Dossier : T‑431‑16
Référence : 2020 CF 1019
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 2 novembre 2020
En présence de monsieur le juge Mosley
ENTRE :
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DAN PELLETIER
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demandeur
(intimé)
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et
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SA MAJESTÉ LA REINE
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défenderesse
(requérante)
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Introduction
[1]
La Cour est saisie d’une requête visant à faire radier la déclaration modifiée du demandeur en vertu des alinéas 221(1)a) et c) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles] et, subsidiairement, d’une requête en jugement sommaire, fondée sur le fait qu’il n’y a pas de véritable question litigieuse, au sens du paragraphe 215(1) des Règles.
[2]
La défenderesse soutient qu’il est évident et manifeste que la déclaration ne révèle aucune cause d’action. Elle prétend de plus que cette déclaration est scandaleuse, frivole et vexatoire, car elle est à ce point truffée d’affirmations et de conclusions vagues et dénuée d’éléments factuels qu’il demeure impossible de plaider véritablement une défense. Il n’est pas vraisemblable non plus que la déclaration puisse être modifiée de manière à ce qu’elle révèle une cause d’action.
[3]
Je suis d’accord avec les observations de la défenderesse. Pour les motifs qui suivent, la requête en radiation de la déclaration est accueillie, sans autorisation de modification. Il ressort également des motifs que la Cour, s’il avait été nécessaire de le faire, aurait accueilli la requête en jugement sommaire, car la présente affaire ne soulève aucune véritable question litigieuse.
II.
Le contexte
A.
La première déclaration
[4]
Le demandeur dans l’action sous‑jacente, et l’intimé dans la présente requête, M. Dan Pelletier, a déposé une déclaration le 11 mars 2016 à titre de recours collectif envisagé, au sens de la partie 5.1 des Règles, en vue d’obtenir diverses déclarations et injonctions, ainsi que des dommages‑intérêts compensatoires à l’encontre de la Couronne fédérale. Dans la déclaration, M. Pelletier alléguait que, à diverses occasions, M. Pelletier avait vu des aéronefs laissant derrière eux des traînées de matières blanches semblables à des particules (les « rejets atmosphériques ») dans l’espace aérien canadien. Il soutenait que la responsabilité du gouvernement fédéral était engagée, parce que ses actions – ou inactions – vis‑à‑vis des rejets atmosphériques contrevenaient à la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999), LC (1999), c 33 [la LCPE] ainsi qu’à la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, c 11 [la Charte], qu’elles étaient assimilables à de la négligence et à une intrusion et qu’elles nuisaient à la jouissance paisible de ses biens et de ceux des membres éventuels du groupe envisagé.
[5]
La défenderesse a déposé par écrit une requête visant à faire radier la déclaration sans autorisation de modification, au motif que celle‑ci ne révélait aucune cause d’action raisonnable et qu’elle était « scandaleuse, frivole ou vexatoire »
.
[6]
La requête a été tranchée par le juge LeBlanc le 8 décembre 2016. Dans la décision Pelletier c Canada, 2016 CF 1356 [la décision Pelletier I], le juge LeBlanc a radié la déclaration du demandeur au motif que ce dernier n’avait pas plaidé les faits de manière suffisamment détaillée pour étayer la déclaration et la réparation demandée. La Cour a conclu que la déclaration du demandeur consistait uniquement en de «
simples allégations et des affirmations péremptoires à l’égard de principes de droit et que, par conséquent, elle [était] loin d’énoncer avec suffisamment de précision les éléments constitutifs de chacune des causes d’action soulevées. »
La déclaration ne décrivait pas « par qui, quand, où, comment et de quelle façon sa responsabilité [était] engagée, et elle ne cern[ait] pas les questions en litige avec une précision suffisante pour assurer la saine gestion et l’équité de l’instruction »
(décision Pelletier I, au para 15, citant l’arrêt Mancuso c Canada (Santé Nationale et Bien‑être Social), 2015 CAF 227, aux para 18 et 19 [l’arrêt Mancuso]).
[7]
De plus, le juge LeBlanc a conclu que la déclaration du demandeur était assimilable à un acte de procédure scandaleux, frivole et vexatoire (décision Pelletier I, au para 23, citant la décision Kisikawpimootewin c Canada, 2004 CF 1426, au para 9 et la décision Ceminchuk c Canada, [1995] ACF no 914, au para 10).
[8]
L’autorisation de modifier les actes de procédure a été accordée.
1)
La déclaration modifiée
[9]
Le demandeur a déposé sa déclaration modifiée le 17 janvier 2017. Dans ce document – l’annexe « A »
du présent jugement – il allègue que la défenderesse, ou ses représentants ou intermédiaires, sont responsables des prétendus rejets atmosphériques. Plus précisément, soutient‑il, l’Armée canadienne, et des parties autorisées ou retenues en sous‑traitance par elle, effectuent les prétendus rejets atmosphériques dans l’espace aérien canadien dans le cadre de divers programmes et initiatives, comme une prétendue opération militaire menée conjointement par les États‑Unis et le Canada qui consiste à rejeter des substances chimiques et des particules dans l’atmosphère, une opération que le demandeur a appelée le « projet
Cloverleaf
».
[10]
Selon le demandeur, le projet Cloverleaf a pour objet d’ensemencer et de saturer délibérément l’atmosphère à l’aide de substances chimiques et de particules dans le but de :
[traduction]
1) faciliter les activités du Programme de recherche aurorale active à haute fréquence (le Programme HAARP), qui a pour objectif de manipuler les conditions atmosphériques;
2) se livrer éventuellement à des expériences biologiques à l’insu du public et sans son autorisation ou son consentement;
3) contrôler ou influencer éventuellement les opinions et la capacité de raisonnement d’une population intérieure ou étrangère par des moyens chimiques ou électromagnétiques;
4) mener d’autres fins, encore inconnues.
