Date : 20031222
Dossier : IMM-2159-02
Référence : 2003 CF 1510
Ottawa (Ontario), le 22 décembre 2003
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY
ENTRE :
ZAKIA YASMIN JOARDER
demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Mme Zakia Yasmin Joarder demande le contrôle judiciaire de la décision d'un agent des visas, Benton J. Mischuk (l'agent des visas), de rejeter, en date du 15 avril 2002, sa demande de résidence permanente au Canada. Elle souhaite que la Cour annule cette décision et renvoie sa demande afin que celle-ci soit examinée conformément aux motifs de la Cour, et qu'une nouvelle décision soit rendue en vertu de la loi qui était en vigueur au moment de la réception de sa demande originale de résidence permanente au Canada.
CONTEXTE
[2] Mme Joarder, une citoyenne du Bangladesh, a présenté une demande de résidence permanente au Canada en qualité d'immigrante indépendante en septembre 1996. Elle envisageait d'exercer la profession de travailleuse sociale au Canada. Sa demande a été transférée au Haut-commissariat du Canada à Singapour le 25 septembre 1996.
[3] Une entrevue avec Mme Joarder a eu lieu au Haut-commissariat du Canada à Dhaka, au Bangladesh, le 10 mars 1999. Elle a appris par une lettre datée du 6 avril 1999 que l'agent des visas avait rejeté sa demande parce qu'il doutait qu'elle ait réellement obtenu un baccalauréat en travail social. L'agent des visas lui avait accordé six points d'appréciation pour sa connaissance de l'anglais car elle avait démontré qu'elle comprenait l'anglais, le parlait et l'écrivait [traduction] « correctement » , et trois points pour sa personnalité.
[4] Sa demande a été rouverte par un autre agent des visas le 4 juillet 1999 après qu'elle a démontré que, selon l'Association canadienne des travailleuses et travailleurs sociaux, elle avait suivi les cours exigés pour la profession désignée.
[5] Mme Joarder a ensuite rencontré un autre agent des visas, Victor Majid, le 18 octobre 1999. Ce dernier lui a dit qu'elle obtiendrait la résidence permanente seulement si elle pouvait prouver qu'elle était bien parente avec une tante vivant au Canada. La demanderesse n'a pas été en mesure de produire un document certifié attestant son lien de parenté. Si elle avait pu le faire, elle aurait obtenu le nombre de points requis.
[6] La tante est décédée le 21 juillet 2001, soit avant la décision faisant l'objet du présent contrôle. À l'audience, l'avocat de la demanderesse a indiqué que ce fait était toujours pertinent étant donné qu'on avait considéré, lorsqu'on avait évalué la personnalité de Mme Joarder, que l'incapacité de celle-ci d'établir son lien de parenté traduisait un manque d'initiative ou de motivation pour parfaire sa demande malgré tout le temps qu'elle avait eu pour le faire.
[7] Après l'entrevue d'octobre 1999, la demanderesse et la Commission avaient échangé plusieurs lettres au sujet de la preuve du lien de parenté de la première avec la tante vivant au Canada. La Commission avait demandé à la demanderesse de se soumettre à des tests d'empreintes génétiques afin de prouver ce lien. La demanderesse avait écrit à la Commission qu'elle croyait avoir obtenu au moins les 70 points d'appréciation requis pour que sa demande soit accueillie, sans les cinq points qui sont accordés pour un parent qui est un citoyen ou un résident permanent du Canada. À la demande de la Commission, la demanderesse a produit une copie du certificat de décès de sa tante le 5 mars 2002.
[8] Mme Joarder atteste, dans un affidavit déposé dans la présente instance, qu'on lui a dit, lors de l'entrevue du 18 octobre 1999, qu'elle était acceptée en principe jusqu'à ce que son niveau de scolarité soit vérifié.
