Dossier : T-1685-16
Référence : 2020 CF 1005
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 26 octobre 2020
En présence de madame la juge McDonald
ENTRE :
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JANET MERLO ET
LINDA GILLIS DAVIDSON
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demanderesses
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et
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SA MAJESTÉ LA REINE
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défenderesse
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ORDONNANCE ET MOTIFS
[1]
Le règlement du présent recours collectif a été approuvé par ordonnance de la Cour le 30 mai 2017 (Merlo c Canada, 2017 CF 533). Cette approbation a donné effet aux modalités de l’accord de règlement, qui vise à régler les réclamations pour discrimination fondée sur le sexe et l’orientation sexuelle présentées par des femmes membres et employées de la GRC. La Cour maintient sa compétence à l’égard du règlement et de sa mise en œuvre conformément aux modalités de l’accord de règlement et de l’ordonnance approuvant le règlement.
[2]
La présente requête a été déposée par une membre du groupe, appelée la demanderesse 19407 (la demanderesse), qui sollicite une ordonnance autorisant le réexamen de sa réclamation. Elle cherche également à obtenir une ordonnance de confidentialité pour protéger son identité et mettre sous scellés les renseignements confidentiels qu’elle a présentés à l’appui de la présente requête. Je souligne que seuls la demanderesse, son avocat et la Cour ont eu accès aux documents confidentiels relatifs à la requête. Les documents que la défenderesse et l’évaluateur ont reçus étaient caviardés.
[3]
Malgré les objections présentées par l’avocat de la demanderesse, la Cour a autorisé le bureau de l’évaluateur à déposer des observations écrites en réponse à la requête de cette dernière.
[4]
L’examen de la présente requête a eu lieu sur dossier conformément au paragraphe 369(1) des Règles des Cours fédérales.
Dispositions applicables de l’accord de règlement
[5]
Les dispositions applicables de l’accord de règlement sont les suivantes :
Article 6.05 L’évaluateur rendra une décision relativement à la réclamation d’une demanderesse et la lui communiquera promptement en conformité avec le paragraphe 33 de l’annexe B du présent accord. Sous réserve du droit limité (niveau 2) de la demanderesse de demander [un réexamen, tel] qu’il a été établi dans le processus de réclamation à l’annexe B du présent accord, la décision de l’évaluateur relativement à une réclamation sera finale et exécutoire pour la demanderesse. Par souci de clarté, les décisions de l’évaluateur ne peuvent ni être portées en appel ni faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire.
Article 7.01 L’objectif du processus de réclamation est de verser, pour les réclamations fondées, une indemnité juste au moyen d’un processus qui est sensible aux membres du groupe principal et qui les appuie pour avoir soulevé ces questions, tout en veillant à ce que les réclamations soient évaluées adéquatement, équitablement et rapidement en fonction d’une validation appropriée et suffisante, proportionnelle à la gravité des blessures alléguées.
[6]
Le processus de réclamation est détaillé à l’annexe B de l’accord de règlement :
21. L’évaluateur décidera pour chaque demande si elle relève du niveau 1 ou 2 ou d’un niveau entre 3 et 6 en appliquant les facteurs de conduite fautive et des effets sur les victimes caractéristiques des niveaux 1 à 6 des « Niveaux d’indemnisation » prévus à l’appendice 6 de la présente annexe.
22. Pour une réclamation de niveau 1 ou 2, l’évaluateur procédera à l’examen des documents de la trousse de demande et décidera :
(a) Si, selon la prépondérance des probabilités, les événements allégués se sont produits et, s’il en est convaincu, s’ils se sont produits en milieu de travail ou en lien avec le milieu de travail, et pendant la période visée;
(b) Si les événements considérés s’être produits constituent du harcèlement, selon la définition qui en est donnée dans l’accord;
(c) De la nature et de la gravité des dommages subis par la demanderesse qui sont [causés ou aggravés par le] harcèlement considéré avoir eu lieu […]; et
(d) Du niveau d’indemnisation à accorder conformément à l’appendice 7 de la présente annexe.
23. Dans les trente (30) jours suivant l’envoi à la demanderesse de la décision de l’évaluateur concernant une réclamation de niveau 2, la demanderesse peut, en produisant une demande de réexamen d’une réclamation de niveau 2 incluse à l’appendice 8 de la présente annexe, demander que l’évaluateur réexamine sa décision :
(a) Pourvu que la demanderesse lui donne des motifs raisonnables qui prouvent que la réclamation devrait être traitée suivant le processus applicable aux réclamations de niveaux 3, 4, 5 et 6; et
(b) Pourvu que la demanderesse puisse produire des documents ou des renseignements nouveaux auxquels elle n’a pas eu raisonnablement accès avant de recevoir la décision de l’évaluateur.