[11]
Dans sa déclaration modifiée, le demandeur allègue que la défenderesse sait ou aurait dû savoir que les rejets atmosphériques sont toxiques et dangereux et causent une diminution des niveaux de sensibilisation et de vigilance, une atteinte neurologique, une détresse respiratoire et des dommages matériels. Le demandeur soutient que, dans la mesure où la défenderesse effectue des rejets atmosphériques dans le but d’influencer les opinions et la capacité de raisonnement de la population, sa conduite porte atteinte aux droits fondamentaux dont lui‑même jouit, soit la liberté de conscience et la liberté de penser, de croyance, d’opinion et d’expression que garantit l’article 2 de la Charte, de même que la liberté par rapport à toute menace contre son intégrité physique que garantit l’article 7 de la Charte. La déclaration modifiée allègue que les rejets atmosphériques constituent également des actes de négligence, de nuisance et d’intrusion.
2)
Des questions préliminaires
[12]
Dans le cadre de procédures de gestion de l’instance, la défenderesse a déposé le 21 septembre 2017 la présente requête en radiation et, subsidiairement, en jugement sommaire. Un dossier de requête en réponse a été déposé le 8 décembre 2017. Cela a été suivi en 2018 d’une série de requêtes et de directives de gestion d’instance au cours de laquelle le demandeur a pu bénéficier de plusieurs prorogations des délais que la Cour avait fixés. Il a tenté, sans succès toutefois, de déposer des éléments de preuve par affidavit supplémentaires en réponse à la requête en radiation. De plus, le juge LeBlanc a refusé d’accorder à l’avocat du demandeur, Me Tony Vacca, l’autorisation de présenter des arguments au sujet de l’affidavit qu’il avait souscrit, car il n’existait aucune circonstance exceptionnelle qui justifiait l’octroi d’une exception au principe, consacré à l’article 82 des Règles, selon lequel un avocat ne peut, sauf avec l’autorisation de la Cour, être aussi un témoin.
a)
L’affidavit de M. Vander Zalm
[13]
Le 3 avril 2018, le demandeur a déposé une requête en vue de permettre le dépôt tardif d’un affidavit de M. William Vander Zalm, qui était daté du 29 décembre 2017 et auquel était jointe une pièce d’une cinquantaine de pages. L’affidavit, qui comptait trois paragraphes, avait pour seul but d’identifier la pièce qui y était jointe, laquelle consistait en une lettre d’Environnement Canada datée du 13 mars 2014 qui était assortie de pièces jointes obtenues en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, LRC 1985, c A‑1.
[14]
À la suite d’une audience tenue le 24 avril 2018, le juge Manson a décrété que la pièce contenait du ouï‑dire qui ne relevait pas de la connaissance personnelle du déposant. L’affidavit était donc une tentative pour produire des éléments de preuve par l’intermédiaire d’un déposant qui n’était pas en mesure de se prononcer sur la fiabilité des documents, à part en indiquer la source. Les documents que contenait la pièce portaient sur d’éventuels moyens de modérer le réchauffement du globe, par opposition aux activités opérationnelles réelles que menait Environnement Canada. Par ailleurs, étant donné que la pièce se composait de documents faisant référence à l’état de recherches scientifiques menées, en partie, par des scientifiques d’Environnement Canada et non aux activités de l’Armée canadienne, ou au prétendu programme de pulvérisation aérienne, elle était d’une pertinence négligeable. L’affidavit n’était donc pas admissible en tant qu’exception à la règle interdisant le ouï‑dire, et la requête en autorisation a été rejetée avec dépens.
[15]
Il semble que l’ordonnance du juge Manson n’ait pas été portée en appel.
[16]
Quelques jours avant l’audition prévue de la présente requête, les avocats du demandeur ont demandé au greffe d’inclure dans le dossier de la Cour une demande de reconnaissance (formule 255) et la réponse de la défenderesse (formule 256). La demande de reconnaissance concernait la réponse, datée du 13 mars 2014, à la demande d’accès à l’information de M. Vander Zalm. J’ai ordonné que les documents puissent être reçus et utilisés pour les plaidoiries à l’audience et j’ai donné instruction que les parties me fassent part d’observations écrites, après l’audience, sur l’admissibilité des documents d’accès à l’information par ce moyen. Je traiterai de cette question ci‑après.
b)
L’affidavit de M. Herndon
[17]
Une requête visant à obtenir l’autorisation de produire tardivement l’affidavit de M. Marvin Herndon à titre de preuve d’expert a été déposée le 14 mai 2018. M. Herndon affirmait qu’il était un scientifique et qu’il occupait un poste de direction à San Diego (Californie). Son témoignage visait à établir que les rejets atmosphériques, que le demandeur avait censément observés, se composaient de substances toxiques et qu’ils constituaient un acte de pollution atmosphérique délibérée. Étaient joints à l’affidavit en tant que pièce dix articles que M. Herndon avait rédigés lui‑même ou conjointement.
[18]
En rejetant la requête avec dépens à l’encontre du demandeur le 31 juillet 2018, le juge Ahmed a conclu que M. Herndon n’était pas dûment qualifié pour fournir une preuve d’expert, d’après le critère énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R c Mohan, [1994] 2 RCS 9 et dans l’arrêt White Burgess Langille Inman c Abbott and Haliburton Co., 2015 CSC 23. Il a donc considéré que l’affidavit n’était pas admissible en preuve. En particulier, il s’est dit convaincu que M. Herndon ne comprenait pas quelles étaient les obligations que lui imposait le Code de déontologie régissant les témoins experts. Il a également fait remarquer qu’il n’était pas convaincu de la pertinence de l’affidavit quant à la cause d’action du demandeur (Pelletier c Canada, 2018 CF 805).
[19]
Un appel de la décision du juge Ahmed a été rejeté le 30 mai 2019. Dans l’arrêt Pelletier c Canada, 2019 CAF 165, la Cour d’appel fédérale a conclu que le juge Ahmed n’avait pas commis d’erreur en refusant d’admettre l’affidavit. Elle a toutefois décrété que, comme l’action sous‑jacente était un recours collectif envisagé assujetti au paragraphe 334.39(1) des Règles, aucuns dépens ne pouvaient être adjugés.