Décision de l'agent des visas
[9] La demande de résidence permanente au Canada de Mme Joarder a été rejetée par une lettre de l'agent des visas datée du 15 avril 2002. Cette courte lettre n'explique pas les points d'appréciation qui ont été attribués à la demanderesse et qui sont indiqués ci-dessous :
[traduction] CNP
ÂGE 10
FACTEUR PROFESSIONNEL 05
ÉTUDES ET FORMATION 17
EXPÉRIENCE 08
EMPLOI RÉSERVÉ OU
PROFESSION DÉSIGNÉE 00
FACTEUR DÉMOGRAPHIQUE 08
ÉTUDES 16
CONNAISSANCE DE L'ANGLAIS 02
CONNAISSANCE DU FRANÇAIS 00
PERSONNALITÉ 02
TOTAL 68
PRÉTENTIONS DE LA DEMANDERESSE
[10] Mme Joarder prétend que l'agent des visas a commis une erreur de droit en réduisant à deux les six points d'appréciation pour sa connaissance de l'anglais qui lui avaient été attribués lors de la première évaluation, le 6 avril 1999. Elle fait valoir que la lettre de refus n'indique pas si ses connaissances linguistiques ont été évaluées par l'agent des visas et que, dans les faits, elles ne l'ont pas été. Elle prétend également que ce n'est pas l'agent des visas qu'elle a rencontré le 18 octobre 1999. Selon elle, l'agent des visas a tenu compte de considérations non pertinentes - les observations de l'agent qui a effectué l'entrevue - pour déterminer le nombre de points qu'il devait lui attribuer pour ses connaissances linguistiques et sa personnalité.
[11] Mme Joarder prétend de façon subsidiaire que l'agent des visas a négligé un élément de preuve pertinent qui lui avait été présenté : l'évaluation de sa connaissance de l'anglais et de sa personnalité qui avait été effectuée par un autre agent des visas à la suite de l'entrevue du 10 mars 1999. Au soutien de sa prétention, elle rappelle la retenue dont doivent faire l'objet les décisions discrétionnaires dans le cadre d'un contrôle judiciaire, décrite dans l'arrêt Maple Lodge Farms c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2.
[12] Mme Joarder affirme que l'agent des visas aurait dû faire preuve d'une grande retenue à l'égard de l'évaluation de ses connaissances de l'anglais et de sa personnalité qui avait été effectuée par l'autre agent des visas, car cette évaluation était fondée sur une entrevue avec elle. Elle invoque à ce sujet les décisions Shah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 645 (1re inst.) (QL), et Bhatia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 1462 (1re inst.) (QL). La demanderesse fait référence également à la première évaluation sur papier qui se trouve dans le dossier du tribunal, selon laquelle elle a obtenu neuf points pour sa connaissance de l'anglais.
[13] La demanderesse affirme que la norme de contrôle qui s'applique en l'espèce est celle du caractère raisonnable et que la décision de l'agent des visas était [traduction] « déraisonnable et clairement erronée » . Elle se fonde à cet égard sur l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817.
[14] Mme Joarder soutient ensuite que le personnel de la Commission a agi [traduction] « de manière partiale et avec animosité » à son endroit. Au soutien de sa prétention, elle mentionne que les notes figurant dans le Système de traitement informatisé des dossiers d'immigration (STIDI) indiquent qu'un agent ayant effectué une entrevue dont les initiales sont « VIM » a écrit, le 18 octobre 1999, qu'il y avait [traduction] « deux raisons de rejeter » la demande et que le même agent des visas a écrit, le 11 mai 2000, que [traduction] « les motifs étaient insuffisants pour rendre une décision défavorable » .
[15] La demanderesse soutient que le personnel de la Commission a agi avec partialité et animosité à son endroit parce qu'il avait des doutes au sujet de son niveau d'instruction, bien que des réponses lui aient été données et aient amené la réouverture de son cas. Elle soutient également que l'agent des visas a retardé le traitement de sa demande en exigeant inutilement des tests d'empreintes génétiques.
[16] Se fondant sur l'arrêt Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623, la demanderesse soutient que la Cour peut modifier une décision lorsqu'il peut être démontré que le décideur n'a pas effectué son évaluation avec l'esprit ouvert, de sorte qu'un observateur relativement bien renseigné pourrait percevoir de la partialité. Selon la demanderesse, cette condition est [traduction] « nettement » remplie en l'espèce.