[…]
33. L’évaluateur doit prendre une décision relativement à la réclamation et la communiquer à la demanderesse aussitôt que possible une fois la décision prise, précisant le niveau d’indemnisation établi et le montant de l’indemnité à verser. Sous réserve du droit limité (niveau 2) de la demanderesse de demander un réexamen, tel qu’il a été établi au paragraphe 23 de la présente annexe, la décision de l’évaluateur relativement à une réclamation sera finale et exécutoire pour la demanderesse. Par souci de clarté, les décisions de l’évaluateur ne peuvent ni être portées en appel ni faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire.
Contexte général
[7]
Comme il est indiqué dans les dispositions susmentionnées, l’accord de règlement explique le processus de réclamation en détail. Dans le cadre du règlement négocié qui a mené à l’accord de règlement, les parties se sont entendues pour nommer un évaluateur indépendant en charge « [d’]administrer le règlement et [d’]établir qui sont les demanderesses admissibles à une indemnisation en vertu des modalités de l’accord de règlement »
. Le juge Michel Bastarache, C.C., c.r., a été désigné à titre d’évaluateur indépendant au moment où la Cour a approuvé le règlement. Par la suite, deux évaluateurs supplémentaires ont été nommés pour aider à traiter les réclamations. Jusqu’à présent, 3086 demandes ont été évaluées dans le cadre de l’accord de règlement.
[8]
En mai 2018, la demanderesse, par l’entremise de son avocat, a présenté à l’évaluateur une réclamation et des documents à l’appui évoquant des incidents qui se seraient produits pendant qu’elle était employée de la GRC à titre de membre civil. En février 2020, elle a soumis des renseignements mis à jour à l’évaluateur.
[9]
Le 17 avril 2020, l’évaluateur a rendu une décision dans laquelle il a rejeté la demande d’indemnisation de la demanderesse. La lettre de l’évaluateur prévoit notamment ce qui suit :
[TRADUCTION]
Je suis chargé d’évaluer les demandes d’indemnisation conformément aux modalités établies dans l’accord de règlement intervenu entre les parties dans le cadre du recours collectif Merlo Davidson, qui a été approuvé par la Cour fédérale du Canada. Le processus de réclamation énoncé à l’annexe B de l’accord de règlement prévoit que je dois déterminer :
-
a) Si, selon la prépondérance des probabilités, les événements allégués se sont produits, et s’ils se sont produits en milieu de travail ou en lien avec le milieu de travail pendant la période du 16 septembre 1974 au 30 mai 2017;
-
b) Si les événements considérés s’être produits constituent du harcèlement, selon la définition qui en est donnée à l’article 1.01 de l’accord de règlement;
-
c) La nature et la gravité des dommages subis par la demanderesse qui sont [causés ou aggravés par le] harcèlement considéré avoir eu lieu;
-
d) Le niveau d’indemnisation à accorder conformément à l’appendice 7 de l’annexe B de l’accord de règlement.
Le processus de réclamation prévoit également que « l’évaluateur peut rejeter une réclamation si la preuve n’en a pas été faite ou si les événements évoqués ne constituent pas du harcèlement ».
Si une réclamation ne satisfait pas aux exigences établies dans l’accord de règlement, je n’ai pas le pouvoir d’accorder une indemnité à la demanderesse même si elle a vécu une expérience négative auprès de la GRC.
J’ai examiné attentivement votre formulaire de réclamation ainsi que les autres documents que vous avez présentés à l’appui de votre réclamation. J’ai conclu que votre réclamation ne satisfait pas aux exigences en matière d’indemnisation établies dans l’accord de règlement.
Par conséquent, après avoir examiné les renseignements et la preuve que vous m’avez présentés, je ne saurais vous accorder d’indemnité en vertu de l’accord de règlement.
[10]
Le 19 mai 2020, l’avocate de la demanderesse a écrit à l’évaluateur pour lui demander de confirmer que le rejet de la réclamation résultait d’une erreur d’écriture et de confier la réclamation à un autre évaluateur pour qu’elle fasse l’objet d’un nouvel examen.