[20]
L’audition de la requête en radiation a été fixée au 12 mai 2020, mais elle a été ajournée sine die le 4 avril 2020, en raison de la pandémie et de la suspension générale des activités judiciaires. Le 29 juillet 2020, par ordonnance du juge en chef, il a été prévu que la requête serait instruite virtuellement, par Zoom, le 3 septembre 2020.
c)
L’affidavit de M. Marquardt
[21]
Le 31 août 2020, trois jours avant la date prévue de l’audience, la Cour a appris que le demandeur avait demandé la tenue d’une conférence de gestion d’instance pour discuter de l’ajournement de l’audience prévue et l’autorisation de déposer l’affidavit de M. Darwin Marquardt. La défenderesse s’est opposée aux deux demandes. Dans l’affidavit, M. Marquardt déclarait qu’il avait pris connaissance de l’instance en avril 2020 en écoutant un balado en ligne et qu’il était entré peu après en contact avec l’avocat du demandeur. Selon ce dernier, le délai écoulé entre le mois d’avril et la fin du mois d’août, délai dont ni la partie adverse ni la Cour n’avaient été avisées, était attribuable au fait que M. Marquardt avait refusé qu’on l’aide à établir son affidavit, sauf pour le faire signer par un commissaire à l’assermentation. Autrement dit, personne ne savait ce qu’il allait transmettre.
[22]
Dans son affidavit, M. Marquardt déclare qu’il est âgé de 81 ans et qu’il réside à Bonnechere Valley (Ontario). L’affidavit décrit surtout sa vie et son expérience professionnelle, ses opinions sur les prétendus rejets atmosphériques et des déclarations qu’il aurait censément faites à d’autres personnes, probablement décédées aujourd’hui, au cours de sa vie professionnelle. L’affidavit se termine par une description de déclarations que lui aurait faites un ancien agent américain, aujourd’hui décédé croit‑il, lors d’une activité financière qui a eu lieu en 1998 au Mexique. M. Marquardt dit que ces déclarations lui ont causé [traduction] « pendant plusieurs années un traumatisme psychologique et émotionnel considérable »
.
[23]
Le 1er septembre 2020, la Cour a tenu avec les avocats une conférence de gestion d’instance téléphonique au cours de laquelle des observations ont été formulées de vive voix. À l’issue de la conférence, j’ai refusé d’accorder l’autorisation de déposer l’affidavit, parce que celui‑ci avait été présenté après l’expiration du délai prescrit et qu’il se composait en grande partie d’éléments de preuve par ouï‑dire inadmissibles, ainsi que de déclarations concernant les croyances personnelles de M. Marquardt, ce qui était contraire à l’article 81 des Règles. De tels éléments de preuve n’étaient ni fiables ni nécessaires pour trancher de manière équitable les questions en litige que soulevait la requête. Il n’était pas possible non plus d’en vérifier la teneur en contre‑interrogatoire. Les passages de l’affidavit qui ne contenaient pas ces preuves par ouï‑dire, comme le récit fait par M. Marquardt de ses antécédents personnels, n’étaient pas pertinents.
[24]
La forme que revêtait l’affidavit était également préoccupante. M. Marquardt avait changé l’intitulé de la cause pour identifier la partie défenderesse, le Canada, en faisant référence à ce qui semble être un numéro attribué par la Securities and Exchange Commission (SEC) des États‑Unis. Il se décrivait comme un [traduction] « simple particulier et ami de la Cour »
. Ce sont là des signes que M. Marquardt souscrit à ce qui a été décrit avec justesse comme des théories [TRADUCTION] « pseudo‑juridiques »
: voir les décisions Meads c Meads, 2012 ABQB 571 et AVI c MHVB, 2020 ABQB 489. La teneur de l’affidavit dénote de plus une croyance aux théories complotistes qui circulent sur Internet. Hormis ces préoccupations, rien n’expliquait de manière raisonnable pourquoi cet affidavit avait été produit tardivement, même si l’on tient compte de la prétention de M. Marquardt selon laquelle il n’avait pris connaissance de l’action qu’en avril 2020. La production d’une preuve aussi douteuse, la veille de l’audience, était un signe de la faiblesse de la cause du demandeur.
III.
Les questions en litige
[25]
Il est possible de résumer ainsi les questions en litige :
A. Le document d’accès à l’information de M. Vander Zalm est‑il admissible en tant que fait reconnu?
Faudrait‑il radier la déclaration modifiée?
Si la déclaration modifiée est radiée, faudrait‑il accorder au demandeur l’autorisation de modifier ses actes de procédure?
D. Si la déclaration modifiée n’est pas radiée, faudrait‑il accorder à la défenderesse un jugement sommaire?
Y a‑t‑il lieu d’adjuger des dépens?
i.
La déclaration modifiée révèle‑t‑elle une cause d’action raisonnable?
ii.
La déclaration modifiée est‑elle scandaleuse, frivole ou vexatoire?
IV.
Le cadre juridique applicable
[26]
Les dispositions législatives qui suivent, tirées des Règles des Cours fédérales, sont pertinentes dans le cadre de la présente requête :
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[27]
Les dispositions législatives suivantes de la Charte sont elles aussi pertinentes :
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V.
Analyse
A.
Le document d’accès à l’information de M. Vander Zalm est‑il admissible en tant que fait reconnu?
[28]
Dans la demande de reconnaissance datée du 4 août 2020, le demandeur sollicitait une admission d’authenticité de la part de la défenderesse relativement au document que M. Vander Zalm avait reçu le 13 mars 2014, en réponse à sa demande d’accès à l’information. Comme il a été mentionné plus tôt, la pièce jointe à l’affidavit de M. Vander Zalm était un document unique, constitué d’une lettre d’accompagnement et d’une cinquantaine de pages de rapports et de notes de service émanant de deux ministères – Environnement Canada et Ressources naturelles Canada – et traitant d’études de recherche en gestion climatique, liées au réchauffement du globe.
[29]
Dans sa réponse, datée du 24 août 2020, la défenderesse a refusé de reconnaître l’authenticité de ce document, parce qu’il était sans pertinence à l’égard de l’action et que le juge Manson avait conclu, le 26 avril 2018, qu’il était inadmissible.
