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Date : 20020816

Dossier : T-1954-00

Référence neutre : 2002 CFPI 875

Ottawa (Ontario), le 16 août 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

demandeur

et

SHIRLEY VAI TING

défenderesse

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1] Il s'agit en l'espèce d'un appel interjeté par le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration relativement à la décision du juge de la citoyenneté R. Bonnisteel de recommander l'attribution de la citoyenneté à Shirley V. Ting. L'appel du ministre découle du fait que Mme Ting a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, passé en tout 318 jours au Canada, ce qui est beaucoup moins que les 1 095 jours exigés par l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29. Mme Ting a été absente du Canada 1 142 jours pendant la même période.


[2] Le juge de la citoyenneté a écrit ce qui suit lorsqu'il a approuvé la demande de Mme Ting :

                [traduction] Shirley Ting....dossier : 1818371

                Smith

                Il est vrai que Mme Ting a passé beaucoup de temps à l'étranger, plus de temps en fait qu'elle n'a passé au Canada, mais je pense qu'il y avait des circonstances atténuantes.

Elle était inscrite à un collège aux États-Unis en 1993 lorsque ses parents sont venus au Canada et se sont installés avec leur famille à Scarborough en 1994. C'est là qu'elle a vécu et établi des racines dans la collectivité pendant qu'elle n'était pas à l'école. Carte santé, permis de conduire, déclaration de revenus, médecin, dentiste, etc. Voulant faire carrière en architecture, elle a présenté une demande d'admission à l'université de Toronto, mais sa demande a été refusée : le diplôme de 12e année qu'elle avait obtenu aux États-Unis n'a pas été reconnu parce qu'elle n'avait pas suivi un CPO. Elle a toutefois été admise à l'université Notre Dame, en Indiana, où elle a entrepris ses études. Cet établissement offre un programme d'architecture de classe mondiale, comprenant notamment des cours spéciaux sur l'Italie de l'époque romaine. Avant l'obtention de son diplôme, elle a essayé de trouver un endroit où faire son stage au Canada, mais, après de nombreuses demandes, elle a dû se résigner à accepter un stage dans la société d'architectes Eric J. Smith, à New York [...] ce qui explique également ses longues absences.

À l'université, elle habitait dans une résidence d'étudiants située sur le campus. Son seul foyer était la maison de ses parents au Canada. Pendant tout ce temps, elle a gardé sa chambre dans cette maison, ainsi que des livres, des vêtements et d'autres objets. Elle revenait à la maison aussi souvent qu'elle le pouvait pour les congés, les vacances scolaires, etc. Les seules autres fois où elle s'est absentée du Canada, elle a rendu visite à ses grands-parents âgés aux Philippines. Elle n'a jamais considéré comme son foyer une autre maison que celle de ses parents au Canada.

Malgré le nombre de jours qu'elle a passés à l'étranger, le seul foyer qu'elle avait ou avec lequel elle avait des liens se trouvait au Canada. Ses absences s'expliquaient principalement par la poursuite de ses études.

J'approuve la demande.


[3] Il ressort des documents versés au dossier de citoyenneté que Mme Ting est née aux Philippines le 16 novembre 1975, qu'elle est arrivée au Canada le 4 mai 1994 et qu'elle est devenue résidente permanente le 7 août suivant, à l'âge de 18 ans. Le questionnaire sur la résidence qu'elle a rempli aux fins de sa demande de citoyenneté indique qu'elle a commencé à s'absenter du Canada en mai 1996, malgré les instructions lui demandant de rendre compte de ses absences depuis son arrivée au Canada. En conséquence, il faut consulter d'autres documents contenus dans le dossier pour obtenir des renseignements concernant sa résidence au Canada de mai 1994 à mai 1996.

[4] Un certificat d'admissibilité pour étudiant non immigrant délivré par le service d'immigration et de naturalisation des États-Unis indique que la demanderesse a été admise au programme d'architecture de l'université Notre Dame au plus tard le 29 avril 1993. Le même document semble autoriser son admission aux États-Unis à titre d'étudiante inscrite au programme d'architecture de l'université Notre Dame, d'une durée de cinq ans, à compter d'août 1993. Une photocopie du passeport de Mme Ting montre un timbre d'entrée apposé par le service américain de l'immigration le 22 août 1993. Ses relevés de notes révèlent qu'elle a commencé à fréquenter l'université Notre Dame à l'automne 1993. Mme Ting a obtenu une série de permis de retour pour résident permanent lui permettant de revenir au Canada. Le premier de ces permis a été délivré le 30 septembre 1994. Elle a aussi obtenu un permis de conduire temporaire de l'Ontario le 5 juillet 1994. Un formulaire du ministre de la Santé de l'Ontario indique qu'elle a commencé à bénéficier de l'assurance-maladie le 7 novembre 1994.