[11]
Le 3 juin 2020, le bureau de l’évaluateur a présenté la réponse suivante par écrit : [traduction] « Je confirme qu’à la suite de l’examen du formulaire de réclamation et des renseignements à l’appui dans le dossier 19407, l’évaluateur indépendant a jugé que la réclamation ne saurait donner lieu à une indemnité. Aucune erreur administrative n’a été commise. »
Réparation demandée dans la présente requête
[12]
Dans le cadre de la présente requête, la demanderesse sollicite les réparations suivantes :
a) Que le formulaire de réclamation et les documents justificatifs de la demanderesse 19407 soient renvoyés au bureau de l’évaluateur pour faire l’objet d’un nouvel examen.
b) Que le nouvel examen de la réclamation de la demanderesse 19407 soit effectué par un avocat en exercice et un évaluateur autre que Maxine Vincellette et M. Bastarache (l’évaluateur).
c) Que le contenu du formulaire de réclamation de la demanderesse 19407 ainsi que les documents à l’appui présentés dans le cadre de l’accord de règlement soient considérés comme confidentiels, mis sous scellés et accessibles seulement par la Cour.
d) Que tout renseignement permettant d’identifier la demanderesse 19407 dans les ordonnances et documents publiés par la Cour fédérale soit remplacé par le pseudonyme
« demanderesse 19407 »
.
[13]
La défenderesse soutient que les questions soulevées dans la requête ont trait au caractère définitif des décisions de l’évaluateur et à la question de savoir si la demanderesse s’est acquittée du lourd fardeau qui lui incombait de démontrer que la Cour devrait intervenir et ordonner un nouvel examen de la décision définitive de l’évaluateur.
[14]
Je formulerais ainsi les questions en litige :
Convient‑il de rendre une ordonnance de confidentialité?
La Cour a‑t‑elle compétence pour ordonner qu’une réclamation rejetée fasse l’objet d’un nouvel examen?
Analyse
A.
Convient‑il de rendre une ordonnance de confidentialité?
[15]
La demanderesse demande que ses renseignements soient protégés contre toute divulgation au moyen d’une ordonnance de confidentialité. La défenderesse n’a présenté aucune observation relativement à cette demande.
[16]
L’article 151 des Règles des Cours fédérales prévoit ce qui suit :
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[17]
Au paragraphe 11 de l’ordonnance approuvant le règlement (2017 CF 533), j’ai souligné l’importance de préserver la confidentialité du processus de réclamation en citant le paragraphe 24 de l’accord de règlement :
Le règlement prévoit plusieurs garanties visant à protéger la vie privée des demanderesses et à conserver le caractère confidentiel du processus de réclamation. La confidentialité était une préoccupation importante des membres du groupe puisque plusieurs d’entre elles avaient fait l’objet de représailles après avoir porté plainte pour harcèlement ou discrimination alors qu’elles travaillaient pour la GRC. Le règlement prévoit de nombreuses mesures visant à protéger l’identité des demanderesses, encourageant ainsi les membres du groupe à se sentir en sécurité pour déposer [une] plainte en vertu du règlement.
[18]
Le fait d’assurer un processus confidentiel qui permette aux membres du groupe de se manifester est un aspect essentiel du processus de réclamation. Le dépôt d’une réclamation en vue d’obtenir une indemnité en vertu de l’accord de règlement s’effectue dans le cadre d’un processus confidentiel conçu pour protéger l’identité des demanderesses ainsi que leurs renseignements. À mon avis, le risque de préjudice auquel s’expose la demanderesse en révélant l’information qu’elle a présentée à l’appui de sa réclamation l’emporte sur l’intérêt du public à la publicité des débats judiciaires.
[19]
Les conditions énoncées dans l’arrêt Sierra Club du Canada c Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41, sont remplies en l’espèce. De plus, le fait de protéger les renseignements personnels de la demanderesse n’est pas incompatible avec le principe de la publicité des débats (A.B. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 237, au para 41).
[20]
Je suis convaincue qu’il convient de rendre l’ordonnance de confidentialité demandée conformément aux modalités établies dans l’accord de règlement du présent recours collectif.
B.
La Cour a‑t‑elle compétence pour ordonner qu’une réclamation rejetée fasse l’objet d’un nouvel examen?
[21]
La demanderesse soutient que l’évaluateur a [traduction] « rejeté sommairement »
sa réclamation et que, ce faisant, il n’a [traduction] « tout simplement pas appliqué les modalités de l’accord de règlement et est allé à l’encontre des intentions exprimées par les parties lorsqu’elles ont négocié les modalités »
.
[22]
La demanderesse s’appuie sur les arrêts Fontaine v Duboff Edwards Haight & Schacter, 2012 ONCA 471, et Brown v Canada (Attorney General), 2019 BCCA 245, pour faire valoir que la Cour peut intervenir si la décision ne respecte pas les modalités de l’accord de règlement ou lorsque celui‑ci présente des [traduction] « lacunes »
.
[23]
Dans l’arrêt J.W. c Canada (Procureur général), 2019 CSC 20 (J.W.), la Cour suprême s’est penchée sur la compétence des tribunaux qui supervisent le règlement de recours collectifs. Il s’agit d’une décision partagée, mais la juge Côté a conclu au paragraphe 134 que « le fait de permettre aux tribunaux d’intervenir dans les décisions rendues dans le cadre du PÉI irait à l’encontre de l’objectif visant le règlement rapide, efficace et définitif des différends »
. De plus, les juges majoritaires de la Cour suprême, en souscrivant aux motifs de la juge Côté énoncés aux paragraphes 142 et 143, ont conclu que l’intervention des tribunaux pouvait être justifiée seulement si une modalité applicable a été ignorée ou si l’accord présentait une lacune.
[24]
En l’espèce, la demanderesse soutient que la lettre de décision de l’évaluateur ne prouve pas qu’il ait mis en œuvre les dispositions de l’accord de règlement ou qu’il y ait adhéré. Cet argument sous‑entend que l’évaluateur est tenu d’exposer ses motifs lorsqu’il rejette une réclamation. Cependant, le libellé de l’accord de règlement ne prévoit aucune exigence en ce sens. De plus, l’évaluateur a confirmé que la réclamation a bien été évaluée et qu’il n’a commis aucune erreur administrative en rejetant la demande. Par conséquent, à mon avis, on ne peut affirmer que la décision de l’évaluateur ne respecte pas l’accord de règlement ou qu’elle a révélé la présence de lacunes dans ce dernier.
[25]
L’accord de règlement est censé constituer un code complet détaillant les modalités, les conditions et les limites des réclamations qui entrent dans son champ d’application. Les membres du groupe, comme la demanderesse, ont renoncé à leur droit de soumettre leurs réclamations aux tribunaux en faveur d’un processus de réclamation non contradictoire, efficace et définitif. L’article 6.05 de l’accord de règlement prévoit ce qui suit : « Par souci de clarté, les décisions de l’évaluateur ne peuvent ni être portées en appel ni faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire. »
[26]
À mon avis, en dépit du fait que les parties ne s’entendent pas quant au critère applicable qui se dégage de l’arrêt J.W., la Cour suprême a clairement indiqué que l’intervention des tribunaux dans un accord de règlement est restreinte à des circonstances très limitées.
[27]
Je ne suis pas convaincue que les faits en l’espèce appartiennent à la catégorie des « circonstances très limitées »
qui justifieraient une intervention de la Cour dans le processus de réclamation. Par conséquent, je conclus que la Cour n’a pas compétence pour ordonner que la réclamation rejetée par l’évaluateur fasse l’objet d’un nouvel examen.
ORDONNANCE dans le dossier T-1685-16
LA COUR ORDONNE que :
Le contenu du formulaire de réclamation et de la documentation à l’appui présentés par la demanderesse 19407 dans le cadre de l’accord de règlement sont confidentiels et demeurent sous scellés dans le dossier de la Cour;
La demanderesse est désignée la « demanderesse 19407 »;
La demande en vue d’un nouvel examen de la réclamation de la demanderesse 19407 est rejetée;
Aucuns dépens ne sont adjugés.
« Ann Marie McDonald »
Juge
Traduction certifiée conforme
Mylène Boudreau, traductrice
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T-1685-16
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INTITULÉ :
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JANET MERLO ET LINDA GILLIS DAVIDSON c SA MAJESTÉ LA REINE
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REQUÊTE ÉCRITE DÉCIDÉE SANS COMPARUTION DES PARTIES
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ORDONNANCE ET MOTIFS :
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LA JUGE MCDONALD
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DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :
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LE 26 OCTOBRE 2020
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OBSERVATIONS ÉCRITES :
Won J. Kim
Megan B. McPhee
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POUR LA DEMANDERESSE LINDA DAVIDSON
ET LA DEMANDERESSE 19407
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Charmaine De Los Reyes
Susanne Pereira
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pour la défenderesse
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Richard G. Dearden
David P. Taylor
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pour l’évaluateur
DANS LE CADRE DU RECOURS COLLECTIF
MERLO DAVIDSON
LE JUGE MICHEL BASTARACHE, C.C., c.r.
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Kim Spencer McPhee Barristers P.C.
Toronto (Ontario)
Klein Lawyers LLP
Vancouver (Colombie‑Britannique)
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POUR LES DEMANDERESSES
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Procureur général du Canada
Ministère de la Justice du Canada
Vancouver (Colombie‑Britannique)
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Pour la défenderesse
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