PRÉTENTIONS DU DÉFENDEUR
[17] Le défendeur soutient que la demanderesse n'a pas démontré qu'une erreur susceptible de contrôle justifiant l'intervention de la Cour a été commise. Il se réfère à la norme de contrôle et de retenue établie dans l'arrêt To c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 696 (C.A.) (QL), que la Cour applique aux décisions des agents des visas.
[18] Le défendeur affirme qu'il incombe à la demanderesse de démontrer qu'elle avait le droit d'entrer au Canada et qu'elle ne l'a pas fait. Il invoque les décisions Rani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 1102, et Qayum c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 587 (1re inst.) (QL), ainsi que les articles 8 et 9 de l'ancienne Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, au soutien de sa prétention. Il prétend que la demanderesse était au courant du problème que causait l'absence de documents prouvant son lien de parenté avec sa tante. Il estime que la demanderesse a eu la possibilité de régler ce problème puisque trois lettres lui demandant de fournir cette preuve lui ont été envoyées. En fait, il incombait à la demanderesse de présenter tous les éléments de preuve pertinents au soutien de sa demande (Zheng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1397 (1re inst.) (QL)).
[19] Le défendeur fait valoir que la Cour a déjà décidé que le fait qu'une entrevue est effectuée par un autre agent que celui qui rend la décision ne pose pas problème. L'agent des visas déclare, dans son affidavit déposé en l'espèce, qu'il a consulté les notes de l'agent qui a effectué l'entrevue avant de prendre sa décision. Le défendeur fonde sa prétention sur la décision Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 472 (1re inst.) (QL).
[20] Le défendeur soutient en outre qu'il ressort de l'affidavit de l'agent des visas que son évaluation de la personnalité de la demanderesse n'était pas erronée. La demanderesse a obtenu seulement deux points pour ce facteur parce qu'elle n'a pas fait preuve d'initiative ou de motivation pour connaître le type de travail effectué par les travailleurs sociaux au Canada ou pour entreprendre des démarches afin de s'adapter à la main-d'oeuvre canadienne.
[21] Le défendeur soutient également qu'il était raisonnable que l'agent des visas accorde deux points à la demanderesse pour sa connaissance de l'anglais. L'agent qui a effectué l'entrevue d'octobre 1999 a écrit, dans les notes du STIDI, que la demanderesse était [traduction] « incapable d'écrire correctement » . Ce commentaire a été accepté par l'agent des visas, qui a ensuite attribué deux points à la demanderesse pour le facteur linguistique.
[22] Le défendeur soutient que, contrairement à ce que dit la demanderesse, l'évaluation de ses connaissances linguistiques par un agent différent en avril 1999 n'est pas pertinente au regard de la décision faisant l'objet du présent contrôle et l'agent des visas n'avait pas l'obligation de faire preuve de retenue à l'égard de cette évaluation.
[23] Le défendeur prétend que la demanderesse n'a pas réussi à établir que les faits en l'espèce font naître une crainte raisonnable de partialité ou démontrent qu'il y a eu partialité ou animosité à son endroit. Il se fonde à cet égard sur la décision Skoruk c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1687 (1re inst.) (QL).
[24] Le défendeur rappelle le norme de partialité établie par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Baker, précité, et fait valoir que la conduite de l'agent des visas ne fait pas naître une crainte raisonnable de partialité et ne permet pas de croire qu'il y a eu partialité. Le fait qu'un plus petit nombre de points d'appréciation que celui exigé pour qu'une demande soit accueillie a été accordé à la suite de l'évaluation de la demanderesse n'est pas une preuve de partialité (Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 29 (1re inst.) (QL)).
QUESTIONS EN LITIGE
[25] 1. L'agent des visas a-t-il commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu'il a évalué les connaissances linguistiques et la personnalité de Mme Joarder?