[30]
Le demandeur a tenté d’introduire une seconde fois le document lors du contre‑interrogatoire du déposant de la défenderesse, le colonel Ning Lew, le 15 août 2019. Ce dernier n’a pas pu parler de la teneur du document et n’a donc pas pu faire état d’un fondement probant qui aurait justifié son inclusion dans le dossier, et ce, malgré les efforts déployés par les avocats du demandeur pour établir un lien avec le ministère de la Défense nationale. Ce document indiquait, tout au plus, que l’ancien sous‑ministre de ce ministère avait assisté à une réunion interministérielle au cours de laquelle on avait discuté des sujets en question.
[31]
Quand cette question a été soulevée juste avant l’audience, j’ai ordonné que les documents pouvaient être admis aux fins des plaidoiries. À l’audience, j’ai indiqué aux parties que je les admettrais dans ce but, mais qu’elles devaient me fournir, après l’audience, des observations écrites sur la question. J’ai reçu ces observations.
[32]
Le demandeur prétend que la réponse de la défenderesse à la demande de reconnaissance était un commentaire sur la pertinence ou l’admissibilité, et non une réponse appropriée. Il a fait valoir que, aux termes de l’article 256 des Règles, la partie qui reçoit signification d’une demande de reconnaissance est donc réputée avoir reconnu l’authenticité du document. Il a été plaidé qu’une fois le document admis par application juridique de l’article, l’apparence de ouï‑dire ou le doute quant à la fiabilité disparaissent et le document est maintenant mis en preuve. Le juge Manson ne disposait pas du dossier tout entier, lequel incluait le contre‑interrogatoire du colonel Lew, le témoin de la défenderesse. Aux dires du demandeur, seule la Cour peut rendre une décision parfaitement éclairée sur le poids et la pertinence.
[33]
Il existe peu de jurisprudence sur l’interprétation des articles 255 et 256 des Règles. Les parties soutiennent – et je suis d’accord – que ces deux articles sont analogues à l’article 51 des Règles de procédure civile de l’Ontario, RRO 1990, Règl. 194 et que les décisions qui interprètent cette disposition peuvent être utiles.
[34]
Le demandeur invoque la décision Canpotext Ltd c Graham, [1985] OJ no 1324 (QL) (HCI) [Canpotext] ainsi qu’un article intitulé «
Strategic Uses of a Neglected Rule: Rule 51 Requests to Admit
»
(Usages stratégiques d’une règle négligée : la règle 51), The Advocates’ Quarterly, vol. 32, page 247.
[35]
La défenderesse fait valoir que le demandeur tente de faire indirectement ce qu’il n’a pas pu faire directement : produire le document en vue d’établir la véracité de son contenu par l’entremise de la demande de reconnaissance. S’il était admis dans le dossier en tant que document authentique, la question, relevée par le juge Manson, de son manque de pertinence et de fiabilité n’a pas été remédiée, et il ne faudrait lui accorder aucun poids. Par ailleurs, la question de l’admissibilité relève du principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée.
[36]
La défenderesse invoque la décision KD c Peel Children’s Aid Society, 2017 ONSC 7392, dans laquelle le juge Patillo a fait remarquer que rien n’obligeait la partie à laquelle on signifiait une demande de reconnaissance à y répondre, quelle qu’en soit la pertinence, et qu’une réponse de [TRADUCTION] « non‑pertinence »
était une réponse appropriée.
[37]
Les parties ne contestent pas que le document en question a été produit par un ministère fédéral – Environnement Canada – à la suite d’une demande d’accès à l’information. Toutefois, ce fait ne règle pas la controverse qui entoure son utilisation en l’espèce. La Cour peut prendre en considération un document considéré comme authentique, tant qu’il n’y a pas d’autres objections en matière de preuve à l’égard de ce document ou de son contenu, comme celles concernant sa pertinence et son admissibilité. Dans la présente affaire, il y avait manifestement de telles objections, et le juge Manson en a traité dans sa décision.
[38]
Dans deux décisions que la défenderesse a invoquées, il a été considéré que la règle ontarienne créait uniquement une présomption d’admission : Wunsche c Wunsche, [1994] OJ no 816, au para 19; Clarke c Canada, [2000] ACF no 475, au para 46. Dans le contexte de la présente affaire, cela voudrait dire que la reconnaissance de fait s’appliquerait uniquement à l’authenticité du document, et non aux faits qu’il renferme. Cela ne rend pas une preuve par ouï‑dire admissible, pas plus que cela ne permet au demandeur de se fonder sur la manière dont il interprète ce document, sans preuve de sa fiabilité ou de sa nécessité – une interprétation qui, dans les faits, est à l’abri de tout contre‑interrogatoire par la manière dont le document est déposé. S’il fallait que le contenu de ce dernier soit tenu pour avéré, la Cour n’aurait aucun moyen d’évaluer la preuve.
[39]
Dans la présente affaire, la demande de reconnaissance équivaut à une attaque indirecte contre la décision du juge Manson et elle est contraire à la règle selon laquelle, dans une requête en jugement sommaire, la preuve doit être présentée par des déposants qui ont une connaissance directe des questions qu’ils attestent.
[40]
Je conviens avec le demandeur que les articles 255 et 256 des Règles n’ont pas pour but de procurer à une partie un moyen de contourner une décision défavorable au sujet de la pertinence et de l’admissibilité d’un document. Ces deux dispositions sont conçues pour aider à trancher l’instance sur le fond de manière juste et de la façon la plus rapide et la moins coûteuse possible, en évitant d’avoir à produire des témoins et des éléments de preuve inutiles. Elles ne peuvent pas servir à transformer un ouï‑dire inadmissible en une preuve directe d’une façon contrevenant au paragraphe 81(1) des Règles.
[41]
Le demandeur a fait valoir que notre Cour n’est pas liée par la décision du juge Manson. Je ne suis pas d’accord. À mon avis, je dois me conformer aux principes de la courtoisie judiciaire et de l’économie des ressources judiciaires. Il n’est pas loisible à une partie, insatisfaite de l’issue d’une requête déposée dans le cadre d’une instance, de tenter d’obtenir une décision différente sur la même question auprès d’un autre juge du même tribunal.