[5]         Il ressort de l'annexe A du questionnaire sur la résidence qu'elle a rempli à la demande des autorités de la citoyenneté qu'elle a quitté le Canada pour reprendre ses études en janvier 1996 et qu'elle a été absente du Canada pendant les trimestres scolaires jusqu'à ce qu'elle obtienne son diplôme en mai 1998. Elle a passé ses vacances de Noël de 1996-1997 et de 1997-1998 aux Philippines, ainsi que la plus grande partie de ses vacances d'été en 1997 et en 1998.

[6]         Après avoir passé ses vacances aux Philippines en août 1998, Mme Ting a commencé son stage dans une société d'architectes de New York en septembre 1998. Elle est venue passer quatre jours au Canada en avril 1999 et huit jours au mois de juin suivant. Elle est ensuite partie aux Philippines le 26 novembre 1999 et est revenue le 30 décembre suivant, date à laquelle elle a fait sa demande de citoyenneté.


[7]         La présente affaire ressemble de façon frappante à Chan c. Canada, 2002 CFPI 270, [2002] A.C.F. no 376 (QL), où un appel visant le rejet d'une demande de citoyenneté avait été interjeté. Comme Mme Ting, Mme Chan était déjà inscrite à un programme d'architecture dans un établissement américain lorsqu'elle avait obtenu le droit d'établissement, à l'âge de 19 ans. On ne savait pas avec précision ce que Mme Chan avait fait dans les mois qui avaient suivi son établissement et, comme Mme Ting, elle avait quitté le Canada pour reprendre ses études peu de temps après avoir obtenu le droit d'établissement au Canada. Alors que Mme Chan faisait valoir qu'elle devait étudier aux États-Unis parce qu'il n'y avait pas de programme équivalent au Canada, Mme Ting prétend qu'elle ne pouvait pas être admise au programme offert à l'Université de Toronto. Les deux demanderesses possédaient un permis de conduire, une carte santé, un compte en banque, etc., et il y avait dans les deux cas différents indices objectifs de présence au Canada. En outre, elles ont toutes deux fait une demande de citoyenneté dès qu'elles sont revenues au Canada après avoir séjourné à l'étranger.

[8]         La question en litige dans l'affaire Chan, précitée, comme dans la présente affaire d'ailleurs, n'était pas le maintien de la résidence pendant des études à l'étranger, mais l'établissement de la résidence à l'origine. Je ne peux que répéter les propos que j'ai formulés sur la question de l'établissement de la résidence dans cette affaire :

[10] Cette question a été examinée par le juge Cattanach dans Re Pattni, [1980] A.C.F. 1017, où le savant juge s'exprime comme suit :

[par. 35] Pour que les absences physiques du Canada puissent quand même être assimilées à une résidence au pays, le requérant doit d'abord avoir établi une telle résidence au Canada.

[par. 36] Dans l'affaire Perviz Mitha où j'ai prononcé le jugement, le 1er juin 1979, j'avais dit :

À mon sens, pour savoir si les absences physiques du Canada s'expliquent pour des fins assez temporaires pour qu'elles n'interrompent pas la continuité de la résidence, il faut d'abord établir une « résidence » , c'est-à-dire savoir dans quelle mesure la personne « s'établit ou conserve ou centralise son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d'intérêts et de convenances au lieu en question » . Il faut toutefois distinguer la « résidence » au sens courant et le « concept de séjour ou de visite » .

[11] Voir également Canada (Secrétaire d'État) c. Yu, [1995] A.C.F. 919 (1re inst.), où le juge Rothstein affirme que le défaut d'établir la résidence justifie le rejet de la demande de citoyenneté.

[12] La même question s'est posée dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Lam, [1999] A.C.F. no 651, où l'appelante était également étudiante. Cette dernière, âgée de 22 ans à l'époque, avait accompagné ses parents au Canada en vue de s'y établir puis elle était retournée aux États-Unis pour y achever ses études. Elle retournait parfois au Canada et passait ses vacances à Hong Kong. Elle a déposé une demande de citoyenneté mais elle avait accumulé beaucoup moins que les 1 095 jours de résidence exigés par la Loi. Sur la question relative à l'établissement de la résidence, le juge Simpson s'exprime comme suit :


[par. 10] Toutefois, la décision Papadogiorgakis ne permet pas de conclure qu'un étudiant peut venir au Canada pour une courte période, ne pas y établir une première résidence, puis passer de longues périodes d'études et de vacances à l'étranger et, sur ce fondement, s'attendre à remplir les exigences en matière de résidence pour obtenir la citoyenneté canadienne. Je devrais faire remarquer qu'établir une résidence n'est pas seulement une question de rassembler les documents habituels liés à la résidence (carte santé, carte d'assurance-sociale, carte bancaire, déclaration d'impôts, carte de bibliothèque, permis de conduire, etc.). À mon avis, il faut également faire des efforts pour s'intégrer et participer à la société canadienne, ce qui pourrait se faire dans un lieu de travail, dans un groupe de bénévoles, ou dans une activité sociale ou religieuse, pour ne nommer que quelques possibilités.

