribunal belge, s'il avait été poursuivi au Canada pour cette infraction, il l'aurait été par voie de procédure sommaire et non par mise en accusation.
[9] La prétention du défendeur est que l'agent des visas n'a commis aucune erreur en concluant comme il l'a fait. Au soutien de cette prétention, le défendeur invoque la décision de mon collègue le juge Muldoon dans l'affaire Ruparel [1990] 3 C.F. 615.
[10] Les faits dans cette affaire étaient semblables à ceux en l'instance en ce que monsieur Ruparel, un citoyen du Royaume-Uni, avait été trouvé coupable d'avoir conduit en état d'ébriété. Il a dès lors été condamné à une amende de 225 livres sterling et son permis de conduire a été suspendu pour une année.
[11] Sa demande de résidence permanente au Canada a été refusée au motif qu'il relevait d'un des cas visés par le sous-alinéa 19(2)(a)(i) de la Loi sur l'immigration de 1976, qui se lit ainsi:
19. (2) Ne peuvent obtenir l'admission, les immigrants et, sous réserve du paragraphe (3), les visiteurs qui a) ont été déclarés coupables d'une infraction qui constitue, qu'elle ait été commise au Canada ou à l'étranger, une infraction qui peut être punissable par voie d'acte d'accusation, en vertu d'une autre loi du Parlement, d'une peine maximale de moins de dix ans d'emprisonnement, à l'exception de ceux qui établissent à la satisfaction du Ministre qu'ils se sont réhabilités et: |
(i) qu'au moins cinq ans se sont écoulés depuis la date de l'expiration de leur peine, au cas où l'auteur était âgé d'au moins vingt et un ans lors de la déclaration de culpabilité, ou (ii) qu'au moins deux ans se sont écoulés depuis la date de l'expiration de leur peine, au cas où l'auteur était âgé de moins de vingt et un ans lors de la déclaration de culpabilité; |
[12] Voici comment, aux pages 623 à 625, le juge Muldoon traite de cette question:
Malheureusement, il semble que le requérant a été déclaré coupable au R.-U. d'une infraction qui, si elle avait été commise au Canada, constituerait une infraction prévue par une autre loi fédérale, le Code criminel. Mais s'agit-il d'une infraction qui « peut être punissable par voie d'acte d'accusation » en vertu du Code criminel? Hélas oui. L'article 255 [mod. par L.R.C. (1985)(1er suppl.), chap.27, art.36] du Code dispose notamment: [...] C'est une « infraction hybride » qui accorde au ministère public un choix quant à la façon de poursuivre. Or, il semblerait très peu probable que le ministère public aurait poursuivi le requérant par mise en accusation si celui-ci avait commis l'infraction au Canada. Par bonheur, il semble qu'il n'ait pas causé la mort, des lésions corporelles ou des dommages matériels. Néanmoins, ce sont les dispositions de l'alinéa 19(2)a) qui s'appliquent, telles qu'elles ont été édictées. [...] Ces dispositions ne parlent pas d'une infraction qui aurait probablement été poursuivie comme une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, ni encore d'une infraction hybride qui aurait pu être poursuivie par mise en accusation et elles ne prévoient pas d'exemption pour ce genre d'infractions. Au contraire, à l'alinéa 19(2)a) de la Loi, le législateur parle de façon bien nette et bien claire d' « une infraction qui peut être punissable par voie d'acte d'accusation, en vertu d'une autre loi du Parlement » [soulignement ajouté], et les mots soulignés englobent évidemment l'infraction qui pourrait peut-être ne pas être punissable par mise en accusation, mais plutôt par procédure sommaire, comme celle qu'on trouve à l'article 253 du Code criminel. |
[13] Malheureusement pour le demandeur, je suis d'avis que les propos du juge Muldoon sont tout à fait applicables à la présente affaire.
[14] Le défendeur m'a aussi référé à la décision que je rendais dans l'affaire Ngalla (1998) 152 F.T.R. 184. Dans cette affaire, la demande de résidence permanente de la demanderesse avait été refusée au motif qu'elle était inadmissible sous l'alinéa 19(2)a) de la Loi en ce qu'elle avait été trouvé coupable de vol sous l'article 334b) (ii) du Code criminel.
[15] Comme en l'espèce, il s'agissait d'une infraction hybride, à savoir que le procureur de la Couronne pouvait, à sa discrétion, poursuivre la demanderesse par voie de procédure sommaire ou par mise en accusation. Aux paragraphes 3, 4 et 10 de mes motifs, je m'exprimais ainsi:
[3] The applicant was found to be inadmissible because she had been found guilty of theft pursuant to paragraph 334(b)(ii) of the Criminal Code: theft "where the value of what is stolen does not exceed one thousand dollars". The applicant was given a suspended sentence and placed under probation for 180 days. It is important to point out that section 334 of the Criminal Code provides that where the value of the stolen property does not exceed $1,000.00, the accused person may be prosecuted by way of indictment or by way of a summary proceeding. The applicant was prosecuted and found guilty by way of a summary proceeding. The choice of proceeding is at the discretion of the Crown prosecutor. The different proceedings entail different possible sanctions for the accused if found guilty. |
[4] Thus, in the circumstances, the Visa Officer had no choice but to declare the applicant inadmissible to Canada pursuant to paragraph 19(2)(a) of the Act which reads as follows: |
(2) No immigrant and, except as provided in subsection (3), no visitor shall be granted admission if the immigrant or visitor is a member of any of the following classes: (a) persons who have been convicted in Canada of an indictable offence, or of an offence for which the offender may be prosecuted by indictment or for which the offender is punishable on summary conviction, that may be punishable under any Act of Parliament by a maximum term of imprisonment of less than ten years, other than an offence designated as a contravention under the Contraventions Act; [...] |
[10] The offence contained in subsection 334(b) is what is commonly referred to as a hybrid offence. It is an offence which, depending on the amounts stolen, may be considered as serious a crime as other indictable offences or may be viewed as only as serious as a summary offence. Thus, the prosecutor is given discretion to, in part, determine the seriousness of the particular crime on a case by case basis. There is no doubt that this is an offence "for which the offender may be prosecuted by indictment". Despite the fact that the Crown did not choose to proceed against the applicant by way of indictment, the applicant cannot escape the fact that the Crown prosecutor could have. » |
[16] Aux paragraphes 8 et 9 de mes motifs dans Ngalla, je traite d'un argument qu'avance le demandeur en l'instance, à savoir un argument fondé sur le paragraphe 34(1)c) de la Loi d'interprétation.
[8] With respect, it is my view that counsel for the applicant has misunderstood the purpose of the Interpretation Act and in particular paragraph 34(1)(c) thereof. The paragraph simply provides that, where the Criminal Code gives to the prosecutor discretion with respect to the most appropriate mode of proceeding against an accused, and an accused is found guilty of such an offence on summary conviction, that person shall not be considered as having been found guilty of an indictable offence. Thus, the applicant who was found guilty of theft on summary conviction cannot be considered as having been found guilty of an indictable offence. That is the sole purpose of paragraph 34(1)(c) of the Interpretation Act. [9] During the hearing, I indicated to counsel that I could not understand how paragraph 34(1)(c) of the Interpretation Act could be relevant in regard to paragraph 19(2)(a) of the Act. Since the applicant was found guilty pursuant to paragraph 334(b)(ii) of the Criminal Code, the Visa Officer, as I indicated earlier, had no choice but to declare her inadmissible. For the purpose of clarity, I reproduce paragraphs 334(b)(i) and (ii) of the Criminal Code. [...] |
[17] Vu le jugement du juge Muldoon dans Ruparel et vu les propos que je tenais dans Ngalla, j'en viens à la conclusion que l'agent des visas n'a commis aucune erreur, de faits ou de droit, qui me permettrait d'intervenir.
[18] Comme le juge Muldoon dans l'affaire Ruparel, c'est avec regret que je dois rejeter la demande de contrôle judiciaire du demandeur. À la page 618 de ses motifs, le juge Muldoon s'exprimait comme suit:
Il s'agit d'une triste affaire car il semble que le requérant, son épouse et leur enfant, qui paraissent être des immigrants de premier ordre, sont retardés dans leur demande de résidence permanente au Canada en raison d'un écart passager qui ne comporte pas une grande turpitude morale dans la conduite par ailleurs irréprochable du requérant. C'est avec beaucoup de regret que la Cour doit rejeter sa requête parce que la seule autre solution aurait consisté pour la Cour à se faire complice d'une atteinte à la primauté du droit, encore que cette atteinte eût été inspirée par la compassion. |
[19] À mon avis, la présente cause ne soulève aucune question grave de portée générale. Par conséquent, aucune question ne sera certifiée.
Marc Nadon
Juge
Ottawa, Ontario
le 8 janvier 2001