2. La conduite de l'agent des visas fait-elle naître une crainte raisonnable de partialité selon la preuve au dossier?
ANALYSE
[26] À mon avis, il ressort du dossier que l'agent des visas a commis une erreur lorsqu'il a évalué les connaissances linguistiques de la demanderesse. Pour les motifs exposés ci-dessous, cette erreur n'a toutefois pas pu avoir une incidence sur la décision puisque le nombre total de points d'appréciation attribués à la demanderesse et la décision de rejeter sa demande en raison d'un nombre de points insuffisant seraient demeurés les mêmes. Par conséquent, conformément à l'arrêt Patel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2002), 288 N.R. 48 (C.A.F.), je décide, comme j'en ai le pouvoir, de ne pas annuler la décision de l'agent des visas. La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.
[27] En outre, la demanderesse n'a pas démontré que l'agent des visas a commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu'il a évalué sa personnalité. Elle n'a pas démontré non plus que la conduite de l'un ou l'autre des agents qui ont participé à la décision fait naître une crainte raisonnable de partialité.
[28] Je constate que le fait que l'agent qui a effectué l'entrevue n'a pas évalué les connaissances linguistiques de la demanderesse est mentionné seulement dans l'exposé de la thèse de l'avocat de celle-ci et qu'il n'en est pas question dans l'affidavit que la demanderesse a déposé en l'espèce. À la lumière de ce fait et du dossier du tribunal, lequel contient une photocopie d'un échantillon d'écriture de la demanderesse à la page 56, je conclus que l'agent qui a effectué l'entrevue du 18 octobre 1999 a évalué la capacité de la demanderesse d'écrire l'anglais. Les notes du STIDI du 18 octobre 1999 indiquent ce qui suit (à la page 5 du dossier du tribunal) :
[traduction] L'INTÉRESSÉE PARLAIT CORRECTEMENT L'ANGLAIS ET L'ÉCRIVAIT DIFFICILEMENT
[...]
ai de très sérieux doutes quant à la venue de cette femme au Canada car elle espère se trouver un travail d'intervention. Ne pouvait pas écrire sans problème, et je lui ai donné tout le temps qu'elle voulait.
[29] Un agent des visas peut déléguer des tâches et se fier aux observations d'un autre agent qui a effectué l'entrevue avec le demandeur (Ali, précitée). Ces observations ne sont donc pas des considérations non pertinentes, contrairement à ce que prétend la demanderesse.
[30] La demanderesse a soutenu que l'agent des visas - qui a pris la décision du 15 avril 2002 - aurait dû s'en remettre à l'évaluation de ses connaissances de la langue anglaise qui avait été effectuée par l'autre agent qui l'a rencontrée en mars 1999, car cette évaluation était fondée sur une appréciation personnelle de la demanderesse faite par la personne qui a en fait rendu la décision finale. À mon avis, cette prétention n'a aucune valeur. Les décisions Shah et Bhatia, précitées, qui sont invoquées par la demanderesse, n'appuient pas la proposition selon laquelle un agent des visas doit s'en remettre à l'évaluation des connaissances linguistiques qui a été effectuée par un autre agent. Elles appuient par contre la proposition selon laquelle une cour de révision doit faire preuve d'une grande retenue à l'égard des observations personnelles d'un agent et le fait qu'un demandeur connaisse une langue a relativement peu d'importance si un agent constate le contraire.
[31] En l'espèce, l'agent des visas a délégué à un autre agent la tâche de rencontrer la demanderesse dans le cadre d'une entrevue. La Cour a statué qu'une telle délégation est acceptable en matière administrative (Ali, précité). Les observations de l'agent qui a effectué l'entrevue étaient fondées sur sa rencontre avec la demanderesse; ces observations figurent dans les notes du STIDI. L'agent des visas a donc eu raison de se fonder sur ces observations pour prendre sa décision.