[42]
Bien que ce ne soit pas nécessaire pour trancher la présente question, après avoir lu le document et interrogé les avocats au sujet de son contenu à l’audience je ne vois aucune raison de ne pas souscrire aux conclusions du juge Manson. Il n’y a rien non plus dans le contre‑interrogatoire du colonel Lew qui, selon moi, aurait pu persuader le juge Manson d’arriver à une conclusion différente. Indépendamment des efforts faits par les avocats pour obtenir du colonel Lew qu’il souscrive aux thèses qu’ils lui soumettaient, celui‑ci s’en est tenu fermement à son témoignage, à savoir que, dans le cadre de ses recherches de documents et dans les questions qu’il avait soumises à divers services du ministère de la Défense nationale, il n’avait rien trouvé qui dénotait que ce ministère ou l’Armée canadienne travaille avec d’autres pays ou services gouvernementaux sur les activités qui, allègue‑t‑on en l’espèce, se déroulent.
[43]
Pour les raisons qui précèdent, je n’autoriserai pas qu’on admette en preuve le document joint à l’affidavit de M. Vander Zalm dans le cadre de la présente requête en radiation et, subsidiairement, de la requête en jugement sommaire.
B.
Faudrait‑il radier la déclaration modifiée?
[44]
Le critère auquel la défenderesse se doit de satisfaire dans le cadre de la présente requête consiste à savoir s’il est évident et manifeste, en présumant de la véracité des faits plaidés, que l’acte de procédure ne révèle aucune cause d’action raisonnable ou, pour dire les choses autrement, que la requête n’a aucune chance raisonnable d’être accueillie : R c Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, au para 17 [Imperial Tobacco]; Hunt c Carey Canada Inc., [1990] 2 RCS 959, à la p 980; Sivak c Canada, 2012 CF 272, au para 15 [Sivak].
[45]
Aucune preuve autre que celle que contiennent les actes de procédure ne peut être prise en compte dans une requête en radiation, et même s’il y a lieu de considérer que des allégations prouvables sont véridiques, cette règle ne s’applique pas aux actes de procédure qui sont fondés sur des présomptions et des conjectures et à ceux que l’on est incapable de prouver : Imperial Tobacco, au para 22; Operation Dismantle c La Reine, [1985] 1 RCS 441, à la p 455 [Operation Dismantle]; AstraZeneca Canada Inc. c Novopharm Ltd, 2009 CF 1209, aux para 10 et 12. Bien qu’il faille interpréter la déclaration de la manière la plus généreuse qui soit, l’objectif étant de remédier à tout vice de forme attribuable à des erreurs de rédaction, il incombe au demandeur de plaider clairement les faits qui sous‑tendent sa déclaration : arrêt Imperial Tobacco, au para 22.
[46]
Comme l’a souligné la Cour d’appel fédérale aux paragraphes 16 et 17 de l’arrêt Mancuso :
L’instruction d’un procès requiert du demandeur qu’il allègue des faits matériels suffisamment précis à l’appui de la déclaration et de la mesure sollicitée. Comme le juge l’a relevé, les « actes de procédure jouent un rôle important pour aviser les intéressés et définir les questions à trancher, et la Cour et les parties adverses n’ont pas à émettre des hypothèses sur la façon dont les faits pourraient être organisés différemment pour appuyer diverses causes d’action ».
La dernière partie de cette exigence, soit l’exposé de faits matériels suffisamment précis, constitue le fondement des actes de procédure correctement rédigés. Si un juge autorisait les parties à avancer de simples affirmations de fait, ou de simples conclusions de droit, les actes de procédure ne rempliraient pas le rôle qui leur revient, soit celui de cerner les questions en litige. Il est essentiel que le défendeur ait en main des actes de procédure correctement rédigés de façon à préparer son système de défense. Les faits matériels servent à encadrer les interrogatoires préalables et permettent aux avocats de conseiller leur client, à préparer leurs moyens et à établir une stratégie en vue du procès. Qui plus est, les actes de procédure permettent de définir les paramètres d’appréciation de la pertinence d’éléments de preuve lors des interrogatoires préalables et de l’instruction du procès.
[47]
Je suis d’accord avec la défenderesse qu’il est évident et manifeste que la déclaration modifiée ne révèle aucune cause raisonnable d’action, car :
[traduction]
a) un récit des faits et du moment où ces faits se sont déroulés ne suffit pas pour répondre aux exigences des Règles : Simon c Canada, 2011 CAF 6, au para 18 [Simon];
b) la déclaration est toujours dénuée des faits substantiels qui permettraient d’étayer les allégations formulées à l’encontre du Canada, y compris l’Armée canadienne;
c) la déclaration est purement conjecturale et ne peut fournir une preuve objective.
[48]
Le demandeur n’est pas parvenu à produire des faits substantiels à l’appui de sa prétention selon laquelle les personnes responsables des prétendus rejets atmosphériques – un phénomène allégué qui n’est nullement corroboré dans les actes de procédure – sont membres de l’Armée canadienne ou de parties autorisées ou engagées en sous‑traitance par cette dernière, ainsi qu’il est allégué dans la déclaration modifiée. Le demandeur émet l’hypothèse, sans fondement aucun, que les types d’aéronefs qu’il a observés depuis le sol sont militaires et il formule des conjectures sur l’existence du soi‑disant [TRADUCTION] « projet
Cloverleaf
»
ainsi que sur les raisons pour lesquelles le Canada se serait livré au rejet de substances dans l’atmosphère.
[49]
Il n’y a dans le dossier aucune preuve qui corrobore les conjectures du demandeur. Les photographies, qu’il a incluses dans son dossier, ne prouvent rien d’autre, d’après moi, que, bien des jours, des aéronefs laissent derrière eux des traînées de condensation à haute altitude dans le ciel, au‑dessus du Canada. Sauter de cette observation à l’hypothèse qu’émet le demandeur oblige à avoir foi en l’existence de faits qui relèvent entièrement du domaine de la conjecture.
[50]
Les allégations selon lesquelles le Canada viole la Charte sont fondées, comme le demandeur le dit lui‑même, sur la raison [TRADUCTION] « possible »
pour laquelle le Canada mènerait de telles activités. Le demandeur n’est pas en mesure de produire de faits substantiels à l’appui de cette raison [TRADUCTION] « possible »
et il est donc incapable d’en faire autant à l’appui de sa prétention de violation de la Charte.