[13] La même question s'est posée dans Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1796. L'appelante était également étudiante au moment de son arrivée au Canada. Le juge Wetston affirme ceci, à propos de l'établissement de la résidence :

[par. 9] À mon avis, lorsque la présence physique est minimale, le facteur le plus important est la qualité des attaches du requérant avec le Canada. Il doit y avoir la preuve qui indique de véritables attaches avec le Canada. Ces attaches doivent dépasser le fait d'avoir seulement des attaches avec la famille installée au Canada, d'avoir un permis de conduire canadien ou un numéro d'assurance sociale.

[par. 10] Il existe des facteurs qui peuvent servir à mettre en lumière ces attaches. L'appelante a-t-elle réellement tenté de retourner au Canada au cours des vacances? Dans la négative, pourquoi? Par exemple, est-elle retournée au Canada au cours des vacances d'été pour obtenir un emploi d'été ou faire le travail communautaire au Canada? Au cours de ces visites, s'est-elle engagée dans des activités qui favorisent son intégration dans la société canadienne? Par exemple, s'est-elle jointe à un club social, à un club d'athlétisme, à un groupe confessionnel ou a-t-elle suivi un cours ou un programme? A-t-elle raisonnablement tenté de déterminer si d'autres programmes existaient au Canada qui pourraient répondre à ses buts d'instruction, et de s'inscrire à ces programmes?

[par. 11] En bref, l'appelante doit établir sa résidence au Canada en pensée et en fait. Elle doit avoir centralisé son mode de vie au Canada.


[9]         En l'espèce, la preuve relative au degré d'attachement est mince. Il n'y a pratiquement aucun renseignement concernant la période qui a suivi l'établissement au Canada. On peut toutefois déduire que, dans le mois qui a suivi son établissement (et dans les quatre mois qui ont suivi son arrivée au Canada), la demanderesse est retournée étudier à l'université Notre Dame. Il ressort de la preuve que, pendant la période prescrite par la loi, Mme Ting a passé aux Philippines ses vacances de Noël en 1996, 1997 et 1999 et environ la moitié de ses vacances d'été en 1997 et 1998. Il semble, à la lumière de la preuve, que la seule activité à laquelle elle a participé au Canada consiste en 16 heures de leçons de japonais qu'elle a suivies en juillet 1996. Je ne peux que conclure qu'il s'agit en l'espèce du cas d'une personne revenant au Canada pour rendre visite à sa famille, comme elle est allée aux Philippines rendre visite aux membres de sa famille vivant dans ce pays.

[10]       Le juge de la citoyenneté a commis une erreur en n'examinant pas la question de l'établissement de la résidence avant de déterminer si la résidence avait été maintenue.


[11]       Deux commentaires doivent être faits au regard des demandes d'étudiant semblables à celle en l'espèce et dans l'affaire Chan. Premièrement, les faits de l'affaire Re Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208, n'appuient pas des demandes comme celles-là. M. Papadogiorgakis avait résidé physiquement au Canada du 5 septembre 1970 au 28 janvier 1976, avant d'aller étudier aux États-Unis. S'il avait demandé la citoyenneté canadienne avant de commencer ses études aux États-Unis, il aurait satisfait aux conditions de résidence du fait de sa présence physique au Canada. Il s'agissait véritablement dans ce cas d'une personne profondément attachée au Canada qui avait été présente dans ce pays pendant une longue période avant d'aller étudier à l'étranger. La décision Padadogiorgakis n'étaie donc pas la proposition générale selon laquelle une personne est automatiquement présumée résider au Canada pendant qu'elle étudie à l'étranger.

[12]       Deuxièmement - et ceci est plus important -, le rejet de la présente demande ne veut pas dire que le Canada n'a aucun intérêt à accorder la citoyenneté à des personnes comme Mme Ting, dont la capacité de contribuer à la société canadienne ne fait aucun doute. Le Canada a un intérêt certain à accueillir de jeunes personnes comme elle. Mais il y a une différence entre acquérir le droit de vivre au Canada et gagner le droit à la citoyenneté. Le processus menant à l'obtention de la citoyenneté est un processus actif qui exige la participation de la personne concernée à la société canadienne. Il ne s'agit pas d'une simple récompense qui échoit à la personne absente. Je n'ai aucun doute que Mme Ting deviendra une citoyenne canadienne de valeur, et je l'encourage à présenter une nouvelle demande au moment opportun.

ORDONNANCE

L'appel est accueilli.

           « J. D. Denis Pelletier »           

Juge                          

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                    SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                              T-1954-00

INTITULÉ :                                             LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION c. SHIRLEY VAI TING

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                     Le 27 juin 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                           Monsieur le juge Pelletier

DATE DES MOTIFS :                           Le 16 août 2002

COMPARUTIONS :

Ann Margaret Oberst                                                    POUR LE DEMANDEUR

Shirley Vai Ting                                                             POUR SON PROPRE COMPTE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Morris Rosenberg                                                          POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Shirley Vai Ting                                                             POUR SON PROPRE COMPTE

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