[32] À mon avis, l'agent qui a effectué l'entrevue a omis d'évaluer la capacité de la demanderesse de lire l'anglais, comme l'exigeait l'ancienne loi. La demanderesse avait indiqué dans ses formulaires de demande qu'elle lisait l'anglais [traduction] « couramment » . De plus, même si l'évaluation des connaissances linguistiques de la demanderesse qui avait été effectuée auparavant ne liait pas l'agent des visas, elle faisait partie du contexte dans lequel le cas de la demanderesse a été décidé. Les trois capacités du facteur linguistique - parler, lire et écrire - avaient été évaluées par l'autre agent. Celui-ci avait déterminé que la demanderesse faisait ces trois choses [traduction] « correctement » , et lui avait attribué deux crédits pour chaque capacité, soit un total de six crédits.
[33] Le facteur no 8 mentionné à l'annexe I de l'ancien Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172 (l'ancien règlement), prévoyait que deux crédits devaient être attribués pour chaque capacité de parler, de lire ou d'écrire « correctement mais pas couramment » . Aucun crédit ne devait être attribué par contre pour la capacité de parler, de lire ou d'écrire « difficilement » . L'agent qui a effectué l'entrevue ayant considéré que la demanderesse parlait l'anglais « correctement » , il lui a attribué deux crédits. Il ne lui a, par contre, attribué aucun crédit pour l'écriture car il a jugé qu'elle écrivait « difficilement » . Le dossier du tribunal, y compris les notes versées dans le STIDI, et l'affidavit de l'agent des visas n'indiquent pas cependant que la capacité de la demanderesse de lire l'anglais a été évaluée. Or, selon le facteur no 8 de l'annexe I de l'ancien règlement, un agent des visas devait évaluer chacune des capacités. Les paragraphes (1) et (3) du facteur no 8 traitaient de l'évaluation de la première langue officielle d'un demandeur :
(1) Pour la langue que la personne indique comme sa première langue officielle, le français ou l'anglais, selon son niveau de compétence à l'égard de chacune des capacités suivantes : l'expression orale, la lecture et l'écriture, des crédits sont attribués de la façon suivante : a) la capacité de parler, de lire ou d'écrire couramment, trois crédits sont attribués pour chaque capacité; b) la capacité de parler, de lire ou d'écrire correctement mais pas couramment, deux crédits sont attribués pour chaque capacité; c) la capacité de parler, de lire ou d'écrire difficilement, aucun crédit n'est attribué pour cette capacité.
[...] |
|
(1) For the first official language, whether English or French, as stated by the person, credits shall be awarded according to the level of proficiency in each of the following abilities, namely, speaking, reading and writing, as follows: (a) for an ability to speak, read or write fluently three credits shall be awarded for each ability; (b) for an ability to speak, read or write well but not fluently, two credits shall be awarded for each ability; (c) for an ability to speak read or write with difficulty, no credits shall be awarded for that ability.
... |
(3) Des points d'appréciation sont attribués sur la base du nombre total de crédits obtenus selon les paragraphes (1) et (2), d'après le barème suivant : a) zéro ou un crédit, aucun point; b) de deux à cinq crédits, deux points; c) six crédits ou plus, un point par crédit. |
|
(3) Units of assessment shall be awarded on the basis of the total number of credits awarded under subsections (1) and (2) as follows: (a) for zero credits or one credit, zero units; (b) for two to five credits, two units; and |
[34] Le libellé du facteur no 8 de l'annexe I de l'ancien règlement prévoit clairement, à mon avis, qu'un immigrant éventuel doit être évalué relativement à chacune des trois capacités - parler, lire et écrire. Or, il ressort du dossier en l'espèce que ni l'agent qui a effectué l'entrevue ni l'agent des visas n'ont évalué la capacité de la demanderesse de lire l'anglais. La Cour a déjà statué qu'une telle évaluation est nécessaire (Patel c. Canada (MCI), [1998] A.C.F. no 1232 (1re inst.) (QL), et Sheremet c. Canada (MCI), [2003] A.C.F. no 1247 (1re inst.) (QL)).