[51]
Les prétendues causes d’action en common law échouent elles aussi en raison des lacunes relevées dans les actes de procédure. Comme il a été mentionné dans l’arrêt Mancuso, la rédaction adéquate de moyens tirés de la responsabilité civile exige qu’on énonce le délit civil spécial reproché et qu’on expose les faits pertinents qui sont nécessaires pour établir les éléments du délit.
[52]
La Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, LRC 1985, c C‑50 exige du demandeur qu’il indique, à titre de faits substantiels, les individus, le groupe d’individus ou le secteur organisationnel précis qui se seraient livrés à des actions délictuelles : Merchant Law Group c Canada (Agence du revenu), 2010 CAF 184, aux para 36‑38). Ainsi qu’il est indiqué dans Sivak (au para 48), l’obligation de plaider des faits substantiels suffisants en pareille matière est particulièrement importante pour fonder des allégations de négligence, car il se pose souvent des questions clés, comme celle de savoir si la prétendue conduite est le résultat d’une décision de principe ou d’une décision opérationnelle.
[53]
En l’espèce, la déclaration modifiée du demandeur ne désigne pas un particulier, un groupe de particuliers ou un secteur organisationnel qui aurait pris part à la prétendue conduite négligente. Elle omet également de fournir des détails quelconques sur la prétendue conduite négligente.
[54]
Le demandeur n’a pas remédié aux lacunes que comportait la déclaration initiale à l’égard des allégations de négligence. La version modifiée de cette déclaration ne corrobore toujours pas les éléments de négligence essentiels. Les allégations continuent d’être une énumération des mesures génériques que comporte une analyse de la négligence, complétées par un vague exposé circonstancié. L’allégation d’intrusion a été remaniée, mais elle est essentiellement identique à celle qu’a rejetée le juge LeBlanc dans la décision Pelletier I. L’allégation d’intrusion, dans la déclaration modifiée, demeure conjecturale et n’est pas corroborée par des faits substantiels.
[55]
Le demandeur n’a pas qualité pour présenter une demande fondée sur la nuisance publique, puisqu’il n’a subi aucun dommage particulier qui serait distinct de celui que subirait le grand public, s’il en existait un. Rien ne prouve la présence de particules ou de substances chimiques dans l’espace aérien situé au‑dessus des biens du demandeur ou de ceux de n’importe quel autre membre potentiel du groupe. Les photographies que le demandeur a produites ne fournissent pas de telles preuves.
[56]
Le demandeur a tenté de répondre aux lacunes que comportait la déclaration initiale en faisant abstraction d’ordonnances judiciaires antérieures et en faisant référence à des éléments de preuve inadmissibles dans son nouveau mémoire des faits et du droit modifié :
1) Même si l’affidavit de M. Herndon a été déclaré inadmissible – une décision qu’a confirmée la Cour d’appel fédérale – le demandeur tente d’invoquer des articles que M. Herndon a récemment publiés, lesquels, notamment, se fondent sur la présente instance pour appuyer ses théories.
2) Indépendamment de la décision selon laquelle l’affidavit de M. Vander Zalm, et la pièce qui y est jointe, étaient inadmissibles, le demandeur se fonde dans une large mesure sur les documents d’accès à l’information reçus d’Environnement Canada, lesquels étaient inclus dans cette pièce et qui sont inadmissibles dans le cadre d’une requête en radiation fondée sur le paragraphe 221(2) des Règles.
3) Dans une tentative pour introduire irrégulièrement de nouveaux éléments de preuve, le demandeur se fonde, dans des notes de bas de page, sur une série d’articles de presse, d’articles inédits consultables en ligne et de films documentaires.
[57]
Même en présumant que les documents d’Environnement Canada sont admissibles, ce à quoi, comme je l’ai dit plus tôt, je ne souscris pas, ces documents étayent dans le meilleur des cas l’existence d’un ensemble de recherches savantes réalisées par des scientifiques sur le rejet possible d’aérosols dans le but de contrer le réchauffement du globe. Les documents ont trait à un exposé présenté à des hauts fonctionnaires au sujet de l’état de recherches menées sur des expériences en matière de mobilisation climatique et ils font état de principes de gouvernance internationaux bien précis qui interdisent l’application de telles techniques de géo‑ingénierie dans le monde réel. Il n’y a rien dans la pièce produite qui confirme l’hypothèse du demandeur selon laquelle ces travaux ont réellement eu lieu au Canada, et encore moins qu’ils ont été exécutés par l’Armée canadienne, comme on le prétend dans la déclaration modifiée. Les efforts faits par le demandeur pour tirer du contre‑interrogatoire du colonel Lew un minimum de confirmations de ce qu’il avance sont tout à fait vains.
[58]
Je conviens également avec la défenderesse que la cause d’action est scandaleuse, frivole et vexatoire, car elle n’a aucun fondement factuel et ne peut raisonnablement pas être accueillie. Elle est si conjecturale et manque à ce point de faits substantiels qu’il serait impossible pour la défenderesse d’y répondre autrement que par un déni en bloc.
[59]
En fin de compte, je suis convaincu qu’il y a lieu de radier la déclaration modifiée dans son intégralité.
C.
Si la déclaration modifiée est radiée, faudrait‑il accorder au demandeur l’autorisation de modifier ses actes de procédure?
[60]
L’autorisation de modification doit normalement être refusée lorsque le vice que comporte l’acte de procédure ne peut pas être corrigé par une modification : arrêt Simon, au para 8.
[61]
Dans la décision Baird c Canada, 2006 CF 205 [Baird], notre Cour a conclu qu’une déclaration qui contient un « si grand nombre d’allégations non assorties de précisions et demande tant de mesures de redressement que, dans le cas où elle serait retenue, il serait presque impossible à la Cour de régler l’instruction »
se doit d’être radiée sans autorisation de modification, car il s’agit d’un abus de procédure (décisions Baird, au para 12 et Pelletier I, au para 28). Il convient également de radier une déclaration sans autorisation de la modifier s’il « ne peut pas être remédié à ses défauts »
: Baird c Canada, 2007 CAF 48.
[62]
Je conviens avec la défenderesse que la déclaration modifiée est irrécupérable et qu’elle n’a aucune chance de succès. Si le fait de la modifier ne donnerait simplement lieu qu’à une autre requête en radiation fructueuse pour cause d’absence de fondement juridique, la modification devrait être refusée : Carom v Bre‑X Minerals Ltd, [1998] OJ no 4496 (QL) (Div. gén. Ont.).
[63]
Le demandeur a eu la possibilité de fournir à la Cour des faits substantiels à l’appui de ses allégations, mais il a décidé plutôt de se fonder sur des éléments de preuve inadmissibles et des sources non fiables.
[64]
Au cœur de la déclaration réside une théorie complotiste alimentée par les médias sociaux, une théorie qu’il est impossible de prouver par les éléments de preuve que le demandeur souhaite invoquer. Ce dernier est incapable de rattacher cette théorie à une action quelconque de la part de l’Armée canadienne ou d’un autre organisme gouvernemental, sauf en recourant à de simples allégations et à des hypothèses infondées, qui reposent sur des documents affichés en ligne et sur des traînées atmosphériques qu’il a lui‑même observées. Ces efforts sont voués à l’échec, et les tribunaux y ont déjà consacré trop de temps et d’efforts ces quatre dernières années pour que l’on permette au demandeur de faire une nouvelle tentative.
[65]
Pour ces raisons, je refuse d’accorder l’autorisation de modification.
D.
Si la déclaration modifiée n’est pas radiée, faudrait‑il accorder au demandeur l’autorisation de modifier ses actes de procédure?
[66]
Bien que les conclusions que j’ai formulées plus tôt suffisent pour trancher la présente requête, pour plus de certitude je vais également faire part de mon opinion sur la demande de réparation subsidiaire de la défenderesse.
[67]
La Cour peut rendre un jugement sommaire si elle est convaincue qu’il n’y a pas de véritable question litigieuse. Le critère applicable consiste à savoir si l’affaire est à ce point douteuse qu’elle ne mérite pas d’être examinée par le juge des faits dans le cadre d’un éventuel procès : décision Milano Pizza Ltd c 6034799 Canada Inc., 2018 CF 1112, aux para 33‑40.
[68]
Comme il a été souligné dans la décision Miller c Canada, 2018 CF 599 (au para 48), les principes généraux qui régissent l’octroi d’un jugement sommaire à la Cour fédérale ont été énoncés par la juge Tremblay‑Lamer dans la décision Granville Shipping Co. c Pegasus Lines Ltd., (1996), [1996] 2 CF 853 :
1. ces dispositions ont pour but d’autoriser la Cour à se prononcer par voie sommaire sur les affaires qu’elle n’estime pas nécessaire d’instruire parce qu’elles ne soulèvent aucune question sérieuse à instruire (Old Fish Market Restaurants Ltd. c. 1000357 Ontario Inc. et al.), 1994 A.C.F. no 1631, 58 C.P.R. (3d) 221 (1re inst.));
2. il n’existe pas de critère absolu (Feoso Oil Ltd. c. Sarla(Le)), mais le juge Stone, J.C.A. semble avoir fait siens les motifs prononcés par le juge Henry dans le jugement Pizza Pizza Ltd. v. Gillespie. Il ne s’agit pas de savoir si une partie a des chances d’obtenir gain de cause au procès, mais plutôt de déterminer si le succès de la demande est tellement douteux que celle‑ci ne mérite pas d’être examinée par le juge des faits dans le cadre d’un éventuel procès;
3. chaque affaire devrait être interprétée dans le contexte qui est le sien (Blyth et Feoso);
4. les règles de pratique provinciales (spécialement la Règle 20 des Règles de procédure civile de l’Ontario) peuvent faciliter l’interprétation (Feoso et Collie);
5. saisie d’une requête en jugement sommaire, notre Cour peut trancher des questions de fait et des questions de droit si les éléments portés à sa connaissance lui permettent de le faire (ce principe est plus large que celui qui est posé à la Règle 20 des Règles de procédure civile de l’Ontario) (Patrick);
6. le tribunal ne peut pas rendre le jugement sommaire demandé si l’ensemble de la preuve ne comporte pas les faits nécessaires [...] ou s’il estime injuste de trancher ces questions dans le cadre de la requête en jugement sommaire (Pallman et Sears);
7. lorsqu’une question sérieuse est soulevée au sujet de la crédibilité, le tribunal devrait instruire l’affaire, parce que les parties devraient être contre‑interrogées devant le juge du procès (Forde et Sears). L’existence d’une apparente contradiction de preuves n’empêche pas en soi le tribunal de prononcer un jugement sommaire; le tribunal doit “se pencher de près” sur le fond de l’affaire et décider s’il y a des questions de crédibilité à trancher (Stokes).
[69]
Une partie qui répond à la requête est tenue d’énoncer les faits précis et de produire les éléments de preuve qui démontrent l’existence d’une véritable question litigieuse (article 214 des Règles). La Cour rend un jugement sommaire si elle est convaincue qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse (paragraphe 215(1) des Règles). Le fardeau de preuve repose sur les épaules de la partie qui présente la requête, mais les deux parties doivent présenter leurs meilleurs arguments : arrêt MacNeil c Canada, 2004 CAF 50, 316 NR 349.
[70]
Si je n’avais pas décidé qu’il convenait de radier la déclaration, je conclurais que la défenderesse s’est acquittée de son fardeau pour le jugement sommaire. Il n’y a pas de véritable question litigieuse, car les allégations que contient la déclaration modifiée ne reposent pas sur des faits substantiels, mais sur des éléments de preuve non admissibles et des sources non fiables.
[71]
Les actes de procédure du demandeur ne font pas état d’une question litigieuse qui concerne l’Armée canadienne ou n’importe quel autre mandataire de la Couronne fédérale. Ils n’établissent pas que le Canada se livre au rejet atmosphérique de substances chimiques et qu’il a déjà pris part à une opération militaire menée conjointement avec les États‑Unis et baptisée [TRADUCTION] « projet
Cloverleaf
»
, pas plus qu’à tout autre projet de cette nature. Le témoignage du colonel Lew, étayé par les recherches approfondies qu’il a menées au ministère de la Défense nationale et par les questions qu’il a posées à des membres du personnel, confirment que même si une entité quelconque prenait part à un programme d’épandage atmosphérique au Canada – un fait que le demandeur a été incapable d’établir – l’Armée canadienne ne participe pas à un tel programme, pas plus qu’elle n’est au courant qu’une activité semblable a déjà été menée au pays.
[72]
Je conviens avec la défenderesse que les allégations qu’avance le demandeur dans sa déclaration modifiée reposent sur des théories complotistes diffusées en ligne et sont dénuées de tout fondement en matière de faits ou de réalités vérifiables. Comme la présente action ne révèle aucune question litigieuse véritable et qu’elle est susceptible d’être rejetée, à défaut de radier la déclaration, le fait de rendre un jugement sommaire en faveur de la défenderesse serait la manière la plus juste, la plus expéditive et la moins coûteuse de trancher l’affaire sur le fond.
VI.
Dépens
[73]
La défenderesse a demandé une adjudication de dépens selon le tarif B des Règles et elle a présenté un mémoire de frais.
[74]
L’article 334.39 des Règles supplante le vaste pouvoir discrétionnaire dont jouit la Cour en matière d’adjudication de dépens, mais il n’a été l’objet que d’un examen judiciaire restreint. À l’audience, la défenderesse a fait valoir qu’une adjudication de dépens serait une mesure appropriée et que celle‑ci relevait des exceptions au principe général énoncé aux alinéas 334.39(1)b) et c).
[75]
Le principe général est le suivant : dans le cas d’un recours collectif, et cela inclut les requêtes préliminaires et les appels, une adjudication de dépens doit être une mesure d’exception. La règle « sans dépens »
s’applique dès que les parties à l’action deviennent des parties à la requête en certification : Campbell c Canada (Procureur général), 2012 CAF 45.
[76]
Dans l’affaire Campbell, la juge des requêtes avait décidé que les défendeurs avaient droit aux dépens jusqu’à la requête en autorisation. Les demandeurs se sont désistés de leur action avant l’instruction de la requête en autorisation. La Cour d’appel fédérale a infirmé l’ordonnance rendue en première instance et a renvoyé l’affaire à la juge des requêtes afin qu’elle décide si la conduite des appelants correspondait à l’une des exceptions à l’article des Règles qui justifieraient une adjudication de dépens.
[77]
Dans la décision Wenham c Canada (Procureur général), 2020 CF 592, le juge Phelan a décrété que la disposition d’exception est importante pour le régime des recours collectifs et qu’il convient de la soumettre à une interprétation équitable et libérale, qui sert l’objectif consistant à sanctionner la conduite inappropriée d’une partie. En fin de compte le juge Phelan a conclu qu’il n’y avait aucune circonstance exceptionnelle qui justifiait l’adjudication de dépens à l’encontre du défendeur.
[78]
Le juge Hugessen a adjugé les dépens à l’encontre des demandeurs dans le cadre d’un recours collectif envisagé dans l’affaire Always Travel Inc. c Air Canada, 2004 CF 675, mais c’était à l’égard de leur requête visant à faire lever une suspension de l’action à l’encontre de défendeurs insolvables. Cette requête, d’après la Cour, était une mesure procédurale inutile et jamais elle n’aurait dû être introduite.
[79]
En l’espèce, l’avis de requête en autorisation – recours collectif envisagé a été admis pour dépôt par le juge LeBlanc le 22 mai 2018, mais il a ensuite été mis en suspens en attendant l’issue définitive de la requête en radiation et en jugement sommaire de la défenderesse. Les adjudications de dépens des juges LeBlanc et Manson dataient d’avant cette ordonnance. L’audience tenue devant le juge Ahmed a eu lieu quelques jours plus tard et sa décision de rejeter la requête en autorisation en vue d’admettre l’affidavit de M. Herndon avec dépens a été prononcée le 13 juillet 2018. Il semble que la question de l’application de l’article 334.39 des Règles n’ait pas été soulevée devant le juge Ahmed.
[80]
Quand l’appel de la décision du juge Ahmed a été soumis à la Cour d’appel fédérale, le demandeur a fait valoir qu’une adjudication de dépens serait contraire à l’article 334.39 des Règles. La Cour d’appel fédérale n’a pas adjugé de dépens, mais elle n’a pas fait d’autres commentaires sur la question de savoir si, dans les circonstances, une telle adjudication relèverait du pouvoir discrétionnaire de la Cour.
[81]
À mon avis, la conduite du demandeur a prolongé inutilement la durée de la requête en radiation, et les efforts faits pour introduire des éléments de preuve inadmissibles étaient inutiles. Je suis donc persuadé qu’il est justifié d’adjuger des dépens à l’encontre du demandeur en tant qu’exception au principe général énoncé à l’article 334.39 des Règles. Après avoir examiné le mémoire de frais du demandeur, j’adjugerai la somme forfaitaire de 3 500 $.
JUGEMENT dans le dossier T‑431‑16
LA COUR ORDONNE :
La requête en radiation de la déclaration modifiée du demandeur est accueillie, sans autorisation de modification;
Le montant de 3 500$ est adjugé à la défenderesse à titre de dépens.
« Richard G. Mosley »
Juge
Traduction certifiée conforme
M. Deslippes
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
T‑431‑16
|
INTITULÉ :
|
DAN PELLETIER c SA MAJESTÉ LA REINE
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
OTTAWA (ONTARIO)
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
LE 3 SEPTEMBRE 2020
|
JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LE JUGE MOSLEY
|
DATE DES MOTIFS :
|
LE 2 NovembRE 2020
|
COMPARUTIONS :
Henry Juroviesky
Tony Vacca
|
POUR LE DEMANDEUR
|
Jacob Pollice
Victor Paolone
|
POUR LA DÉFENDERESSE
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Avocats
Toronto (Ontario)
|
POUR LE DEMANDEUR
|
Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
|
POUR LE DÉFENDEUR
|