[35] Cette erreur n'aurait cependant eu aucun effet sur la décision rendue relativement à la demande de la demanderesse et n'aurait pas changé le nombre de points qui lui ont été attribués pour le facteur linguistique. En effet, même si la demanderesse avait reçu le nombre maximal de trois crédits pour la capacité de lire l'anglais couramment, elle n'aurait pas reçu plus de deux points pour le facteur linguistique, conformément au paragraphe (3) du facteur no 8. Il avait déjà été déterminé que la demanderesse parlait l'anglais « correctement mais pas couramment » , ce qui lui avait valu deux crédits, et qu'elle l'écrivait « difficilement » , ce qui ne lui avait valu aucun crédit. Si le nombre maximal de crédits lui avait été attribué pour sa lecture de l'anglais, elle aurait obtenu trois crédits de plus, ce qui aurait porté son total de crédits à cinq. Or, selon le paragraphe (3), deux points seulement devaient être attribués à un demandeur qui avait obtenu de deux à cinq crédits.
[36] Par ailleurs, le dossier ne permet pas de conclure que l'agent des visas n'a pas été impartial ou a agi de manière à faire naître une crainte raisonnable de partialité. La juge L'Heureux-Dubé a abordé la question de la partialité des agents des visas dans l'arrêt Baker, précité, et a écrit ce qui suit aux paragraphes 45 et 46 :
L'équité procédurale exige également que les décisions soient rendues par un décideur impartial, sans crainte raisonnable de partialité. L'intimé soutient que le juge Simpson a eu raison de conclure que les notes de l'agent Lorenz ne peuvent pas donner lieu à une crainte raisonnable de partialité, parce que le vrai décideur était l'agent Caden, qui a simplement fait une revue de la recommandation préparée par son subalterne. L'obligation d'agir équitablement et, en conséquence, d'une façon qui ne donne pas lieu à une crainte raisonnable de partialité, s'applique, à mon avis, à tous les agents d'immigration qui jouent un rôle significatif dans la prise de décision, qu'ils soient des agents de réexamen subalternes, ou ceux qui rendent la décision finale. L'agent subordonné joue un rôle important dans le processus, et si une personne ayant un rôle aussi central n'agit pas de façon impartiale, la décision elle-même ne peut pas être considérée comme ayant été rendue de façon impartiale. [...]
Le test de la crainte raisonnable de partialité a été exposé par le juge de Grandpré, dissident, dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty c. Office national de l'énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, à la p. 394 :
... la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. [...] [C]e critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »
[37] Selon Baker, précité, l'obligation d'agir équitablement s'applique à tous les agents d'immigration qui jouent un rôle significatif dans la prise de décision. Cela signifie que l'agent des visas qui a rencontré la demanderesse le 18 octobre 1999 devait se conduire d'une manière qui ne fait pas naître une crainte raisonnable de partialité. Les remarques écrites par cet agent des visas, dont les initiales sont « VIM » , ou un acte commis par le Haut-commissariat du Canada à Singapour donnent-ils lieu à une telle crainte? À mon avis, cette question doit recevoir une réponse négative.
[38] Suivant le critère établi dans l'arrêt Baker, précité, une personne bien renseignée qui étudierait la question de façon réaliste et pratique ne conclurait pas que l'agent « VIM » n'a pas évalué la demande de la demanderesse avec l'esprit ouvert et de manière impartiale. Les commentaires de l'agent qui a effectué l'entrevue, dont la demanderesse a parlé dans ses prétentions, ne montrent pas que ce dernier a agi de manière partiale, mais plutôt qu'il avait une opinion sur la manière dont la demande devait être évaluée. L'agent des visas atteste toutefois dans son affidavit que c'est lui qui a [traduction] « pris » la décision relative à la sélection dans le cas de la demanderesse.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n'est certifiée.
_ Richard G. Mosley _
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-2159-02
INTITULÉ : ZAKIA YASMIN JOARDER
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 17 DÉCEMBRE 2003
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE MOSLEY
DATE DES MOTIFS : LE 22 DÉCEMBRE 2003
COMPARUTIONS :
Peter D. Woloshyn POUR LA DEMANDERESSE
Brad Godkin POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Peter D. Woloshyn POUR LA DEMANDERESSE
Yallen Associates
Avocats
204, rue St. George, 3e étage
Toronto (Ontario)
M5R 2N5
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada